Normalement je parle d'agriculture et de plantes, mais on va parler un peu de moustiques génétiquement modifiés. Certains d'entre vous ont du voir passer des articles alertant sur des risques potentiels liés à un lâcher de moustiques GM.
Voyons cette histoire un peu plus en détail. Déjà première question : pourquoi éliminer les moustiques ? Le moustique est l'animal le plus mortel au monde. En effet il est vecteur de nombreuses maladies comme la malaria, la dengue, le zika, la fievre jaune, etc
Et comme on a assez peu de moyens de lutter contre ces maladies, on choisit alors de lutter contre le vecteur, le moustique.
Classiquement, ce qu'on utilisait (et utilise encore) pour cela, ce sont des insecticides. Vous connaissez probablement le DDT, et ses effets sur l'environnement, mais son utilisation a sauvé des millions de vies.
C'est d'ailleurs l'OMS qui a lancé des campagnes d'éradication de la malaria avec du DDT jusqu'en 1969. Cela n'enlève bien évidemment pas les effets négatifs qu'il a eu sur l'environnement, raison de l'arrêt des programmes de l'OMS et son interdiction dans les années 70.
Le DDT est encore utilisé à ce jour dans certains pays, dans des conditions bien plus contrôlées, ainsi que d'autres insecticides. Mais globalement leur utilisation semble loin d'être idéale pour le contrôle de ces maladies.
Une autre solution, c'est celle utilisée ici : les techniques de l'insecte stérile. Concrètement cela consiste à jouer sur la stérilité des insectes pour qu'il ne puissent plus se reproduire et ainsi éradiquer ces populations d'insectes.
en.wikipedia.org/wiki/Sterile_i…
C'est un moyen de biocontrôle utilisé depuis les années 40, avec généralement une très bonne efficacité. La stérilisation des insectes (le plus souvent des mâles) se fait généralement par irradiation ou par traitement chimique.
en.wikipedia.org/wiki/List_of_s…
Les femelles fécondées par ces mâles stériles ne donneront pas de descendance, et la génération suivante sera moins importante, mais les mâle stériles vont finir par mourir de vieillesse et les mâles nouvelle génération pourront eux se reproduire.
Si on ne fait rien, la population grandira à nouveau au fil des générations. Du coup les lâchers sont répétés sur plusieurs générations. A chacune d'entre elles, la population va diminuer, et à terme elle sera éradiquée.
Un autre outil qu'on peut utiliser, c'est la modification génétique des insectes. La stérilisation "classique" est pas idéale, car elle affecte l'insecte, pouvant l'affaiblir, alors qu'on veut qu'il aille se reproduire (du moins essayer).
C'est en partie pour cela que le lâcher d'insectes stériles a eu un succès mitigé dans le contrôle de moustiques. Utiliser la génétique permet d'éviter d'affaiblir les insectes, et donc une meilleure efficacité.
Dans le cas présent, il s'agit d'un transgène qui cause tout simplement la mort de l'individu. Mais si ça cause la mort de l'individu, comment relâcher des mâles portant ce transgène sans qu'ils ne meurent ?
Pour ça on va revoir vite fait comment fonctionne un gène. Dans notre corps toutes les cellules ont toutes les mêmes gènes, pourtant elles fonctionnent différemment, certaines deviennent des cellules de la peau, d'autres des neurones, etc.
Ca, c'est parce que même si les mêmes gènes sont présents, ils ne sont pas tous exprimés, et pas de la même façon. Et ce qui contrôle l'expression d'un gène, c'est une petite région en amont du gène qu'on appelle un promoteur.
Il existe des promoteurs qui activent le gène constamment, d'autres qui sont activés sous certaines conditions, certains qui expriment fortement le gène, d'autres peu, etc.
Ici, le transgène qui tue les moustiques a été mis sous le contrôle d'un promoteur inhibé par une molécule. Une sorte d'antidote, que l'on pourra donner aux moustiques en laboratoire pour que le gène ne s'active pas. Mais il s'activera chez leur descendance hors du labo.
