Il doit être + d'1h du matin lorsque le téléphone de perm sonne. C'est d'une voix pâteuse et éraillée que je réponds en m'extirpant du lit, pour ne pas réveiller monsieur Sir qui a le sommeil léger. Le compte rendu me fait l'effet d'une douche froide : un mort, et c'est criminel.
La suite les parquetiers la connaissent :bye bye le pyjama tout en appelant le proc pour le prévenir qu'on a 1 fait grave justifiant mon déplacement sur place, 1 peu d'eau froide sur le visage pour dissiper les dernières traces de sommeil, GPS et go pour + de 45 minutes de route.
Pas de pot ce coup ci, c'est loin et il pleut fort. Je vais vite, un peu trop. Arrivée à destination, la brigade des recherches est là ainsi que la brigade territoriale locale. On attend le médecin légiste. Le corps n'a pas été bougé, juste un peu protégé d'une bâche.
La victime est allongée sur la pelouse devant sa maison. Je jette un oeil. Un homme, 45 ans me dit l'OPJ, bon sang je lui en donne 15 de plus. Il est maigre, vraiment émacié. Le décès est récent et la mort ne s'est pas encore saisie du corps. Il a presque l'air de dormir.
Presque car il présente des marques de violences au visage. L'OPJ que je connais depuis des années me demande si ça va, je hoche la tête. Mes bottes à clous pataugent dans les flaques d'eau non loin d'1 homme mort, j'ai froid,je suis trempée, mais pas de place pour la chouinerie.
On est là pour faire un job, et à part les conditions climatiques, j'ai connu pire comme scène de crime, et l'OPJ bien pire encore. La compagne de la victime est là, elle sanglote et est incapable de parler. Je note la lèvre supérieure fendue, et un hématome autour de l'oeil.
C'est un voisin qui a prévenu les gendarmes : il a entendu des éclats de voix, ça l'a réveillé. Il s'est levé et a aperçu deux hommes se disputer devant la maison de ses voisins, Marie et Denis. Il a vaguement, dans le noir et la pluie, reconnu Denis.
Il se faisait hurler dessus par un autre homme, plus grand et très costaud, qui a fini par lui mettre 3 coups de poing au visage. Denis est tombé comme une masse, KO direct. Le grand costaud est parti tout de suite.
On attend depuis plus d'une heure quand le légiste arrive pour faire la levée de corps c'est à dire les premières constatations sur le corps avant que celui ci soit déplacé et emmené. Il confirme ce qu'on sait déjà, décès récent, rien de notable à part ces marques à la face.
Les pompes funèbres prévenues par les gendarmes accomplissent leur ballet macadre et emportent le corps de Denis. Je confirme la saisie de la Brigade des Recherches, à qui je ne donne pas d'instructions particulières, les OPJ savent bien ce qu'ils ont à faire...Et je rentre.
Il est + de 5h quand je pousse la porte de mon chez moi chaud et douillet. Douche brûlante, je grignote un truc, me maquille, cache (un peu) mes cernes... Je m'habille chaudement. 6h, je bois autant de café qu'il va m'être nécessaire pour tenir, je somnole devant les infos & go.
Je suis au bureau tôt. Très vite l'enquête avance. Il est 14h quand Romain, suspect, est interpellé à son domicile et placé en garde-à-vue pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. C'est le fils de Marie, il a 22 ans.
Très vite, il avoue. D'une voix blanche il explique. Sa mère l'a appelé dans la nuit, ivre et pleurant, se plaignant que son compagnon du moment, Denis, l'avait tapée. Romain connaît cette musique par coeur... Et pour raconter cette nuit, il doit d'abord raconter sa mère.
Marie boit depuis aussi longtemps qu'il s'en souvient, et depuis tout aussi longtemps, elle gère mal le casting de ceux qui partagent sa vie. Très tôt Romain a connu la violence de ces compagnons, souvent alcooliques, sur Marie, sur lui, sur les 2...
Très souvent elle les a choisis eux plutôt que lui; il a connu les placements, les taties d'accueil, les week-ends apocalyptiques à voir sa mère se détruire doucement, seule, ou plus vite, à 2. Le petit Romain a grandi, & drôlement, 1,90 mètres m'indique l'OPJ, 1 bloc de muscles.
