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Les femmes au temps des cathédrales : un thread ⤵️
La femme du Moyen Âge est pour vous une sorcière, une paysanne crade, ou une princesse pondeuse de princes ?
Voici un patch correctif.
Premier fil : l’émancipation de la femme à la fin de l’Antiquité... par le christianisme.
(Ste Catherine d’Alexandrie ⤵️, IVe siècle)
Ce thread, comme le dernier sur 1789 d’ailleurs, n’a pas pour prétention d’avoir la science infuse : il suit également un livre d’une spécialiste reconnue, La femme au temps des cathédrales, de Régine Pernoud (1980).
L’histoire de France commence avec une femme : Clotilde. Son père, le roi burgonde (ancêtres des Bourguignons), afin de sceller son alliance avec le roi des Francs, la donne en mariage au roi de ces derniers : Clovis.
Les Burgondes étaient chrétiens, mais ariens : une branche chrétienne déclarée hérétique par le Concile de Nicée (325), qui niait la divinité du Christ. Cependant, Clotilde fut de ce peuple une exception catholique.
Sa volonté de convertir son mari au catholicisme est fervente, mais Clovis est difficile à convaincre.
Pour le baptême de leur premier enfant, elle fait tapisser l’église de voiles et de tentures magnifiques, pensant toucher sa sensibilité, puisque sa raison demeurait étanche.
L’idée est loin d’être hasardeuse, Clovis étant un homme sensible : plus tard, il resta stupéfait sur le seuil de l’église de Reims, demandant s’il était arrivé au paradis.
Vous connaissez bien sûr la suite : Clovis fait sa première prière à Tolbiac (496), demandant la victoire au « Dieu de Clotilde », dans une bataille fort mal engagée contre les Alamans.
Le chef alaman meurt, son armée panique et part en déroute.
Clovis se fait baptiser le jour de Noël, peut-être de l’année 498, avec 3000 de ses hommes. La Gaule était déjà chrétienne, mais cette union entre ses nouveaux chefs, les Francs, et l’Eglise, sert de point de départ à l’Histoire de France.
Pour l’anecdote, « Francs » a la même origine que l’anglais « free », ou la franchise (=liberté de parole), cela signifie « les hommes libres ».
Avant d’avoir été à l’origine de la naissance du Royaume de France, les femmes ont contribué à la survie de sa plus grande cité, Paris :
En 451, Geneviève, vierge consacrée, fait prier les Parisiens pour que Dieu éloigne Attila de la ville.
Lors de la bataille des Champs Catalauniques, Attila est enfin vaincu par une collation germano-romaine, et doit renoncer à Paris.
Geneviève devient alors une célébrité dans tout le monde chrétien, jusqu’en Syrie. Clotide et Clovis ont la chance de la rencontrer à la fin de sa vie, alors qu’elle finit ses jours comme une religieuse cloîtrée (sa statue sur la façade de St Étienne du Mont, Paris ⤵️)
Clotilde n’est pas la seule femme catholique qui change le cours de l’histoire religieuse des grands de son temps : Théodelinde, femme d’un grand roi lombard — et arien — de Bavière, fait baptiser leur fils dans la foi catholique.
Cas plus proche encore de Clotilde : en 573, Théodosia convertit son mari, le duc de Tolède (Espagne bien sûr), au catholicisme. Il faut dire qu’elle a du soutien : ses trois frères sont évêques, l’un d’eux est le célèbre Isidore de Séville...
En Angleterre, un roi se fait lui aussi baptiser sous influence de sa femme, Berthe de Kent.
Cela fait donc France, Espagne, Angleterre ; joli tableau de chasse !
Mais ce n’est pas tout : on trouve une femme dans les grands auteurs de conversion en Germanie (religieuses auxiliaires de St Boniface), la Russie (Olga de Kiev ⤵️, plus tardif), et les pays baltes (Hedwige de Pologne).
