Thread by @TchernobylFR

Retour sur cette partie de la série #Chernobyl, où Legasov explique que la soudaine hausse de réactivité a été causée par le fait que l'extrémité des barres de contrôle était en graphite et que c'est elle qui est entrée en 1er dans le cœur.
La vraie explication est + complexe 🔽

Dans la série, Legasov présente cette conception des barres (en bore avec extrémités en graphite) comme une négligence qui aurait été dictée par le fait que "c'est moins cher".
Le spectateur en déduit alors que normalement elles auraient du être 100% en bore...

En fait, non, cette extrémité en graphite était normale et permettait le bon fonctionnement du réacteur.
Ce n'était même pas une "extrémité", mais une section qui avait une hauteur proche de la partie absorbante en bore (4,5m contre 6,2m).

Et contrairement à ce qui est dit dans la série, même lorsque la barre de contrôle était retirée, son extrémité en graphite "baignait" toujours dans le cœur.

A quoi ça servait ? Une fois complètement retirée, la barre de contrôle, sans cette extrémité, laisserait entrer de l'eau dans le canal, or l'eau a comme propriété de ralentir la réaction en chaîne. C'est le contraire de ce qu'on veut quand on retire les barres de contrôle 😉

Ainsi, ce n'est pas de l'eau que l'on veut à cet endroit, mais un matériau qui favorise plutôt la réaction. C'est précisément la propriété du graphite, qui agit comme modérateur neutronique (favorise la réaction en chaîne).

Ainsi, les soviétiques ont attaché une section en graphite en-dessous de celle en bore, ce qui fait qu'une fois la barre de contrôle pleinement retirée, le graphite vient se mettre à la place du bore.
D'ailleurs, en anglais, ils appellent cela le "displacer".

Seulement il y avait un souci : contrairement aux plans initiaux du réacteur qui prévoyaient que la section en graphite ait une hauteur de 7m (idem que la hauteur du coeur), elle a été conçue avec une hauteur de 4,5m, ce qui laissait 1,25m d'eau en haut et en bas.

Je ne suis pas sûr de la raison qui a mené à cette différence entre les plans d'origine et la conception. Cela pourrait être lié à un souci de répartition du flux de neutrons.

L'appui sur AZ-5 a déclenché la descente de toutes les barres en même temps (et c'était lent). Ce qui a fait qu'à un moment, l'eau qui était en bas des canaux a été remplacée par le graphite : la réactivité a donc augmenté en bas du cœur alors qu'elle diminuait en haut.

On voit ce phénomène sur ce graphe issu d'une simulation qui montre la répartition du flux neutronique, du haut du réacteur (à gauche) vers le bas (à droite).
∗ = lors de l'appui sur AZ-5
⭘ = 4 secondes après
□ = 6 secondes après
△ = 7 secondes après

Ce pic de réactivité lié à AZ-5 était sans conséquence en fonctionnement normal. Mais comme chacun(e) le sait, dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, le réacteur a été amené dans un état très instable dans le cadre
du test de sécurité prévu.
AZ-5 a alors mis le feu aux poudres.

Pour résumer, le vrai coupable a plutôt été l'espace laissé en bas du cœur lorsque les barres de commande était retirées, et rempli par de l'eau. Les améliorations de sécurité post-Tchernobyl ont entre autres supprimé cet espace.

Dernière anecdote à ce sujet, et non des moindres : cette anomalie était connue avant Tchernobyl puisqu'elle avait été détectée à Ignalina
(Lituanie) en 1983. Mais par négligence, rien n'a été fait pour la corriger : on pensait que le risque était trop faible...🙄

Cette lettre, datée de 1984 et émise par l'institut qui a conçu les réacteurs RBMK, explique qu'ils avaient connaissance du problème mais que ce n'était pas grave et que des travaux d'amélioration étaient en cours. C'était un mensonge.
#fin

Sources : INSAG-7 (www-pub.iaea.org/MTCD/publicati…)