Dans le Cash Investigation sur les déserts médicaux, on nous explique que l’État est désarmé face aux médecins du fait des conventions médicales. La convention serait une romance où l’État perd toujours.
En fait l’État peut contraindre les médecins s’il le veut.
(fil à dérouler)
Un peu d'histoire éco :
Le pouvoir de lobbying des médecins a toujours été extrêmement puissant depuis la Révolution française, ne serait-ce que parce que les médecins sont souvent la profession la plus représentée à l’assemblée nationale. cairn.info/revue-les-trib…
Fort de ce pouvoir, les médecins ont longtemps refusé de participer aux assurances collectives privées (mutuelles, assurances ; dès le 19ème) ou publiques (assistance médicale gratuite de 1893, assurances sociales de 1928-1930, sécurité sociale de 1945).
L’intervention d’un tiers dans la relation patient-médecin remettrait en cause la qualité des soins. La Charte de la médecine libérale de 1927 expose les principes que les médecins entendent imposer aux assurances sociales – dont la liberté d’installation et la liberté tarifaire.
Le problème est que la masse des patients sont insolvables et l’accès aux soins est limité. L’apparition des assureurs privés et publics ne change rien : tant que les médecins refusent de négocier les tarifs, les assureurs refusent de rembourser le prix payé par le patient.
Le principe de conventionnement apparait au moment des lois d’assurance sociale de 1928-1930 (ancêtre de la sécu de 1945). Alors qu’un système des prix était échafaudé, l’assemblée a capitulé devant les syndicats de médecins qui ne voulaient pas qu’on leur impose des tarifs.
Dans tous les départements, il est possible de signer des conventions qui prévoient un 'tarif de responsabilité' dont une part est remboursée par l’assurance sociale. Les syndicats médicaux peuvent cependant définir des 'tarifs syndicaux' (supérieurs au tarif de responsabilité).
Les syndicats de médecins signent peu de conventions et même lorsqu’ils les signent, l’écart entre le tarif de responsabilité et le tarif syndical est élevé. Tout ça pour dire que la part remboursée des consultation est souvent inférieure à 50%...
La sécu de 1945 ambitionne de porter le remboursement des consultations médicales à 80%. Mais cela ne reste que de l’encre sur du papier : les médecins refusent toujours de signer des conventions dans la plupart des départements.
Il faut attendre le décret Bacon du 12 mai 1960 pour que les chosent évoluent. Le décret prévoit la possibilité pour les médecins de signer des conventions individuelles dans les départements où les syndicats refusent de signer des conventions collectives.
C’est une véritable arme de guerre contre le syndicalisme médical : en quelques années, on trouve beaucoup de médecins qui acceptent des conventions individuelles ce qui permet d’améliorer les taux de remboursement et l’accès aux soins de ville.
Le décret de 1960 met les dirigeants du syndicalisme médical dans une colère noire. Il créé 2 catégories de médecins : ceux pour qui il y a un remboursement proche du prix réel et les autres. Les patients choisissent vite et cela mine l’unité de la profession.
Le sociologue Henri Hatzfeld a longuement expliqué l’opposition de la médecine libérale aux conventionnement et la façon dont le décret de 1960 a changé la donne. Il cite des propos prêtés au président De Gaulle à l’époque qui résume l’état d’esprit de son administration :
«Selon le docteur Jonchères, un groupe de grands médecins, vieux compagnons de la Résistance, aurait été reçu par le général de Gaulle qui leur aurait déclaré: ‘J’ai sauvé la France avec une solde de colonel. Avec les milliards que je vous donne, faites-moi de la bonne médecine’»
Face à la pression et à la perte de vitesse des syndicats (la CSMF), les conventions départementales avec des prix négociés sont de plus en plus nombreuses. Le processus abouti en 1971 à une convention nationale avec un tarif opposable uniforme sur l’ensemble du territoire.
Mais déjà le tarif opposable est remis en cause sous la double pression des médecins les plus libéraux qui créent de nouveaux syndicats… et de l’État qui se rend compte que si les médecins sont conventionnés alors les patients utilisent les soins de ville – ce qui a un coût.
En 1980, la convention médicale ouvre le secteur 2, avec dépassement d’horaire, pour ceux qui le veulent. Pour l’État, cela permet de ne pas revaloriser le tarif opposable et donc d'éviter d'augmenter les dépenses de la sécu.
Le tarif opposable est l’exception historiquement.
En 1990, la convention nationale « gèle » le secteur 2 en rendant plus difficile l'accession pour les nouveaux médecins. Ce gel n’est pas pleinement efficace et dans de nombreuses spécialités il y a encore beaucoup d’installation en secteur 2.
