Thread by @Tonio_Logique

On entend bcp parler de la privatisation d’ADP : tout le monde semble avoir un avis très arrêté sur la question. Quand on creuse, ces avis sont mal informés, et des partis politiques tentent de manipuler les citoyens pour servir les besoins de leur opposition.
Un thread s’impose

Je vais reprendre les arguments tradi et apporter un peu de lumière, avec ma connaissance des actifs d’infrastructure, et des gens d’ADP ou Vinci. Je n’ai pas la science infuse, mais j’ai creusé ces sujets. Si vous n’êtes pas prêt à changer d’avis, passez à autre chose…

C’EST RENTABLE ! CA PAYE DES DIVIDENDES ! PKOI LE VENDRE ?!
Ca ne veut rien dire « rentable » ! Que la Sté soit bénéficiaire, c’est la moindre des choses : elle est conçue pour ça (contrat de régulation – on y reviendra). Mais quelle est donc la rentabilité pour l’État ?

ADP est valorisé en bourse ~15.8Md€. L’Etat en détient 50.6%, soit une valeur boursière de ~8Md.
Le rendement en dividende est de ~2.25%, soit 180M€ de div/an pour l’Etat. Et d’un coup, tous les gens et politiques qui crachent sur les divid sont soudainement passionnés !

Mais 2.25% de rendement, c’est pas terrible… Si on veut optimiser ça, on peut investir ces 8Md€ sur les 40 sociétés du CAC40, et on touchera ~3.5%, soit 280M€… 100M€ de + par an !
55% de plus !

Ou même, l’acheteur désigné étant Vinci qui paie 3.1% de divid, lui apporter la participation de l’Etat dans ADP contre une participation dans Vinci !
Non, vraiment, la rentab n’est pas un argument : c’est un contre-argument !

ON N’AURA PLUS LA MAIN SUR LE DÉVPT DE L’AEROPORT !
Le dévpt des services aéroportuaires (pistes, terminaux, etc…) est déjà encadré : un régulateur (l’État !) définit avec ADP, selon les besoins et requêtes des clients (compagnies aériennes), les investissements à faire.

Ce Contrat de Régulation Économique (CRE) détermine les investissements à faire, les prix à appliquer, les objectifs de qualité de service à atteindre. Le CRE3 court jusque 2020. Le CRE4 est en cours de discussion.
Ici, les contrats : parisaeroport.fr/groupe/finance…

Bref, ADP privatisé ne ferait pas ce qu’il veut ! C’est tjs l’État qui fixe le développement et les prix à appliquer aux clients (et le 1e d’entre eux, Air France).
Par ailleurs, ces prix sont calculés pour offrir une juste rémunération des investissements.

On détermine donc le coût moyen pondéré du capital, et on calcule les prix permettant de couvrir ce coût du capital.
On évite les surprofits et on garantit la juste rentabilité.
Le dévpt des infrastructuers et le contrôle des tarifs ne sont pas un argument.

C’EST STRATÉGIQUE ! C’EST UNE FRONTIERE AVEC LE MONDE ENTIER !
Le boulot premier d’ADP, c’est d’offrir des services aéroportuaires, pas de faire la douane. La douane est faite par des douaniers. Elle ne dépend pas d’ADP. ADP prête des locaux !

ADP privatisé, ça ne changerait rien. La police de l’air et des frontières reste la police, la douane reste la douane ! Ce qui serait privatisé, c’est la fourniture des services aux compagnies aériennes (activité régulée, donc), et les commerces. Certainement pas la douane.

Et la sécurité ? Le contrôle des bagages ? Dans tous les aéroports, ce sont des sous-traitants privés qui font cela. Pas ADP, pas la police. ADP a une participation dans une société de sécurité, dont ils se séparent : ouest-france.fr/bretagne/renne…

Bref, ça n’est pas l’Etat ou la police qui vous fait passer sous les portiques, ni maintenant, ni demain, privatisé ou pas !
Non, l’argument de la frontière privatisée est un mensonge. Ce n’est pas un argument !

MAIS QUAND MEME, C’EST STRATÉGIQUE UN AÉROPORT !
Comme on l’a vu, l’activité purement aéroportuaire est régulée, tant les investissements (leur nature, la qualité de service à offrir,…) que les tarifs associés. Mais ce n’est pas que ça un aéroport …

Un aéroport, c’est une énorme galerie marchande ! On essaie de faire dépenser les touristes en goguette à Paris, et ceux en transit, en correspondance, dans les boutiques de luxe, alimentaires, etc…
ADP touche un % des ventes. Cela fait 18,40€ par passager pour ADP (2018).

