Ça y est, c’est fini. Je démissionne de mon poste de MCU-PH (Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier). Pourquoi cette décision après un tel parcours du combattant pour en arriver là ? Chroniques d’une fin annoncée de notre système hospitalo-universitaire ⬇️
Pourquoi cette décision, alors que j’ai tout juste 33 ans, investi là-dedans depuis ma 2e année de médecine, une voie tracée vers un poste de PU-PH, un parcours souvent jugé "sans faute" (certains me connaissent IRL) et une grosse motivation ? Les maux du système sont profonds.
Pour les non-initiés, les « hospitalo-universitaires » (HU) sont des praticiens ayant théoriquement une triple mission : soin, enseignement, recherche. Le rêve si vous voulez devenir un super médecin-enseignant-chercheur. Sauf que c’est pas jouable si ces 3 missions se dégradent.
On est face à un système qui ne peut plus assurer ses ambitions, et qui n'a comme seule solution que de compter sur les sacrifices individuels de ceux qui le composent. Au prix de leur vie personnelle, leur santé et leurs rêves, tant que la barque continue d'avancer en apparence.
La situation est encore plus marquée pour les jeunes hospitalo-universitaires, car nous arrivons dans un moment clé où l’on doit difficilement colmater les déficits des 3 mondes avec des objectifs de performance toujours + élevés, malgré des moyens humains et matériels restreints
On demande aux jeunes HU: projets hospitaliers à développer, activités de soin de recours, étudiants à encadrer, M2/thèse/HDR, publications/SIGAPS à engranger, demandes de financements de recherche, gardes de nuit infâmes, enseignements au gré des réformes, congrès, mobilité…
Ça reste jouable si vous y consacrez > 80 heures par semaine. Pendant plusieurs années - au début - ça se fait bien, quand on sacrifie une grosse partie de sa vie personnelle et ses nuits pour y arriver. Je l’ai fait pendant (trop) longtemps, pour essayer d’être au top partout.
Ajoutez à ça une volonté de bien faire toutes ces innombrables tâches aux limites floues, et voilà un cocktail détonnant : devoir faire l’impossible, et vite. Si possible 7j/7. La charge mentale et les responsabilités sont étouffantes, et les compensations rares ou inexistantes.
Aujourd’hui, il faut dire les choses clairement : exceller dans cette triple valence est devenu impossible. Une illusion. D’ailleurs personne ne défend ça hors de France. Si on pouvait accepter que c’est déjà difficile d’être bon dans 2 valences sur 3, ce serait un bon début.
Même en étant efficace et motivé, on a toujours l'impression d'en faire moins en soin que les collègues (dont certains aiment à le faire remarquer pour se mettre en avant). Le regard des non-HU est souvent assez corrosif sur l'engagement HU. Les absences pour cause d'enseignement
ou de recherche sont souvent mal comprises, voir même vues comme des lubies alors qu'il s'agit de missions à part entière. Alors oui, il faut arriver à les faire valoir, mais c’est usant et culpabilisant de devoir en permanence se justifier, alors même qu’au final on bosse trop.
Vous trouverez toujours des HU pour vous dire que tout va bien, qui n’oseront jamais avouer que c’est infernal pour eux aussi. Ce parcours sélectionne des profils particuliers avec une peur panique de l’échec, et les administrations jouent là-dessus pour être maltraitantes.
Pour commencer : l’hôpital. Ses qualités et ses défauts. Le principal défaut étant l'acceptation permanente de travailler dans des conditions matérielles et humaines de plus en plus dégradées. Rien que sur mon expérience de 14 ans dans les couloirs, j'ai vu les choses se déliter.
Aujourd'hui pour espérer que quelque chose bouge, il faut être dans un axe prioritaire de la direction et que les étoiles s’alignent. Les caisses sont vides, et j'ai honte quand je vois certains équipements sur lesquels je travaille comparé à ce qui se fait de mieux sur le marché
Par exemple un scanner des urgences qui a >10 ans et a tout au plus bénéficié de quelques patchs alors qu’il tourne 24/7/365. Quand je fais un bodyscanner à un enfant AVP, j'en suis à croiser les doigts pour la qualité d’image, alors qu’il y a eu des sauts technologiques depuis.
