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Emile, on bande ? @sociobd
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Étrangement, ce matin, j'ai ressenti le besoin de réouvrir le livre d'un collègue sociologue : Force publique. Une sociologie de l'institution policière, par @cdebellaing (aux éditions Economica, 2015).
(Je vous met la couv' dire de mettre un peu de couleurs dans le thread🎊👀)
D'une certaine manière, on peut dire que le livre part d'une interrogation :
"Bon sang, mais quand même... ils doivent bien se rendre compte, les policiers, que des fois ils déconnent à bloc ! »
L'auteur cherche donc à comprendre les violences policières, mais aussi la réflexivité des forces de l'ordre sur leurs violences. Pour cela, il décide de mener l'enquête dans les lieux de formation (où la question est abordée, évidemment), et à l’Inspection Générale des Services.
(Je passe sur les enjeux méthodologiques de l'accès au terrain itou : c'est passionnant, mais si je commence à parler méthodes, vous n'êtes pas près d'avoir les résultats... et je crois que c'est ça qui est important aujourd'hui. #Frustration)
Bref, en passant du temps avec ces policiers, il se rend compte qu'ils sont souvent critiques par rapport à leur activité. Par contre, le pblm pour eux, ce n'est pas la violence. Ça, ça fait partie de leur taf... ça leur fait pas particulièrement plaisir, mais c'est comme ça.
Faire usage de la violence, ce n'est donc pas trop un problème : ils savent le faire bien (de leur point de vue). En fait, leur problème se situe en amont, au niveau du respect de l'autorité.
Il y a en effet une règle professionnelle que les forces de l'ordre doivent à tout prix respecter : "Tu peux faire légitimement usage de la violence si et seulement si on ne respecte pas ton autorité. Sinon, c'est un usage privé de la violence, est c'est mal".
Simple.
Simple, mais problématique aussi...
"Mais monsieur, comment on sait s'il y a atteinte à l'autorité ?"
"Euh bah euh... ça dépend de la situation quoi"
"On se démerde en gros"
"Yep".
C'est là que réside le professionnalisme des forces de l'ordre : la capacité à juger du degré d'atteinte à l'autorité et de la réponse à mettre en place. Tout cela dans un contexte relativement stressant, vu les enjeux (genre... bah potentiellement des morts, quand même).
Donc franchement, la surprise ce n'est pas tant qu'il y ait des bavures policières... C'est plutôt qu'il n'y en ait pas plus ! En cela, il faut quand même reconnaitre qu'il y a un sacré professionnalisme chez certains membres des forces de l'ordre. Sérieusement.
Et cela peut s'expliquer par la formation, où on leur apprend eux-mêmes à répondre à une autorité. Ils doivent apprendre l'autodiscipline et la maitrise de soi, pour éviter de tomber dans un usage disproportionné de la violence.
Sauf que bon, des fois, comme tous les professionnels, ils font des erreurs et des fautes (parfois très graves).
Quand cela arrive, les policiers passent donc devant l'IGS. Ils sont jugés par leurs pairs. Ils sont donc jugés du point de vue des règles professionnelles.
Rappelons la règle : "Tu peux faire légitimement usage de la violence si et seulement si on ne respecte pas ton autorité. Sinon, c'est un usage privé de la violence, est c'est mal".
Ce que montre l'enquête de Cédric Moreau de Bellaing à l'IGS, c'est que les policiers ont de grandes difficultés à juger non pas la violence donc, mais s'il y a bien eu ou non atteinte à l'autorité...parce que c'est souvent très subjectif et lié à la situation.
Finalement, les seuls cas "faciles" pour l'IGS, c'est quand il y a vraiment un usage très privé de la violence, sans remise en cause de l'autorité de la police. Genre les policiers qui utilisent leur arme hors service. Ou qui battent leurs femmes. Ce genre de chose.
Par contre, quand il s'agit de manif', dur de savoir s'il y a eu atteinte ou non de l'autorité. Donc l'IGS tend à faire confiance dans le jugement de la situation par les policiers suspectés. Parce qu'ils partent du principes que ce sont de vrais pros, formés à cela.
