Et coucou ! Je temporise un peu le #thread sur les déchets nucléaires pour parler un peu des différents types de réacteur #nucléaire.
Du coup, on va parler de filières 👨🏫. L'objectif, c'est que vous compreniez ce dont on parle quand on mentionne le « parc REP » ou les PWR.
Et, grossièrement, les différences avec les autres filières de réacteurs répandues dans le monde, et notamment les plus célèbres.
Du coup, ça ne sera ni un descriptif détaillé des REP, évidemment, ni une liste exhaustive des différentes filières.
Je veux juste vous donner les billes pour assimiler les différences majeures, et leurs implications. Pas de génération IV au programme, du coup, et même assez peu de Gen I. Et pas de concepts bizarres de laboratoire (Masurca, Harmonie, je ne vous oublie pas).
Harmonie, c'était un réacteur de recherche à neutrons rapides, à combustible uranium ultra enrichi, et refroidi... À l'air. 🤯
Ce genre de truc, là, on en parle pas. Mais puisque l'on parle de neutrons rapides, on va commencer par quelques bases physiques.
Késako que des neutrons rapides ou lents ?
Et bien lorsqu'un noyau fissile, d'uranium par exemple, fissionne, il libère quelques neutrons (un peu plus de deux en moyenne), dont certains vont provoquer d'autres fissions, et ceatera.
C'est ce qu'on appelle la réaction en chaîne.
Souci, ces neutrons sont très énergétiques, ce qui se traduit par une grande énergie cinétique, donc une grande vitesse. Plus de 13 000 km/s.
Et pour faire des fissions, il faut des neutrons plus lents.
Bon, des fissions avec des neutrons rapides, on en a, mais c'est compliqué. C'est pour ça que toutes les filières de réacteurs qui se sont développées à échelle industrielle à ce jour fonctionnent avec des neutrons ralentis, ou « neutrons thermiques ».
Pourquoi thermiques ? Tout simplement parce que leur énergie est comparable à l'énergie liée à l'agitation thermique du milieu. Typiquement, une vitesse abaissée à 2 km/s. Ouais, ça fait de bons freins.
Et comment on ralentit un neutron ? En le faisant percuter des noyaux d'atome. Un peu comme une bille de billard : à chaque choc, le neutron va perdre de la vitesse. S'il percute quelque chose de même masse que lui (une autre bille), il perd la moitié de sa vitesse.
Et cède l'autre moitié à l'autre bille. S'il percute quelque chose de beaucoup plus massif (une boule de bowling posée sur le billard ?), il ne va pas céder que peu de vitesse et donc peu ralentir. Donc l'idéal pour ralentir, c'est quelque chose de pas plus massif qu'un neutron.
Et bien ça se trouve facilement, c'est même on ne peut plus abondant dans l'univers : des noyaux d'hydrogène. Et comment manipuler simplement des noyaux d'hydrogène ? Avec de l'eau. Epaf, une grosse piscine et on a notre ralentisseur, qu'on appelle « modérateur », de neutrons.
L'image ci-avant, c'est une vue plongeante sur le réacteur de recherche du CEA Osiris, un réacteur dit « piscine » : oui, le coeur est juste plongé dans une grosse piscine, pas en cuve comme les réacteurs de puissance d'EDF.
Divergé en 1966, arrêté en 2015. 😥
C'est important parce que le choix du modérateur est un des critères de différenciation des filières de réacteur.
Par contre, l'eau a un problème... C'est que les noyaux d'hydrogène (d'oxygène aussi, mais moins) sont gourmands.
C'est à dire qu'ils ont la facheuse tendance à capturer les neutrons qui passent. Qui ne contribuent plus à la réaction en chaîne, du coup !
Donc si vous voulez modérer avec de l'eau, vous allez pas réussir à produire assez de neutrons pour compenser les absorptions.
Ici, une représentation de la probabilité, en ordonnée (ce n'est pas une probabilité, mais bien une représentation, hein), d'entraîner la fission d'un noyau d'uranium 235 en fonction de l'énergie, en abscisse, du neutron incident.
On comprend pourquoi on veut ralentir 😉
Et si trop de captures, pas de réaction en chaîne. Flûte.
C'est pour compenser ça qu'on enrichit l'uranium ! De 0,7% d'uranium 235 (fissile) dans l'uranium naturel, on passe à 3% ou plus, et la réaction en chaîne devient possible. Mais on n'a pas toujours su enrichir l'uranium !
Une alternative, c'est d'utiliser de l'eau dont les noyaux d'hydrogène ont DÉJÀ un neutron en trop. Parce qu'ils sont beaucoup moins susceptibles d'absorber un deuxième neutron s'ils en ont déjà un.
