Pour continuer sur la problématique de la détention provisoire, un autre exemple, issue d'une affaire hélas assez banale.
Théo est jeune, il a 19 ans, il vit chez ses parents depuis qu'il est majeur, avant il était en institut médico-éducatif : établissement accueillant les
enfants souffrant de handicap mental. Car Théo a des problèmes psychiatriques pouvant le rendre violent, il gère très mal la frustration et peut être impulsif. Quand il prend son traitement, ça va, il est calme.
Mais il arrête souvent de le prendre car ça le rend tout mou.
Une fois majeur, fini l'IME pour Théo.
Et l'état des soins psychiatriques en France est tel qu'il n'y a pas de place pour Théo à l'hôpital ou dans des appartements thérapeutiques.
Alors Théo est revenu chez ses parents.
Lesquels sont des gens très bien, aimant, qui font tout ce
qu'ils peuvent pour aider leur fils.
Mais celui-ci multiplie les crises, il est de + en + violent et frappe ses parents. La mère a fini par déposer plainte la fois où il l'a projetée tellement fort contre un mur qu'elle s'est cassée deux côtes.
Théo a été jugé pour ces faits, il a été condamné à un sursis probatoire avec notamment obligation de soins.
Mais hélas, son état psy ne s'améliore pas et les violences recommencent.
Ses parents sont à bout, épuisés et craignent aussi pour la petite sœur de Théo qui a 6 ans.
Ils ne peuvent pas demander à Théo de partir, il n'a nulle part où aller. Comment mettre son enfant dehors, en sachant qu'on le condamne à dormir sous les ponts ?
Sa place est à l'hôpital, mais tout est complet partout.
Théo passe encore à l'acte et frappe violemment son père cette fois, nez et mâchoire cassée, 60 jours d'ITT.
Théo est déféré pour passer en comparution immédiate.
Le parquet demande une expertise psychiatrique, la dernière datant de plusieurs mois.
Mais l'expert, surchargé, n'a
pas de créneau libre avant la fin de la GAV. Le parquet demande donc au tribunal de placer Théo en détention provisoire le temps que l'expert l'examine et que le dossier revienne à l'audience, 4 semaines après.
Le fait est que si Théo est remis en liberté, il reviendra évidemment chez ses parents, il n'a aucune autre solution.
Et ses parents lui ouvriront la porte. On est en décembre, il fait très froid la nuit dans cette région.
Le risque de récidive est immense, Théo est ingérable et du haut de son mètre 90 et de ses 110 kilos, il est dangereux quand il s'énerve.
Il n'est pas envisageable de faire courir un risque pareil à ses parents et à sa sœur.
Alors on l'envoie en prison ?
Là où il n'a strictement rien à y faire car il est malade, il a besoin de soins psychiatriques, pas de croupir derrière des barreaux, de découvrir la violence de l'univers carcéral.
Son état s'aggravera à coup sûr là-bas. Sans parler des risques
pour lui comme pour les autres détenus et les surveillants.
Le choix est impossible, chacune des décisions est mauvaise.
Tout le monde le sait.
Et personne n'a d'alternative.
Théo est finalement parti en prison.
Au moins sa famille est protégée pendant 4 semaines.
Théo lui ne le sera pas, aucune prise en charge n'aura lieu sur ce temps court, il survivra peut être shooté à la drogue en prison, légale et illégale.
Il a 19 ans.
Et au bout des 4 semaines, il reviendra pour être jugé devant le tribunal. L'expert ne l'aura pas déclaré totalement fou donc il sera condamné.
Et le tribunal en sera exactement au même point : qu'est ce qu'on fait de Théo ?

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9 Feb
Je risque de plomber un peu l'ambiance mais je voulais évoquer quelque chose que côtoie très souvent le magistrat, notamment au Parquet : la mort.
Ça fait d'ailleurs partie des raisons qui m'ont fait passer au siège.
Pas la principale, mais quand même.
Avant d'être au Parquet, je n'imaginais pas que tant de gens mourraient, tout le temps, de manière "non naturelle".
Je ne parle pas des meurtres, heureusement assez rare.
Mais tout ce qui est suicide et accident.
Les suicides sont finalement assez tabous en France, on en parle assez peu et souvent uniquement sous l'angle professionnel (chez les policiers, les profs, les agriculteurs..).
