Aujourd'hui avant de ré attaquer la semaine je vous parle du dossier qui a précipité, il y a quelques années, mon passage du parquet au siège. Les prénoms et circonstances ont été modifiés, évidemment, pour rendre méconnaissable ce dossier.
Je suis substitut de permanence quand l'hôpital m'appelle ce matin là pour me parler de Jules. Jules a un peu moins de deux mois et a été admis hier aux urgences, inconscient. Il présente un hématome sous dural massif, des hémorragies rétiniennes bilatérales (dans les 2 yeux).
Je ne suis pas médecin mais en tant que substitut en charge des mineurs je comprends très vite : Jules présente tous les symptômes d'un bébé qui a été secoué. Le médecin m'indique qu'il ne pense pas, au vu de l'état clinique de Jules, qu'il va s'en remettre.
Les parents de Jules sont avec lui à l'hôpital depuis la veille, leurs explications sont confuses, ils ne font valoir aucun événement pouvant expliquer son état, juste la veille au soir il est devenu apathique puis a perdu conscience...
Je saisis immédiatement le groupe mineurs de mon commissariat, qui fait un point rapide sur la situation : personne d'autre que ses parents ne s'est occupé de Jules hier. Le légiste me confirme rapidement les suspicions des urgences.
Quelqu'un a secoué Jules, inconscient dans son lit d'hôpital, & c'est son père &/ou sa mère. Parce que pour élucider ce type d'affaires il n'y a qu'1 moyen, parce que je sais d'expérience que la vérité sera dite maintenant ou plus jamais, j'ordonne leur placement en garde-à-vue.
Les policiers vont les chercher à l'hôpital et les ramènent au commissariat. Des 1ères auditions il ressort que la veille ils sont restés tous les 3 chez eux, un dimanche en famille. Le papa, Laurent, est chauffeur routier et absent la semaine le plus souvent.
Murielle la maman travaille, elle est fatiguée un peu, un peu beaucoup, parce que la semaine elle court entre la nounou, le travail repris tout récemment, et Jules qui pleure beaucoup à cause de maux de ventre récurrents. La veille Laurent a conseillé à Murielle de sortir 1 peu.
Elle est allée prendre le goûter chez une copine et Laurent a gardé le petit Jules, pour qu'elle puisse breaker un peu. Jules a pleuré mais sans plus. En fin d'après midi il est devenu de plus en plus amorphe, puis a perdu conscience. Aucun événement particulier n'est à relever.
Les médecins affinent leur diagnostic, légiste en tête, et m'indiquent leur quasi certitude, Jules a été secoué, fort, et il va de plus en plus mal. Il n'ira pas mieux. A part des maux de ventre, rien ne particulier niveau santé depuis sa naissance.
L'entourage est entendu, Laurent et Murielle sont un couple uni, Jules était désiré, attendu... Ils sont très abattus en garde-à-vue. Garde-à-vue que je vais prolonger au commissariat au bout des 1ères 24h, en personne, comme la loi m'en faisait obligation à l'époque.
Je fais le point avec l'OPJ ; chacun reste sur sa position, Murielle est ravagée et pleure non stop, Laurent est plus introverti mais est aussi très mal. Lors de notre entrevue j'explique à l'un puis à l'autre que l'1 des 2 ment, et prive l'autre des derniers instants de Jules.
Je sors du commissariat retournée, en colère, je sais que cette garde-à-vue est un passage obligé mais c'est si violent, ces parents enfermés, Jules tout seul... Je déteste cette perm, à cet instant là je déteste mon job.
Lors de l'audition suivante Laurent craque. Jules n'a pas arrêté de pleurer tout le week-end. Quand Murielle est partie prendre l'air, ce dont elle avait besoin, c'était pire. Le bébé hurlait, non stop, même la couche changée, même après le bibi.
Laurent était crevé, ça l'a énervé, puis il se sentait nul, il n'y arrivait pas, il ne voulait pas déranger Murielle, les papis et mamies n'etaient pas libres pour aider dimanche... Ces cris, non stop... Il a attrapé Jules sous les bras.
Il l'a secoué d'avant en arrière en lui criant de se taire, ça a duré quelques instants, juste quelques instants, avant de se reprendre. Jules a paru mal un moment puis il était calme. Laurent n'a bien sûr rien dit à Murielle à son retour.
L'OPJ m'appelle, très vite je lève la garde-à-vue de Murielle, à qui on doit expliquer, comme on peut, puis l'amener à l'hôpital. Jules s'en ira. Je ferai amener Laurent sous escorte lui dire au revoir... Depuis ses aveux, réitérés, il est amorphe.
Laurent c'est un jeune homme sans antécédents, avec ses 12 points au permis, jamais un pas de travers, pas impulsif, personne ne le décrit comme violent, y compris Murielle qui répète qu'elle ne comprend pas. Et en un claquement de doigts...Une poignée de secondes tout a basculé.
Laurent est présenté au juge d'instruction après sa garde-à-vue, il est mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sur mineur de moins de 15 ans. Je ne requiers pas son placement en détention provisoire, en accord avec le juge d'instruction.
Non pas parce que les faits ne m'apparaissent pas graves, mais les critères légaux ne me semblent pas remplis. Bien sûr que les faits sont graves, et ils tournent en boucle dans ma tête. Cette famille LÀ, où la violence n'avait pas sa place, et malgré tout....
Je repense aux photos de Jules au dossier, je ressasse, comme jamais un dossier, et cette garde-à-vue de la maman, ce qu'elle a dû penser... Quelques temps après je demande ma mutation, je crois que je sature, j'ai besoin de ne plus être en 1ère ligne. Je pars à l'instruction.
