Thread by @colinlebedev

On recommence à parler d’une possible attaque de l’Ukraine par les forces armées biélorusses. Pour comprendre ce qui peut se jouer sur le terrain, il est important de ne pas assimiler armée russe et armée biélorusse et postuler le même soutien à la guerre dans les 2 pays. 🧶1/13

Même si Alexandre Loukachenko est aujourd’hui aux ordres de Moscou sur les questions internationales et militaires, les deux sociétés sont très différentes et les deux forces armées également. Je parlerai essentiellement de la première dimension. 2/13

Les Biélorusses ont reçu depuis 2014 une information plus équilibrée que les Russes sur ce qui se passait en Ukraine. Même s’ils se sentaient plutôt proches de la position russe, le sentiment dominant était que cette guerre ne la concernait pas. 3/13
opendemocracy.net/en/odr/whose-s…

La position officielle de l’Etat biélorusse pendant une grande partie de la guerre était d’ailleurs celle d’un médiateur, ce dont témoigne le choix de Minsk comme lieu des négociations. La population et le pouvoir se sont positionnés comme parties extérieures au conflit. 4/13

Les populations ukrainiennes et les biélorusses ont entretenu des relations de bon voisinage, avec une sympathie mutuelle et pas de gros différends à résoudre. Les Biélorusses qui cherchaient un job ont plutôt regardé vers la Russie, les opposants ont regardé l’Ukraine. 5/13

De manière plus générale, l’attachement à la paix et à la stabilité est une valeur forte de la société biélorusse. L’hymne officiel du pays commence par «Nous, Biélorusses, sommes des gens pacifiques ». Le pouvoir s’est maintenu sur une promesse de stabilité et de prospérité 6/13

La bulle informationnelle dans laquelle vivent les Russes n’existe pas sous la même forme en Biélorussie. La Biélorussie n’a pas de « grandeur » à retrouver. La fièvre guerrière qui a embrasé une partie de la société russe ne se retrouve pas dans ce pays. 7/13

Dans les résultats une enquête (encore non publiés) pour Chatham House auprès des urbains, l’expert biélorusse Ryhor Astapenia avance le chiffre de 3% de soutien des Biélorusses à une participation armée de leur pays aux côtés de la Russie. 8/13
t.me/astapenia/423

Même si on doit regarder avec précaution les résultats d’une enquête dans un pays autoritaire, les précédentes enquêtes d’Astapenia avaient donné des résultats plutôt cohérents. Et même si on ajoute une bonne marge d’erreur, ça ne fait pas un gros soutien populaire. 9/13

Evidemment, cela ne va pas forcément empêcher la Biélorussie d’envoyer son armée combattre. Cependant, souligne l’expert militaire biélorusse Yahor Lebiadok, l’armée devra se reposer sur un nombre important de conscrits. Pas forcément motivés. 10/13

Lebiadok pointe également (mais là, je sors de ma zone d’expertise) qu’une bonne partie de l’équipement militaire biélorusse, notamment les chars, a été à l’arrêt depuis longtemps. Le financement a été plutôt modeste. L’armée biélorusse n’a participé à aucun conflit armé. 11/13

Ajoutons à cela la tension dans laquelle la société biélorusse se trouve depuis 2020, les mobilisations massives contre le pouvoir, et la vague répressive qui a suivi. La situation n’est pas apaisée. Le combat anti-Loukachenko peut fusionner avec le combat contre la Russie. 12/13

Il est donc improbable que la participation de l’armée biélorusse consolide la position militaire de la Russie en Ukraine. Elle risque plutôt de générer de nouveaux problèmes et créer une nouvelle zone d’instabilité pour les pouvoirs russe et biélorusse. 13/13, end 🧶