Au Parquet, dès qu'une personne se suicide, on est forcément appelé par l'OPJ.
Read 17 tweets
2 Feb
Tiens d'ailleurs, en parlant de l'instruction, je voudrais quand même rappeler certaines choses, surtout quand je vois les H et F politiques actuels renchérir sur le problème des agressions sexuelles, à faire des belles promesses aux victimes.
Les dossiers de viol et d'agressions sexuelles font très souvent l'objet d'une ouverture d'information judiciaire = saisine d'un juge d'instruction.
C'est obligatoire pour les viols (infraction criminelle).
Or, ça fait des années que les JI (com les autres magistrats d'ailleurs)
croulent sous les dossiers qui s'accumulent dans leur cabinet, avec pour conséquence des délais très longs et une attente insupportable pour les justiciables, victime comme suspect.
Moyenne de durée d'une instruction (entre saisine du JI et clôture instruction)= 32 mois en 2018.
Read 13 tweets
1 Feb
Avant de repartir dans les threads + sérieux et + durs, une autre petite anecdote issue de l'instruction.
De l'art d'apprendre à se taire pour un juge d'instruction...

C'était une affaire de braquage à main armée dans une banque.
Vrais flingues, gros préjudice, ça partait aux Assises.
J'avais convoqué l'un des braqueurs pour un interrogatoire de CV.
Ça consiste à poser plein de questions au mis en examen sur sa vie, son enfance, sa famille, son parcours scolaire/professionnelle, ses relations intimes etc.
L'intérêt est d'en savoir + sur sa personnalité, d'avoir les bases pour enquêter de ce côté là.
Le JI pose donc plein de questions très personnelles.
Read 14 tweets
23 Jan
Dans les affaires d'agressions sexuelles sur mineures, l'immense majorité des prévenus sont des hommes. Mais aujourd'hui je vais vous parler des femmes. De certaines femmes. De certaines mères. Quoi que je doute qu'elles méritent encore ce qualificatif.
Ces femmes qui prennent fait et cause pour leur mari, leur compagnon, le soutenant pour traiter leur propre fille de menteuse.
Celles qui, quand l'homme a reconnu l'existence des relations sexuelles avec sa fille/belle-fille, accusent leur enfant d'allumeuse, de provocatrice.
Celles qui considèrent leur fille comme une rivale dont elles deviennent jalouse parce que leur conjoint semble + attirée sexuellement par elle.
Celles qui obligent la justice à faire placer l'enfant dans un foyer car elles refusent que leur conjoint quitte le domicile.
Read 12 tweets
23 Dec 20
Jeune JI à l'époque, je l'avais rencontré quand il était venu dans mon bureau, j'avais chargé sa brigade d'une commission rogatoire dans une affaire de cambriolages en série. La trentaine, le regard pétillant, un humour dévastateur. Je le revois me donnant du "Mme le juge" à
chaque phrase, un ton empreint de respect mais aussi d'un soupçon d'irréverence.
On est vite devenu amis, rien de plus mais rien de moins non plus.
A travers lui, j'ai découvert l'envers du décors, la vie d'un gendarme OPJ. Ce qu'il se passait une fois que j'avais envoyé ma CR.
Je programmais une interpellation, pour moi une date d'interrogatoire dans mon agenda, pour lui une opération pouvant mal tourner.
Je demandais une surveillance dans un dossier de stup, pour moi l'espoir d'obtenir des preuves, pour lui le stress de se faire repérer.
Read 10 tweets
21 Dec 20
Petit thread sur la comparution immédiate.
C'est une procédure qui devait à la base rester plutôt exceptionnelle = réservée aux affaires simples, dont l'enquête est terminée et dont les faits (notamment leur gravité) justifient une réponse immédiate.
Car la CI est une justice d'urgence = le suspect est immédiatement conduit au tribunal après sa garde-à-vue pour y être jugé le jour même (je simplifie et squeeze le JLD). Et s'il est condamné, il peut partir immédiatement en prison, quelque soit le quantum de la peine.
Pour comparer, la procédure classique de jugement devant un tribunal correctionnel, c'est : après avoir été entendu par les enquêteurs, le suspect reçoit une convocation à l'audience prévue quelques mois plus tard. Et le jour de l'audience, si peine de prison il y a, le principe
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