J'ai su par mes collègues que Laurent s'était abruti dans la fête, l'alcool, les filles de passage pendant l'instruction. Il avait un peu varié aussi, plaidant l'accident aux assises. L'ensemble ayant déplu à la Cour, il avait été sévèrement puni.
A chaque dossier de bébé maltraité, secoué, chaque fois que je dois diriger de telles enquêtes, je repense à Jules & à Laurent, devenu criminel en quelques secondes. J'ai écrit ce thread en 1 trait de temps, & me rends compte comme le souvenir de ces instants est resté vivace...
Les Cours d'assises ne jugent pas des monstres, mais aussi parfois des Laurent, que rien ne pré destinait à y comparaître...
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Aujourd'hui je vais vous parler d'une jeune femme que j'ai connu à l'instruction, quand j'étais juge. Arrivée sur mon nouveau poste j'ai dévoré le plus vite possible les dossiers de mon cabinet où il y avait des détenus. Dans un de mes dossiers de meurtre, j'en avais 2.
1 homme d'à peu près 50 ans suspecté d'avoir tué 1 papi, et Marion, qui gravitait autour. C'était 1 dossier compliqué, 0 témoin direct, 1 scène de crime très mal exploitée, et 1 mis en cause qui niait fermement. Les 2 suspects étaient poly toxicomanes, sans domicile stable...
Et mon prédécesseur avait saisi le JLD, qui les avait placés en détention provisoire le temps que les investigations avancent. Ils avaient vu des experts, psychiatre, psychologue... Et les gendarmes avaient travaillé. Les choses étaient (un peu) plus claires sur lui.
Il y a des années, cabinet d'instruction, jour de confrontation. Dossier de viol dénoncé par une jeune femme contre un ex compagnon. Selon elle il lui a infligé un rapport sexuel d'une grande brutalité pour la "punir" de le quitter. Il nie, depuis le début.
J'ai entendu cette jeune femme, qui était en pleurs, très chamboulée, comme devant les gendarmes auparavant, comme devant l'expert psychologue qui l'a examinée et diagnostiquée comme souffrant d'un sévère "syndrome post traumatique".
Elle a déposé plainte plusieurs mois après les faits allégués, qui auraient eu lieu en extérieur. Le procureur m'a saisie de toute évidence au vu du caractère massif du syndrome post traumatique et son cortège habituel de symptômes, troubles du sommeil, troubles alimentaires...
Petite rétrospective, cette anecdote remonte à des années!!
Aujourd'hui je suis un peu stressée. Je suis juge d'instruction depuis quelques semaines & aujourd'hui j'entends pour la première fois une victime de 8 ans. Elle a dénoncé des faits de viols, & son père est en détention.
Il nie, mais le dossier comporte des éléments solides contre lui et il a été incarcéré par le JLD, saisi par mon prédécesseur, qui n'a entendu ni le mis en examen au fond ni la petite Olivia. Je le fais donc, elle est convoquée avec son avocate, que j'apprécie beaucoup.
Avant l'audition je m'entretiens avec cette dernière, qui m'indique qu'Olivia est stressée, a pas bien dormi, & pas voulu manger ce matin. Elle me dit qu'Olivia n'est pas à l'aise avec les inconnus, & encore moins avec la proximité des gens. Je note de rester derrière mon bureau.
Peu avant Noël, comparution immédiate. Dimitri est littéralement affalé sur la barre. Il se montre vaguement intéressé par ce qui se passe, il est pourtant le principal concerné : il est prévenu. Âge réel, 18 ans et 15 jours. Age ressenti... 15 ans.
Je connais Dimitri depuis quelques mois déjà, il a été placé par un juge des enfants de fort fort lointain, pour l'éloigner de sa "problématique familiale", comme son dossier le dit avec pudeur. Sa problématique familiale c'est 1 maman qui l'a eu très jeune, trop tôt, et seule.
Elle a commencé à l'élever, tant bien que mal. Mais elle a ses soucis, la solitude... qu'elle noie dans l'alcool. Puis les stup. Dimitri est alors tout petit, les services sociaux sont alertés et notent des problèmes de développement de l'enfant : il n'est pas assez stimulé.
Ils etaient jeunes. Lui à la barre des prévenus, devant le tribunal correctionnel, en comparution immédiate pour violences conjugales. Elle sur le banc des parties civiles, malgré elle. Le regard noir, braqué sur moi.
Elle a expliqué au tribunal n'être victime de RIEN. Elle a décrit ce complot familial visant a l'éloigner d'un amoureux pas bien accepté. Elle a affirmé haut et fort n'avoir pas reçu de coup, JAMAIS, que tout ça n'etait qu'inventions et mensonges.
Le président a montré les photos, de cocards, de bleus, de morsures, prises par la famille quand, épuisée et sanglotante, elle se refugiait parmi ses proches, où elle racontait les passages à tabac, les côtes cassées, les hurlements, ce huis clos abject...
Aujourd'hui mes amis a la demande de l'1 d'entre vous, le procureur & la protection de l'enfance. C'est un rôle important, qui me tient à coeur car je suis depuis fort fort longtemps un parquetier mineurs, avec des pauses, mais en gardant toujours un attrait pour cette matière.
Le parquet a en matière d'enfance une triple casquette. Il dirige les enquêtes visant des infractions commises au préjudice de mineurs : atteintes sexuelles, violences physiques ou psychologiques, défaut de scolarisation, privation de soins, mises en danger...
Quand c'est possible il travaille avec des enquêteurs spécialisés. Les enquêteurs sont de plus en plus formés à l'audition des mineurs, qui est un exercice particulièrement difficile (vécu à l'instruction, je peux en témoigner!)