Livres Hebdo a publié la semaine dernière son Top 50 annuel pour la bande dessinée, et comme à mon habitude, petit live tweet de mes réflexions par rapport à cette liste. Et c'est parti.
Pour rappel, ce Top 50 est établi sur la base de données GfK (depuis 2015, Ipsos auparavant). Ce sont donc, comme d'habitude, des ventes estimées en sortie de caisse (soit TTC) et pour la France uniquement.
2019 était une année "avec Astérix", comme le sont désormais les années impaires depuis 2013 et "Astérix chez les Pictes", premier album signé Jean-Yves Ferri & Didier Conrad. Ça a son importance, comme on va le voir.
Le top 50 cumule 5,34 millions d'exemplaires, dont 1,57m (ou 29%) à mettre au seul compte du dernier Astérix. Il faut s'attendre à ce que ce seul titre représente entre 2% et 3% du marché global.
Oui, ça fait beaucoup, mais c'est moins que "Le Papyrus de César" (1,62m en 2015) et "La Transitalique" (1,59m en 2017), et plus que "Les Pictes" (1.29m en 2013), sachant que tous sont sorti autour de la même date (19-24 octobre).
Toujours du côté d'Astérix, on retrouve l'album du film ("Le secret de la potion magique") en 46e position, avec 56,7k exemplaires à rajouter aux 86,2k de l'année passée (soit 142,9k au total).
Cette différence au niveau des ventes (du simple au décuple) illustre la difficulté à convaincre sur un produit doublement dérivé (adaptation d'une adaptation), et ce, malgré la bonne performance du film: 3,9 millions d'entrées en France.
La deuxième meilleure vente de l'année 2019 est le dernier Blake et Mortimer (seconde partie de "La vallée des immortels"), avec presque 197k exemplaires pour 2019 (en 2018, la première partie avait vendu 281k).
Je me permets de revenir sur Astérix, et cet écart énorme entre les deux meilleures ventes de bandes dessinées en 2019, parce qu'il m'interroge sur l'attachement réel du public au médium bande dessinée en tant que tel.
L'étude SNE/GfK pour les Rencontres Nationales de la Librairie 2019 comptabilisait 2,2m d'acheteurs de bande dessinée franco-belge (pour 24,1m d'exemplaires), au sein d'une population de 7,9m d'acheteurs de bande dessinée.
Toujours dans cette étude, pour ces acheteurs de bande dessinée franco-belge (qui ne sont pas nécessairement des lecteurs, c'est important de le souligner), 55% des achats sont réalisés pour offrir. Vous voyez où je veux en venir.
J'ai presque envie de reprendre la formule de @mariuschapuis , décrivant ce 38e album d'Astérix dans Libération: "la promesse d'un moment un peu régressif, faute d'être vraiment une bande dessinée." (cf. next.liberation.fr/culture/2019/1…)
@mariuschapuis Et ce, d'autant plus quand on considère la campagne marketing (et la couverture médiatique) au moment de la sortie de ce dernier Astérix. Ce n'est pas une bande dessinée qu'on achète, mais bien le "produit Astérix".
@mariuschapuis Bref, jauger la santé de la bande dessinée en France à l'aune du succès du dernier Astérix est à mon sens une erreur. Je ne suis même pas certain que ses ventes mirifiques y contribuent, et ce, pour plusieurs raisons.
@mariuschapuis La bande dessinée franco-belge étant donc le cadeau par excellence, on peut légitimement penser que Astérix enlève des ventes aux autres concurrents des séries patrimoniales (Blake et Mortimer, Lucky Luke, etc.).
@mariuschapuis Il y a donc une énorme concentration des achats sur un seul titre, qui bénéficie à un éditeur qui se limite à exploiter sa marque -- donc qui ne contribue pas à soutenir la création (même indirectement).
@mariuschapuis Un éditeur "normal" gère exploitation et création. Une part des revenus générés par les franchises établies sert à financer le développement de nouvelles, avec l'espoir qu'elles s'installent à leur tour. Rien de tout cela avec Albert-René.
@mariuschapuis Au mieux, le dernier Astérix soutient les libraires du fait du chiffre d'affaire qu'il génère. Mais vu que c'est un titre qui se vend beaucoup en grande surface...
@mariuschapuis Mais revenons à tous ces autres titres qui ne s'appellent pas Astérix. Le quintet de tête (hors Astérix, donc) est sans surprise: Blake & Mortimer (x2), Les Indes Fourbes, Le Chat et Largo Winch. Classique.
@mariuschapuis Blake & Mortimer est, depuis les premières reprises de la série, l'une des valeurs sûres de la bande dessinée en France. Je rappelle que les acheteurs de franco-belge sont très majoritairement plus âgés (64% de + de 40 ans, étude SNE/GfK).
@mariuschapuis En 2019, on a le t26 2e meilleure vente de l'année (197k) devant le B&M de Schuiten (184k) et le t25 en 7e position (93k, à rajouter aux 281k vendus en 2018). Une affaire qui roule.
@mariuschapuis Bon, on peut chipoter en notant que le t25 a vendu 374k à date, et que le t26 à peine plus que la moitié, ce qui n'est pas forcément rassurant quant à la qualité perçue. Mais c'est du chipotage.
@mariuschapuis Même chipotage pour Largo Winch: 99k pour le t22, c'est très en-dessous des 144k du t21 en 2017. C'est d'ailleurs la première fois depuis que j'ai des chiffres que la série ne passe pas les 100k exemplaires vendus à la sortie, c'est dire.
@mariuschapuis Ça va bien par contre pour Les Indes fourbes, qui montre avec 125k exemplaires vendus qu'on peut bien vendre même avec un prix élevé. Le dernier Blacksad, en 2013, c'était aussi 125k exemplaires (quelle coïncidence).
