Le Forfait Patient Urgence (FPU) de 19,61€ pour tout un passage aux urgences non suivi d’hospitalisation, pas une mesure d’économie ?

C’est faux.

(Fil à dérouler)

D’où vient le FPU?

Il trouve son origine dans le mouvement social qui a secoué les urgences en 2019. Alors que les militants réclamaient de meilleures conditions de travail etde rémunération, la mesure n°10 du pacte de refondation des urgences prévoit une réforme du financement.
L’idée est très clairement annoncée : la crise aux urgences serait liée aux trop nombreux passages de patients qui pourraient aller consulter pour moins cher en ville. Le nouveau mode de financement doit réduire l’incitation à accepter les cas jugés peu graves.
Ce n’est cependant qu’avec la loi de financement de la sécurité sociale de 2020 (budget pour l’année 2021) que le principe du FPU apparait. L’enjeu n’est pas de créer une contribution nouvelle pour les patients mais de remplacer l’existante.
En effet, avant le 1er janvier 2022, le passage aux urgences non suivi d’une hospitalisation faisait déjà l’objet d’une facturation. Cette part, appelée ticket modérateur, s’élevait à 20% du coût total : soit 18€ en moyenne (pour les personnes ne bénéficiant pas d’exonération).
Cette part était (et sera) remboursée intégralement par les complémentaires privées ou par la Complémentaire santé solidaire (pour les plus pauvres). Cependant, restaient (et resteront encore) les personnes sans complémentaire (5% de la population) – non remboursées.
L’argument du ministre pour dire que la mesure ne repose pas sur des économies est que le montant du nouveau forfait (19€61) est calculé de façon à ne pas dépasser les sommes récoltées auprès des patients par l’ancien mode de financement.
Plutôt que d’avoir un ticket modérateur proportionnel (20%), avec un montant différent pour chaque patient, on aura un ticket modérateur unique (19,61€) mais le coût total sera le même.

Cependant, cet argument est loin d’être suffisant pour prouver l’absence d’économies...
Il ne faut pas chercher loin puisque tout est dans les études d’impact de la loi.

➡️L’objectif du Forfait patient urgence est de "facilité la lisibilité […] et le recouvrement".
Commençons par le recouvrement : seulement 33% des factures sont recouvrées suite à un passage aux urgences dans les établissements publics (sur un total de 213 millions d’euros).

En faisant payer directement le passage, l’enjeu est de récupérer une somme estimée à 35 millions.
Il y aura bien un transfert de l'assurance maladie vers les patients et leurs complémentaires - équivalent au montant du non recouvrement des factures.
Concernant la "lisibilité", l’étude d’impact dit aussi les choses très clairement : afin de lutter contre « le sentiment de la gratuité », il faut que le forfait agisse comme un « signal prix ». Il faut désinciter à venir aux urgences.
L’étude d’impact de la loi de financement de la sécu de 2021 (pour 2022) en remet une couche: l’enjeu est de détourner le flux de patient vers la médecine de ville qui est moins couteuse. Donc, contrairement à ce que dit le ministre, le forfait a pour but les économies !
Le FPU s’inscrit totalement dans la politique publique de santé : réduire/maîtriser les dépenses en opérant un virage ambulatoire.

Ce qui se faisait avant à l’hôpital, doit se faire désormais en médecine de ville car c’est moins cher.

