petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.
dans ce système, l'auteur reçoit donc une somme au départ (souvent durant l'élaboration de l'oeuvre), et doit attendre que les ventes dépassent un certain seuil pour percevoir des droits d'auteur supplémentaires.
à noter que, pour la bande dessinée (domaine que je connais le mieux), ce système a remplacé le système traditionnel du prix à la page, qui était en vigueur dans les revues de prépublication.
les auteurs étaient payés pour leurs pages, et dans l'éventualité d'une publication en album, percevaient alors des droits d'auteurs dès le premier exemplaire vendu. on s'approchait alors beaucoup plus d'un véritablement financement de la création par les éditeurs.
le système actuel est assez différent, puisque l'éditeur ne finance pas la création, mais accorde simplement une avance sur les revenus de l'exploitation de la création. en cela, la bande dessinée s'est rapprochée du modèle de la littérature.
cette question des à-valoirs est cruciale à mon sens. d'une part, elle introduit une nouvelle dimension de subordination de l'auteur à l'éditeur, puisque celui-ci lui rappelle souvent combien il lui est redevable de cette générosité.
et ce, d'autant plus que les éditeurs (et Vincent Montagne hier encore) rappellent souvent qu'une large partie des à-valoirs n'est pas remboursée, et que donc les auteurs seraient gagnants dans l'affaire, et bien mal placés pour se plaindre de leur situation.
d'autre part, je le répète, il ne s'agit que d'une avance sur exploitation de l'oeuvre -- exploitation dont la responsabilité incombe à l'éditeur (c'est d'ailleurs pour cela qu'auteur et éditeur ont signé un contrat).
mais voilà, ce discours qui souligne systématiquement la "générosité" des éditeurs opère un déplacement de la responsabilité: c'est l'auteur qui demande trop, qui fait l'enfant gâté, en quelque sorte. et non pas l'éditeur qui n'aurait pas bien fait son travail.
mais il y a une autre manière de voir les choses: l'auteur crée, c'est son rôle. l'éditeur se charge de l'exploitation, et c'est à lui de gérer au mieux celle-ci. et donc d'estimer au plus juste le potentiel de l'oeuvre, et d'en accompagner la publication.
donc lorsque l'éditeur dit "les à-valoirs n'ont pas été remboursés", ce qu'il faut comprendre c'est "l'éditeur a mal estimé le potentiel de vente et/ou mal géré la sortie du livre", et pas "l'auteur a bénéficié de largesses."
la nuance est subtile, non? (oui, ce commentaire est ironique)
sachant que lorsque Vincent Montagne parle de ces à-valoirs non remboursés, sa formulation laisse planer le doute. parce qu'en fait, une partie de ces à-valoirs ont été remboursés, mais pas dans leur intégralité.
si un livre se vend suffisamment pour rembourser 95% de ses à-valoirs, la "perte" pour l'éditeur est minime. mais il dira probablement que l'à-valoir n'a pas été remboursé, alors qu'il n'a pas été *totalement* remboursé.
je mets "perte" entre guillemets, parce qu'il n'est pas certain qu'un éditeur perde de l'argent sur un livre qui n'atteint pas le niveau correspondant au remboursement de l'intégralité des à-valoirs.
si on prend le camembert habituel de la répartition du prix du livre, on a en gros l'auteur qui en prend 10%, et l'éditeur 20% (le reste se répartissant entre impression, distribution/diffusion, libraire et TVA). je prends des chiffres ronds, pour faire simple.
supposons qu'un auteur ait reçu un à-valoir de 5000€, pour un livre vendu 10€. il ne percevra des droits d'auteur supplémentaire qu'à partir de la 5001e vente.
du côté de l'éditeur, on notera que ces 5000€ avancés seront remboursés par les ventes à partir du 1667e exemplaire vendu. à 5000 exemplaires vendus, l'éditeur aura récupéré 10000€ en plus de son remboursement des à-valoirs.
certes, l'éditeur a des frais de structure, mais la raison de l'existence des éditeurs est justement une mutualisation des tâches pour réduire ces coûts.
bref, sans surprise, c'est difficile d'avoir des chiffres sur tout ça, mais je suis convaincu que les éditeurs s'y retrouvent, et réussissent à gagner de l'argent même quand l'ensemble des à-valoirs n'ont pas été remboursés.
personnellement, je ne considère pas que les éditeurs soient philanthropes, et que si le système est toujours en place, c'est qu'ils y trouvent leur compte.
non seulement ils y trouvent leur compte, mais je suis convaincu qu'ils en reconnaissent la nécessité. la création a un coût.
et pour conclure, je dirais que la raison pour laquelle on reste sur ce système a beaucoup à voir avec la subordination implicite qu'il induit, et on voit bien ce que les éditeurs y gagnent.
ah tiens, je me rends compte que j'ai oublié de parler d'un autre aspect qui revient souvent, à savoir la question de la prise de risque. parce qu'elle est souvent invoquée pour justifier de la répartition des revenus générés entre auteur et éditeur.
encore une fois, l'idée derrière le travail d'éditeur, c'est la mutualisation. à la fois des tâches opérationnelles relatives à l'exploitation des oeuvres, mais aussi pour la prise de risque.
les gains potentiels de l'auteur dépendent uniquement du succès de son livre. alors que les gains potentiels de l'éditeur reposent sur l'exploitation de plusieurs livres, avec une gestion éditoriale qui vise à écarter les moins vendeurs.
