Thread by @FerhatIsmail7

Petit thread (en partie tiré de ma thèse de doctorat) sur le Parti socialiste et les rémunérations enseignantes.
👇👇👇

#enseignants #politique #rémunérations

Ce thread est bien entendu lié à la promesse (dans un ouvrage encore non publié) d’Anne Hidalgo de doubler les salaires des enseignant(e)s du premier et du second degrés (1).

Cette promesse ne doit en termes politiques, rien au hasard. Le socialisme français est, depuis l’entre-deux-guerres, une force bien mieux implantée dans le monde enseignant que dans la moyenne de la société française (2).

pub-editions.fr/index.php/aute…

Avant la 2nde guerre mondiale, 2500 des 4000 secrétaires de section de la SFIO (ancêtre du PS) auraient été… des instituteurs (3).

lecavalierbleu.com/livre/les-soci…

En calculant les pourcentages de députés socialistes issus du monde éducatif, et en m’appuyant sur les travaux de Jacques Kergoat et de Paul Bacot, j’avais même remarqué une progression continue de 1973 à 1981. (4)

editionsladecouverte.fr/histoire_du_pa…

On monte, en 1981, à presque une moitié de députés ayant un lien professionnel avec le système éducatif, un cas unique de sur-représentation enseignante dans l’histoire politique de France (et, probablement, dans de nombreuses démocraties occidentales). (5)

Bref, stratégiquement, les salaires enseignants, on l’a compris, ne sont pas qu’un enjeu éducatif pour le PS (6).

Cependant, ont-ils été au cœur des projets éducatifs et des politiques éducatives du PS ? Eh bien… pas tant que cela (7).

Le programme scolaire de 1977 du PS, qui reste, jusqu’à aujourd’hui, probablement le plus complet et le plus audacieux de ce parti, parle très peu des rémunérations (8).

archives-socialistes.fr/app/photopro.s…

Il est vrai que le contexte s’y prêtait peu : la politique contractuelle dans la fonction publique fonctionnait plutôt bien (surtout pour les instituteurs, pour lesquels une revalorisation était négociée entre 1978 et 1981). (9)

De plus, le PS avait été très imprégné par la sociologie critique de l’éducation, et avait parfois flirté, entre 1971 et 1973, avec une critique assez marquée du métier enseignant (qui d’ailleurs avait le don d’horripiler des socialistes comme Pierre Mauroy) (10).

Bref, en 1981, le PS ne se distingue pas radicalement de la majorité de droite précédente sur le dossier. Pierre Mauroy négocie avec le puissant syndicat des instituteurs une revalorisation qui met les instituteurs au maximum de la catégorie B. (11)

lemonde.fr/archives/artic…

Ceci conduisait, ipso facto, à privilégier un « rattrapage » des instituteurs sur les professeurs du second degré, plutôt qu’une revalorisation de tous les enseignants (12).

Dès 1983, la désindexation des salaires et le « tournant de la rigueur » (cette dernière notion étant très critiquée par mon ami et collègue @MathieuFulla ) pèsent sur les rémunérations des fonctionnaires, enseignants inclus (13).

pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=…

C’est à partir de 1987 que le PS, et ce de manière unique jusqu’à aujourd’hui, investit cette question des salaires enseignants (14).

Il y a des raisons proprement éducatives : comme l’alertent depuis des années les syndicats (en particulier le SNES, second degré), les rémunérations sont peu attractives. Dans la seconde moitié des années 1980, on atteint un plancher de candidats à la fonction publique. (15).

Or, les classes débordent en lycée, en pleine seconde massification. Il faut créer des postes et attirer des candidat(e)s. Mais il n’y a pas que cela (16).

Le PS, en pleine évolution idéologique, se recentre dans les années 1980 sur son « cœur culturel », à savoir les questions éducatives et l’État (cf. les travaux de mon ancien directeur de thèse Marc Lazar et @MathieuFulla ) (17).

palgrave.com/gp/book/978303…

D’autant… que les fonctionnaires ont été un cœur électoral de plus en plus net du socialisme français des années 1980 jusqu’aux années récentes (18).

Laurent Fabius, secrétaire national à l’éducation (1987-1988) et la direction de la FEN (première fédération enseignante jusqu’en 1992) négocient discrètement une revalorisation substantielle contre le fait de « travailler autrement » (19).