Ces coups d’éclat décisifs annoncent une nouvelle ère de la condition féminine.
L’Antiquité avait en effet réservé à la femme une place plus que restreinte, bien que certains antiquisants, complexés par les grilles de lecture actuelles, essaient de relativiser certains points.
Pernoud s’appuie ici (entre autres auteurs) sur le juriste Robert Villers : « À Rome, la femme, sans exagération ni paradoxe, n’était pas sujet de droit... ».
En revanche, la femme romaine participe davantage à la vie publique que la femme grecque, ou plus tard, musulmane. Elle peut participer, par exemple, aux banquets, bien qu’elle doive rester assise (quand les hommes sont allongés).
Autres exemples assez notoires :
- il faut attendre le Bas-Empire (la fin de la période romaine, Empire devenu chrétien) pour que l’adultère d’un mari soit passible de sanctions.
- En 169 avant J.-C., la femme romaine ne peut hériter de grosses sommes (loi inapplicable, dont inappliquée, mais vous voyez la logique...).
- Fait que certains qualifieraient d’ « invisibilisation », la femme romaine n’a pas de praenomen, contrairement à ses frères. Dans la gens (famille) Cornelia, par exemple, les fils s’appellent Publius Cornelius, Gaius Cornelius, et la fille s’appelle... Cornelia.
Le christianisme, auquel l’Empire se convertit entre le IIe et le IIIe siècle (après J.-C., dans une période de regain de la puissance romaine sous Constantin), fait office de véritable révolution.
Le christianisme, sans rejeter la figure d’autorité du pater familias (qui est davantage conçu comme un guide que comme un petit chef), affirme l’égalité entre les hommes et les femmes.
En matière d’adultère par exemple, que l’auteur soit homme ou femme, la faute est équivalente (Marc, X, 11-12 ; Matthieu XIX, 9).
L’entourage du Christ avait lui-même vertement réagi aux préceptes d’égalité de ce dernier (« si telle est la condition de l’homme vis-à-vis de la femme mieux vaut ne pas se marier ! »).
Le « Va, et ne pèche plus » que Jésus dit à la femme adultère, qu’Il vient de sauver de la lapidation, est également une vraie révolution morale.
Les femmes prennent déjà une importance étonnante par rapport au passé : alors qu’on croit parfois que les femmes sont les grandes absentes des travaux historiques, elles forment au contraire une large majorité dans le Petit Larousse des noms cités des IIe et IIIe siècles.🤓
On y trouve trois hommes, dont St Sébastien et Origène, à côté de 21 femmes, dont Zénobie, la célèbre reine de Palmyre, et 19 saintes, élevées à ce statut reconnu post-mortem par l’Eglise.
Les saintes Agathe, Agnès, Cécile, Lucie, Catherine et Marguerite sont rendues célèbres par le châtiment par lequel elles ont péri, pour avoir refusé d’épouser des hommes que leur père leur destinaient, alors qu’elles voulaient demeurer vierges par sacrifice.
Les femmes sont omniprésentes dans les débuts du christianisme, et la louange de ces figures rejetant l’autorité paternelle, le mariage arrangé, la destinée de mère de famille, ferait pâlir de jalousie des militantes contemporaines. 🦄
En 390, l’Empire romain christianisé retire au pater familias son droit de vie et de mort sur ses enfants ; fin, donc, des filles condamnées à mort par leur père pour avoir refusé un mariage.
Le christianisme, en proclamant la femme et l’homme égaux, apporte également la fin de la discrimination — légale — à la naissance : nombreux étaient les cas d’abandons d’enfants (en toute légalité), voire d’infanticides, lorsque l’enfant était une fille.
En effet, l’eugénisme était courant dans la société gréco-romaine. Hippocrate se demande par ex. « quels enfants il convient d’élever » ; Soranos, tt aussi naturellement, définit la puériculture comme l’art de décider « quels sont les nouveaux-nés qui méritent qu’on les élève ».
