Surinterprétation infâme des propos de @BonneCorrection : on peut et on doit faire progresser TOUS nos élèves, ce qui induit qu'on y croit, évidemment, car on ne fait pas ce métier sans croire en l'Homme. Mais quid d'un "réussir" égalitariste ou si vague ?
Amusant ! Si c'est ça votre définition de la "réussite de tous", elle prête à toutes les interprétations, voire à valider le système des castes hindoues : chacun à sa place.
Tiens, il appert que le diplôme de sortie joue finalement un rôle dans votre vision de "la réussite de tous" : CAP coiffure VS Polytechnique, quid de la réussite ?! À moins que vous ne confondiez réussite et fluidité entre classes sociales ?!🤔
Ok, ceci mérite clarification et éclairage historique car quelle que soit la noblesse de vos intentions (dont je ne doute pas), vous confondez inégalités scolaires et sociales, exclusion et reproduction sociale... Et vous tapez au mauvais endroit.
1/n
1/n
Il y a aujourd'hui 8 millions de gens vivant sous le seuil de pauvreté en France. C'est indécent. Et les écarts entre riches et pauvres qui ont diminué durant les 30 Glorieuses s'accroissent depuis le début des années 1980. C'est un fait.
2/n
2/n
La société capitaliste produit de l'exclusion, ce n'est pas une nouveauté. Marx parlait de Lumpenproletariat. Cette exclusion sociale est d'abord liée à l'emploi ou plutôt à son défaut : le chômage de masse.
3/n
wikirouge.net/Sous-prol%C3%A…
3/n
wikirouge.net/Sous-prol%C3%A…
Durant les 30 Glorieuses, la société française s'est "gauchisée" dans la foulée des idées du GPRF de 1944 : mise en place de la sécurité sociale, des retraites par mutualisation, de l'État-providence... Et réduction des inégalités de ce fait !
4/n
4/n
Tenez, je vous engage à voir ce beau documentaire de Gilles Perret, pour comprendre ce qui s'est joué à l'époque et pour rendre hommage à Ambroise Croizat et à la CGT...
5/n
filmsdocumentaires.com/films/5449-la-…
5/n
filmsdocumentaires.com/films/5449-la-…
La réduction des inégalités résulte d'un combat social, politique, inscrit dans la lutte des classes (dans un rapport de force favorable aux classes laborieuses), et pas d'un combat scolaire...
6/n
6/n
Mais l'école s'est inscrite dans ce combat politique de progressisme social. Le GPRF, c'est aussi le plan Langevin-Wallon visant la démocratisation scolaire.
7/n
7/n
Ainsi, par exemple, l'enseignement professionnel (qui relevait auparavant des écoles d'entreprises) a été intégré à l'école de la République (création des Centres d'Apprentissage le 18 septembre 1944, ancêtres du LP).
8/n
8/n
Historiquement donc, ce n'est pas l'école qui démocratise la société, c'est le pouvoir politique (sous la pression des forces de gauche et des humanistes) qui démocratise l'école pour permettre à TOUS d'accéder aux savoirs.
9/n
9/n
1959 : réforme Berthoin, allongement de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans.
1960 et 1963 : création des CES et CEG, pour accueillir tous les élèves au collège.
1975 : réforme Haby qui institue le collège unique.
La volonté de démocratisation scolaire est politique...
10/n
1960 et 1963 : création des CES et CEG, pour accueillir tous les élèves au collège.
1975 : réforme Haby qui institue le collège unique.
La volonté de démocratisation scolaire est politique...
10/n
Et l'école des 30 Glorieuses et des 40 Piteuses a réussi la massification scolaire, nul n'en peut douter. Quant à la démocratisation scolaire, je vous en laisse juge.
11/n
cache.media.education.gouv.fr/file/2014/02/6…
11/n
cache.media.education.gouv.fr/file/2014/02/6…
Par classe d'âge :
20% de bacheliers en 1970.
30% de bacheliers en 1985.
78% de bacheliers en 2013.
Si on considère le diplôme scolaire (le post-bac ne relève pas de l'école secondaire) comme indicateur de démocratisation, on est plutôt en progrès, non ?!
