Vous êtes intéressé par l’économie et son enseignement?
Lisez l'article de Nicolas Eber "Les étudiants en économie sont-ils endoctrinés ? Bilan et perspectives". Sa réponse est oui et implique de promouvoir le pluralisme dans l’enseignement d’éco.
L’article, qui vient d’être publié dans la Revue d’économie politique, donne le ton dès l’introduction : « les étudiants en économie adoptent des comportements plus égoïstes, plus proches du modèle standard de l’Homo Economicus ».
« Par exemple, les expériences en laboratoire montrent que les étudiants en économie ont tendance à être moins sensibles à l’équité […] et à moins coopérer. [Ils] affichent des valeurs plus individualistes […] et plus favorables au marché […]. »
L’auteur présente une très vaste littérature qui s’appuie sur deux types de méthodes pour montrer la spécificité des étudiants en économie : l’économie expérimentale et les questionnaires.
L’économie expérimentale permet de tester l’écart entre la théorie de l’homo economicus (intéressé et optimisateur) et la réalité des comportements par toute une série de jeux ludiques : jeu du dictateur, de l’ultimatum, jeu de la solidarité, jeu du bien public, etc.
Prenons un exemple : dans le jeu dictateur, l’expérimentateur donne de l’argent à un joueur (le dictateur) et celui-ci doit décider combien il veut donner à l’autre joueur qui n’a aucun pouvoir. Ici les "sujets" sont des étudiants d’économie et d’autres sciences sociales.
Si la réponse rationnelle n’est jamais choisie (10$-0$), en moyenne les étudiants en économie sont moins généreux que les autres. Dans un expérience de 2011, des chercheurs trouvent que les économistes gardent en moyenne 7,80$ contre 6,26$ pour les autres disciplines.
Dans le jeu du bien public le taux de coopération des étudiants économistes est de 39,6% contre 61,2% pour les autres disciplines. Dans le jeu de la confiance, les juristes font plus confiance (53%-41%) et sont plus loyaux (51%-40%) que les économistes.
Dans le jeu de la détection du mensonge, « les étudiants inscrits en business mentent presque deux fois plus que les étudiants des autres filières ». Les étudiants d’économie sont aussi plus corrompus que ceux d’autres filières.
L’auteur donne un exemple étonnant à partir de la méthode des questionnaires. Il s’agit d’une étude Ariel Rubinstein qui demande à des étudiants ce qu’ils feraient en cas de difficulté économique dans une entreprise. Il y a un arbitrage explicite profit/licenciement.
Les étudiants sont soumis aux possibilités mentionnées dans le tableau suivant. Si ne pas licencier conduit à la faillite de l’entreprise, il est possible ensuite d’arbitrer entre plus de profit ou plus de maintien de l’emploi.
En moyenne, les étudiants en économie licencient plus que les étudiants inscrits dans d’autres disciplines !
D’autres travaux sur questionnaire ont montré que les étudiants économistes sont plus favorables aux mécanismes de marché et moins souvent de gauche politiquement.
Mais pourquoi ? La littérature donne deux explications: l’endoctrinement et la sélection.
L’effet d’endoctrinement est le fait que confrontés à la théorie de l’homo economicus… les étudiants en viennent à apprendre et à appliquer ces schémas de pensée.
L’effet d’endoctrinement est aussi appelé effet d’apprentissage ou de socialisation.
L’effet de sélection dit autre chose : les individus apriori plus sensibles à l’intérêt individuel et au profit choisissent plus souvent l’économie comme parcours d’études supérieures.
Beaucoup d’études citées dans l’article confirment l’effet de sélection : les étudiants en économie sont plus opportunistes dès le début de leurs études – indépendamment donc de l’enseignement qui leur est dispensé.
D’autres études insistent sur la complémentarité de l’effet d’endoctrinement et de l’effet de sélection. Par ex, à partir du dilemme du prisonnier, il a été montré que les étudiants économistes sont moins coopératifs au début de leurs études par rapport aux autres disciplines.
Mais, alors que les étudiants d’autres disciplines sont de plus en plus coopératifs au fur et à mesure de leurs années d’études (46,3% à 58,2%), les économistes restent peu coopératifs (26,3% et 30%). Les études d’économie aiguisent le comportement intéressé et calculateur.
L’auteur de l’article donne 4 raisons pour expliquer l’effet d’endoctrinement des cours d’économie :
1) le fait d’être exposé à des « narratifs » non-pro sociaux. Cet effet pourrait être accentué par le fait que les profs d’économies sont eux-mêmes plus égoïstes !
2) les étudiants d’économie ne seraient pas moins sensibles aux normes de réciprocité mais ils auraient des anticipations plus pessimistes quant aux autres. S’ils agissent de façon égoïste, c’est parce qu’ils s’attendent à ce que les autres le fassent aussi.