Le monde d’après comme avant…
A ce stade la démonstration on pourrait se dire « et alors » ?
Si le FPU implique que des patients aillent en ville plutôt qu’à l’hôpital, ce qui permettrait de faire des économies et d’améliorer les conditions de travail dans les urgences, où est le problème ?
Le problème est que cette politique repose sur une mauvaise conception des raisons pour lesquelles les patients vont aux urgences. Pour l’Etat, tout se passe comme si les patients abusaient d’un système quasi gratuit alors qu’ils n’ont pas de réels problèmes de santé.
Oui, il y a une hausse continue de la fréquentation des services d’urgences mais c’est se tromper lourdement que de penser qu’il s’agit d’abus qui peuvent être corrigés simplement et sans conséquences par un « signal prix ».
On retrouve là une thématique classique des opposants à la sécurité sociale : la sécu c’est bien mais les gens en abusent alors il faut la réformer. Rien de neuf sous le soleil, j’en parlais ici récemment :
Dans une étude récente, la DRESS montre que le degré d’insertion de la patientèle des urgences dans la médecine de ville est très élevé. Les patients pris en des urgences ont plus recours aux médecin généraliste que les autres : 6,0 consultations par an contre 4,6.
L’étude rappelle que ce sont les plus fragiles qui utilisent le plus les urgences : moins de 5 ans, plus de 85 ans, personnes atteintes d’une affection longue durée, personnes bénéficiaires de la CMU-C.
Au total, il se dessine une hypothèse extravagante : et si les personnes qui vont aux urgences avaient un réel besoin de soins ? Et si le recours aux urgences plutôt qu’aux structure de ville n’était que le reflet d’une fragilité sociale que le FPU risquerait d’aggraver ?
Cette hypothèse de fragilité sociale a été explorée dans une étude récente. A partir d’un questionnaire réalisé en 2013 auprès de près de 50 000 patients passés par les urgences, les auteurs s’interrogent sur le recours inapproprié aux urgences.
qualitysafety.bmj.com/content/29/6/4…
Sans entrer dans le détail méthodologique, les auteurs trouvent qu’entre 13,5% et 27,4% des passages peuvent être qualifiés d’inappropriés – au sens où le passage par la médecine de ville aurait suffi.
Les auteurs montrent que l’utilisation inappropriée des urgences est liée à des facteurs de vulnérabilité socio-économiques : ne pas bénéficier d’une complémentaire, bénéficier de la CMU-C, etc.
Les urgences sont aussi un refuge pour des personnes détresse sociale et économique. Lorsqu’il est trop couteux économiquement ou difficile d’accéder à la médecine de ville l’hôpital est le dernier recours.
Au total, le FPU résume bien la politique actuelle : faire des économies à l’hôpital sans réformer une médecine de ville trop souvent hostile à toute une frange de la population (liberté tarifaire, d’installation, refus de soins...).

Le risque, c’est le renoncement aux soins.
Une twittos très bien informée me signale 2 articles qui peuvent compléter utilement ce fil :
⬇️
Cet article porte sur le recours aux urgences en région parisienne par des "utilisateurs fréquents" (qui réalisent 3 visites ou plus dans l'année).
bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.11…
11,7% des patients qui sont passés aux urgences d'ile de France en 2015 étaient des visiteurs fréquents et représentaient 30,8% des visites totales.
Les auteurs montrent que l'usage fréquent est d'autant plus important dans les zones géographiques les plus pauvres.
Si la densité de médecin généralistes n'a pas d'impact, les zones où il y a peu de pédiatres sont aussi celles où il y a plus d'utilisateurs fréquents.
Ce deuxième article porte sur les renoncements aux soins. Il compare un questionnaire déclaratif sur les renoncements aux soins à la consommation de soin réelle des répondants au cours des 3 années précédant leurs réponses au questionnaire.
link.springer.com/article/10.100…
Grande surprise (non) : les personnes qui déclarent avoir renoncé aux soins pour des raisons financières ont effectivement consommé moins de soins que les autres ! Moins de recours au généraliste, au gynéco, au dermato, au pneumo, au dentiste…
Autre surprise (re-non) : les personnes qui ont déclaré avoir renoncé aux soins pour des raisons financières ont utilisé plus souvent les services d’urgence (pour un taux d’hospitalisation identique à la population général).
Tout cela renforce l’argument : oui Véran cherche à faire des économies sur l’hôpital avec le Forfait patient urgences sans prendre en compte le fait que les gens qui fréquentent les urgences le font parce que bien souvent ils n’ont pas d’autres alternatives !

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2 Dec 21
« la Sécu est en réalité le fruit d'un consensus entre les différents partis politiques de l'époque »

Non !