12/n
20% de bacheliers en 1970.
30% de bacheliers en 1985.
78% de bacheliers en 2013.
Si on considère le diplôme scolaire (le post-bac ne relève pas de l'école secondaire) comme indicateur de démocratisation, on est plutôt en progrès, non ?!
12/n
Mais est-ce que la massification et la démocratisation scolaire permettent la réduction des inégalités sociales et la fluidité socio-professionnelle (ascension sociale des pauvres) ? C'est une question qui mérite un éclairage historique pour éviter de bramer des conneries.
13/n
13/n
Retour aux 30 Glorieuses, cette conjoncture socio-politico-économique extraordinaire dans l'histoire :
reconstruction + modernisation de la France + baby-boom + accès à la société de consommation de masse + baisse du temps de travail = chômage glissant et faible.
14/n
reconstruction + modernisation de la France + baby-boom + accès à la société de consommation de masse + baisse du temps de travail = chômage glissant et faible.
14/n
Dans ce contexte favorable, la France a besoin de techniciens et de cadres... Le CAP forme une aristocratie ouvrière, des OP et des OQ plutôt que des OS sans qualification. L'école qui se massifie a besoin de profs, la santé publique de médecins, etc.
15/n
cnrtl.fr/definition/ouv…
15/n
cnrtl.fr/definition/ouv…
Donc les 30 Glorieuses furent une époque propice à l'ascension sociale, grâce aux diplômes scolaires qui l'autorisaient certes, mais surtout à la conjoncture économique favorable !
16/n
16/n
Au passage, je déteste l'expression "ascenseur social", je préfère parler d'escaliers, car l'ascension sociale des modestes ne s'est pas faite sans effort... J'ai connu nombre de profs, fils d'ouvriers ou de paysans, qui avaient beaucoup bossé pour...
17/n
17/n
Dans le croissant minier, dans les villes cocos, il y avait des cours du soir encadrés par les communistes, pour permettre aux fils de mineurs de passer des concours de profs, flics ou fonctionnaires... Et ça marchait à la baguette (trop) !
18/n
18/n
C'est l'époque de "La Montagne" de Ferrat. Et force est de constater en sociologie que la fonction publique est/a été un vecteur d'ascension sociale : les enfants d'ouvriers devenus profs (classes moyennes), leurs enfants devenus cadres (CSP+)...
19/n
19/n
Il est bon de le rappeler en cette époque où nos gouvernants de droite et de gauche réduisent la fonction publique au nom des économies (faire payer moins d'impôts) ou de la rentabilité/efficacité.
20/n
20/n
Car il n'y a rien de moins socialement discriminant qu'un concours de la fonction publique d'État : ni racisme ni sexisme ni "classisme" (en théorie), seul le niveau compte. La méritocratie, le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres !😁
21/n
21/n
Donc le contexte économique favorable des 30 Glorieuses a permis une mobilité sociale ascensionnelle, via la massification scolaire et la hausse des qualifications, mais surtout via les opportunités d'emploi, les concours, etc.
22/n
22/n
Puis arrivent la crise dans les années 70 et les 40 Piteuses qui s'ensuivirent. Crise économique certes, mais surtout crise sociale liée à l'érosion du marché de l'emploi et à la croissance du chômage, surtout du chômage de longue durée.
23/n
23/n
La croissance du chômage s'explique par divers facteurs : passage d'une logique d'équipement à une logique de renouvellement (fin des 30 Glorieuses), automatisation massive, délocalisations, hausse de la productivité (qui nécessite moins d'employés).
24/n
24/n
Mais dans ce contexte de resserrement du marché de l'emploi "peau de chagrin", on assiste inévitablement à un effondrement de la mobilité (ascension) sociale et à une fixation des classes sociales. Pourquoi ?
25/n
25/n
Car dans un contexte de l'emploi stagnant, l'ascension des uns ne peut se faire qu'avec le déclassement des autres, par un jeu de vases communicants. A fortiori avec la croissance démographique qu'on connaît depuis les années 2000.
