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Les femmes au temps des cathédrales : 3e fil ⤵️
Les femmes et l’éducation 👩‍🎓
Pendant longtemps, les écoliers français apprenaient que le plus ancien traité d’éducation était Rabelais.
Spoiler : ce n’est pas Rabelais.
Au IXe siècle, la noble Dhuoda rédige un livre de conseils d’éducation, « Manuel pour mon fils », empreint d’humilité : elle ne commence pas ses phrases par « Rappel : » pour les finir par « Nan mais allô. En 841. »
Au contraire, elle affirme manquer d’intelligence, mais être poussée par son devoir de mère à écrire cet ouvrage, plein de conseils (« Mon fils, je te prie et te suggère humblement... »), de poèmes et même d’énigmes (typique de son époque).
Le principe majeur posé par ce premier traité d’éducation est l’amour : « Aime Dieu, cherche Dieu, aime ton petit frère, aime ton père, aime les amis et les compagnons (...), aime les pauvres et les malheureux ».
Pas vraiment de logique de droits de l’homme ici : l’amour et le respect des autres se gagnent, se méritent : « aime, vénère, accueille et honore tout le monde afin que tu mérites de recevoir toute la réciprocité ».
Deux autres conseils primordiaux ressortent : « lire et prier ». « Tu as et tu auras des livres à lire, à feuilleter, #àMédité, à approfondir, à comprendre » : vraiment des conseils mOyEnÂgeUx.
Enfin, dernier axe majeur : la fidélité. Vertu d’autant plus importante qu’elle est au cœur du système féodo-vassalique : toute la machine qui lie les suzerains et leurs vassaux repose sur la confiance, donc l’honneur et la fidélité.
L’ouvrage est plein de réf. bibliques enfantines pour Dhoda ; elle cite aussi le poète Prudence, St Augustin, Grégoire le Grand, Donat, Is. de Séville, Alcuin, Raban Maur, etc. Son instruction donnerait des complexes à celles qui citent Nietzsche de façon quelque peu hasardeuse.
Les femmes médiévales s’attachent au savoir, cela se reflète dans moult sources : écrits érudits de religieuses, épigraphes écrits par des hommes pour louer la science de certaines femmes, gisant d’Aliénor d’Aquitaine la représentant avec un livre ouvert dans les mains...
Elles sont demandeuses d’ouvrages d’exception : l’érudit Carl Nordenfalk consacre plusieurs pages de son étude sur l’enluminure Romane à ces évangéliaires, psautiers, livres d’heures, à l’usage d’une clientèle de « dame de qualité » u_u (Marguerite d’Écosse, Judith de Flandre...)
Ces livres font partie des plus magnifiques objets du Moyen Âge, comme le psautier de la Reine Mélisandre (qu’on trouve à la Bristish Library) :
Le travail de copiste, qu’on connaît fort bien chez les moines, a laissé quelques traces à prendre au énième degré : le copiste, une fois le livre terminé (des centaines d’heures de travail), écrit un colophon, un petit mot pour signifier son soulagement :
« Scriptori pro pena sua detur pulcra puella » écrit l’un d’entre eux, c’est-à-dire « Qu’on donne au copiste pour sa peine une belle jeune fille » ; un autre, modeste, dit : « Ce livre est écrit, béni soit celui qui l’écrivit ».
Il faut dire que ce boulot est harassant ; un copiste dit : « Celui qui ne sait pas écrire ne croit pas que c’est un travail. Il fatigue les yeux, il brise les reins et tord tous les membres. Comme le marin désire arriver au port, ainsi le copiste désire arriver au dernier mot ».
Ces colophons sont suivis d’une signature, ce qui permet de connaître le genre du copiste. Or, il s’avère que ce travail est aussi celui des femmes, souvent laïques, pas forcément nobles.
Étant donné qu’il faut savoir lire et écrire pour copier, on trouve dans ce fait un bel indice sur l’éducation des femmes médiévales.
Autre élément sur l’éducation des femmes roturières : les récits dans les villages. L’historien de l’éducation JW Adamson constate que « certains docs laisseraient entendre que d’humbles gens savaient lire et écrire, hommes et femmes ».
Les filles de grandes familles sont éduquées par une institutrice. Pour les autres, on suit des cours au couvent, y compris pour les petits garçons.
Des profs laïques, presque toujours des femmes, donnent aussi cours, au plus tard à partir du XIIIe siècle.
Même les collèges dirigés par des laïques existent ; je vous ai gardé un ex. qui ne s’invente pas : le Collège des Crevés, à Reims, qui doit son nom à sa fondatrice, Flandrine La Crevée. Si c’est un surnom donné par les élèves et pris au 1er degré par les chercheurs, chapeau bas.
On apprend d’abord aux enfants à chanter, puis ils retrouvent les sonorités qu’ils ont entendues dans leurs premiers vrais cours de lecture, une méthode assez proche de la méthode globale, en somme.
Amusante inspiration pour cette dernière.
Pour illustrer tout cela, j’ai gardé deux petits exemples : au IXe siècle, deux religieuses célèbres pour leur instruction sortaient des cours du monastère de Valenciennes, où elles apprirent le chant, la lecture, le psautier et la peinture.
L’autre exemple montre que l’éducation des roturiers n’a rien de saugrenu : en 1116, le comte d’Anjou (poke @Th_Gaudin ) donne au monastère ND de Ronceray de quoi assurer l’éducation et la nourriture de treize enfants pauvres d’Anjou et du Maine.
Peu après 1400, beaucoup d’évêques insistent auprès de leurs curés pour s’assurer que les parents envoient bien leurs enfants (des deux sexes) à l’école, pour réorganiser leur diocèse après les désastres du XIVe siècle.
La mixité semble également banale à l’époque : dans le roman de Jean Froissart (⤵️)« L’Épinette amoureuse » (XIVe siècle), un jeune garçon fréquente la même école que l’héroïne. Comme dirait @Hil2gard , ça n’a rien de moderne, c’est médiéval.
Le taux d’alphabétisation reste ancien bien sûr ; les paysans n’ont besoin que de savoir compter ; lire et surtout écrire leur est à peu près inutile, si bien qu’on trouve des signatures de paysans sur des actes XVIIIe siècle en simple forme de X.
À Florence, vers 1338, un enfant sur deux, fille comme garçon, va à l’école. Bon, c’est Florence, une ville riche, ce n’est pas le Limousin, certes (c’est très chouette le Limousin hein).
Puis la Renaissance arrive, avec ses changements dans l’éducation. Chez Francisco da Barbarino par ex., on trouve les clichés injustement attribués aux valeurs du Moyen Âge : les filles — à part les nobles — sont faites, selon lui, pour les tâches ménagères, point barre.
La suite du thread se penchera sur la place de la femme de condition « normale », non noble, dans la vie de tous les jours.
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