(Un fil à dérouler)

factuel.afp.com/http%253A%252F…
Désolé AFP mais cet article n’aide pas à comprendre ce qu’il se passe en 1945.

S’il s’agit juste de dire que Croizat n’a pas créé la Sécu, il suffisait d’une phrase : il devient ministre du travail en novembre 1945 alors que les ordonnances sont d’octobre 1945.
L’enjeu est surtout de savoir quelles forces sociales ont créé la sécu. L’article reprend la thèse dominante en histoire selon laquelle la Sécu est le produit du consensus (le CNR, le gouvernement provisoire de de Gaulle, etc.).

Là il y a débat, et pour moi c’est non !
Read 36 tweets
30 Nov 21
En préparation de la manifestation du 4 décembre en défense de l'hôpital public, voici un fil récapitulatif des "épisodes" précédents.

Synthèse : le gouvernement n'a tiré de leçon - ni du mouvement social de 2019 ni de la pandémie entamée en 2020.

1/7
Le "trou de la sécu" ça n'existe pas. C'est une construction politico-médiatique utilisée pour anesthésier le débat et imposer des réformes restrictives.
2/7
Depuis sa création en 1945 la sécurité sociale est critiquée dans son principe même et ce n'est que par la lutte qu'elle a pu être étendue.
3/7
Read 7 tweets
29 Sep 21
« La sécu, c’est généreux, mais avec la concurrence internationale on peut pas se la payer! Il faut baisser les charges! »

Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.

Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Le libre échange n'est pas un phénomène neuf.

L’analyse des débat de 1949 montre la très grande clairvoyance des députés à ce sujet : la mise en concurrence avec des pays à salaires et à cotisations plus faibles est susceptible de nuire à la sécu !
Comme souvent le plus clair dans l’attaque est le député de droite Paul Reynaud pour qui la question des charges sociales doit être replacé « dans le cadre du problème français » : « sur le marché international, il ne suffit pas de se contempler il faut se comparer »
Read 14 tweets
30 Aug 21
« Vous savez, avec le vieillissement de la population, la sécu, on ne peut plus se la payer ! »

Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.
Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949. Image
Contrairement à la question de la fraude et des abus des assurés (⬇️), celle du vieillissement de la population n’est pas centrale en 1949. Mais elle fait tout de même son apparition et déjà se pose la question de l’allongement de la durée de cotisation !
Pour mémoire, les systèmes par capitalisation institués par les retraites ouvrières et paysannes (1910) et les assurances sociales (1928-30), sont un échec. C’est Vichy qui généralise la retraite par répartition avec l’allocation aux vieux travailleurs salariés (1941).
Read 20 tweets
23 Aug 21
« La sécu c’est bien, mais les gens en abusent, alors il faut la réformer ! »

Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.

Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Lors du débat de 49 la question de la fraude et des abus des assurés est probablement celle qui occupe le plus les députés.

Voici quelques extraits des débats (illustrés par des copies du journal officiel).

Un antidote à ceux qui disent que la sécu serait victime de son succès.
Le député Jean Masson, radical-socialiste membre du gouvernement, énumère la liste des abus "biens connus » que le « gigantisme » de la Sécurité sociale laisse proliférer dans l’anonymat et l’irresponsabilité".
Read 16 tweets
23 Aug 21
Bientôt le projet de loi de financement de la sécurité sociale et l’élection présidentielle. On connait la musique : il va falloir faire des efforts et lutter contre le "trou de la sécu" !
J’ouvre un fil d’histoire éco pour montrer que cela n’a aucun sens.
Dans ce fil, je propose de montrer le non-sens du débat sur le trou de la sécu en rappelant que tous les arguments que l’on donne aujourd’hui sont en réalité aussi vieux que l’institution – l’enjeu étant moins le débat économique que le rapport de force politique.
La sécu telle qu’on la connait aujourd’hui nait des ordonnances du 4 et 19 octobre 1945. Or, très tôt les oppositions sont nombreuses et il faut se défaire de l’idée d’un grand consensus sur la construction de cette institution jusqu’aux terribles années 1980.
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