Il a grandi et s'est souvent interposé entre Marie et ses hommes, cherchant à la protéger, en faisant fuir certains, parfois à coups de poings. Je consulte son casier et pince les lèvres : il est en récidive de violences.Oh la violence il connaît Romain, il l'a même apprivoisée.
Le directeur d'enquête m'indique qu'il fait de la boxe, et à un niveau pas mal du tout. Je repense au témoignage du voisin, "KO direct...". Romain s'est un peu éloigné de sa mère car il a rencontré une jeune femme, ils s'aiment, elle attend un bébé, ils habitent ensemble...
Elle lui a dit que sa mère le tirait plutôt vers le bas... Il a compris que ça n'allait pas s'arranger avec Denis, qui boit, beaucoup, ce qui le rend méchant comme 1 teigne... Il a mis des distances. Quand elle l'a appelé la nuit dernière,Romain lui a dit d'appeler les gendarmes.
Marie a refusé et a sangloté de plus belle. Romain a vu qu'elle n'allait pas bien, elle avait bu, elle avait peur : il a décidé d'aller la chercher, sous le regard désapprobateur de sa compagne... "Mais c'est ma mère, je pouvais pas la laisser", dit-il au gendarme.
Sur place Denis l'a provoqué, l'exhortant à récupérer son "déchet de mère". Le sang au coin des lèvres de Marie... Romain a vu rouge. Il a oublié le sursis au dessus de sa tête pour violences, le juge qui l'a obligé à soigner son impulsivité, ce qu'il fait d'ailleurs.
Il a oublié que Denis tient à peine debout, qu'il est à 3 grammes & fait moins de 50 kg. Il a même oublié l'enfant que sa compagne porte et la vie qui les attend. Il a oublié qu'avec sa force, le moindre coup risquait de faire très mal... Toute sa colère est remontée, il a hurlé.
Denis a ricané comme on ricane quand l'alcool qui vous coule dans les veines vous fait ignorer le danger. Alors Romain a cogné, un coup de poing, 2, un uppercut... KO direct. Sa mère a hurlé, Denis ne bougeait plus... Romain est parti. Il est rentré et a tout dit à sa compagne.
Il savait qu'on allait venir le chercher, il a attendu les gendarmes en espérant que Denis n'était que blessé. Quand il comprend qu'il est mort, il ne pleure pas, il encaisse.
Quand je prolonge sa garde-à-vue c'est d'1 voix désincarnée qu'il me demande ce qu'il risque. La réponse, "15 ans", ne le fait pas frémir. Il est présenté au juge d'instruction & mis en examen. Au vu de ses multiples condamnations pour violences, il est placé en détention.
Je ne requierrai pas contre lui aux assises... Mais on me dira que le banc des parties civiles était vide. La Cour entendra son passé... 5 ans dont 1 an avec sursis. Quelques années plus tard, je recroiserai Romain, en garde-à-vue pour violences conjugales : il avait vu rouge.
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Audience correctionnelle statuant en formation collégiale, j'ai ma tête des mauvais jours... aujourd'hui est présenté un dossier d'abus de faiblesse, et ça, votre petit Sir, ça le met tout chiffon. A la barre, Henri, la moustache sévère, l'air de la vertu outragée...
Sur le banc de la partie civile, un avocat seul, qui représente le tuteur d'Olga, 89 ans. Olga n'est pas là car elle ne comprend plus quel jour on est, ni même quelle année. Elle a été placée sous tutelle lorsque Jeanne, sa voisine, a alerté le maire, & les services sociaux.
Elle trouvait Olga de + en + désorientée, et de + en + seule aussi. Henri, son fils, a 1 à 1 résilié les contrats qu'Olga avait souscrits pour des services à domicile : le jardinier, l'entreprise de portage de repas, la femme de ménage, qu'Olga appelait sa "dame de compagnie"...
Ouaaaaah + de 7000 !! 7000 à lire mes anecdotes, gratouiller virtuellement mes chats, vous moquer de mes pâtes au cookeo...