Et un atome d'hydrogène avec un neutron en plus, on appelle ça du deutérium. Et une molécule d'eau avec deux atomes de deutérium au lieu d'hydrogène, c'est de l'eau lourde. Voilà le lien entre eau lourde et nucléaire : modérer les neutrons sans les absorber.
Et à propos d'eau lourde, je partage ce passionnant récit sur une des phases de la bataille de l'eau lourde pendant la seconde guerre mondiale.
Mais c'est vaguement hors sujet ^^
Mais passionnant.
Une autre alternative, c'est d'utiliser autre chose que l'hydrogène pour ralentir les neutrons. Et on connaît un élément ultra abondant aussi, qui modère un peu, et qui n'absorbe pas du tout, c'est le carbone 12.
On l'utilise alors sous forme de graphite.
Par contre, vu qu'il modère pas bien, on en met des quantités énormes. Et c'est pour ça que les réacteurs au graphite sont toujours démesurément grands.
Typiquement, la quantité de chaleur produite par 1 m3 de coeur, elle est de 500 kW sur un réacteur à graphite....
Tandis qu'elle peut aisément atteindre 100 MW pour un réacteur à eau.
Graphite et eau lourde permettent de se passer d'enrichissement de l'uranium, c'est pourquoi ils furent parmi les premiers modérateurs utilisés dans les réacteurs à neutrons thermiques. Mais finalement, l'eau ordinaire est la plus utilisée aujourd'hui, moyennant enrichissement.
Voilà pour le modérateur. Maintenant, parlons caloporteur : c'est le fluide utilisé pour transporter la chaleur depuis le coeur vers... Et bien, soit vers la turbine, soit vers le fluides qui servira à mettre en rotation la turbine.
(Ça ressemble à une turbine de turboréacteur, ça, pas de centrale électrique, on est d'accord ?)
Et le caloporteur, bon, là, c'est pas compliqué : il faut du gaz pour la turbine. Donc on prend en général les gaz les plus courants. Vapeur d'eau (qui a le bon goût de pouvoir changer de phase, de liquide dans le cœur vers vapeur à la turbine), CO2, azote, hélium...
Et on ne sera pas surpris de voir l'eau (lourde ou ordinaire) privilégiée dans la quasi-totalité des filières de réacteur, car elle a le bon goût de pouvoir modérer les neutrons ET bien transporter la chaleur !
Les choix du caloporteur et du modérateur sont les différences fondamentales entre les différentes filières de réacteur.
Au second ordre, on a le combustible qui change : niveau d'enrichissement, état physico-chimique (céramique ou métal, en général), géométrie, etc.
Mais on va pas s'éterniser sur le combustible, à priori, on n'a pas besoin de rentrer dans ce niveau de détails.
Avec les caloporteur et modérateur, on a déjà pas mal d'arguments. Et on verra comment décliner ça aux différentes filières.
Maiiiis... Pas aujourd'hui 😁
Continuons avec les filières de réacteur. Bon, je ne vais pas vous le cacher, la suite va être très franco-centrée. Parce que je préfère parler de ce que je connais... Et parce que ça nous concerne davantage, et puis aussi parce que c'est plus intéressant chez nous qu'ailleurs :p
On avait dit que l'eau était bien pratique car à la fois modérateur ET caloporteur. Et l'eau ordinaire, si on enrichit l'uranium, permet de se passer d'eau lourde (très coûteuse).
Et des réacteurs à eau ordinaire, ou Réacteurs à Eau Légère (REL), il en existe deux filières.
Au passage, on notera l'intelligence d'appeler les réacteurs à eau légère "REL", par opposition aux réacteurs à eau lourde.
Pour l'eau lourde, on utilise en général la terminologie anglophone : "Heavy Water Reactor", du coup.
Et deux les REL, il y a deux familles.
Ceux dans lesquels l'eau est maintenue à l'état liquide, malgré la très haute température (plus de 300°C), moyennant donc une très haute pression (plus de 150 bar).
Les Réacteurs à Eau Pressurisé (REP) ou Pressurized Water Reactors (PWR).
Et ceux dans lesquels l'eau arrive liquide (à pression moins élevée, 70-80 bar) dans le coeur et y est chauffée jusqu'à ébullition et ressort sous forme de vapeur.
Les Réacteurs à Eau Bouillante (REB) ou Boiling Water Reators (BWR).
Ils représentent les deux tiers du parc mondial de réacteurs pour le premier, le quart pour le second.
Et les REP représentent 100% de l'actuel parc français (58 réacteurs + EPR en construction). Si on a expérimenté quelques autres filières, on n'a jamais eu un seul REB.
Rentrons à présent un peu plus dans le détail de chacun.