Que retenir de tout cela ? Le conventionnement est un outil extrêmement efficace pour négocier avec la profession médicale. Mais il faut l’utiliser !
Imaginons: un médecin non conventionné redevient un "vrai" libéral, comme un avocat : il doit chercher des clients solvables.
On pourrait décider d’un conventionnement sélectif : rembourser les honoraires des médecins qui jouent le jeu de la sécu en pratiquant le tarif opposable et en s’installant dans des zones sous-denses.
Pas besoin de contrainte : vous voulez bénéficier de la sécu ? conventionnez-vous aux conditions de la sécu ! D’ailleurs, les médecins non conventionnés ça existe déjà mais ils sont extrêmement peu nombreux puisque leurs patients ne sont pas solvabilisé par la sécu…
Un commentaire de conclusion sur le docu de Cash : il pose mal le problème pour au moins 3 raisons. 1) les "désert médicaux" ne sont pas liés uniquement au nombre de médecins mais aussi à leur accessibilité financière. Je ne développe pas.
2) le problème devrait être placé dans la question plus large d’aménagement du territoire : quand le médecin est parti c’est souvent que les classes ferment, le bureau de poste et la gare aussi. Sans parler des hôpitaux de proximité et autres plateaux techniques.
3) le principal responsable n’est pas la profession médicale (il y a beaucoup de médecin qui jouent le jeu de la Sécu) mais l’État : conventionnement sous utilisé sur les prix et le liberté d’installation, conditions de travail, numerus clausus, aménagement du territoire, etc.
C’est l’État qui décide de s’associer à la frange la plus radicalisée de la médecine libérale, notamment dans le but de réduire les dépenses publiques – ce qui empêche d’organiser un système de santé en ville et à l’hôpital bien coordonné et facile d’accès pour tous.
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Didier Tabuteau a été nommé à la tête du Conseil d’État. Un nouvel épisode dans les discussions sur la Grande Sécu ? lemonde.fr/societe/articl…
Spécialiste des questions de santé il a eu l'occasion de se positionner à plusieurs reprise pour une extension de la Sécu en remplacement des complémentaires santé.
Il trouve son origine dans le mouvement social qui a secoué les urgences en 2019. Alors que les militants réclamaient de meilleures conditions de travail etde rémunération, la mesure n°10 du pacte de refondation des urgences prévoit une réforme du financement.
L’idée est très clairement annoncée : la crise aux urgences serait liée aux trop nombreux passages de patients qui pourraient aller consulter pour moins cher en ville. Le nouveau mode de financement doit réduire l’incitation à accepter les cas jugés peu graves.
Désolé AFP mais cet article n’aide pas à comprendre ce qu’il se passe en 1945.
S’il s’agit juste de dire que Croizat n’a pas créé la Sécu, il suffisait d’une phrase : il devient ministre du travail en novembre 1945 alors que les ordonnances sont d’octobre 1945.
L’enjeu est surtout de savoir quelles forces sociales ont créé la sécu. L’article reprend la thèse dominante en histoire selon laquelle la Sécu est le produit du consensus (le CNR, le gouvernement provisoire de de Gaulle, etc.).
En préparation de la manifestation du 4 décembre en défense de l'hôpital public, voici un fil récapitulatif des "épisodes" précédents.
Synthèse : le gouvernement n'a tiré de leçon - ni du mouvement social de 2019 ni de la pandémie entamée en 2020.
1/7
Le "trou de la sécu" ça n'existe pas. C'est une construction politico-médiatique utilisée pour anesthésier le débat et imposer des réformes restrictives. 2/7
« La sécu, c’est généreux, mais avec la concurrence internationale on peut pas se la payer! Il faut baisser les charges! »
Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.
Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Le libre échange n'est pas un phénomène neuf.
L’analyse des débat de 1949 montre la très grande clairvoyance des députés à ce sujet : la mise en concurrence avec des pays à salaires et à cotisations plus faibles est susceptible de nuire à la sécu !
Comme souvent le plus clair dans l’attaque est le député de droite Paul Reynaud pour qui la question des charges sociales doit être replacé « dans le cadre du problème français » : « sur le marché international, il ne suffit pas de se contempler il faut se comparer »
« Vous savez, avec le vieillissement de la population, la sécu, on ne peut plus se la payer ! »
Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.
Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Contrairement à la question de la fraude et des abus des assurés (⬇️), celle du vieillissement de la population n’est pas centrale en 1949. Mais elle fait tout de même son apparition et déjà se pose la question de l’allongement de la durée de cotisation !
Pour mémoire, les systèmes par capitalisation institués par les retraites ouvrières et paysannes (1910) et les assurances sociales (1928-30), sont un échec. C’est Vichy qui généralise la retraite par répartition avec l’allocation aux vieux travailleurs salariés (1941).