Thread by @NicolasFramont

1. S'indigner, ça sert à quoi ? L’indignation rythme notre vie politique et médiatique, imbriquée dans une petite routine bien connue : la droite lance une polémique, la gauche s’indigne. Le Figaro publie sa Une accusant les profs d’enseigner le "wokisme" la gauche s’indigne,

2. relayant au passage la couverture tant décriée sur ses réseaux sociaux pour faire part de son « profond écœurement ». Un magazine comme Valeurs Actuelles n’a plus besoin de service com’ tant l’indignation de gauche provoque la viralité de ses Unes racistes et colonialistes.

3. « Ça va, on vous dérange pas ? », écrit en général le militant de gauche sur l’un de ses réseaux sociaux favoris, Twitter le plus souvent. Eh bien non, pas du tout en fait. Au contraire même la droite fascisante se délecte et se nourrit des indignations de la gauche.

4. A quoi assiste-t-on en effet depuis plusieurs années ? A/ Au sein d’une narration bien rodée, routinière, le « polémiste » de droite commence par lâcher sa merde. C’est moche, c’est faux, c’est dégueulasse, bien sûr, mais tous les médias tendent leur micro, ça sent si bon !

5. B/ La gauche réagit, les tweets indignés fusent, quelques “responsables” interrogés “condamnent avec la plus grande fermeté” ce propos qui “joue sur les peurs”, “attise les haines”, “réveille Sauron”.

6. C/ Le lendemain, le polémiste de droite, qui se réclame pourtant des spartiates, des gaulois et de toutes les divinités de la testostérone, se victimise et chiale toutes les larmes de son corps sur toutes les chaînes de télé et de radio en clamant qu’on ne peut plus rien dire.

7. En réalité, on peut absolument tout dire dans ce pays, sauf dire la police tue des arabes et que la lutte des classes existe, mais l’indignation de gauche vient donner un vernis de « subversion » à la parole proto-fasciste.

8. L’indignation de gauche joue donc un rôle systémique dans la "droitisation du débat public en France", lequel joue le rôle systémique de réduire nos choix électoraux à "faire barrage à l’extrême droite en votant pour l’extrême bourgeoisie".

9. Lesquels jouent un rôle systémique essentiel dans le maintien au pouvoir « démocratique » de la classe dominante et dans l’application de son programme de captation des richesses produites par le travail collectif.

10. L’indignation est une façon respectable et bourgeoise-compatible de s’exprimer politiquement. C’est de l’émotion certes, face "à l’indignité de l’époque", aux "outrances" mais une émotion contenue et proprette. Contrairement à la colère qui, elle, est mauvaise conseillère.

11. L’indignation pose comme principe 1er que l’univers ne tourne pas rond, que la société est "fracturée" ou qu’un polémiste d’extrême-droite va "trop loin". Ce faisant, elle postule qu’il existerait un cours normal des choses, une version unie et "apaisée " de notre société.

12. L’indignation est d’une (touchante ?) naïveté. L’indignation de la gauche semble toujours s’étonner que Valeurs Actuelles soit raciste, que Le Figaro déteste les profs et que Ciotti ou Zemmour disent de façon à peine voilée qu’il faut foutre les expatriés à la flotte.

13.Régulièrement, les indignés professionnels s’indignent aussi de "l’explosion des inégalités" ou des dividendes. On a envie de leur dire : "Mais vous vous attendiez à quoi ?". Bien sûr qu’il ne faut pas être blasé, mais est-il honnête de toujours feindre la surprise ?

14. "Le gouvernement ne fait rien au sujet des Pandora Papers, hé oh le gouvernement ?". Ne vous fatiguez pas, le gouvernement ne vous "entendra" pas. Dès 2016, le candidat-barrage organisait des déjeuners de levée de fonds auprès des exilés fiscaux
frustrationmagazine.fr/a-londres-brux…

15. L’indignation est plus morale que politique. Elle est un jugement de goût sur notre vie politique : elle dit ce qui est laid, ce qui gâche la belle routine de notre superbe vie démocratique contrairement à la révolte qui, elle, s’attaque au système dans son ensemble.

16. L’indignation, quant à elle, s’effarouche des injustices de ce monde sans jamais en donner les causes : elle n’a pas de temps pour ça, il lui faut s’indigner, signer des tribunes, tweeter des bons mots, et le lendemain un nouveau sujet d’indignation s’offrira à elle.

17. Le couple polémique-indignation arrange finalement tout le monde. La droite voit ses sujets monter dans le débat public (à défaut de monter dans l’opinion publique) et peut inonder le monde de ses obsessions tout en se victimisant, son sport préféré. "Ouin ouin les wokes"

18. La gauche obtient quant à elle le sentiment d’être utile et supérieure moralement sans avoir à jouer le rôle qui fut le sien pendant 150 ans : renverser la bourgeoisie. "Il y a urgence, camarade ! On parlera révolution plus tard, en attendant signe cette tribune."

19. A @Frustration_web , nous faisons partie de celles et ceux qui pensent qu’une société sans classes est possible et que pour mettre fin au colonialisme et au patriarcat, jouer au ping-pong moral avec la droite prend un temps fou et ne produit aucun résultat.

20. Si vous aussi le va-et-vient des polémiques et des indignations vous blasent, provoquant la même fatigue musculaire que la torpeur de juin devant Roland Garros, décentrez-vous : ne vous sentez pas obligé de réagir, de commenter, de condamner.

21. Prendre le temps et consacrer son énergie à concevoir un projet de société plus vaste où la fonction systématique de la polémique d’extrême-droite (et du régime fasciste ) n’existera plus est la façon la plus sûre de combattre ce contre quoi nous nous indignons, en vain.

>>> Merci de m'avoir lu, ce fil est extrait d'un article à retrouver en libre-accès et en intégralité ici :
frustrationmagazine.fr/sindigner/