26/n
26/n
Or, aucun parent de CSP+ ou de la classe moyenne n'est prêt à accepter le déclassement social de sa progéniture. Vous même ?!... Et c'est ce qui explique le surinvestissement scolaire de certains parents, le boom des cours particuliers (un truc de riches), etc.
27/n
27/n
Bref, la crise de l'emploi a amplifié la "reproduction sociale" que dénonçait Bourdieu à raison, reproduction sociale qui était beaucoup moins forte lors des 30 Glorieuses...
28/n
28/n
Et là, faute d'analyses historiques et économiques, on s'en prend à l'école, ce bouc-émissaire facile ! Vulgate à la mode chez les faux-bienveillants de la gauche des bons sentiments : "l'école ne fait pas son boulot", merde alors !🙄
29/n
29/n
L'école crée-t-elle des emplois ?! NON !
Elle ne peut qu'offrir à chacun la possibilité d'aller le plus loin qu'il veut dans ses études, en fonction de ses goûts et de ses capacités. Dès lors, son impact sur la réduction des inégalités sociales ne peut être que secondaire.
30/n
Elle ne peut qu'offrir à chacun la possibilité d'aller le plus loin qu'il veut dans ses études, en fonction de ses goûts et de ses capacités. Dès lors, son impact sur la réduction des inégalités sociales ne peut être que secondaire.
30/n
Mais c'est tellement plus facile de taper sur l'école comme bouc-émissaire de tous les maux... Je vous signale d'ailleurs que c'est la même logique qui prévaut au FN. À son électorat populaire inquiet, il dit : "c'est la faute aux immigrés" si vous êtes dans la merde !🤢
31/n
31/n
Non, ceci n'est pas "normal", c'est dommage. Mais espérons que tous les beaux esprits CSP+ qui s'en insurgent auront à coeur le déclassement de leur progéniture pour faire place aux pauvres qui veulent grimper...
32/n
32/n
Au passage, vous dites que la réussite n'est pas question de diplôme mais de "trouver sa place dans la société, comme citoyen, travailleur, personne digne", et en même temps vous vous insurgez que 20% des élèves soient exclus du bac. Cohérence ?
33/n
33/n
Mais je suis bien d'accord avec vous : l'égalité des chances ne peut être que formelle car chacun ne part pas avec le même bagage... On peut le constater en larmoyant et conspuer l'école de ne pas résorber cette inégalité, quoiqu'elle fasse pour tenter de la pallier.
34/n
34/n
L'inégalité est d'abord économique et financière. Perso, je suis pour une taxation confiscatoire de l'héritage pour mettre tout le monde sur la même ligne de départ. Cette idée profondément libérale colle avec mes convictions de gauche. Marrant, non ?😁
35/n
35/n
Étrangement, cette idée n'a aucun écho chez les tenants de la gauche des vertueux sentiments, alors que la progression des inégalités sociales se fait actuellement davantage par le capital que par le travail. L'héritage, voilà l'ennemi !🤓
36/n
36/n
Quant aux inégalités liées au capital familial, à part échanger les bébés comme dans "La vie est un long fleuve tranquille", je ne vois pas comment on peut égaliser. L'école fait ce qu'elle peut pour les résorber. Elle pourrait toujours faire mieux, certes...
37/n
37/n
Je reviens là-dessus : l'école produit d'abord de la réussite, et formellement davantage qu'avant (laissons de côté la question de la baisse ou pas de niveau). Mais il y a de l'échec aussi, évidemment, à différents degrés...
38/n
38/n
Viser la "réussite de tous", c'est un idéal scolaire noble et que j'ose croire partagé. Prétendre qu'on y arrive absolument grâce à telle ou telle martingale pédagogique miraculeuse, c'est au mieux un rêve de naïf, au pire de la mauvaise foi de propagandiste.
39/n
39/n
Pour conclure : si, l'école a contribué à réduire les inégalités sociales au cours des 30 Glorieuses (sans en être la cause première). Et si, en s'alignant sur le moins-disant, on pénalise les enfants pauvres qui n'ont que l'école pour apprendre.
40/n
40/n
