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Suite du thread sur les femmes au Moyen Âge :
Fil 2 : les religieuses, ces insoumises
Au début du VIe siècle, les premiers couvents apparaissent : des femmes devant renoncer à la vie mondaine, à la vie de mariage, aux enfants, priant et travaillant aussi pour le salut des âmes et des corps dans le besoin.
Ces femmes au destin particulier mènent une vie marquée par la dépossession, le détachement des biens matériels, parfois — pas nécessairement — d’austérité dans le boire et le manger.
À l’intérieur du couvent, pas de distinction sociale entre riches, pauvres, nobles ou roturières ; elles portent toute l’habit de leur communauté, cachent leur beauté éventuelle avec, car elles sont consacrées à la vie religieuse, et donc détachées de la séduction.
L’hygiène est nécessaire, par le bain régulier ; on travaille à tour de rôle en cuisine ; toutes apprennent les lettres, consacrent 2h de lecture/jour.
Les religieuses et les moines sont les premiers à prendre cette habitude devenue universelle : lire en silence.
Il ne faut parler que lorsqu’on a vraiment quelque chose d’inspensable à dire, pas trop l’ambiance RS donc... On peut bavarder tout de même en dehors du cloître, de la chapelle et du réfectoire.
Leur vie est réglée comme une horloge.
Au XIIIe siècle seulement, le pape Boniface VIII (qui se fit martyriser par Philippe le Bel) rend la clôture de toutes les moniales obligatoire. Elle existait déjà dans certains monastères, et n’était pas toujours très bien respectée.
On trouve dans ce monde des religieuses les prémisses de la poésie courtoise : le poète Fortunat, au VIe siècle, loue l’abbesse d’un couvent, la qualifiant de virgo (vierge), mater (mère), et domina (la dame) : les caractéristiques de la Vierge Marie, Mère de Dieu.
Les couvents se répandent dans tout l’Occident, et survivent en partie aux assauts des Vikings, ou des princes anglais païens.
Le plus célèbre monastère d’Angleterre est celui de Whitby, qui accueille le synode mettant fin aux différences entre rite catholique celtique et catholique romain.
Il fut détruit par Henri VIII, en 1539.
Les religieuses d’Angleterre et d’Irlande, dès le VIIe siècle, se font protectrices des arts et des lettres, en poussant les poètes et les musiciens à embrasser la vie monastique : ainsi, ceux-là pouvaient composer en toute liberté, et à l’abri des soucis financiers.
Les monastères de religieuses se propagent aussi dans le Saint Empire germanique. Leurs membres y reçoivent une solide éducation : le latin bien sûr, mais aussi, plus suprenant : le grec ; ainsi que les lettres et le droit.
Les religieuses se spécialisent dans le domaine du soin aux personnes : les hôpitaux, les grands hospices sont tenus par des religieuses.
Mais on les retrouve dans des domaines moins connus : certaines d’entre elles sont de vraies créatrices :
Le 1e grand nom de la littérature allemande, au Xe siècle, est l’abbesse de Gandersheim, Hrotswitha : « peut-être l’écrivain le plus original de l’Allemagne au temps des Othons », dixit E. Tonnelat, historien de la littérature allemande.
Loin des clichés sur l’arrogance des célibataires consacrés, Hrotswitha compose notamment un éloge de la vie religieuse ET de la vie de mariage, montrant comme ce sont deux façons différentes de mener à un même idéal. Je vous partage son regard ultra zen :
Mais celle qui vaut le détour s’appelle Hildegarde (Xe siècle — poke @Hil2gard ).
Elle est la 10e enfant d’une famille noble. D’une santé fragile, elle vit tout de même 80 ans (on dépasse rarement les 60 ans à l’époque).
Elle n’est pas du genre à chômer : prise du voile à 15 ans ; abbesse à 38, fondatrice d’un couvent à 49, sur le mont Saint-Rupert (dominant le Rhin), et d’un second un peu plus tard, sur l’autre rive du fleuve.
Très classique jusqu’ici me direz-vous ! En fait, Hildegarde dit avoir des visions depuis l’âge de 3 ans. Elle raconte :
Hildegarde est une prolixe érudite : des livres sur les mérites de la vie, sur les œuvres divines, sur la médecine, une petite histoire naturelle, une proposition de réforme de l’alphabet et de la transcription de l’allemand au latin, et beaucoup de lettres.
Dans son ouvrage le plus original, Scivias (traduisible par « Connais les voies de Dieu »), orné de 35 miniatures illustrant ses visions, elle touche à tout : savoir encyclopédique, questionnements théologiques, poésie, et 74 morceaux de musique.
Elle vit dans la magnificence de l’art roman et du chant grégorien, bien que la forme de ce dernier soit bien plus complexe — et... belle, simple avis personnel — que celui d’aujourd’hui.
Elle prévient les flemmards de bancs d’église :
« Ceux qui, sans raison légitime, font le silence dans les églises habituées aux chants en l’honneur de Dieu ne mériteront pas d’entendre au ciel l’admirable symphonie des anges qui loueront le Seigneur ».
Petite parenthèse : pour ceux qui voudraient avoir une idée de ce à quoi ressemblait le chant grégorien au milieu du Moyen Âge, voici un exemple de chant du XIIe siècle déterré par l’Ensemble Organum :
Ça surprendra ceux qui trouvent l’actuel grégorien
Hildegarde n’écrivait pas elle-même, mais dictait à deux secrétaires : deux hommes, moines.
La condition féminine, à cette époque, consiste à avoir deux secrétaires hommes ; pas à être la secrétaire d’un PDG.
Enfin, Hildegarde est un bel exemple de mélange entre fermeté et douceur chrétienne ; elle conseille, à propos des hérétiques cathares : « Chassez ce peuple-là de l’Église en l’expulsant et non en le tuant, car ils sont aussi à l’image de Dieu ».
Voilà pour la figure féminine la plus originale du Moyen Âge : la religieuse.
Nous parlerons lors du prochain fil — si je ne change pas mes plans — des femmes et de l’éducation au Moyen Âge !
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