Donc à mes collègues parquetiers, mes copains juges, enquêteurs, avocats, & les autres ; ceux qui sont du monde du droit, et ceux qu'il intéresse ;
Les gros comptes, les ptits, les ptits comptes qui voudraient devenir gros ; ceux qui me contredisent, ceux qui me chahutent ; ceux qui ont toujours un avis ; ceux que j'adore sans les avoir jamais vus ; ceux avec qui je voudrais ferailler à l'audience ; ceux qui se dévoilent ;
Ceux qui ont plein de questions ; ceux qui follow en silence ; ceux qui manient les GIF comme des rois ; ceux qui toquent doucement en DM pour des avis, des conseils, des larmes ; ceux qui me font rire aux éclats, réfléchir, me remettre en question ;
Hier un de mes plus fidèles compagnons de galère a quitté le tribunal, pour partir à la retraite. J'etais toute jeune substitut et lui était déjà au tribunal depuis longtemps. Il y était rentré comme agent technique, et petit à petit était devenu un maillon indispensable.
Il était greffier (enfin catégorie C, il "faisait fonction" de greffier mais 0 différence) du TTR (la perm pénale), il tutoyait tous les enquêteurs, il connaissait toutes les ficelles.C'est à ses côtés que j'ai appris le métier, que j'ai fait des conneries, bricolé des solutions.
On a vécu les perm de folie, 3 téléphones sonnant non stop; les défèrements à la chaîne; les dossiers à 80 infractions qu'on enregistrait à 2 ("on fait la course?"). Il m'a vue hésiter, gueuler en défèrement, changer d'avis ("ok je vous mets pas à l'écrou, retour à la case JAP").
Aujourd'hui avant de ré attaquer la semaine je vous parle du dossier qui a précipité, il y a quelques années, mon passage du parquet au siège. Les prénoms et circonstances ont été modifiés, évidemment, pour rendre méconnaissable ce dossier.
Je suis substitut de permanence quand l'hôpital m'appelle ce matin là pour me parler de Jules. Jules a un peu moins de deux mois et a été admis hier aux urgences, inconscient. Il présente un hématome sous dural massif, des hémorragies rétiniennes bilatérales (dans les 2 yeux).
Je ne suis pas médecin mais en tant que substitut en charge des mineurs je comprends très vite : Jules présente tous les symptômes d'un bébé qui a été secoué. Le médecin m'indique qu'il ne pense pas, au vu de l'état clinique de Jules, qu'il va s'en remettre.
Aujourd'hui je vais vous parler d'une jeune femme que j'ai connu à l'instruction, quand j'étais juge. Arrivée sur mon nouveau poste j'ai dévoré le plus vite possible les dossiers de mon cabinet où il y avait des détenus. Dans un de mes dossiers de meurtre, j'en avais 2.
1 homme d'à peu près 50 ans suspecté d'avoir tué 1 papi, et Marion, qui gravitait autour. C'était 1 dossier compliqué, 0 témoin direct, 1 scène de crime très mal exploitée, et 1 mis en cause qui niait fermement. Les 2 suspects étaient poly toxicomanes, sans domicile stable...
Et mon prédécesseur avait saisi le JLD, qui les avait placés en détention provisoire le temps que les investigations avancent. Ils avaient vu des experts, psychiatre, psychologue... Et les gendarmes avaient travaillé. Les choses étaient (un peu) plus claires sur lui.
Il y a des années, cabinet d'instruction, jour de confrontation. Dossier de viol dénoncé par une jeune femme contre un ex compagnon. Selon elle il lui a infligé un rapport sexuel d'une grande brutalité pour la "punir" de le quitter. Il nie, depuis le début.
J'ai entendu cette jeune femme, qui était en pleurs, très chamboulée, comme devant les gendarmes auparavant, comme devant l'expert psychologue qui l'a examinée et diagnostiquée comme souffrant d'un sévère "syndrome post traumatique".
Elle a déposé plainte plusieurs mois après les faits allégués, qui auraient eu lieu en extérieur. Le procureur m'a saisie de toute évidence au vu du caractère massif du syndrome post traumatique et son cortège habituel de symptômes, troubles du sommeil, troubles alimentaires...