L'entreprise, Oxitec, a d'abord réalisé des tests en labo pour voir l'efficacité du système, avant de lancer des tests sur le terrain. Ces tests ont montré l'efficacité de la technique, avec jusqu'à 95% de réduction de la population de moustiques.
journals.plos.org/plosntds/artic…
Néanmoins dans un test en laboratoire, les chercheurs ont remarqué que 3-4% des larves transgéniques survivent.
bmcbiol.biomedcentral.com/articles/10.11…
On arrive donc à l'étude dont tout le monde parle, Evans 2019, dans laquelle les chercheurs ont échantillonné les moustiques dans la région de test d'Oxitec au Brésil, afin de voir si les larves transgéniques survivantes pouvaient se reproduire.
nature.com/articles/s4159…
Leurs résultats : oui elles le peuvent apparemment. Jusqu'à 60% des moustiques descendants observés durant l'essai ont une partie du génome des moustiques d'Oxitec.
Sauf que "une partie du génome" ça ne veut pas dire le transgène. En fait, dans une publication venant d'auteurs brésiliens ayant aussi participé à l'étude, Garziera 2017, on voit que 3 mois après l'arrêt des lâchers, on ne trouve plus le transgène (RIDL).
onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.11…
Le titre de l'étude est pourtant "des moustiques transgéniques transfèrent des gènes aux populations naturelles". De quels gènes parle-t-on alors ?
Eh bien on parle simplement des autres gènes des moustiques d'Oxitec. Ces derniers ont été développés à partir d'une population Cubaine, qui s'est ensuite croisée avec une population Mexicaine, et ce sont les gènes de ces populations qu'on retrouve au Brésil.
Les problèmes que ça pourrait poser, que soulèvent les auteurs, c'est qu'on pourrait y trouver des gènes de résistance à des insecticides par exemple. Ou bien que cette hybridation pourrait résulter en une certaine vigueur hybride rendant les moustiques plus robustes.
Sauf que tout cela n'est que supposition, et les données présentes ne permettent pas de l'affirmer. Ce que les auteurs ont testé, c'est si ces moustiques transmettaient plus de maladies, et ce n'est pas le cas.
Et surtout, même si ces suppositions sont vraies, ce n'est en rien lié au fait que les moustiques soient GM, ce genre d'événement aurait pu se produire avec n'importe quel type de technique d'insecte stérile.
Surtout qu'à côté ya des publis qui montrent que non les souches d'Oxitec ne sont pas résistantes aux insecticides, donc la supposition faite ici là-dessus n'a pas lieu d'être.
hindawi.com/journals/psych…
Aujourd'hui les populations de moustiques à ce site sont revenues à la normale, car il s'agissait d'un test sur 2 ans, et en arrêtant les lâchers, les populations reviennent à la normale, je l'ai déjà dit.
Dans ce tableau issu de l'étude, on voit que de 6 mois à 12 mois après Le début des lâchers, on a une augmentation de la proportion du génome d'Oxitec présent dans les populations testées. Mais on voit aussi que ça diminue par la suite à 27 mois.
Pour justifier cette diminution, les auteurs citent Garziera 2017 pour montrer que l'efficacité de la technique a cessé après 18 mois. Déjà cela veut dire que le contrôle a été efficace pendant 18 mois, c'est loin d'être un échec, au contraire.
Quand on retourne voir Garziera 2017, on voit qu'en effet il y a eu un rebond après 18 mois. Mais suite à ce rebond la population a de nouveau été contrôlée. La technique est bel et bien efficace.
Que la proportion de génome d'Oxitec ait diminué suite à ce rebond montre bien que sans lâchers cette proportion diminuera avec le temps.
Il est donc probable que si les populations étaient testées de nouveau aujourd'hui, plusieurs années après l'expérimentation, on retrouverait peu voire pas de gènes de la souche d'Oxitec dans ces populations.
