#threadagri : Beaucoup ont raconté ici (et avec talent ) le parcours qui les a menés à devenir agriculteur, ou vétérinaire.

Et bien moi je vais vous raconter comment je ne SUIS PAS devenu agriculteur ! #mylife

Commençons par le début, ce sera plus simple.
Père, son chapeau de cow-boy vissé sur la tête, s’est installé dans la loire (42 pour les ignorants, mais je vous pardonne pour cette fois), au nord de Roanne en 1987.
Auparavant, il avait été successivement :
-Installé en GAEC avec ses frères et son père sur la ferme familiale en Saône-et-Loire :bon, le travail en famille, c’est parfois le meilleur moyen de se brouiller avec tout le monde. Ça n'a pas duré très longtemps.
-Ouvrier agricole en côte d’or dans une exploitation céréalière, puis dans l’allier sur une ferme en polyculture-élevage. Il s’occupait notamment des cochons.
En 1987, son patron décide de bazarder veaux, vaches, cochons, et de ne plus faire que des céréales : ça lui permet au passage d’économiser l’ouvrier.
Coup de bol, la même année, une ferme de 45 hectares est à reprendre dans la Loire, sur la commune d’origine de Mère, c’est le bon moment pour s’installer, et le bon endroit aussi.
Détail : c’est une installation en fermage, il loue les terres mais n’en est pas propriétaire. Il est propriétaire de tout le reste (du bétail au matériel), mais il est -nous sommes- locataires.
Il prend l’idée de se lancer dans l’élevage de vaches charolaises, ce qui est assez classique dans la région, mais aussi de brebis, et ça c’est plus original.
Le voilà donc à la tête d’un troupeau de 38 vaches charolaises, 1 vache laitière (Père n’a jamais acheté de lait de toute sa vie d’actif, on se sert à la source et le lait entier, faut pas oublier de le faire bouillir), et ….
.... 350 moutons, tous aussi débiles les uns que les autres, à croire que l’évolution n’avait plus d’intelligence à mettre là-dedans.

J’admets que fait d’avoir passé (en cumulé) des jours entiers à courir après, à boucher les trous qu’ils faisaient dans les barricades, à ....
... les changer de pré, à les attraper pour les tondre/les soigner, et les innombrables coups de têtes que j’ai reçu ont peut-être altéré mon jugement sur ces bestioles.
J’ai aussi découvert très jeune que si tu te trouves sur leur passage, ils te passent tous dessus. Zéro empathie je vous dis.
Bref, il s’installe à la ferme, (sans aides: il n’est plus jeune agriculteur, il ne rentre dans aucune case,il doit donc tout emprunter,et sur longtemps)
Quelques mois avant d’arriver, l’écurie brûle. Il ne reste rien. Allez, boum, on reconstruit un nouveau bâtiment. re-emprunt.
Détail au passage : la maison d’habitation a 200 ans, et les derniers travaux remontent aux années 30. Il faut tout refaire dedans, à commencer par installer une salle de bains et des toilettes, parce qu’on a beau être de la campagne, ça fait faute quand on n’en a pas.
Donc à temps perdu, il retape la baraque, mes frères et moi ayant au départ la seule chambre isolée de la maison, qui prend quand même vachement l’humidité.

On est gamins, on s'en rend pas vraiment compte et s'en fout: il y a plein d'arbres dehors pour faire des cabanes
Beaucoup de travaux plus tard, la maison est saine, mais quand il pleut trop fort, l’eau rentre sous les fenêtres, des rats remontent de la cave et bouffent ce qu’il y a dans les placards. Non je déconne!

