Thread by @PhilGood_Inc

Enfin vu #DontLookUp... Bon divertissement de la part d'un bon réalisateur, qui met bien en scène les délires d'escapisme des ultrariches, l'idiocratie aux manettes, la perte de la matérialité du monde... MAIS 👇
#Thread

Puisque la métaphore de la catastrophe écologique est transparente, on peut en pointer les limites, puisqu'elles ne sont pas anodines. A commencer par le fait qu'en choisissant un météore, McKay reconduit l'imaginaire très problématique de l'apocalypse, autrement dit du "délai".

Pourtant nous ne sommes plus dans un délai qui nous sépare de l'événement : la catastrophe est déjà là. Nous sommes dedans, nous la vivons, et il n'y a pas avec la crise écologique d'avant et d'après, comme nous l'a bien rappelé la pandémie (R.I.P. le monde d'après).

Ce point renvoie aux analyses déjà bien anciennes de Gunther Anders sur la disparition du délai avec la bombe atomique : la catastrophe n'est pas imminente, elle est immanente, nous sommes dedans.

Et ce point n'a rien de superflu, puisque c'est à partir de cela qu'il faut penser les modalités de l'action. Or, comme le montre bien le film, si l'on considère la catastrophe imminente (reste 1 mois pour agir), on finit par baisser les bras et jouir de ses proches.

Or on nous serine justement qu'il reste X années pour agir, et ce délai rapprochant, on voit qu'il ne produit rien, ni prise de conscience ni action significative.

Si l'on considère la catastrophe immanente, au contraire, il n'y a plus de délai "avant lequel...", il y a juste du temps perdu pour empêcher l'aggravation de la catastrophe. C'est pas réjouissant, OK, mais pas de raison de baisser les bras.

J'ai envie de dire : au contraire, même, puisque chaque signe de cette aggravation remobilise et intensifie notre ressentiment, notre désir de mettre à bas le capitalisme.

Le capitalisme : c'est là aussi que McKay se prend un peu les pieds dans le tapis. Car là encore, on reconduit cette lecture de classe simpliste : les prolos (aisément manipulables, bêtes, aigris, etc), les ultra-riches (les 1%), et la classe moyenne éduquée.

Autrement dit c'est le moment Occupy qui revient nous hanter avec son alliance des "99%", ou comment ne condamner que les "ultra" (riches) et leurs alliés dans l'élite (médiatique), c'est-à-dire conserver le système tout en corrigeant ses excès.

Incise : c'est le deuxième film récent de sa filmo, avec The Bigh Short, qui s'intéresse justement à ces protubérances cancéreuses qui sont apparues dans le capitalisme néolibéral.

Et pour parfaire le tableau, les protagonistes éveillés sont bien entendus... des scientifiques. Qu'il faut écouter, donc. Puisque c'est la science, les faits. Bien entendu, dans le scénario d'un météore, ça fait sens. Mais si on prend l'analogie, ça devient compliqué.

On en a soupé, depuis l'irruption du phénomène Greta, du leitmotiv "il faut écouter les scientifiques". On devrait en être revenu, mais non. D'ailleurs, vous avez envie qu'on écoute Jean Jouzel, qui défend un capitalisme vert et raisonné ?

Il vaudrait mieux écouter les écologistes radicaux qui prêchent dans le désert depuis un demi-siècle et plus, les anticapitalistes, les décroissants, les partisans du communisme déjà-là, etc etc.

Sur les limites du discours scientifique ou de ce que peut encore nous apporter le Giec, je vous recommande la lecture de cet excellent article de @sfoucart : lemonde.fr/idees/article/…

Donc au final on a :
- un imaginaire apocalyptique réchauffé
- une lecture de classe très simpliste (voire méprisante)
- une perspective réformiste qui se vautre dans la dénonciation des excès du capitalisme
- un appel à écouter la science...

OK, c'est une comédie et j'ai passé un bon moment. Mais il ne faut pas que passer son temps à "look up", rester sidéré et ânonner des call to action. Il faut aussi baisser le nez dans des livres, et flairer autour de soi pour se mettre en collectif. Fin du #thread !

PS : je remarque que tous les sujets du film ont été traités par @Socialter ces derniers mois ! C'est parti :
Pour ceux qui s'intéressent à l'escapisme spatial et ses racines (spoiler : dernière scène du film), notre numéro "Nous n'irons pas sur Mars" est toujours en kiosques!

Concernant la mobilisation, les données scientifiques, l'histoire des idées écolos etc, notre dernier hors-série avec @CamilleEtienne_ est lui aussi en kiosques et librairies

Sur la bêtise des dirigeants (parce que ça fait toujours plaisir), notre numéro Idiocratie à retrouver sur la boutique.

PPS : merci @Slavsky_ltd
J'attends la réaction de @IreR1