En parlant des collègues de qualité, je voulais aussi évoquer quelqu'un qui n'en était pas un (de collègue), un avocat. Me S.
Il était réellement exceptionnel.
La cinquantaine, les cheveux grisonnant mais souvent hirsute, une politesse et un respect exemplaire.
Il avait le don de retourner chaque dossier dans lequel il intervenait pour la défense, avec classe.
Pas de défense de rupture, non, tout était dit de la manière la plus courtoise, mais d'une efficacité redoutable.
Il ne laissait rien passer niveau procédural, moi jeune
parquetière à l'époque, il m'a donné de sacrés leçons de procédure !
Et des relaxes à encaisser derrière.
Dur, mais j'apprenais et je rectifiais derrière mes enquêtes.
Quand la culpabilité ne faisait aucun doute et que la procédure était irréprochable, il plaidait à fond la
personnalité pour réduire la peine.
Il n'était pas dans l'extravagance, à demander du sursis pour le multirécidiviste, il était réaliste mais n'en était que plus crédible.
Combien de fois m'a t'il fait douter moi-même, parquetière, après avoir entendu sa plaidoirie ?
Aux Assises c'était un plaisir de l'avoir, car je savais que j'allais devoir me surpasser et donner le meilleur pour obtenir ce que je voulais, avec un tel adversaire en face. Tout en appréciant son contact et notamment les verres partagés au café du coin en attendant le verdict.
J'appréciais ses visites à la Perm, où il venait tâter le terrain, voire essayer gentiment d'éviter une compa à son client, négocier pour une COPJ voire une CRPC. Toujours avec le sourire et le plus grand respect.
Il a fait de moi une meilleure magistrate.
Il m'avait dit le jour de mon pot de départ qu'il allait me regretter, ça a été l'un des plus beaux compliments que j'ai pu recevoir.
Il est mort quelques années plus tard, un AVC foudroyant.
J'étais allée à son enterrement et pleuré toutes les larmes de mon corps.
Aujourd'hui encore, il reste ma référence en terme d'avocat de la défense et mon rempart pour ne jamais m'emporter face à un de ses confrères, en dépit des tons parfois déplacés.
Je revois toujours son petit sourire en coin et j'entends son "mes respects Madame le Procureur".

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15 Mar
Il y a les violences sexuelles sur mineur, et il y a les violences sur mineur tout court.
Les enfants battus.
Ici l'enquête a démarré suite à un signalement de l'école, Eva, 14 ans, a fini par se confier à une infirmière scolaire, sur l'origine de tout ces hématomes.
Elle a commencé à décrire le quotidien chez elle, avec son petit frères Théo, leur mère et leur beau-père Denis.
Denis n'est franchement pas très gentil, il crie tout le temps et les coups pleuvent, pour une raison ou sans raison, juste parce qu'un enfant est là.
Eva raconte des scènes de brimades, des punitions. Le martinet évidemment, être à genoux sur une règle pendant 1h, les douches froides et les coups quotidiens. Denis tape dur mais jamais au visage, il est pas débile Denis, il sait qu'il ne faut pas que ça se voit.
Read 14 tweets
6 Mar
Revenge porn..
A la barre, Loïc, 19 ans.
Il est poursuivi pour avoir diffusé les photos nues qu'une fille lui avait envoyées.
Cette fille, une gamine de 16 ans, il l'avait contactée via FB.
Ils ont eu pendant quelques semaines, "une relation virtuelle".
Elle, Laura, raconte avoir bien aimé discuter avec Loïc qui était marrant.
Rapidement, ils ont parlé de Q.
Il lui a demandé de lui envoyer des photos d'elle nue.
Elle a accepté, elle dira que c'est très fréquent entre jeunes de s'échanger des nudes.
Mais Loïc a voulu aller plus loin et lui a demandé de venir chez lui pour avoir une relation sexuelle avec elle.
Laura a refusé, elle explique que c'est marrant de s'amuser en ligne mais de là à aller chez un mec qu'elle ne connaît pas, non.
Read 10 tweets
12 Feb
Il y a des dossiers plus faciles à juger que d'autres.
Celui-là n'en faisait pas partie.
Je me souviens des larmes, tellement de larmes.
Même moi, j'ai lutté pour ne pas en verser, me mordant régulièrement l'intérieur des joues quand je sentais l'émotion me gagner.
A la barre, il y avait Claire, la trentaine, infirmière.
Une douceur qui se dégageait de ses traits mais une voix heurtée de sanglots.
Elle avait une jolie vie jusque là, elle se disait heureuse, son compagnon, ses enfants. Les tracas du quotidien évidemment, mais rien d'autre.
Elle a été forte Claire, pour raconter son histoire au tribunal, malgré les pleurs, les siens mais surtout ceux des autres à quelques mètres d'elle.
Il n'y avait pas un bruit dans la salle, juste des sanglots de part et d'autres.
Read 13 tweets
9 Feb
Je risque de plomber un peu l'ambiance mais je voulais évoquer quelque chose que côtoie très souvent le magistrat, notamment au Parquet : la mort.
Ça fait d'ailleurs partie des raisons qui m'ont fait passer au siège.
Pas la principale, mais quand même.
Avant d'être au Parquet, je n'imaginais pas que tant de gens mourraient, tout le temps, de manière "non naturelle".
Je ne parle pas des meurtres, heureusement assez rare.
Mais tout ce qui est suicide et accident.
Les suicides sont finalement assez tabous en France, on en parle assez peu et souvent uniquement sous l'angle professionnel (chez les policiers, les profs, les agriculteurs..).
Au Parquet, dès qu'une personne se suicide, on est forcément appelé par l'OPJ.
Read 17 tweets
7 Feb
Pour continuer sur la problématique de la détention provisoire, un autre exemple, issue d'une affaire hélas assez banale.
Théo est jeune, il a 19 ans, il vit chez ses parents depuis qu'il est majeur, avant il était en institut médico-éducatif : établissement accueillant les
enfants souffrant de handicap mental. Car Théo a des problèmes psychiatriques pouvant le rendre violent, il gère très mal la frustration et peut être impulsif. Quand il prend son traitement, ça va, il est calme.
Mais il arrête souvent de le prendre car ça le rend tout mou.
Une fois majeur, fini l'IME pour Théo.
Et l'état des soins psychiatriques en France est tel qu'il n'y a pas de place pour Théo à l'hôpital ou dans des appartements thérapeutiques.
Alors Théo est revenu chez ses parents.
Lesquels sont des gens très bien, aimant, qui font tout ce
Read 14 tweets
2 Feb
Tiens d'ailleurs, en parlant de l'instruction, je voudrais quand même rappeler certaines choses, surtout quand je vois les H et F politiques actuels renchérir sur le problème des agressions sexuelles, à faire des belles promesses aux victimes.
Les dossiers de viol et d'agressions sexuelles font très souvent l'objet d'une ouverture d'information judiciaire = saisine d'un juge d'instruction.
C'est obligatoire pour les viols (infraction criminelle).
Or, ça fait des années que les JI (com les autres magistrats d'ailleurs)
croulent sous les dossiers qui s'accumulent dans leur cabinet, avec pour conséquence des délais très longs et une attente insupportable pour les justiciables, victime comme suspect.
Moyenne de durée d'une instruction (entre saisine du JI et clôture instruction)= 32 mois en 2018.
Read 13 tweets

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