Dans les deux, le coeur nucléaire est un ensemble de quelques dizaines de milliers de crayons de 3-4 mètres de long et 1 cm de diamètre, regroupés en "assemblages combustibles" comme sur cette image.
Le tout est contenu dans une cuve où circule l'eau, comme la cuve de l'EPR ici.
L'eau arrive par la moitié des tubulures, circule le long de la paroi extérieure vers le bas, et remonte au travers du coeur pour ressortir par l'autre moitié des tubulures.
Ensuite :
Pour les REP, toujours liquide, cette eau du circuit primaire circule jusqu'aux échangeurs de chaleur que sont les générateurs de vapeur. Dans ces échangeurs, l'eau du circuit secondaire passe en vapeur avant d'aller alimenter la turbine.
Dans les REB, la vapeur issue du coeur file directement à la turbine, sans passer par un circuit intermédiaire.
Plus efficace... Mais c'est en cas d'accident, la vapeur contaminée sort du bâtiment réacteur, ce qui n'est pas le cas sur les REP !
C'est vu, en tout cas de France où l'on ne jure que par les REP, comme une grosse lacune en termes de sûreté.
Dans les deux cas, la vapeur détendue est ensuite liquéfiée au condenseur pour ensuite retourner dans le coeur (REB) ou les générateurs de vapeur (REP).
Y'a bien sûr d'autres différences, notamment au niveau de la gestion de la réactivité du cœur, mais niveau architecture, le gros de la différence est là :
REP : circuit primaire liquide, confiné, circuit secondaire pour la turbine, circuit tertiaire pour refroidir.
REB : circuit primaire liquide puis vapeur pour la turbine, circuit secondaire pour refroidir.
Sur cette image :
1 : cuve
2 : coeur
3 : contrôle de la réactivité
4 & 5 : turbine
6 & 7 : alternateur et transformateur
8 : circuit de refroidissement
9 : tour aéroréfrigérante.
Après, comme autres concepts moins répandus, on a les réacteurs CANDU ("CANadian Deuterium - Uranium"). Uranium non enrichi, modéré et caloporté à l'eau lourde. Deux circuits d'eau lourde indépendants, l'un pour modérer, l'autre pour porter la chaleur aux générateurs de vapeur.
Pas vraiment de cuve, et des cœurs assez gros mais dont on peut renouveler le combustible sans arrêter les opérations, du coup, car pas de cuve à dépressuriser et ouvrir.
Comme sur cet image : un coeur vu de l'extérieur, avec la machine d'extraction/insertion du combustible.
Il y en a 25 au Canada, 4 en Corée du Sud, 4 en Roumanie, et une poignée d'autres.
Outre le coût de l'eau lourde, un reproche faits à ces réacteurs est la possibilité d'extraire facilement le combustible... Très pratique pour en extraire du plutonium de qualité militaire.
On ne sera pas surpris, donc, d'en retrouver également en Inde et au Pakistan !
Cette possibilité d'extraire le combustible en service, on la retrouve aussi sur les réacteurs dont le modérateur est le graphite.
Parmi eux, ceux refroidis au gaz comme les "Uranium Naturel, Graphite, Gaz" (UNGG) français (trois étaient spécifiquement dédiés à la production de plutonium militaires, 6 autres étaient exploités par EDF, le dernier arrêté en 1994).
Les anglais avaient un jumeau aux UNGG, les MAGNOX, dont le dernier a été arrêté en 2015.
Ils ont encore des dérivés, cependant, les "Advanced Gas Reactor" (AGR), également des réacteurs modérés au graphite et refroidis au gaz, mais nettement évolués par rapport aux UNGG/MAGNOX.
Et, enfin, les réacteurs à graphite les plus connus, ceux refroidis à l'eau liquide/vapeur.
Comme un REB : l'eau arrive liquide dans le cœur, y bout avant d'aller entraîner la turbine. Mais pas de cuve, et du graphite comme modérateur.
Ces réacteurs, on les appelle Reaktor Bolshoy Moshchnosti Kanalnyi. En VO, Реактор Большой Мощности Канальный. Couramment, on les appelle RBMK.
Sans surprise, ce sont des réacteurs de conception soviétique, et dont l'URSS fut le seul utilisateur. Il n'en reste qu'en Russie.
Et vous aurez fait le lien : réacteur connu, URSS...
C'était la filière à laquelle appartenaient les réacteurs de Tchernobyl.
Un point commun aux réacteurs à graphite, je l'ai évoqué tout à l'heure, c'est qu'ils sont GROS.
Pas de cuve, pas de véritable enceinte de confinement, donc.
Pas de séparation des circuits entre le fluide qui passe par le cœur, et celui qui alimente la turbine.