Tout l’enjeu d’un gestionnaire d’aéroport, c’est de convaincre les bonnes marques de venir installer une boutique, et de négocier avec elles un bon %. ADP a de bons arguments (Paris est une belle destination touristique), mais Hermès ou LVMH ont de bons arguments aussi…

Et après avoir convaincu les marques, il faut organiser les terminaux de manière à attirer le chaland, pour générer des ventes ! Les embellir, créer des parcours qui passent devant les boutiques, etc… Exactement comme dans toute galerie marchande. Activité non régulée :

ADP négocie les % avec les marques. Mais pourquoi cela serait-il régulé ?... Des boîtes privées négocient entre elles tous les jours, et fort heureusement l’Etat ne s’immisce pas …
Quant à qualifier une galerie marchande de stratégique…
Non ce n’est pas un argument du tout !

MAIS L’ÉTAT A MAL NEGOCIÉ POUR LA VENTE DES AUTOROUTES !
On entend bcp ça, de personnes qui n’ont jamais mesuré le TRI d’une infra, et qui ne savent pas calculer un WACC…
Ces bisbilles avec les autoroutes ont surtout été montées en épingle par des people…

… politiques (Montebourg, Royal), sachant que personne n’irait regarder le détail des contrats.
Ca fait bien pour les électeurs : « je vous défends face aux méchants du privés » ! Rien ne s’est passé car les contrats sont assez propres, et pas vraiment attaquables.

Sur les autoroutes, il y aurait bcp à dire, comme le fait que celles dans le giron de l’Etat aient vu leurs tarifs augmenter + que celles du privé… Pas le sujet, revenons à ADP.
Une infra comme ADP, c’est un boulot pour des professionnels. Si l’Etat avait mal négocié…

…son contrat de privat d’autoroutes avec les opérateurs privés, ça m’inquiéterait plutôt que l’Etat continue de les gérer. Si on comprend tellement mal son actif qu’on ne sait pas le vendre correctement, il vaut mieux ne surtout pas le gérer soi-même !

Bref, si les contrats autoroutiers ont été négociés dans les formes, ce n’est pas un argument contre la privat d’ADP, mais si l’Etat s’était fait gruger, ce serait encore pire : ce serait un contre-argument pour la gestion par l’Etat.

Ces fameux arguments de la renta, des investissements, des tarifs, de la sécurité, ou de l’aspect stratégique, n’en sont pas ! Des politiciens instrumentalisent les citoyens en leur racontant des craques : c’est minable.

L’autre possibilité (très probable) étant qu’ils n’y connaissent eux-mêmes rien du tout !
Mais une fois les arguments contre la privat débunkés, y a-t-il des arguments POUR la privat (dis autrement, contre la gestion par l’Etat) ?...

LA QUALITÉ DE L’INFRASTRUCTURE
Tous les classements peuvent être sujets à caution, mais vérifiez donc le palmarès des pires aéroports du monde… thestreet.com/personal-finan…
CDG 121ème et ORY 126ème … sur 132 !

L’incitation à améliorer la qualité d’accueil est, par essence, bien meilleure pour une société du privée (‘skin in the game’ !). C’est son intérêt direct d’avoir une infra agréable, accueillante, où les pax se sentent détendus … et dépensent dans les boutiques !

C’est ce que fait Vinci dans les aéroports qu’il a récupéré. Par ailleurs, pour une infrastructure, investir n’est pas un pb, c’est un objectif : l’invest dans les infras aéroportuaires permet d’augmenter la base d’actifs régulée, qui sert de base à la rémunération du CRE.

Investir dans les infras, et améliorer la qualité, c’est l’objectif premier d’un concessionnaire privé, qui joue ses rendements là-dessus. On ajoutera aussi : discuter avec les clients compagnies aériennes, pour créer de nouvelles dessertes, des correspondances, etc…

MAIS L’ÉTAT NE LE FAIT-IL PAS ?
Certes, il y a un management, certainement motivé, mais l’incitation à la performance ne sera jamais aussi forte pour un actif appartenant à l’État, que pour une société du privé, qui a un levier financier sur ses efforts, bien + important…

Pour ceux qui en douteraient, je recommande d’étudier l’évolution de la qualité de service autoroutier entre les autoroutes État, et les autoroutes concédées…

