Thread by @JZefka

1/Je pense que vous mésinterprétez l'enjeu du moment. D'abord un aveu : dans la France des années 70-80, j'aurais sans doute eu la même réaction que vous : "la république en danger parce qu'un juif ou un musulman rigoristes refusent de serrer la main d'une femme, quelle farce !"

https://twitter.com/noemie_issan/status/1352240310026465280

2/J'irais plus loin encore : s'il y avait en France un nombre stable de Musulmans, comparable à celui des Juifs, et parmi eux, une proportion à peu près stable de rigoristes, les discussions du moment m'apparaîtraient peut-être comme à vous oiseuses, peut-être malsaines.

3/Mais nous ne sommes plus dans la France des années 70-80. Pour des raisons qui tiennent à l'immigration, à la démographie et au prosélytisme, la part de la population musulmane en Europe est en expansion spectaculaire (cf. les livres de Leschi et de Fourquet) depuis 40 ans.

4/Et, dans cette population musulmane, à côté de milliers de cas d'intégration exemplaire, la part de l'intégrisme est également en progression constante (cf. les livres de Kepel, de Micheron, de Vermeren...). Autrement dit, des pans entiers de la société s'islamisent.

5/(Au passage, quand vous évoquez la "construction" occidentale de la figure de l'islamiste, il me semble que vous cédez trop facilement à une grille de lecture saïdienne, dont raffolent certains sociologues indigénistes - tels Liogier et Guénif. Déni de réalité, à mon sens.)

6/En tout cas, s'indigner des crispations actuelles autour de la laïcité à partir d'une conception procédurale de la démocratie, dans un horizon multiculturaliste ("let people be different") et dégainer l'argument du paternalisme colonial, me semble une erreur.

7/Je sais bien que des racistes et des xénophobes sont en embuscade, qui rêvent de guerre civile ou de "remigration" (euphémisme infect). Néanmoins, nombreux sont ceux qui refusent d'être acculés, dans trente ans, à l'alternative entre la barbarie nationaliste et l'islamisme.

8/Inversement, quand on parle des progrès de l'islamisation en France, on se heurte à trois types d'objection : a/le déni ("vous fantasmez") b/la dédramatisation ("tout va se résoudre par une acculturation tranquille") c/le consentement ("peu me chaut que la France s'islamise").

9/Il me semble qu'il y a un espace politique (peut-être plus pour très longtemps) entre le nationalisme et l'angélisme, et que c'est l'enjeu du moment. Ceux qu'on appelle de manière méprisante les "laïcards" prennent au sérieux l'islamisme en tant que fait social et mondial.

10/Et ces "laïcards" pensent que, pour éviter la guerre civile et préserver l'unité nationale, il convient d'être plus ferme sur des principes qui règlent la vie en commun. Si le voile avait été simplement un choix individuel et minoritaire, il n'y aurait jamais eu d'affaire.

11/Si certains en France haussent le ton en matière de laïcité, c'est parce qu'ils jugent que les mœurs et le modèle civiques français sont menacés et qu'ils méritent d'être défendus. Le terrorisme est, à terme, moins dangereux que la lente imprégnation islamiste du tissu social.

12/Alors, oui, à l'échelle individuelle, le combat pour préserver ce modèle social, ces mœurs, cette culture commune, peut se payer de certaines mesquineries, blessures et vexations qui ne me plaisent pas plus qu'à vous. Il y aura des dommages collatéraux.

13/Jean Daniel (qui n'est pas d'extrême droite) avait écrit qu'il faudrait bientôt choisir entre moderniser l'islam ou islamiser la modernité. Et que ce combat bénéficierait aussi à ceux des musulmans qui épouseraient les valeurs cardinales de la démocratie. On en est là.