ça explique aussi tout le discours des élus et autres administrations : "Les forces de l'ordre sont des professionnels, obéissant à des règles professionnels. Il faut leur faire confiance"
Bon maintenant qu'on a dit ça, qu'est-ce qu'on fait ? Maintenant qu'on a compris leur logique, les raisons qu'ils donnent à leurs actions, est-ce qu'on accepte de leur faire confiance aveuglement comme ils le demandent ?
Eh bien non, on va passer à la tâche critique de la socio!
Déjà CRITIQUE 1 : commencer par critiquer les dispositifs qui, sur le terrain, permettent de maintenir le flou autour de l'évaluation que font les policiers de l'atteinte à l'autorité.
Concrètement cela veut dire, par ex., éviter les situation où un policier serait isolé (= constituer un public de professionnels), ou encore permettre à d'autres personnes d'assister à l'évaluation et à la documenter (en filmant par exemple -> la société civile devient public).
CRITIQUE 2: Faire une critique des critiques actuelles sur les violences policières.
Cédric Moreau de Bellaing remarque qu'il y a un effet pervers dans la défense des policiers au nom de leur professionnalisme. En effet, si jamais une action est jugée scandaleuse et punie...
dirty harry...C'est qu'elle a été qualifiée comme un usage privé de la violence, un manque d'autodiscipline de la part d'un policier ou d'un groupe de policiers. Autrement dit, ça sera toujours la faute d'individus, de vilains-flics-ripoux-pas-beau-qui-font-hontes-à-la-profession
Il y a une singularisation de la sanction qui empêche de penser l'action de ces policiers comme s'inscrivant dans un système socio-organisationnel complexe. S'ils en viennent à faire de telles fautes professionnelles, c'est que les dispositifs en place l'ont rendu possible.
Cela ne veut pas dire que cela les excuses : ils ont fait une faute, ils sont responsables -> Ils font l'objet de sanctions.
Mais si l'on ne veut pas que cela se reproduise, mieux vaut comprendre pourquoi ils ont fait la faute.
Et par ailleurs, il faut aussi critiquer les dispositifs quand ils empêchent d'émettre des sanctions. Par exemple ici, il faut émettre une critique envers les dispositifs de sanctions, qui ne pensent la faute que de manière individuelle et jamais sociale.
On peut donc critiquer la critique émise par la police sur elle-même, ou par l'administration sur la police. Mais dire de pousser le bouchon un peu plus loin, on pourrait aussi critiquer les formes de critiques émises par d'autres acteurs sur la police.
Société civile, manifestant-es, enseignant-es, chercheur-ses... Vous avez toutes et tous des milliards de raison d'en vouloir aux policiers. Les images qui circulent depuis quelques jours sont effroyables et ne peuvent que nous scandaliser tant les fautes sont explicites !
Et de fait, il faut trouver des responsables. Pour que cela ne se répète pas. En revanche attention : l'étude des dispositifs existants a montré que quand il y a recherche de responsable, ce sont souvent des individus qui sont mis en cause.
C'est un début et c'est nécessaire. Mais cela ne remettra pas en cause le fonctionnement des institutions policières. Veillons donc parfois à désingulariser la critique. Non pas que ce n'est pas nécessaire, mais parce que des acteurs s'en chargent déjà...
Il semble nécessaire d'appliquer une critique plus ambitieuse. Une critique des institutions qui, dans le meilleur des cas, vous chargez des hommes et des femmes plutôt qu'un système organisationnel à l'origine de nombreuses souffrances. Des deux côtés des lacrymos.
Voilà pour ce long thread. Il ne rend pas hommage à la qualité et la finesse du travail de Cédric Moreau de Bellaing que je ne peux que vous inviter à lire in extenso ! C'est vraiment éclairant. Et bien écrit.
Sur ce, je vous souhaite bon courage à toutes et tous en ces temps troubles... Puissiez-vous trouver autour de vous des sources de joies et d'émerveillement.
(et sinon, faites comme moi : tapez "Cuteness Video" sur internet)
(vous l'aurez compris, le "dirty harry" en début de tweet est une erreur lié à la recherche de Gif.
Pris en Flag' de "Privilégier la forme plutôt que le fond" 😳)
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