Thread by @alexiskarklins

Ce début de Ramadan est l’occasion d’évoquer l’un des plus grands penseurs de l’histoire arabo-musulmane et père de la sociologie, Ibn Khaldoun.

#Thread 1/

2/ Né à Tunis en 1332 et mort au Caire en 1406, Ibn Khaldoun est considéré par beaucoup comme le père de la sociologie. Grand voyageur, observateur à la curiosité insatiable, il se nourrit des cultures grecques, romaines, hébraïques, perses, byzantines ou encore berbères.

3/ Dans son ouvrage le plus connu paru en 1377, Les Prolégomènes - Al-Muqaddima (aussi connu sous le nom d’Introduction à l’Histoire Universelle), il s’intéresse à de nombreux sujets, y compris économiques.

4/ Parmi les analyses passionnantes qu’il délivre, son texte sur l’impôt mérite une attention particulière tant ses observations semblent actuelles. Au départ, Ibn Khaldoun cherche à comprendre la dynamique des dynasties et des Etats.

5/ Pour lui, cette dynamique est conditionnée par la fiscalité. "Au début de leur histoire, écrit-il, les Etats tirent de gros revenus d’impositions nombreuses alors qu’à la fin, l’assiette de l’impôt est importante, mais rapporte peu" . Il distingue ainsi trois phases.

6/ Dans un premier temps, les taxes restent peu élevées : "la dîme est basse, celle des grains et des troupeaux n’est pas lourde et il en va de même pour la capitation ou la contribution foncière".

7/ Les souverains conservent une certaine modestie et les Etats respectent la propriété d’autrui. Aussi, poursuit Ibn Khaldoun, "les impôts individuels, dont l’ensemble constitue la recette fiscale, sont-ils légers."

8/ "De la sorte, les contribuables sont énergiques et actifs dans leurs entreprises : ils cultivent davantage de terres, ce qui accroît le nombre des contributions foncières et, par suite, l’ensemble du revenu fiscal".

9/ Vient alors un deuxième temps, lorsque l’Etat s’est renforcé. Ibn Khaldoun relève que les souverains rivalisent d’astuce pour augmenter les recettes et financer leurs besoins croissants : "Noyés dans le bien-être et le luxe, leurs habitudes et leurs besoins se diversifient".

10/ "(…) ils augmentent alors les impôts individuels sur les sujets, les paysans, les fermiers et les autres contribuables". Puisqu’il leur faut obtenir un accroissement du revenu de l’Etat, ils frappent de droits le commerce et disposent des douanes aux portes des cités.

11/ Ainsi, les impôts augmentent régulièrement, proportionnellement à l’accroissement du luxe, des besoins et des dépenses de l’Etat. La conséquence est claire pour l’auteur : "les impôts écrasent et surchargent le peuple. Ils deviennent une obligation et une tradition".

12/ Pis, il est difficile de revenir en arrière parce que, nous dit Ibn Khaldoun, "les augmentations ayant été progressives, nul ne sait exactement quel en est le responsable. Elles sont comme une nécessité coutumière".

13/ Surgit alors dernière phase: "l’impôt dépasse les limites de l’équité, le peuple perd toute disposition pour le développement agricole. Il compare, à son maigre revenu, les dépenses et les impôts de l’Etat et il perd tout espoir. Beaucoup abandonnent la terre".

14/ Les recettes fiscales baissent comme le remarque Ibn Khaldoun : "Le résultat est une baisse générale du revenu national, conséquence de la diminution des contributions directes". Le déclin de l’Etat est irrémédiable.

15/ Bien sûr, observe-t-il, l’administration fiscale augmente le taux des impôts jusqu’au moment où la limite du possible est atteinte. Mais alors, "le revenu national continue à décroître et les impôts à augmenter".

16/ Ibn Khaldoun conclut avec un propos qui préfigure les fameux "les hauts taux tuent les totaux" de Barthélemy Laffemas, conseiller du roi Henri IV, mais aussi le célèbre "trop d’impôt tue l’impôt" de l’économiste américain Arthur Laffer.

17/ Il écrit ainsi "que le meilleur moyen de développer l’agriculture, c’est de diminuer le plus possible les impôts sur les cultivateurs. De cette façon, ceux-ci auront l’esprit d’entreprise, parce qu’ils seront mus par l’espoir du profit".

18/ On le voit, les débats fiscaux dans les démocraties occidentales du 21e siècle rappellent certains débats dans le monde arabo-musulman du 14e siècle !

#FIN