C'est pas normal, certes, mais la logique est que tant que ça peut tenir, on doit tenir, jusqu'à la panne qui finira par provoquer un déblocage magique de budget. Ce jour là, il y aura un article dans la presse locale pour souligner le progrès, puis 10-15 ans de déclin progressif
Idem pour les ressources humaines : tant que ça tient à peu près, inutile de chercher des solutions. Peu importe si les gens font du bon travail mais sont au bout du rouleau, ou font le minimum en essayant de passer entre les mailles en profitant du surinvestissement des autres.
Et les quelques-uns qui s’investiront à fond dans l’hôpital ou l’université et développeront des projets, finiront essorés par les obstacles administratifs et/ou verront leur projet phagocyté par la structure. Projets qui s’effondreront quelques temps plus tard faute de porteur.
Et vous aurez beau faire toujours plus, on considèrera que c’est « normal ». Tout juste s’il faut pas dire merci. La seule reconnaissance que vous aurez ce sera après votre infarctus à 45 ans, dans un mail global pour dire que « c’est triste, c’était vraiment quelqu’un de super »
Ajoutez à ça des aberrations dans le statut HU (cotisations retraite que sur la moitié du salaire, moins de congés, pas de RTT ou de tps additionnel, grille salariale décalée vers le bas par rapport aux PH, pas de repos universitaire après une garde de nuit, pas de temps partiel)
Sans compter des discussions lunaires quand on aborde ça avec des membres de direction hospitalière qui partent du principe que, certes, un HU c’est précieux mais trop investi pour oser partir, donc pas la peine de réfléchir à des solutions (« les textes, rien que les textes ! »)
Et des petits détails croustillants comme quand on m’a refusé un mois de congé parental (sans solde) parce que ce n’était pas écrit spécifiquement dans mes statuts HU (mais j’y aurais eu droit en tant que PH ou assistant). « Vous avez qu’à poser tous vos CA » (lol)
La problématique de la parentalité dans les carrières HU : ça aurait dû être résolu hier, car c'est aujourd'hui que les gens se découragent. Pour les hommes, on imagine implicitement que, comme il y a 30 ans, ils accepteront joyeusement de ne pas s'occuper de leurs enfants.
Ce qui finit par être inévitable quand on fait la somme des congrès de week ends et réunions de soirée. Naturellement non indemnisés, pour le plaisir de la famille. S’y ajoute le principe des grilles hospitalières: honnêtement je m’en fiche d’avoir un 18eme échelon à 68 ans.
Le sacrifice familial de temps et de santé que je fournis c’est maintenant et j’ai pas spécialement envie d’attendre qu’ils aient 25 ans pour offrir des belles vacances à mes enfants ou passer du temps avec eux. Tout ça c’est voué à décourager les jeunes parents de la carrière HU
Sans compter les injonctions permanentes à tout « accepter », parce que « c’est comme ça dans cette carrière », vous comprendrez que les jeunes HU, leur expertise et leurs idées vont progressivement quitter le bateau, surtout à l’aube d’un avenir qui s’annonce de pire en pire.
Je pensais naïvement pouvoir faire mieux que les autres. Arriver à changer le système pour un mieux. C'est tout bonnement impossible. Même une fois en poste, vous comprenez que rien ne bougera même si vous y épuisez toute votre énergie. Et j’ai mieux à faire de cette énergie.
Je suis motivé comme jamais, et je préfère partir maintenant plutôt qu’à 45 ans, épuisé. J’ai fait médecine pour bien m’occuper des patients et enseigner aux autres. J’y suis arrivé jusque maintenant, et il est hors de question que je me tue pour un système qui n’en a que faire.
Ce que je veux maintenant, c'est me recentrer sur les choses importantes : soigner les gens du mieux possible, travailler efficacement, avoir des beaux projets professionnels, prendre soin de ma famille et de moi, cultiver ma passion pour la médecine en essayant de la transmettre
(d’ailleurs si vous cherchez un radiologue sympa avec plusieurs domaines d’expertise, qui aime développer des trucs et qui s’entend bien avec les correspondants, mes DM sont ouverts 😇)
Et surtout, beaucoup de courage à ceux qui restent à bord du navire : je vous quitte pour le moment mais on se recroisera surement le long du fleuve (ou sur les rives !). J’espère que les choses changeront rapidement, en mieux, pour vous, mais pour l’instant je n’y crois plus.
