Thread by @M_Panneau

J’ai vu passer quelques demandes sur les définitions entre restauration et reconstruction ? Quelles différences ? Que dit la Charte de Venise ? Un fil basé sur les travaux, entre autres, de J.-P. Marchand, Philosophe et spécialiste d’Architecture et de Riegl. ⤵️

Je l’ai eu comme professeur lors de mon année à l’École d’Architecture de Strasbourg (ENSAS), il intervient toujours dans le Master II Architecture et Archéologie de Strasbourg. strasbourg.archi.fr/master/archite…

Tout d’abord au sujet de #NotreDame, il ne s’agit pas d’une reconstruction mais bien d’une restauration. On la restaure à son état antérieur à l’incendie. Restaurer c’est remettre en état en essayant de respecter l'aspect primitif, le style.

Dans la notion de reconstruction sous-tend l’idée d’une remise à plat, d’un nouveau plan, d’une nouvelle construction en faisant fi des principes antérieurs, et sur un bâtiment classé, il ne peut en être question…

Donc restaurer serait lui redonner l’état perdu ? hmm pas tout à fait… La notion actuelle de la restauration n’a pas toujours été la même depuis le 19e s.

En 1830, est créée l’Inspection générale des monuments historiques par François Guizot, ministre de l’intérieur. A sa tête Ludovic Vitet, est rapidement remplacé par Prosper Mérimée...

... dont l’une des premières missions est de faire dresser la liste des monuments les plus anciens et les plus importants sur le territoire. Il nomme Eugène Viollet-le-Duc à la tête des grands chantiers de restaurations.

Mais qu’entend-on à cette époque par restauration ? Voyons les positions de trois architectes et historiens, Viollet-le-Duc donc, Camillo Boïto et Aloïs Riegl, tous trois contemporains et qui ont largement œuvré pour apporter une réponse.

Viollet-le-Duc avait une conception, comment dire… bien à lui, de la restauration…

On voit tout de suite la tonalité du propos et le ton du bonhomme, « Écoute moi bien, le monde se divise en deux catégories : ceux qui construisent une flèche comme au Moyen Age, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ! »

Viollet-le-Duc prône l’idée d’une recherche « archéologique » d’une vérité pour composer la restauration. L’idée était bonne mais la mise en œuvre viollet-le-ducienne fut quelque peu différente...

Camillo Boïto, architecte italien, n’est pas d’accord avec Viollet-le-Duc, qui trouve sa conception trop « romantique ». Pour lui, la restauration doit être d'abord et avant tout pensée en tant que conservation, un geste technique, une action de transmission.

Alois Riegl enfin, est un historien de l’art autrichien, il a une vision très germanique et un peu plus complexe sur la restauration qui pour lui ne peut se faire que sur la valeur de commémoration intentionnelle du monument …

Riegl, voit dans le monument trois valeurs. La valeur de vieillissement, pour qui il préconise le laisser être, et aux yeux de la valeur de vieillissement, la restauration est un crime aussi grave que celui de destruction.

La seconde valeur est historique et préconise de la conserver en l’état, c’est avant tout un document, on essaye de le faire durer dans le temps, de figer son état, impossible de le restaurer.

Enfin, la dernière valeur est celle de commémoration intentionnelle pour qui il préconise la restauration. Tout monument restauré perd irrémédiablement ses deux premières valeurs pour devenir un monument intentionnel...

Un véritable changement s'opère dans les années 60. A cette époque nait la prise de conscience politique de la préservation d’un patrimoine historique non pas seulement monumental mais aussi plus modeste urbain ou rural, religieux, civil ou militaire.

Ces années sont marquées par de nouvelles directives en faveur de la protection et de la restauration du patrimoine bâti, la Loi Malraux et les secteurs sauvegardés en aout 1962 en France et la Charte de Venise en 1964 au niveau international.

Cette charte est avant tout une volonté pour les architectes du patrimoine, de disposer d’un document commun pour la préservation et la conservationa des monuments. Elle préconise en quelques pages plusieurs concepts dont certains évoqués précédemment (art.9 à 13).

Art. 9 : La restauration doit rester exceptionnelle et doit se fonder sur le respect de la substance ancienne et des documents authentiques.
Toujours dans le même article, l’obligation d’une étude archéologique et historique du monument avant restauration.

L’article 11 rappelle que nul n’est prophète en son pays et que l’architecte ne peut être seul juge de ce qui doit être supprimé ou restauré …
Et l’article 12 rappelle l’idée d’une distinction entre l'original ou l’antérieur et la restauration, une idée chère à Camillo Boïto

Finalement, en relisant la charte de Venise, beaucoup de questions qui se posent actuellement pour #NotreDame trouvent leur réponse dans ce document que je vous invite à lire encore une fois.
icomos.org/charters/venic…

Camillo Boito : catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb4…
Alois Riegl : catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb4…
E. Viollet-le-Duc : catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb3…