Thread by @SirYesS25095892

Aujourd'hui je vais vous parler d'une jeune femme que j'ai connu à l'instruction, quand j'étais juge. Arrivée sur mon nouveau poste j'ai dévoré le plus vite possible les dossiers de mon cabinet où il y avait des détenus. Dans un de mes dossiers de meurtre, j'en avais 2.

1 homme d'à peu près 50 ans suspecté d'avoir tué 1 papi, et Marion, qui gravitait autour. C'était 1 dossier compliqué, 0 témoin direct, 1 scène de crime très mal exploitée, et 1 mis en cause qui niait fermement. Les 2 suspects étaient poly toxicomanes, sans domicile stable...

Et mon prédécesseur avait saisi le JLD, qui les avait placés en détention provisoire le temps que les investigations avancent. Ils avaient vu des experts, psychiatre, psychologue... Et les gendarmes avaient travaillé. Les choses étaient (un peu) plus claires sur lui.

Elle ressortait comme un témoin
proche des faits, qui avait très probablement menti, par peur de lui & des gendarmes, mais pas participé directement. Avec l'accord du parquet, je décide de la mettre en liberté d'office - plus de 9 mois de détention quand même...

Je la convoque pour interrogatoire, afin d'en profiter pour lui expliquer son futur contrôle judiciaire et faire le point sur le fond du dossier, sur les nouveaux éléments ajoutés au dossier.

Le jour J l'avocat de Marion, dûment convoqué, n'est pas là. Elle est seule devant moi, avec l'escorte du centre pénitentiaire. Elle est jeune, tres jeune, 20 ans à peine. J'avais des photos au dossier, je suis surprise, elle a pris énormément de poids, mais VRAIMENT beaucoup.

Je comprends les conclusions des experts, Marion est un peu limitée, et parle comme un enfant, sans filtre, d'un ton joyeux et spontané. Elle m'explique qu'en prison elle a pu arrêter le crack, qu'elle prenait quotidiennement - ça ressortait du dossier...Et du coup elle a grossi.

Elle rit elle dit que c'est pas grave, qu'elle est contente d'être grosse, mais clean. Elle me raconte un peu sa vie, la drogue dès ses 11 ans, les foyers dès bébé après l'abandon maternel, maman qui n'est jamais ré apparue... L'arrêt tôt de l'école. 0 formation, 0 qualif.

Elle m'indique avoir commencé adolescente à vendre son corps, pour financer sa drogue, avoir vite connu la rue, qu'elle préférait au foyer, la violence... Elle me raconte ça sans détours mais sans tristesse, avec légèreté.

On fait le point sur le dossier, elle précise certains éléments recueillis sur commission rogatoire et charge son co mis en examen - classique, mais en l'espèce plutôt conforme à ce qui ressort de l'enquête.

Je lui explique qu'au vu du dossier je vais la placer sous contrôle judiciaire, elle est contente car elle ne s'y attendait pas. Elle me dit qu'elle va retourner chez son copain, et chercher un petit travail.

Je la place sous contrôle judiciaire strict comme on dit, soins, travail ou formation, suivi socio éducatif, pointage très régulier à la gendarmerie... pour essayer de la cadrer, au vu de la vie compliquée qui était la sienne.

Et je lui fais la morale, elle est sevrée, il va falloir tenir, et essayer de se stabiliser, pour avoir 1 chouette vie. Je sens déjà qu'elle bénéficiera d'un non lieu à la fin du dossier : même si elle ne respecte pas ce que je lui impose, je ne la renverrai pas en prison.

Je lui fais croire le contraire, je fais le méchant juge, en espérant qu'elle aura peur, un peu, assez pour respecter son suivi. Je lui explique tout longtemps. Je demande si elle a compris, elle dit oui mais elle a un peu peur d'oublier ;je la vois très concentrée mais inquiète.

On convient qu'elle aimantera l'ordonnance de contrôle judiciaire sur le frigo chez son copain, pour avoir toujours à portée de regard la liste de ce qu'elle doit faire. Je suis pas rassurée par ce "copain", elle m'indique qu'il ne se drogue pas lui, juste il boit un peu trop!

Pas foufou mais c'est ça ou la rue, sur mon ressort des places de logement d'urgence il n'y en a à l'époque pour ainsi dire pas. Elle reste inquiète Marion, alors elle me demande si elle peut m'appeler si elle a un doute ou un souci, ou m'écrire...Ce que j'accepte.

Elle repart avec l'escorte récupérer ses affaires au centre pénitentiaire, ravie, avec son ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, et un aimant qui était sur le tableau blanc à droite de mon bureau, pour son frigo, que ma greffière lui a donné...

Et Marion va m'écrire. Des lettres très courtes, d'une écriture ronde et pleine de fautes. Elle s'excuse, elle a repris de la drogue, une fois. Elle sait qu'elle devrait pas, elle le refera pas (spoil : elle va le refaire, et m'en faire part). Son copain est gentil.

Il a failli la taper 1 fois mais elle lui a dit qu'elle le dirait à sa juge,du coup il l'a pas fait. & l'association en charge du contrôle judiciaire me dit qu'elle vient aux RDV, pas à chaque fois mais souvent, & demande de l'aide quand elle a besoin, que globalement... Ça va.

Pour la confrontation avec son co mis en examen elle est là. Elle a un peu maigri mais m'a l'air en forme. Elle m'annonce être en avance car elle a été amenée par 1 monsieur, et me fait comprendre qu'elle a rémunéré de la seule manière qu'elle a trouvé. Ça me serre le coeur.

Je lui demande si c'est souvent, elle me dit non pas trop, elle sourit et me dit que c'est pas grave, que ça va!! La confrontation se passe, comme il faut. Je ne reverrai plus Marion. Je prononcerai un non lieu la concernant, elle continuera à m'écrire, de loin en loin...

jusqu'à ma mutation. A sa juge. J'espère qu'elle va bien, qu'elle a toujours son grand sourire, qu'elle rit toujours aussi facilement. Je pense toujours à elle avec tendresse.