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J'ai lu "Contagion sociale", l'excellent article publié initialement dans la revue Chuang (chuangcn.org/2020/02/social…) et traduit en français (dndf.org/?p=18327) sur la guerre de classes microbiologique. Il est long et dense mais important donc je fais un fil ⤵️
Pour le contexte, c'est une revue chinoise anticapitaliste de très bonne qualité de ce que j'en ai lu. Pour les suivre : @chuangcn
L'objectif de l'article est de comprendre comment les maladies sont produites et distribuées au-delà du cas du coronavirus en mobilisant les outils de la théorie marxiste et en utilisant une approche historique comparative.
Comme ils le disent, "ce n’est pas un simple exercice marxiste Scooby-Doo consistant à enlever le masque du méchant pour révéler que, oui, en effet, c’est le capitalisme qui a causé le coronavirus depuis le début !"
La question c'est surtout comment la sphère socio-économique interagit avec la sphère biologique. À partir de là, les deux problématiques subsidiaires sont :
1) Comment le monde naturel et ses substrats microbiologiques se lient au mode de production capitaliste ? Il ne peuvent pas être compris en dehors de la façon dont la société organise la production puisque ce ne sont pas deux sphères séparées.
2) Ce que le "moment" de la pandémie et sa gestion révèlent des tensions et contradictions sociales jusqu'alors occultées et qui s'expriment clairement désormais dans la crise politique qui l'accompagnent.
Alors, comment sont produites les pandémies ? Déjà,
la propagation de nouvelles maladies à la population humaine est presque toujours le produit du "transfert zoonotique" (des infections qui passent des animaux aux humains).
Évidemment, ce transfert entre espèces est conditionné par la proximité et la régularité de leurs contacts. Et quand l'interface homme/animal change, elle modifie aussi les conditions/l'environnement dans lesquelles ces maladies évoluent.
Or justement, agriculture + urbanisation capitalistique constituent une "cocotte-minute évolutive". C'est le milieu idéal par lequel les fléaux les plus dévastateurs naissent, se transforment et sont véhiculés chez les humains.
Dans le cas du coronavirus, sa propagation soudaine depuis un noyau industrialisé et urbanisé de l'économie mondiale s'inscrit dans ce contexte.
Mais, son origine se trouve dans un processus en marge de l'économie à savoir le fait que les souches sauvages sont rencontrées par des personnes "poussées à des incursions agro-économiques toujours plus étendues dans les écosystèmes locaux".
Les travaux du biologiste Robert G. Wallace ont montré le lien entre l'agrobusiness capitaliste et les causes des épidémies récentes comme dans le cas du H5N1/grippe aviaire.
Le schéma est le suivant : milieu rural de pays pauvres où s'exerce une agro-industrie non réglementée proche des bidonvilles périurbains. Cette interface accentue la transmission, augmente la variation génétique du virus qui développe des caractéristiques spécifiques à l'homme.
Ensuite, la propagation se poursuit via les canaux géographiques de l'économie capitaliste (circuits mondiaux de marchandises, migrations de main d'oeuvre). La mondialisation accroit la rapidité de la propagation du virus, stimule sa mutation et renforce sa résilience.
L’augmentation de l’intensité et de la virulence des maladies a de fait indéniablement suivi la propagation de la production capitaliste qui institue les conditions d'expansion des virus.
Dans l'article, il y a tout une partie (intitulée "Histoire et étiologie") consacrée au développement d'exemples historiques concrets des liens entre capitalisme et pandémies très utiles pour la démonstration mais que je vais pas reprendre ici.
Il y a l'exemple de l'industrialisation capitaliste en Angleterre (dont les fléaux sont à la fois "l'ombre et le signe avant-coureur") où les monocultures de bétail constituent un environnement propice d'intensification des virus qui produisent 3 pandémies au XVIIIe
Il y a également l'épidémie de peste bovine en Afrique au XIXe introduite par la colonisation et l'impérialisme européen qui montre l'impact désastreux de pratiques agricoles capitalistes sur sa périphérie (sociétés pastorales décimées, famine sans précédent).
En résumé, les fléaux ont provoqué des crises agricoles périodiques qui ont contribué à l'expansion géographique du capitalisme, alors même qu'ils trouvent leur origine dans le centre capitaliste.
Mais le prolétariat industriel est aussi touché par ces fléaux.
Les "colonies prolétariennes" qui entourent les centres de production industrielle capitaliste (comme Wuhan) sont caractérisées par des conditions de vie qui induisent le déclin de la santé de la population, vecteur de la propagation des fléaux du capitalisme.
Le cas du coronavirus peut ainsi être rapproché de celui de la grippe espagnole dont le taux élevé de mortalité était probablement dû à la malnutrition généralisée, la surpopulation urbaine.
Pour la grippe, les conditions de vie insalubres dans les zones touchées ont encouragé la propagation et la culture de la surinfection virale et bactérienne. Les conditions sociales agissent donc dans le sens d'un renforcement du virus, qui touche ici surtout le prolétariat.
Donc en réalité, l'épidémie du coronavirus est similaire a d'autres crises de santé publique. Et ces crises ont "tendance à se produire avec la même régularité que les crises économiques".
En plus, leurs "schémas de récurrence chaotiques et cycliques sont rendus plus probables par une série de contradictions structurelles intégrées dans la nature de la production et de la vie prolétarienne sous le capitalisme".
Le coronavirus a pu s'installer et se propager rapidement grâce à une dégradation générale des soins de santé de base dans l'ensemble de la population chinoise.
Il faut donc remettre en perspective le virus avec l'évolution récente du système de santé chinois.