Un cœur de centaines de tonnes de matériau inflammable.
Et voilà où je voulais en venir. Outre les explications sur les sigles qu'on utilise, les caractéristiques de chaque réacteur... Vous pouvez comprendre ce que ça a d'exaspérant quand on sort "TCHERNOBYYYYYL" pour parler du parc nucléaire français.
Ces réacteurs n'ont RIEN à voir avec les nôtres. Pas le même modérateur (eau/graphite), pas le même caloporteur (eau-eau/eau-vapeur), même pas le même combustible (enrichi/non enrichi).
Et du coup, pas DU TOUT les mêmes risques.
On ne peut pas avoir, sur un réacteur à eau pressurisée, de relargage de l'inventaire radiologique dans l'environnement, parce que l'enceinte de confinement joue *un peu*.
On ne peut pas avoir de dispersion de milliers de morceaux d'un immense cœur aux alentours : le cœur fait quelques mètres cubes à peine, sur un REP, par des centaines de mètres cubes comme sur un RMBK.
On ne peut pas avoir d'énormes incendie de graphite dont la chaleur porte très haut les radionucléides pour une dissémination la plus lointaine possible.
Option bonus : les RBMK avaient des problèmes d'instabilité de la puissance, qui ont conduit à l'accident, hein.
Donc quand vous voyez des gens faire des analogies entre Tchernobyl et nos réacteurs, ou s'appuyer sur Tchernobyl pour discréditer le nucléaire français (ou même le nucléaire moderne, en fait), considérez à priori que ce sont des bêtises.
Après, prenez le temps de regarder l'argumentaire, s'il est étayé, s'il prend en compte les disparités que j'ai mentionnées, OK, pourquoi pas.
Mais à priori, ça risque de se limiter à "le nucléaire c'est mal, regardez Tchernobyl", donc jusqu'à preuve du contraire... -> Nope.
Qu'est-ce que je peux ajouter à ça...
Fukushima, c'était un REB, donc encore un réacteur différent des nôtres, mais c'est pas vraiment ça qui a joué, plutôt l'emplacement et les évolutions au cours des décennies.
Three Mile Island, c'était un REP, légèrement différent des nôtres, mais c'est un peu l'accident de référence à retenir en France, du point de vue du fonctionnement du réacteur. Et il a alimenté énormément de retour d'expérience très profitable à la sûreté chez nous.
Et je pense que j'ai plus ou moins fait le tour du sujet. De "qu'est-ce qu'ils ont de particulier nos réacteurs" à "en quoi Tchernobyl c'est PAS un de nos réacteurs" 😋
Je découvre à cette occasion que les Russes ont en projet un RITM-400, une version boostée de leur petit réacteur RITM-200 prévu comme SMR à terre et réacteur de propulsion navale pour les brise-glaces.
La dernière sortie de Médiapart sur le nucléaire est assez impressionnante. Ils accusent le gouvernement d'avoir empêché l'ADEME de sortir un rapport contredisant les annonces de Macron d'hier sur la nécessite d'un nouveau parc nucléaire.
« Un rapport de 44 pages » précisent-ils : ce n'est manifestement qu'une note de synthèse, pas un rapport complet, comme pour négaWatt 2022 qui n'a sorti qu'une synthèse et pas encore son rapport.
Ou encore comme RTE qui d'abord donna une conférence présentant les principaux résultats, puis sortit une note de synthèse de 60 pages dans la foulée, et le vrai rapport de 600 pages progressivement dans les jours qui suivirent.
Piolle explique qu'il n'y a pas à chercher à forcer un peu le déploiement des renouvelables, il faut prendre tout le temps nécessaire à l'expression de la démocratie.
Ce culte de l'énergie locale, citoyenne et décentralisée.
Côté RTE, on évalue dans le scénario de référence que pour viser le 100% renouvelable à l'horizon 2050, il faut tenir un rythme moyen de 2 GW d'éolien terrestre par an de 2020 à 2050 (hors renouvellement des éoliennes existantes).
C'est à dire quasiment doubler le rythme historique du pays (environ 1.2 GW/an sur 2009-2020), ou tenir de manière constante pendant 30 ans notre rythme record de 2017.
Ou encore faire presque aussi bien que le rythme historique allemand.
Perso, hier encore, j'étais davantage « clairement non » que « plutôt non », pour vous dire. Mais là ce matin, entre les médias qui sont catégoriques et les écolos (dont les élus) qui ont l'air de se préparer à prendre les armes, je doute un peu !
Malgré tout, je m'attends davantage à du vent et des promesses de campagne qu'à du concret.
À la limite, s'il y a une seule chose de concrète que je pense qu'on peut espérer, quelque chose qui n'attendrait pas les élections,