Lionel Jospin devenu ministre de l’EN en 1988, abandonne le projet… tout en bénéficiant de la part de Matignon, de Bercy et de l’Élysée d’une marge de manœuvre budgétaire à faire saliver d’envie probablement tous ses successeurs. (20).

cairn.info/michel-rocard-…

Il fixe la parité entre enseignants du premier degré (devenus Professeurs des écoles) et du second degré. Pour ces derniers, il crée notamment des mesures indemnitaires substantielles (ISOE). (21).

En 1990, face à la crise des écoles dans les quartiers urbains populaires, il crée les premières indemnités ZEP (22).

Jack Lang, c’est souvent mal connu, continue et confirme cette politique entre 1992 et 1993 (notamment pour les enseignants des établissements « plan violence). (23).

lhistoire.fr/jack-lang-une-…

Rappelons qu’entre 1989 et 1993, entre ces mesures budgétaires et la massification des lycées, c’est un point de PIB en plus pour l’éducation, une croissance sans précédent… et jamais renouvelée (24).

insee.fr/fr/statistique…

Car le PS change de position sur ce point à partir du milieu des années 1990. Raisons syndicales : la première organisation enseignante, la FSU, née de la brutale scission de la FEN en 1992, a des rapports plus complexes avec ce parti. (25)

lhetairie.fr/2018/09/25/le-…

Sociologiquement, la présence enseignante dans l’appareil socialiste, tout en restant élevée, reflue continuellement dès la fin des années 1980 (26).

Et le coût des mesures de 1989-1993 ne passe pas chez de nombreux hauts-fonctionnaires socialistes de la rue de Grenelle et les responsables du secteur éducation du PS – des expressions en interview sont un peu trop fleuries pour figurer ici… (27).

pur-editions.fr/product/ean/97…

En 1997-1998, Claude Allègre est confronté à une mobilisation massive des parents, enseignants et habitants quant à la crise scolaire de la Seine-Saint-Denis. La réponse est d’abord en termes de recrutement supplémentaire (28).

Ségolène Royal, ministre déléguée à l’enseignement scolaire et à l’éducation prioritaire, fait plus globalement fortement augmenter le nombre de ZEP (29).

Jack Lang, appelé en 2000-2002, pour éteindre l’incendie des années Allègre, prolonge l’effort de recrutement, mais sans prioriser les rémunérations enseignantes (30).

Dans l’opposition entre 2002 et 2012, le PS ne propose pas dans ses programmes, textes et propositions scolaires de revalorisation radicale des enseignants, préférant se concentrer sur le nombre d’élèves par classe ou la baisse du nombre de postes (31)

Certain(e)s se rappelleront la vidéo (clandestine) de la candidate présidentielle Ségolène Royal en 2006 critiquant les enseignants qui effectuaient des cours particuliers (32)
dailymotion.com/video/xm4ph

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy ne simplifiait pas la position socialiste sur ce sujet. En effet, la défiscalisation des heures supplémentaires bénéficiait particulièrement aux enseignants (33)

Comme le relève en 2011 un rapport du Sénat (alors à majorité socialiste), elles représentaient 1,2 milliards en 2010-2011, ce qui permettait un gain financier de plusieurs centaines d’euros dans le second degré (34).
senat.fr/rap/a11-110-4/…

Dans le premier degré, dépourvu d’heures supplémentaires, la suppression d’une demi-journée de cours en 2008 pouvait être vécu comme un avantage non salarial pour les Professeurs des écoles, toujours moins payés au final que leurs collègues du second degré (35).

Or, le programme « égalité réelle » du PS en 2010, et le projet du candidat socialiste François Hollande (60 000 postes en plus à l’EN) critiquaient ces deux aspects (36).

Dès lors, la refiscalisation des heures supplémentaires (dont le nombre a par ailleurs diminué dans l’EN) a pesé sur le pouvoir d’achat des enseignants du second degré, comme le relève un rapport du Sénat en 2016 (37).

senat.fr/rap/r16-194/r1…

Idem pour la réforme des rythmes scolaires, qui a suscité, notamment à Paris, l'hostilité dans une partie des professeurs des écoles (38).

Il faut attendre le 1er juin 2016 pour que le MEN, alors dirigé par Najat Vallaud-Belkacem, annonce une revalorisation des métiers éducatifs dans le cadre de la réforme de la PPCR (39).

education.gouv.fr/mieux-remunere…

Bref, pour un « parti de profs », comme le PS a été souvent et familièrement nommé depuis les années 1970, la question des rémunérations enseignantes a été étonnement relativement peu présente (40).

En ce sens, la proposition d’Anne Hidalgo, si elle se confirme, constituerait plutôt une rupture en la matière (41).

CC @MariestellPech et @claudelelievre