C’était des souris.
Le début se passe pas trop mal. Et nous étions jeunes, donc avec une perception lointaine de ces problèmes d’adulte.
J’entends parler du GATT, de la PAC, des subventions, du Crédit Agricole, de la compta à faire et des éponges à poser aux brebis.
Ah, et j’apprends vite aussi que « je ne sais pas quoi faire» est une phrase à ne jamais prononcer sous peine de voir s’ouvrir les portes de l’enfer parce que ça tombe bien, il y a 3 kilomètres de clôture à refaire ou des biberons à donner aux agneaux.
Au fil du temps, je comprends qu’il ya un léger soucis : je vois Père&Mère bosser comme des ouf, et je vois pas d’argent à dépenser. Bizarre bizarre, Mère trouve même du travail à l’extérieur.
Dans la décennie 90-2000, le cours de la viande d’agneau s’effondre, la concurrence néo-zélandaise est très vive et du coup, la ferme ne dégage presque aucun revenu. Voir un revenu négatif, ça c'est quelque chose que seule l'agriculture sait faire.
Philosophe, père disait : « Selon les années, c’est les moutons qui perdent de l’argent, mais parfois, c’est les vaches qui n’en gagnent pas »
Mon désamour pour ces bestioles-là, pour ce mode de vie et de ses conséquences sur la vie de famille s’accroît fortement à cette époque-là.
Au fil des années , plusieurs épizooties sont à dénombrer : fièvre catarrhale ovine, vache folle, brucellose. Heureusement, l’élevage est indemne à chaque fois, mais plusieurs cheptels sont abattus dans le canton, c’est un véritable traumatisme à chaque fois.
#funfact : pour la brucellose, on teste les moutons, les vaches, mais aussi… le chien. Si une vache est touchée, on abat tout, y compris le pti chien .
Père cassera malencontreusement le flacon contenant l’analyse du chien en le faisant tomber par terre , ah là là, pas de bol.
L’épisode de vache folle, ça a été aussi assez fun à vivre. (non)
Bref, pas de sous, pas de perspective, des journées interminables, épuisement physique, moral , Père est à deux doigts du burn-out voire pire quand le conseiller du bon sens près de chez vous lui donne le seul conseil valable :
Déposer le bilan,se mettre en faillite et tout abandonner.

Là, niveau envie de reprendre la ferme, je suis proche du zéro absolu. Jamais je ne veux revivre ça, j’ai envie de partir, loin, de voyager, et d’aller voir ailleurs si j’y étais.
Et ben du coup,oui, j’y étais !
Mais père est têtu. (Et un peu orgueilleux aussi), ce n’est pas parce qu’on a plus un radis, qu’on doit de l’argent à tout le monde, que les huissiers connaissent bien le chemin de la maison et que l’avenir est sombre qu’il faut tout voir en noir.
Il se fait aider par une association d’agriculteur, "SOS paysan en détresse", aussi bien pour le soutien moral que pour repenser l’exploitation.
Au passage, il a éclusé quelques gars du village qu’il avait engagé à mi-temps pour venir bosser, mais ils ne restaient jamais très longtemps (Il faut dire que Père est parfois un peu soupe-au-lait)
Bref, le projet mûrit et en 2010 il saute le pas et passe en Bio. Oh, pas forcément pour l’environnement, tout ça, c’est venu après.Non, il passe en bio parce qu’il en avait marre de payer des factures. Et aussi, parce qu’en élevage à l’herbe, c’est assez rapide et facile à faire
Et (enfin !) une bonne nouvelle : le cours de la viande d’agneau, Française, bio, est en pleine ascension : ben oui, tous les éleveurs de mouton ou presque ont disparu à cette époque. Ne restaient que les très très têtus.
Du coup, miracle : la ferme gagne de l’argent !! Et en plus; à la même période, mes frangins et moi n’étions plus à charge (faut dire que je coûte cher à nourrir), du coup, bien moins de frais : ouf, ils respirent.
De mon côté, j’ai entamé des études de langues étrangère, puis de gestion, avec à la fin un master en commerce international.
On est loin de la ferme, là. En Espagne, en Italie, rien d’agricole. Mais attention : le premier qui me lance sur le sujet de l’agriculture, je le saoule de paroles façon dîner de cons, on m’arrête plus.
Je commence à travailler dans une entreprise qui fait de l’importation de produits chimiques chinois en Europe, et je découvre que les vitamines, l’acide citrique sont pratiquement tous produits en Chine :
Si vous avez du E330 ou du E300 dans votre plat cuisiné ou votre sirop, dites-vous qu’il a probablement plus voyagé que vous.
J’ai aussi importé beaucoup de chlore pour les produits piscine et pour les produits ménagers. D’ailleurs, #lesachieztu, les pastilles (pour lave-vaisselle, la lessive ou le chlore) ont étés inventés à côté de Saint-Etienne dans la Loire hé ouais 42 représent’
Et je tombe un jour sur une annonce : on recherche pour le bureau régional d’une union de coopérative agricole, quelqu’un pour faire l’intermédiaire entre les coop et l’union, et pour faire de l’export de céréales sur l’Italie.
Tiens je me dis, ce serait marrant de revenir dans l’agricole, et après tout ça reste du commerce International. Et puis je suis du coin, je parle Italien, et….
... Mes parents sont paysans, ce qui est un très bon point selon le big boss qui me reçoit. « ah ben pour une fois que ça va me servir à quelque chose !!! »
On parle élevage, céréales, rendements, évolution de l’agriculture. Il conclue en disant « Je vois que vous n’êtes pas ingénieur agricole, ce qui est regrettable. Mais je vais peut-être vous engager quand même »
Je suis donc sorti du bureau en faisant 3 génuflexions et sans le regarder dans les yeux, comme il se doit.
Me voilà donc chez @InvivoGroup en 2006, juste avant que les marchés agricoles ne se mettent à faire les montagnes Russes, ce fut très formateur.
J’y ai croisé des gens exceptionnels, et aussi des gens un peu moins sympathiques, mais ça c’est la vie de toute entreprise.
J’ai beaucoup appris , bisou @imptom03
Me voilà donc revenu dans l’agricole, mais de l’autre côté !
Je travaille avec les coopératives du quart sud –est de la France ( bourgogne Franche-Comté incluse ), je découvre l’incroyable diversité de l’agriculture, les plaines du chatillonais,les alpilles , la bresse, la Limagne, les bateaux sur la Saône et le Rhône...
l’époisses et les flux de céréales.

