Depuis le début de cette crise, soit depuis un an maintenant, je suis confronté régulièrement au mystère suivant : qu'est-ce que Macron ne comprend pas ? La citation ci-dessus apporte enfin une réponse. Ce que Macron ne comprend pas, c'est l'articulation scientifique des idées.
Cette articulation suppose de ne pas privilégier a priori de positions, de considérer simultanément et avec les mêmes standards de rigueur intellectuelle et de scepticisme une position donnée et ses alternatives les plus saillantes, typiquement une hypothèse et sa négation.
En l'espèce, l'attitude épistémologique correcte pour évaluer l'assertion "la courbe des contaminations va exploser" n'est pas de se poser la question "ceux qui défendent cette assertion en ont-ils apporté la preuve ?". Du reste, on voit sans délai que cette demande est insensée
Et ce au sens le plus strict du terme : par définition, on ne peut apporter de preuve qu'à une assertion dont les termes sont bien définis (sans même aborder la question de la pertinence de preuve en prospective épidémiologique).
À plus forte raison, on ne peut pas apporter de preuve à une phrase aussi vide de sens que "la courbe des contaminations va exploser".
Le degré zéro de l'examen épistémologique requiert donc que l'on formule précisément les assertions que l'on évalue.
Non seulement dans un souci de précision, mais aussi (je dirais même surtout) parce que c'est seulement si une assertion est formulée précisément que ses alternatives saillantes sont définissables, et donc que le travail de comparaison des alternatives peut avoir lieu.
Il suffit pour mesurer l'inanité épistémologique de sa remarque d'inverser sa position implicite et d'imaginer un président qui s'écrierait (face au succès du vaccin disons) "ils ne m'ont pas présenté le début d'une preuve que la courbe des contaminations ne va pas exploser".
A contrario, une assertion précise appropriée serait (par exemple) "le nombre de cas #COVID19 de la souche initiale suit une loi exponentielle avec R très proche de 1 ; le nombre de cas #B117 suit une loi exponentielle avec R autour de 1,5" encore une fois non seulement parce
qu'elle est bien définie, mais surtout parce que par construction elle et ses alternatives saillantes sont sur le même plan : susceptibles d'être étayées ou réfutées par exactement les mêmes arguments et les mêmes données factuelles, soumises aux mêmes expériences etc.
Le problème sidérant de la phrase de Macron n'est donc pas tant qu'elle est fausse, c'est qu'elle met les scientifiques en demeure de se conformer à des standards impossibles à satisfaire, et en particulier auquel Macron ne soumettrait jamais ses propres opinions.
Ce que révèle cette phrase, c'est donc que le processus épistémologique de Macron est le suivant : il se forge une opinion, qu'il exempte d'examen critique, et il envisage éventuellement de la réviser si on lui apporte la *preuve* que cette opinion est incorrecte.
Preuve dont il se charge en sus de définir les standards et les modalités.
Quelle conséquence à un tel processus ? Bien évidemment, un agent qui se permet d'agir ainsi voit son niveau d'argumentation puis sa capacité même de réflexion s'effondrer.
En effet, puisqu'un tel agent se permet de fixer les standards d'examen des opinions qui viennent le contredire et d'en exempter celles qui viennent le conforter, il aura intérêt à formuler les siennes propres de manière vague, de les faire reposer sur des concepts creux.
Ainsi, leurs alternatives saillantes seront trop ambiguës pour être susceptibles d'être prouvées.
Dans ce jeu pile je gagne/face tu perds, Macron se permet de décréter qu'il sort gagnant. Et on en arrive à "le président de la République a eu raison de ne pas reconfiner car
chaque semaine gagnée sur le confinement est une semaine de liberté gagnée par les Français" (Olivier Véran).
Vous n'êtes pas d'accord ? Très bien : apportez moi la preuve qu'une semaine gagnée sur le confinement n'est pas une semaine de liberté gagnée par les Français.
Je parie que vous ne m'apporterez pas le début d'une telle preuve. Donc Véran avait raison de dire que Macron avait raison. Ce qui était ce qu'il fallait démontrer.
J'ai dit plus haut que l'attitude de Macron était épistémologiquement insensé. Ce n'est pas tout à fait exact.
"Mon opinion, tant que vous n'avez pas prouvé qu'elle était fausse. C'est à vous qu'incombe la tâche de formuler précisément mon opinion afin d'en définir les alternatives. C'est moi qui jugerai si votre formulation est correcte et si vos arguments sont valables" est une position
Un position parfaitement sensée même. Simplement, elle est antithétique à l'attitude scientifique, ou plus précisément habite un univers parallèle à cette dernière. On gagne certaines choses à l'adopter, on en perd d'autre.
Lorsque l'on fonctionne selon ce principe, nos décisions sont saluées par nos propres subordonnées.