Comment néanmoins expliquer ce rebond ? Evans mentionne le fait que les femelles pourraient choisir de ne pas se reproduire avec les mâles portant le transgène. Cela a apparemment été suggéré dans la ref 16 par Jeffrey Powell, qui a dirigé L'étude d'Evans.
L'autocitation est pas un problème en soi, mais l'étude citée n'appuie pas vraiment la supposition, il s'agit juste d'une hypothèse avancée, et comme le dit Evans, il faudrait beaucoup plus de données pour pouvoir le confirmer.
Sauf que chez Garziera, qui a observé le rebond, c'est pas cela qui est avancé. Ils évoquent des réinvasions venant notamment de migrations de populations alentours, ou d'œufs en dormance qui éclosent lorsque les conditions deviennent favorables.
La sélection sexuelle évoquée par Evans et Powell pourrait avoir un certain rôle, mais pourquoi omettre les effets de migration ?
(Et le contrôle de nouveau efficace suite au rebond ne supporte pas vraiment l'hypothèse de sélection sexuelle)
Durant le test (et aussi sur les autres tests dans d'autres régions), on voit clairement une diminution des populations, malgré le rebond, prouvant l'efficacité de la technique. Et si les lâchers avaient été poursuivis, la population aurait peut-être été éradiquée.
L'article en lui-même n'est pas mauvais, les résultats sont très intéressants. En revanche la discussion est problématique, les auteurs avancent des suppositions que rien ne permet d'affirmer.
Quand on discute de quelque chose qui serait apparemment "very likely" sans y apporter une citation expliquant pourquoi ce serait le cas, ou que ça se serait déjà produit auparavant, etc, on est sur une affirmation très bancale, et plus de précaution aurait été plus adapté.
Ajoutez à cela un titre techniquement pas faux mais qui peut laisser sous entendre des risques liés aux OGM, on a le cocktail parfait pour que ça soit repris par les conspis anti-OGM et anti-industrie qui vont eux-même arranger ce qu'ils tirent de l'étude à leur sauce.
Pire, il paraitraît que la publication de l'étude s'est faite dans des conditions douteuses, les chercheurs brésiliens (dont Garziera) n'ont pas relu la version finale, avec laquelle ils sont en désaccord, et ils ont demandé le retrait de l'étude.
revistaquestaodeciencia.com.br/artigo/2019/09…
Les auteurs de Yale ne sont probablement pas opposés à la technique, surtout qu'ils développent eux-mêmes des techniques d'insectes stériles. Mais la façon dont est rédigé l'article est dangereuse, car elle affecte la recherche sur le sujet et ses applications.
Surtout qu'il s'agit ici d'un cas particulier, d'une souche, d'un transgène, et qu'on a beaucoup de recherche sur d'autres choses, comme le le forçage génétique, des systemes sans besoin de répéter les lachers, d'autres qui ne tuent pas mais empêchent de propager la maladie, etc
Et ce qui est soulevé ici est aisément réglé en développant les souches à partir des populations qu'on veut éliminer, comme ça pas d'apport de gènes étrangers. Tout ça n'a rien à voir avec la technique en elle-même, ni avec le fait que les moustiques soient GM.
Mais la publication de cette étude, rédigée ainsi, risque aussi d'affecter toutes les techniques d'insectes stériles, mêmes sans modifications génétiques, sur lesquelles les auteurs de l'étude travaillent pourtant.
Et surtout ce que cela va affecter, ce sont les populations. Non pas de moustiques, mais humaines. Parce que je rappelle que c'est pour les protéger elles qu'on fait tout ça.
Et je rappelle aussi que si on développe ces techniques c'est pour pas avoir à utiliser d'insecticides.
Ironiquement comme pour les plantes GM, l'opposition au génie génétique va juste empêcher de diminuer les quantités d'insecticides utilisées.
Ou causer d'autres problèmes.
Donc non seulement aucun risque sanitaire ni environnemental n'est identifié dans l'étude, mais sa publication (et sa réception par le public) va, elle, potentiellement générer un risque sanitaire et environnemental à cause de l'opposition qu'elle génère.

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