S'il y a quelque chose à faire, c'est maintenant. Comme je dis souvent, un HU c'est 10 ans de sacrifices pour y arriver mais seulement 6 mois à dégouter car le vase est déjà plein. Quand le système sera à terre dans 5 ans les politiques ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas

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7 Jun
Votre réflexe en voyant ça?
Une simple pièce de monnaie?
Ou bien une pile bouton qui peut brûler les parois de l'oesophage puis de l'aorte et entrainer des vomissements de sang et un décès brutal?
Les piles boutons, ce danger insoupçonné pour les enfants, partout chez vous:
Comment ça arrive ? Les piles boutons sont partout: dans les télécommandes, les jouets pour enfant, les livres musicaux.. Généralement sécurisées par des trappes ou des vis, mais un instant d'inattention et un enfant peut tout à fait l'avaler même sous la surveillance des parents
Le problème, surtout chez les petits enfants et/ou pour les piles de gros calibre, c'est qu'elles peuvent rester bloquées dans l'oesophage et entrainer des dommages du fait de leurs composition chimique et/ou des dégâts électriques et/ou mécaniques (souffrance de la muqueuse)
Read 8 tweets
28 May
[THREAD] Bon alors c’est quoi cette histoire d’intelligence artificielle en médecine (et en radiologie) ?
Je vous l’avais promis pour le cap des 4000 followers (merci à tous de me faire cet honneur )!
Tenez, je vous offre un café ☕️ et maintenant vous pouvez dérouler ⬇️⬇️
Bon on va commencer par les disclaimers pour éviter des tacles appuyés prévisibles :
Je ne suis rémunéré par aucune société d’intelligence artificielle. Je travaille avec certaines d’entre elles dans le cadre de projets de recherche académiques. (2/32)
Je développe des algos dans le cadre de projets de recherche avec l’aide de data scientists. Il n’est pas nécessaire de savoir coder pour avoir une opinion éclairée sur le sujet (sinon on devrait interdire à tous les data scientists de travailler sur des projets médicaux) (3/32)
Read 32 tweets
18 May
Petit rappel: votre cou est fragile. Attention donc aux manipulations cervicales non indiquées. Comme cette patiente de 32 ans, sans antécédents, qui a reçu une manipulation cervicale pour des douleurs banales, dont l'issue a été une dissection artérielle, un AVC puis son décès. Image
Comment c'est possible ?
La colonne vertébrale cervicale est entourée par les artères carotides et vertébrales qui vont aller irriguer le cerveau. Lors de phénomènes de cisaillement brutaux (comme des rotations un peu brutales), leurs parois peuvent se "déchirer" (dissection).
Ces dissections peuvent se traduire soit par des douleurs cervicales soit, si l'artère se "bouche", par des phénomènes d'accident vasculaire cérébral. Or les 2 artères vertébrales forment le tronc basilaire, qui vascularise le tronc cérébral, dont un AVC peut être fatal.
Read 5 tweets
23 Feb
Cette histoire d’usurpation d’identité dans le Twitter médical est incroyable. Depuis plusieurs mois je voulais faire un thread sur une histoire assez semblable, mais je n’ai pas eu le temps. Du coup ça m’a motivé ! Accrochez-vous c’est tout aussi édifiant (1/18) ⬇️
Laissez-moi vous raconter la folle histoire de Jay (le prénom est modifié), qui a lui aussi tenté un bluff incroyable en médecine. Tout commence en Juin 2007, dans une faculté de médecine parisienne. (2/18)
Je viens de réussir mon concours de P1 et suis en plein dans l’effervescence qui s’en suit. Les gens sont sympas, se rencontrent, nouent des liens. Je m’oriente vers l’univers associatif et, en tant que major, je veux vraiment m’investir dans le tutorat (3/18)
Read 18 tweets
2 Feb
Bon arrêtez tout: en fait avec cette pandémie nous vivons actuellement dans Dragon Ball, plus précisément dans l'arc Cyborgs/Cell, vous ne pouvez pas ne pas voir les ressemblances:
⬇️
Tout a commencé dans une ville un peu inconnue d'Asie avec l'arrivée de C-19 (oui oui, même le nom...), qui a surgi de nulle part
Peu de temps après, le héros (pourtant en bonne santé) est tombé gravement malade d'une atteinte cardio-respiratoire virale sévère
Read 10 tweets
1 Feb
Challenge - images apparemment good vibes mais en fait très bad vibes.
A votre tour !
Read 4 tweets

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