Et aussi les épidémies font 80000 morts dont 60000 étaient évitables.
Après 14 jours, j'arrête ces messages quotidiens. Tous ceux qui veulent bien le comprendre ont maintenant parfaitement compris :
-Qu'il y avait des centaines de cas du variant #B117 en France.
-Que ce nombre suivait une progression exponentielle avec R autour de 1,5.
-Que la France ne s'est absolument pas donné les moyens scientifiques de séquencer suffisamment pour affiner ces estimations, ou pour suivre la dissémination d'autres variants plus contagieux ou dangereux. Nous naviguons vers un iceberg dans le brouillard, sans vigie.
-Que des mesures graduelles ne stopperont pas cette progression exponentielle, sauf si e^x a changé ces derniers jours sans nous prévenir. Au Royaume-Uni, un confinement dur a à peine fait descendre le R de #B117 en dessous de 1. Nous avons le couvre-feu à 18h.
Vous connaissez la nationalité de Laye Fode Traore ? Guinéen.
Vous avez compris où je veux en venir, ou vous ne connaissez rien à ce sujet à part l'opportunité d'utiliser les emojis 🇫🇷👏? Comme c'est évidemment la deuxième réponse, je vous explique.
La France ne reconnaît plus les actes administratifs guinéens : autrement dit, un mineur peut arriver sur notre territoire avec un acte de naissance, un passeport etc. établissant sa minorité, des papiers en règle pour ses démarches et ne pas bénéficier du statut de mineur isolé.
Certaines personnes sont bloquées dans l'enfer administratif suivant : elles doivent présenter certaines pièces pour leurs démarches, mais si elles les présentent, les pièces sont jugées irrecevables, car venant de l'administration guinéenne.
Un fil pour faire le point sur la situation épidémique, à des fins d'archivage et dans dans l'espoir qu'il puisse être utile à quelqu'un. Je ne sais pas si nos voix peuvent se faire entendre, mais ce serait criminel de ne pas essayer.
Les paramètres épidémiques fondamentaux du #COVID19 (proportion des asymptotiques, des cas sévères, des hospitalisations, des réanimations, des décès) sont connus (approximativement) depuis fin février : ils sont tels qu'aucun système de santé ne lui résiste lorsque R>1.
Ni la Californie, ni New York, ni la Suisse, ni la Suède, ni l'Allemagne, ni la France, ni le nord de l'Italie. Tous ont été balayés. C'est une maladie simplement trop mortelle, avec un temps de contagion et un pourcentage d'asymptomatiques contaminants trop important.
Le variant V.O.C de Sars-CoV-2 est plus contagieux. Il est présent sur le territoire français et en croissance exponentielle. Sans réaction, il sera la cause de dizaines de milliers de morts.
Face à une croissance exponentielle, une réponse graduée est inefficace. Au contraire, plus on répond tôt et fort, moins les conséquences sont douloureuses. Face à une croissance exponentielle, une mesure linéaire (vacciner n personnes par jour) peut se faire dépasser rapidement.
La France a tenté le déni pour des raisons politiques fin février et début mars. Elle a tenté le déni pour des raisons politiques en août et septembre. Nous savons ce qu'il s'est passé. Vous le savez.
Pendant l'auto-confinement de fin d'année (les vacances de Noël) si vous voulez découvrir une chouette série à suspens, je vous conseille The Exponential, saison 3 (sur Netflix). Comme j'ai déjà vu les deux premières saisons, je vous fais un résumé.
En gros, au début les personnages principaux sont confrontés à un phénomène vaguement inquiétant qui suit ce que l'on appelle une "exponential growth", rapidement dans leurs bouches, cela devient juste The Exponential (d'où le titre).
Au début, le truc ne fait pas trop peur.
Il faut dire que ça a l'air de pas trop bouger. Ils nous font le coup du scientifique en blouse blanche qui rassure tout le monde. On sort des graphiques tout plat et les personnages vont au théâtre avec leurs femmes et réservent leurs vacances comme si de rien n'était.
"Mme ****, je vous laisse. A. vient vous parler. Il va falloir tenir. Vous allez peut-être avoir envie de craquer, mais il va falloir tenir. J'ai besoin que vous teniez".
On ne peut pas vivre seulement de la détestation de Blanquer. Aujourd'hui je vous raconte une histoire.
(Sa biographie l'indique, son icône le suggère, différentes personnes écrivent sur ce compte - c'est dit).
Cette histoire remonte aux années 80. J'étais jeune prof. Je discutais fin septembre avec mon proviseur de l'époque, dans la cour du lycée. Il s'appelait M., voulait qu'on l'appelle M., mais appelait toutes les profs Madame. On s'entendait bien. Je l'aimais beaucoup.