c'est un peu comme essayer de gagner au loto avec un seul bulletin (auteur) ou avec une centaines de bulletins (éditeur). la prise de risque n'est pas la même.
ce qui me fait revenir sur les parts de camembert évoquées plus tôt : 10% pour l'auteur, 20% pour l'éditeur... alors que la prise de risque est plus importante pour le premier que pour le second.
si le livre devient un succès, l'éditeur gagné deux fois plus que l'auteur. donc une prime à celui qui a pris le plus de risques -- ou pas. (oui, c'est encore ironique)
il faudrait donc discuter de ces principes de répartition. mais je ne suis pas certains que les éditeurs soient très ouverts au dialogue : hier, Vincent Montagne (comme souvent) renvoyait à la loi du marché, à une situation "de nature" à laquelle on ne pourrait rien changer.
l'exemple le plus flagrant était au moment où il a évoqué le manga, qui vient concurrencer les auteurs... alors que son groupe éditorial est le 2e exploitant du manga en France.
bref. je vais reprendre une activité normale, merci de votre attention.
[ détail du calcul: jusqu'au remboursement complet des à-valoirs, l'éditeur récupère sur chaque exemplaire vendu sa part (20%) plus la part de l'auteur (10%), soit 30%. soit, dans l'exemple très simplifié que j'ai pris, 3€ par livre. et 5000€/3€ = 1667 exemplaires. ]
(la vidéo du webinaire est désormais accessible ici : livreshebdo.fr/article/la-rel…, mais requiert un accès abonné à Livres Hebdo)
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bon, je me rends compte que je n'ai pas très été actif ces derniers temps, que ce soit ici ou sur @_du9_, qui connaît une nouvelle période de sommeil. j'ai même raté deux Vues Ephémères à la suite, c'est dire.
il y a plusieurs raisons à cela, dont la vie en temps de pandémie, pas mal d'engagements ces derniers mois qui m'ont pas mal pris d'énergie, le décalage d'Angoulême (parce que je suis ce que les anglophones appellent "a creature of habit"), etc.
j'ai aussi commencé à travailler sur un gros truc dont je reparlerai en juin, mais qui m'enthousiasme pas mal. mais l'un dans l'autre, les journées n'ont que 24 heures, et j'ai régulièrement du mal à tout gérer de front.
toujours fasciné de voir que dans les discussions autour des relations entre auteurs et éditeurs, on place quasiment systématiquement sur le même plan la prise de risque des uns et des autres, alors qu'elles n'ont rien à voir.
je note également que l'on semble implicitement faire porter la responsabilité des à-valoirs non remboursés sur les auteurs. alors qu'en réalité, cela traduirait plutôt une mauvaise gestion de la part des éditeurs.
à moins que l'on soit sur un modèle différent (puisque les éditeurs semblent y trouver leur compte, sinon, ils le changeraient), auquel cas ce serait bien de le reconnaître.
Ce matin, @LeCNL et @IpsosFrance ont publié les résultats d'une étude intitulée "Les Français et la BD". L'annonce était initialement prévue pour le Salon du Livre en mars, et puis le COVID est passé par là.
Avant de me lancer dans le commentaire de ces résultats, je dois préciser que j'ai fait partie du comité de pilotage de l'étude dans sa dernière ligne droite, ayant été invité au moment de la finalisation du questionnaire.
C'est la première étude de cette ampleur depuis celle réalisée par TMO Régions pour la BPI le DEPS en 2011, et dont les résultats sont disponibles ici: neuviemeart.citebd.org/spip.php?rubri…
Dimanche matin, je devrais plutôt essayer d'écrire un texte pour annoncer la mise en vacances de @_du9_, mais voilà que tout le monde parle de lefigaro.fr/bd/enquete-sur… et que je ressens le besoin d'apporter mon commentaire.
Petit préambule, que les choses soient claires: je ne défends pas la pratique du scantrad, et je respecte le travail que font les éditeurs.
Par contre, je suis convaincu qu'il est essentiel d'avoir une vision la plus précise possible de la réalité des choses pour pouvoir prétendre y apporter une solution adaptée et efficace.
Livres Hebdo a publié la semaine dernière son Top 50 annuel pour la bande dessinée, et comme à mon habitude, petit live tweet de mes réflexions par rapport à cette liste. Et c'est parti.
Pour rappel, ce Top 50 est établi sur la base de données GfK (depuis 2015, Ipsos auparavant). Ce sont donc, comme d'habitude, des ventes estimées en sortie de caisse (soit TTC) et pour la France uniquement.
2019 était une année "avec Astérix", comme le sont désormais les années impaires depuis 2013 et "Astérix chez les Pictes", premier album signé Jean-Yves Ferri & Didier Conrad. Ça a son importance, comme on va le voir.
j'aime beaucoup la manière dont les éditeurs prennent à cœur leur travail: "La bande dessinée, ce n’est pas un métier en soi. Cela devient un métier quand on vend. [...] un auteur doit avoir de la chance, trouver un public." l'auteur de bande dessinée, livré à lui-même.
venant d'éditeurs qui, eux-mêmes, ont fait un métier de la bande dessinée. voire même une fortune.
ah oui, j'avais lu un peu trop vite, et zappé cette précision qui fait tout le sel de la remarque: "Et ce n’est d’ailleurs la faute de personne : un auteur doit avoir de la chance, trouver un public." la faute de personne, venant d'un éditeur, c'est savoureux.