L’ÉTAT GÈRE ? MAIS C’EST QUI L’ÉTAT CHEZ ADP ?
Le Comité Exécutif compte 13 membres. Le PDG est un énarque, ancien président de la Caisse des Dépôts, passé par plusieurs cabinets ministériels. Son prédécesseur était aussi passé par les ministères.
parisaeroport.fr/groupe/groupe-…

En fait, sur 13 membres : 3 énarques, 6 passés par les cabinets ministériels. Tous très compétents, motivés, mais en ces temps de contestation de la ‘bourgeoisie d’État’ tous les samedis depuis 8 mois, je suis surpris que ce point ne soit pas soulevé… (Photo L’Est Républicain)

Pourquoi le COMEX ne compte-t-il pas plus de spécialistes de la gestion d’infrastructures? Et pourquoi voit-on parfois arriver chez ADP (puis repartir 6 mois+tard) un haut-fonctionnaire en déshérence?
Ces sociétés sont,pour les politiques, un bon moyen de recaser quelques amis…

… en attendant de leur retrouver un poste ailleurs. Cela explique aussi la passion de politiciens de tout bords, pour ne pas céder au privé cet actif : il est tellement pratique…

ET L’INTERNATIONAL ?
C’est bizarre tout de même, ce goût des politiciens pour se réjouir des succès à l’international d’ADP (qui détient des parts dans la gestion d’aéroports comme Santiago, Amman, Ankara, …), c-a-d des aéroports que ces pays cèdent à des privés, …

… tout en refusant de jouer le jeu en France ! Quelle crédibilité peut avoir un gestionnaire d’aéroport qui refuse chez lui la cession au privé, mais qui doit expliquer à l’étranger qu’il faut lui concéder la gestion ?
Il y a en ce moment une course au rachat…

… d’infrastructures à travers le monde, notamment des aéroports. Privatiser ADP c’est aussi lui donner +de crédibilité et de meilleurs atouts pour se battre contre les gestionnaires d’infras mondiaux.
ADP a beau exploiter CDG/ORY, et d’autres à l’international,…

…, il totalise 280M de pax en 2018, contre 260M pour l’espagnol AENA, et 200M pour Vinci, parti de quasi rien il y a 20 ans…

ET SURTOUT … LE CONFLIT D’INTÉRÊTS
Ajd’hui, l’État, c’est le fournisseur de services ADP, qui facture les compagnies aériennes. Mais c’est aussi son 1er client, Air France ! Être à la fois client et fournisseur, pose quelques questions sur le respect de …

… règles de saine gestion, et d’éthique professionnelle. De ne pas céder à la tentation d’aider Pierre en déshabillant Paul, et ça aux frais des actionnaires minoritaires de Paul …
Comme si ça ne suffisait pas, l’État est aussi le régulateur !

Concrètement, si l’État-ADP veut maximiser ses dividendes, l’État-régulateur pourrait obliger ADP à de lourds investissmts. Si l’État veut subventionner sa compagnie AirFrance en difficulté (interdit UE !), l’État-régulateur pourrait imposer à l’État-ADP des tarifs + bas.

Le conflit d’intérêts est constant quand on est à la fois le client, le fournisseur, et le régulateur indépendant de ce dernier ! C’est même hallucinant que l’UE ne se soit jamais penchée là-dessus.

Voilà pour ce thread.
J’ai peut-être oublié des arguments, à votre disposition pour en parler.
Quand on travaille sur ces sujets (professionnellement, j’entends), assez vite, les arguments CONTRE disparaissent, et les politiciens écœurent par leur opportunisme.

Pas tant à gauche : il n’y a rien de choquant à ce qu’un parti étatiste comme LFI s’oppose à la privatisation, mais l’opportunisme chez LR est à vomir, surtout de gens qui soutenaient Fillon et un programme certainement plus extrême en termes de privat… leparisien.fr/politique/gill…

Au final, pour résumer, voici pour les arguments suivants :
Rentabilité pour l’Etat 👎
Dévpt de l’infrastructure 👎
Aspect stratégique 👎
Douane/Sécurité 👎
Expérience autoroutes 👎

Tandis que le statu quo, c’est poursuivre une gestion de conflits d’intérêts, par des énarques/hauts-fonctionnaires, d’un actif sous-exploité, reconnu parmi les pires aéroports au monde.
Paris, 1ère destination touristique, et 1ère destination de congrès, mérite mieux que ça.

Et pour ceux qui apprécient les threads un peu analytiques, quelques autres ici :

https://twitter.com/tonio_logique/status/1132957898252967936?s=21