Un jour je vais dans une coopérative du Charolais avec mon Boss, et le gars me demande si , je suis du coin, car il en connait plein. Je lui dis oui, mon père fait des moutons et…
« Ah ! Oui. Je vois qui c’est. Ben à l’occasion vous lui direz qu’il me paye mes factures ». Ambiance.
Bref c’est un boulot passionnant, on fait aussi des formations aux agris des coop sur le Matif, sur les marchés, on découvre en direct que le blé peut aller très haut et faire le chemin inverse tout aussi vite, on apprend la modestie aussi
J’y reste 5 ans. Un jour, je reçois un coup de fil de quelqu’un qui me propose de travailler avec lui, dans la coop de l’Allier. Je connais cette coop, rappelez-vous il y 548464 tweets je vous ai dit que mon père avait été ouvrier agricole dans l’allier.
Nous habitions a 8 km de la coop, et son employeur, ancien prof d’agronomie, était assez connu puisqu’il avait eu à peu près tous les agris du secteur en cours.
Donc je connais le coin, j’adore y aller, ça me rappelle l’époque de l’enfance insouciante. J'adore ce défi, et ça me permet de le rapprocher de la région d'origine, ce qui n'est pas négligeable.
J’accepte la proposition, mais j’ai oublié de demander combien c’était payé.
C’est con d’être aussi impulsif. Bon du coup, on s’est mis d’accord quand même.
Et me voilà donc depuis 2011, en charge de la partie céréales : acheter les céréales des adhérents, les revendre aux clients, faire les arbitrages sur le marché à terme, surveiller l’exécution des contrats, trouver des filières pour pouvoir payer plus cher....
... surveiller aussi le résultat de cette partie de la coop, répartir la collecte à la moisson, faire vider un silo plutot qu'un autre, non monsieur il n'y a pas d'insecte dans le blé que je vous ai livré c'est faux ; les journées sont bien remplies et on ne s’ennuie pas.
#funfact : mon père était adhérent de cette coop.
Aujourd’hui après 10 ans où il aura pu vivre correctement de sa passion, et essayé de faire pousser tout et n'importe quoi (ça mériterait un #thread a lui tout seul) il exerce un métier tout aussi passionnant : heureux retraité.
Voilà comment je suis revenu dans l’agricole. Pas dans une ferme, mais dans plein de fermes à la fois finalement.
Je travaille dans l’agriculture, pour les agriculteurs, et je constate tous les jours à quel point l’agriculture change, bouge, évolue, je vois des belles réussites, de gros échecs aussi, on apprend, à chaque fois.
Et j’ai surtout découvert un truc : on n’échappe jamais vraiment à ses racines.
Je précise que jusque-là, elle exerçait le merveilleux métier de "femme d'agriculteur". Le concept est très simple:
-Tu bosses tout pareil que ton agriculteur de mari
-Tu t'occupes de la maison, des enfants, de l'administratif de la ferme aussi.

Et t'es pas payée du tout.
Les candidates ne se bousculent pas, autant le préciser.
Le statut de "conjoint collaborateur" à été créé en 1999,il ouvre le droit notamment à une protection sociale

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