@mariuschapuis Je serais d'ailleurs curieux de voir la répartition des ventes par circuit de distribution. A mon avis, c'est avant tout une vente en librairie (comme Blacksad ou des succès comme Quai d'Orsay).
@mariuschapuis Bon, je ne vais pas commenter chacun des titres du top 50, d'autant plus qu'il y a deux grandes tendances qui me marquent cette année. Et ce sont... (le suspens est terrible)
@mariuschapuis Tout d'abord, la vague Mortelle Adèle, qui place pas moins de 7 titres dans le top 50, pour des ventes cumulées de près de 490k exemplaires. C'est énorme, surtout vu que la série a fait sa première apparition dans le top 50 en 2018.
@mariuschapuis C'est aussi en 2018 que la série a dépassé le million d'exemplaires vendus (sur 14 volumes plus un certain nombre de spin-offs), selon Actualitté (cf. actualitte.com/article/editio…)
@mariuschapuis On observe une belle dynamique entre 2018 où le t14 nouvellement sorti vendait 53k, et 2019 où le t16 est à 85k. Et un spin-off (Les contes défaits) à 83k. Ça semble bien parti pour durer.
@mariuschapuis L'autre grosse tendance de l'année, c'est bien sûr la forte présence des mangas dans ce top 50, avec 20 représentants... on n'avait pas vu ça depuis 2007. niveaux ventes, ce sont 1,4m d'exemplaires cumulés, soit au niveau de 2008.
@mariuschapuis (par rapport à ce que je disais sur Les Indes fourbes:
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@mariuschapuis Le retour des mangas s'explique par la très bonne performance de 5 séries, qui laissent entrevoir un marché plus équilibré que par le passé. Je m'explique.
@mariuschapuis On a toujours eu sur le segment du manga une domination écrasante de deux ou trois séries, pas plus, qui devançaient de loin les autres. On pense à Naruto, par exemple.
@mariuschapuis En 2019, même si l'on observe une hiérarchie, ces cinq séries sont très proches: Dragon Ball Super (92k), One Piece (85k), My Hero Academia (74k), The Promised Neverland (73k) et One-Punch Man (68k) pour les premiers volumes sortis dans l'année.
@mariuschapuis (on constatera au passage que les mangas, avec ces titres tous anglophones, compensent peut-être l'absence totale de comics dans ce Top 50. The Walking Dead faiblirait-il?)
@mariuschapuis Chacune de ces séries manga place au moins trois volumes dans le Top 50, et confirment (s'il le fallait encore) l'importance de ces dynamiques de périodiques sur le marché du manga grand public.
@mariuschapuis Pour 2019, les mangas représentent 26% des ventes cumulées du Top 50, et 37% si l'on écarte le dernier Astérix. A nouveau, cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu ça.
@mariuschapuis Résultat attendu, on a un Top 50 beaucoup plus "ramassé" que d'habitude: le 50e vend 54k exemplaires, alors qu'on est sur une moyenne de 45k sur 2000-2018.
@mariuschapuis Quelques dernières réflexions, histoire de terminer ce petit tour d'horizon. Ki & Hi t4 est à 84k (13e meilleure vente), c'est... impressionnant. Ou comment exploiter une notoriété déjà établie.
@mariuschapuis Les Légendaires continuent de bien fonctionner (84k pour le t22) avec en prime un énième spin-off (Les chroniques de Darkhell, 64k pour ce premier tome). Il me semble qu'on a là une dynamique d'univers étendu, un peu comme cela pour être le cas avec Troy au début.
@mariuschapuis Riad Sattouf est toujours là: les Cahiers d'Esther t4 continuent sur la lancée des précédents (vendant 73k) et le t1 de l'Arabe du Futur est toujours dans le Top 50, cumulant plus de 600k exemplaires vendus depuis sa sortie en 2014. Respect.
@mariuschapuis Le dernier XIII (t26) est à la peine avec 71k vendus, loin de la performance des tomes précédents: 91k pour le t24 (2016), 92k pour le t23 (2014). le t25 (XIII History) est un volume particulier et n'est pas apparu dans le Top 50. A rapprocher de Largo Winch?
@mariuschapuis Le t2 de Bug (Bilal) vend 89k, à peine mieux que le t1 en 2017 (87k) mais ayant bénéficié de 7 mois de commercialisation de plus (sortie en avril, contre novembre). le t1 revient dans le top 50 (avec 57k ex supplémentaires).
@mariuschapuis Je n'ai pas de ventes pour le t1 en 2018 (puisqu'il ne figure pas dans le Top 50), mais l'écart entre les ventes du t1 et du t2 pose question sur la qualité perçue, un peu comme pour les B&M.
@mariuschapuis Puisque je parle de qualité perçue, je note que Zaï zaï zaï zaï est toujours là. 'Nuff said.
@mariuschapuis Ultime remarque sur l'ensemble de ce top 50: la bande dessinée franco-belge "classique" est la grande absente de ce top, si l'on écarte les "locomotives" du Top 5. Pas de Tuniques Bleues, Thorgal, Schtroumpfs et autres Boule et Bill.
@mariuschapuis Voilà, c'est fini pour aujourd'hui. Je tenterai probablement le même exercice la semaine prochaine, suite à la parution du dossier annuel de @livreshebdo. Merci de votre attention, vous pouvez reprendre une activité normale.
Esprit de l'escalier: je remarque après coup que si on considère les sorties 2019, on n'a que deux créations: Les Indes Fourbes, et Faut pas prendre les cons pour des gens (qui devrait être une série). C'est assez inquiétant, en fait.