3) Certaines théories de psychologie sociale disent que les individus soumis à des contextes économiques et financiers sont de toute façon plus égoïstes. Les étudiants en économie ne font qu’expérimenter ce contexte plus précocement et intensément que les autres.
4) L’usage des mathématiques favoriserait l’opportunisme. Dans le problème du licenciement exposé plus haut, des chercheurs ont montré que lorsque le problème est formulé de façon mathématique et (pas un tableau), l’abstraction favorise plus le licenciement et le profit.
Nicolas Eber discute dans la dernière section de son article des implications de tout cela. Puisque les étudiants d’éco sont destinés à occuper des fonctions décisionnelles dans les entreprises ou en politique, ne faut-il pas changer l’enseignement de l’économie ?
Pour illustrer l’enjeu de l’enseignement de l’économie, une étude est citée portant sur 695 sénateurs et députés américains entre 2005 et 2009. Les diplômés en économie ont deux fois plus de chance d’être corrompus que les autres (13% contre 6,9%).
L’auteur conclue sur la nécessaire réorientation des programmes pour prendre en compte l’existence de normes sociales. Il s’agirait d’introduire à la fois de l’économie expérimentale et comportementale mais aussi les autres sciences sociales.
On ne peut qu’être d’accord. Bravo pour cet article de synthèse et les propositions ! Mais on peut aussi ajouter qu’il serait utile d’enseigner les courants économiques non standards qui parlent des valeurs comme l’économie des conventions par exemple. #pluralisme
PS : je suis prêt à parier que si on faisait le même type de recherches sur les étudiants du master (d’économie pluraliste) « Institutions, économie et société » de Nanterre, on obtiendrait des résultats plus proches entre économistes et autres sciences sociales. 😉
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Dans le Cash Investigation sur les déserts médicaux, on nous explique que l’État est désarmé face aux médecins du fait des conventions médicales. La convention serait une romance où l’État perd toujours.
En fait l’État peut contraindre les médecins s’il le veut.
(fil à dérouler)
Un peu d'histoire éco :
Le pouvoir de lobbying des médecins a toujours été extrêmement puissant depuis la Révolution française, ne serait-ce que parce que les médecins sont souvent la profession la plus représentée à l’assemblée nationale. cairn.info/revue-les-trib…
Fort de ce pouvoir, les médecins ont longtemps refusé de participer aux assurances collectives privées (mutuelles, assurances ; dès le 19ème) ou publiques (assistance médicale gratuite de 1893, assurances sociales de 1928-1930, sécurité sociale de 1945).
Didier Tabuteau a été nommé à la tête du Conseil d’État. Un nouvel épisode dans les discussions sur la Grande Sécu ? lemonde.fr/societe/articl…
Spécialiste des questions de santé il a eu l'occasion de se positionner à plusieurs reprise pour une extension de la Sécu en remplacement des complémentaires santé.
Il trouve son origine dans le mouvement social qui a secoué les urgences en 2019. Alors que les militants réclamaient de meilleures conditions de travail etde rémunération, la mesure n°10 du pacte de refondation des urgences prévoit une réforme du financement.
L’idée est très clairement annoncée : la crise aux urgences serait liée aux trop nombreux passages de patients qui pourraient aller consulter pour moins cher en ville. Le nouveau mode de financement doit réduire l’incitation à accepter les cas jugés peu graves.
Désolé AFP mais cet article n’aide pas à comprendre ce qu’il se passe en 1945.
S’il s’agit juste de dire que Croizat n’a pas créé la Sécu, il suffisait d’une phrase : il devient ministre du travail en novembre 1945 alors que les ordonnances sont d’octobre 1945.
L’enjeu est surtout de savoir quelles forces sociales ont créé la sécu. L’article reprend la thèse dominante en histoire selon laquelle la Sécu est le produit du consensus (le CNR, le gouvernement provisoire de de Gaulle, etc.).
En préparation de la manifestation du 4 décembre en défense de l'hôpital public, voici un fil récapitulatif des "épisodes" précédents.
Synthèse : le gouvernement n'a tiré de leçon - ni du mouvement social de 2019 ni de la pandémie entamée en 2020.
1/7
Le "trou de la sécu" ça n'existe pas. C'est une construction politico-médiatique utilisée pour anesthésier le débat et imposer des réformes restrictives. 2/7
« La sécu, c’est généreux, mais avec la concurrence internationale on peut pas se la payer! Il faut baisser les charges! »
Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.
Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Le libre échange n'est pas un phénomène neuf.
L’analyse des débat de 1949 montre la très grande clairvoyance des députés à ce sujet : la mise en concurrence avec des pays à salaires et à cotisations plus faibles est susceptible de nuire à la sécu !
Comme souvent le plus clair dans l’attaque est le député de droite Paul Reynaud pour qui la question des charges sociales doit être replacé « dans le cadre du problème français » : « sur le marché international, il ne suffit pas de se contempler il faut se comparer »