Thread by @CedricMas

Le 20 juin 1940 va se dérouler l’une des séquences les plus tragi-comiques de la guerre, qui va donner l’occasion au soldat français de montrer qu’il pouvait être à la hauteur lorsqu’il était bien commandé.
Et de montrer aussi qu'une opération militaire, ça se prépare.
#Thread

2/ Lorsque Mussolini a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne et à la France le 10 juin 1940, il s’agissait avant tout pour lui de gagner le droit de participer aux négociations de paix et de récolter les fruits de son alliance avec Hitler.

3/ Car en réalité son armée n’était PAS DU TOUT prête à la guerre.
L’équipement est dépassé, comme le commandement.
Et le matériel moderne en était encore au stade de la planche à dessin.
D’ailleurs, il était convenu avec Hitler que la guerre était pour 1943, pas avant.

4/ Donc voilà que l’Italie est en guerre.
Mais pas trop.
Ordre est donné de rester sur la défensive partout (sauf en Ethiopie), histoire d’attendre que les allemands fassent le boulot et qu’on puisse négocier.

5/ Donc sur le front des Alpes, l’armée italienne se déploit trannquiiiiiiiiilllleeeeeemeeeent, appliquant l’adage « Chi va piano, va sano ».

6/ On se contente de quelques escarmouches sur les sommets, de tirs d'artillerie peu précis et de bombardements aériens peu efficaces.

7/ Les Italiens mettent en ligne une immense armée : deux armées en fait (1ère et 4ème), avec 52 divisions renforcées dont 8 d’infanterie de Montagnte, 4 alpines, 2 motorisées et même 1 division blindée.

8/ En face des Italiens, il y a l’Armée des Alpes, commandée par le général Olry. Elle est réduite à 3 divisions de série B mais aussi 4 secteurs fortifiés.

9/ Donc environ 350000 Italiens face à 120000 français.
La disproportion n’est pas si grande, car les Français tiennent des fortifications bien construites, et surtout comptent des troupes alpines surentrainées et motivées pour venger leur pays de ce coup dans le dos des Italiens

10/ Il y a notamment les SES, les Sections d’Eclaireurs Skieurs, petits détachements de combat en très haute montagne de jeunes soldats sportifs et dynamiques, qui vont tenir le front à 1 contre 1000.
J’y reviendrai dans un autre #Thread

11/ Donc le 10 juin, la guerre est déclarée (le 11 juin à 0 heures exactement) mais rien ne bouge à part quelques escarmouches.
L’offensive allemande en France bat son plein. Et Mussolini trépigne d’impatience d’obtenir lui aussi une victoire sur une armée affaiblie.

12/ Dès le 11 juin, il réclame que l’on étudie un plan d’offensive dans les Alpes « au cas où ».
L’état-major italien se hâte lentement et conçoit un plan d’offensive complexe et lourd le 12.
Il est modifié le lendemain.

13/ Sauf que l’effondrement de la France s’accélère. Les Allemands prennent Paris le 14 juin.
Mussolini convoque le 15 juin le chef d‘état-major italien, le Maréchal Badoglio, et lui ordonne d’attaquer dans les Alpes le 18 juin.

14/ Badoglio répond que ce n’est pas possible, qu’il faut un délai plus long pour installer l’artillerie et préparer l’avance de colonne à travers les Alpes.

15/ Mussolini refuse catégoriquement : vue la situation des français en plein effondrement, « il n’est pas nécessaire de perdre du temps à avancer l’artillerie ».
Badoglio cède et transmet l’ordre : offensive le 18.
Branle-bas de combat dans les Alpes.

16/ Le 16 juin, branle-bas de combat dans les états-majors. Il faut d’urgence trouver un plan d’attaque dans chaque secteur et préparer les ordres. On ressort des études antérieures à la guerre.

17/ Sauf qu’au même moment, le gouvernement Daladier tombe et Pétain est chargé de former un gouvernement, et de demander les conditions d’un armistice aux Allemands, le 17 juin au matin. Rome est informée alors que les forces italiennes entament des coups de sonde.

18/ Ce même matin du 17, Mussolini convoque à nouveau Badoglio pour lui demander si l’attaque ne peut pas être lancée tout de suite au lieu du lendemain, pour permettre de peser sur les négociations en cours.
Problème : les Français n'ont pas l'air de vouloir reculer.