Avec l’intégration du pays au système capitaliste mondial, le système de santé socialiste a commencé à être démantelé d'où la disparition des pratiques de vaccinations, la moindre diffusion des pratiques sanitaires, de l'information sur la nutrition,
l'accès restreint aux médicaments rudimentaires gratuits, la fin des "médecins aux pieds nus". Ainsi, la fièvre de l'escargot qui avait été essentiellement éradiquée est revenue en force une fois que le système de santé socialiste a été démantelé.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que COVID-19 se soit imposé si facilement. Si l'on ajoute à cela le fait que de nouvelles maladies transmissibles apparaissent en Chine au rythme d’1 tous les 1-2 ans, les conditions semblent réunies pour les épidémies se poursuivent.
Donc comme dans le cas de la grippe espagnole, "les conditions de santé publique mauvaises au sein de la population prolétarienne ont permis au virus de prendre pied et, à partir de là, de se propager rapidement".
En bons marxistes, on sait qu'il ne faut pas seulement s'intéresser à la sphère de la distribution/propagation mais aussi et surtout à la sphère de la production, ici du virus.
Et là, on va battre en brèche les lectures culturalistes/orientalistes et racistes des origines du virus qui se focalisent sur la consommation d'animaux sauvages, sales et étranges (chauve-souris, serpents).
(C'est dans la partie très bien intitulée "Il n'y a pas de région sauvage")
Pourquoi il y a des consommateurs d'animaux 'sauvages' ? Selon l'article, la demande de viande s'est reportée sur le gibier sauvage (vendu sur les 'marchés humides') du fait de la diminution de la disponibilité/sécurité de la viande de porc suite à l'épidémie porcine africaine.
Et, cette demande accrue de cadavres d’animaux sauvages pour la consommation ou l’usage médical s'inscrit dans des chaînes mondiales de marchandises.
Donc la voie par laquelle le capitalisme contribue à la gestation/déclenchement d'épidémies est "indirecte" par l'expansion/extraction capitalistes dans l’arrière-pays où des virus sont récoltés via les animaux sauvages et distribués le long des circuits du capital mondial
Et là on touche un point très important qui est qu'il existe pas de sphère "naturelle" qui ne soit subsumée sous le système capitaliste mondial. Les zones sauvages sont dépendantes de leur insertion dans les chaînes de valeur mondiales.
Ces chaînes de valeur sont les véhicules et les vecteurs de la transformation de souches virales sauvages en pandémies mondiales.
Donc le discours autour de la maladie comme "catastrophe naturelle, au mieux aléatoire, au pire imputable aux pratiques culturelles impures des populations pauvres vivant dans les forêts" est largement erroné.
L'article mobilise les exemples de deux grandes épidémies, en 2013-2016 en Afrique de l’Ouest et 2018 avec le virus Ebola.
Ces épisodes se produisent au moment où l’expansion des industries primaires a déplacé les populations forestières et perturbé les écosystèmes locaux.
Selon le biologiste Robert G. Wallace, “chaque épidémie d’Ebola semble liée à des changements d’utilisation des terres dus au capital". Par exemple, la vente d'étendues de terre à des conglomérats agroalimentaires (en Guinée en 2013),
les monocultures de l'industrie de l'huile de palme qui attirent les chauve-souris (réservoirs du virus), la dépossession des habitants de la forêt dont les terres sont vendues à des entreprises ce qui perturbe leurs formes locales de production et de récolte
d'où un report sur la chasse au gibier sauvage et la vente sur les marchés [les mêmes populations qui sont réprimées et à qui on impute des comportements anti-écologiques]
Après la démonstration sur l'origine et la propagation du virus, l'article s'intéresse à la gestion politique de la pandémie.
C'est centré sur le cas chinois, mais ça donne des pistes pour penser la situation européenne/française.
Le confinement offre un "aperçu réel de la capacité répressive de l'Etat chinois, mais souligne également l’incapacité profonde de cet État, révélée par sa nécessité de s’appuyer si fortement sur une combinaison de mesures de propagande totale".
Ce moment donne une idée de la manière dont la classe dirigeante (c'est transposable à d'autres pays) pourrait réagir à une insurrection/crise qui provoquerait une paralysie similaire.
"La conduite de la répression offre donc une étrange leçon pour ceux qui ont l’esprit de révolution mondiale, puisqu’il s’agit essentiellement d’une répétition de la réaction de l’État".
En plus, la tension causée par l’épidémie et par la mobilisation de l’État, agit comme révélateur des "profondes fissures qui se cachent derrière le portrait de papier mince que le gouvernement brosse de lui-même".
L'épidémie génère une réflexion critique sur l'action de l'Etat et plus fondamentalement un "choc dans la vie quotidienne sous le capitalisme" qui initie un "moment d'autoréflexion précaire".
L'article rapproche l'expérience subjective du confinement à celle d'une "grève de masse qui, dans son caractère non spontané et son hyper-atomatisation involontaire, illustre les énigmes fondamentales de notre présent politique étranglé par les contradictions de l'époque".
"La quarantaine est donc comme une grève vidée de ses caractéristiques communes mais néanmoins capable de provoquer un choc profond à la fois sur le plan psychique et économique".
Les conclusions de l'article :
- tirer les leçons de la crise : "la destruction causée par une accumulation sans fin s’est étendue à la fois vers le haut dans le système climatique mondial et vers le bas dans les substrats microbiologiques"
- armer la critique du capitalisme pour préparer la suite : "le seul communisme digne de ce nom est celui qui inclut le potentiel d’un naturalisme pleinement politisé"
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