Cela va plus loin chez Sénèque, qui juge raisonnable la noyade des enfants débiles et faibles. Tacite s’étonne que les Juifs et les chrétiens s’interdisent de supprimer des nourrissons.
De manière très claire, St Paul affirme le concept de « personne », bouleversant la hiérarchie établie par les sociétés antiques : « Il n’y a plus ni Grec, ni Juif, ni homme, ni femme ».
Loin de nier les différences, St Paul explique par là que l’essence d’homme (d’être humain, hein) fait la dignité de toute personne. Pascal (💓), bien plus tard, rappelle cette égalité de tous devant Dieu en montrant que les rois, eux aussi, seront rongés par les vers...
L’Eglise des premiers siècles s’organise pour protéger la femme : plutôt que de pousser une veuve au remariage immédiat, on lui garde un rôle défini et utile dans la vie de la paroisse.
La vierge consacrée, refusant la vie de mariage qui était auparavant une évidence et un devoir, donne du poids à la liberté individuelle de la femme, qui n’a désormais plus besoin d’être une pourvoyeuse d’enfants pour la cité pour être considérée par le droit.
Daniélou (J.) et Marrou nous font comprendre en trois lignes la raison pour laquelle les femmes sont les grandes évangélisatrices de l’élite des premiers siècles de notre ère :
La considération que gagne la femme avec le christianisme encourage beaucoup d’entre elles à s’y convertir ; moins intéressés, les hommes de l’artistocratie restent païens ; jusqu’à ce qu’ils épousent une Clotilde...
D’autres chrétiennes marquent l’histoire de ces premiers siècles : la noble romaine Fabiola, disciple de St Jérôme, fonde pour les pèlerins venant à Rome une « Maison des malades » : autrement dit, le premier hôpital.
Elle crée ensuite un centre d’hébergement des pèlerins à Ostie, pour ceux visant Rome par la mer. Elle demeure aujourd’hui un symbole de l’inventivité civile féminine, à rebours de certaines idées reçues.
On pense à ce sujet, forcément, aux religieuses qui tinrent pendant des siècles, dès 651, l’Hôtel-Dieu de Paris, un des bâtiments qui firent l’identité de la capitale.
Mais là où la femme est sans doute la plus oubliée des manuels scolaires, est probablement dans son rôle actif dans la disparition de l’esclavage en Occident.
Constantin, l’empereur chrétien, qui n’est certes pas une femme, avait déjà grandement facilité l’affranchissement d’esclaves (qui pouvait d’ailleurs se faire dans les églises), et leur reconnut un droit à la vie de famille (ce mec ressemblait tellement à Stallone ⤵️).
Le Code justinien, ensuite, offrit la possibilité à un esclave d’être affranchi de toute servitude en intégrant un monastère.
Le concile d’Elvire (305, ou 306) punit de sept ans de pénitence le maître coupable du meurtre de son esclave.
Le concile d’Orléans (511, année de la mort de Clovis), stipule que les églises peuvent servir d’asile aux esclaves fugitifs.
Le concile d’Eauze (551) affranchit d’autorité l’esclave que son maître aurait fait travailler le dimanche.
Etc.
Quid des femmes là-dedans ?
Au-delà de leur rôle actif dans la propagation du christianisme, qui contribue, vous l’avez vu, à l’écroulement de l’esclavage, ces dernières sont les premières à affranchir largement.
La romaine Mélanie en est un ex. assez fou : propriétaire avec son mari de terres considérables dans la province d’Afrique, elle partage son domaine entre ses mille esclaves affranchis, propriétaires donc, et se retire dans une communauté à Jérusalem (son mari devient évêque).
Elle est l’exemple le plus frappant de la période.
Fin de ce premier fil ; il y en aura nettement moins que pour le thread de 1789, mais j’espère que cela vous intéressera tout autant !
Le fil suivant entrera pleinement dans le Moyen Âge.
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