19/ Juste après la réunion, alors que Badoglio envoie l’ordre « lancer l’attaque tout de suite », Mussolini reçoit l’information qu’un armistice va être négocié.
A 13h30 (12h30 heure française), Pétain tient son funeste discours.
L’état-major à Rome s’affole. Il FAUT attaquer !

20/ Puis soudain, changement complet.
Les Français lancent les négociations et Hitler invite Mussolini le lendemain à en discuter en Bavière.
A 18h18, l’ordre est donné de suspendre les opérations d’une offensive qui n’a pas commencé (sic).

21/ Le 18 juin, Hitler et Mussolini se rencontrent en Bavière.
Pendant ce temps, les militaires dans les Alpes s’organisent pour imposer à Rome que toute offensive ne puisse être lancée avec au moins de 23 juin.
Le message est bref mais clair : « pas une heure avant le 23 ».

22/ Mussolini revient dépité de Bavière. La concertation a abouti à une absence de concertation.
L'Allemagne signera sans inclure l'Italie. Il faut donc combattre. L’état-major lui explique alors qu’on va commencer par la reprise de la PREPARATION de l’offensive, fixée au 23 juin

23/ Sauf que le 19 juin au soir, les Allemands entrent dans Lyon, déclarée ville ouverte.
Nouveau drama du Duce.
IL VEUT QU’ON ATTAQUE TOUT DE SUITE (je résume et traduis l’idée principale).

24/ Badoglio et Roatta ne peuvent rien.
Ordre est donné dans la nuit du 19 au 20 juin, de reprendre les « petites » actions offensives mais « avec la plus grande détermination et avec le plus grand courage » (texte réel).

25/ Évidemment dans les états-majors des armées sur le front, on demande des précisions. Qu’est-ce qu’on entend par « petites opérations offensives » ? On se met d’accord, après négociation, sur des petites opérations de rectification de la ligne de front.

26/ Et on reste d’accord que l’offensive générale sera vraiment lancée le 23 juin.
Les escarmouches continuent donc le 18 juin, les Français résistant toujours vigoureusement à toute « rectification » de la ligne de front.

27/ Sauf que les Allemands continuent à avancer. Et Mussolini n’est pas content. Il convoque Badoglio le 20 juin à 15h et lui donne l’ordre de passer à l’offensive du St Bernard à la mer pour le lendemain matin.
LE LENDEMAIN MATIN.

28/ Badoglio tente à nouveau d’expliquer que ça ne se fait pas comme ça. Que c’est matériellement impossible. Mussolini rétorque : « Je ne veux pas subir la honte de voir les Alllemands arriver à Nice avant nous ». #truestory

29/ Badoglio ne peut que se soumettre et ordonner de lancer les 3 offensives prévues pour le 23/06 (opérations « B », « M » et « R ») le 21/06.
Après un appel à 17h45 le 20/06, l’ordre écrit est reçu à 19h pour effet le matin suivant.
Les officiers d’état-major sont comme ça⤵️

30/ Et c’est ainsi que le 21 juin au matin, tout le front des Alpes s’est embrasé.
Evidemment, une opération offensive sur terrain difficile lancée dans ces conditions ne pouvait pas réussir.
Surtout face à des français surmotivés.

31/ Et cette offensive non préparée va durer du 21 au 24 juin et ne déboucher sur RIEN.
Le bilan est lourd : 642 morts, 2631 blessés, 616 disparus et 2151 cas d’engelures côté italien, et 37 morts, 62 blessés, 150 disparus et 155 prisonniers côté français.

32/ L'armistice entre la France et l'Italie entre finalement en vigueur le 25 juin à 1h35 du matin (0h35 heure française).
Sous la contrainte des allemands, l'armée des Alpes victorieuses doit céder, la mort dans l'âme.

33/ Nous avons donc une offensive de 300000 hommes décidée le 15 pour le 18, reportée au 23 (le 17), puis avancée le 20 au 21.
Rien ne pouvait aboutir dans ces conditions, à part des pertes en vies humaines inutiles.
Mais le fascisme ne se préoccupe pas de la vie.
Fin #Thread

25 divisions et non 52 !

34/ J'ajoute une carte pour permettre de visualiser les 3 offensives lancées le 21 juin 1940 par l'Italie.
Opération B (pour St Bernard), M (pour Maurienne) et R (pour Riviera).
Les opérations M et R devaient se rejoindre après deux percées concentriques, sur Marseille (sic).

Gouvernement de Paul Reynaud et non de Daladier