Tiens d'ailleurs, en parlant de l'instruction, je voudrais quand même rappeler certaines choses, surtout quand je vois les H et F politiques actuels renchérir sur le problème des agressions sexuelles, à faire des belles promesses aux victimes.
Les dossiers de viol et d'agressions sexuelles font très souvent l'objet d'une ouverture d'information judiciaire = saisine d'un juge d'instruction.
C'est obligatoire pour les viols (infraction criminelle).
Or, ça fait des années que les JI (com les autres magistrats d'ailleurs)
croulent sous les dossiers qui s'accumulent dans leur cabinet, avec pour conséquence des délais très longs et une attente insupportable pour les justiciables, victime comme suspect.
Moyenne de durée d'une instruction (entre saisine du JI et clôture instruction)= 32 mois en 2018.
Rien n'a jamais été fait pour augmenter le nombre des JI.
Pire, après Outreau, une loi en 2007 est venue créer les pôles criminels, pour centraliser toutes les affaires criminelles dans un seul gros TJ.
Les JI des petits TJ ne peuvent donc plus instruire les crimes.
Ce sont donc les JI des pôles qui récupèrent ces nouveaux dossiers, en + de ceux qu'ils avaient déjà.
Par ex, les JI du gros TJ doivent donc dorénavant gérer les dossiers criminels de 3 autres petits TJ.
Environ 50/60 nouveaux dossiers chaque année.
Le problème ?
C'est que cette réforme, comme tant d'autres, s'est faite à moyens constants = sauf qqles rares exceptions, pas de création de poste de JI en plus pour absorber ces nouveaux dossiers.
D'où un stock déjà énorme dans les cabinets, et qui grossit encore plus.
Et d'une manière générale, le manque de magistrats partout fait que les JI doivent aussi participer au service général et il n'est pas rare, même dans de gros tribunaux, de trouver des JI occupés un jour par semaine à présider des comparutions immédiates par exemple.
Bref, tout ça pour dire que les beaux discours sur la répression des violences sexuelles etc.. peuvent donner l'impression que le sujet est pris au sérieux, mais si les moyens alloués à la justice ne suivent pas derrière, ils ne resteront que des paroles inutiles.
Ce que les justiciables attendent, ce sont des délais rapides de traitement de leur plainte. Et à l'instruction, il n'y a pas de mystère, quand le JI doit gérer 130 dossiers en même temps, il n'y aura rien de rapide, même rien de normal, ce sera juste long, très long.
Blague de parquetier à ce propos : si tu veux enterrer un dossier, tu ouvres une information !
C'est triste mais pas loin de la vérité.
La seule solution passe par une augmentation massive des recrutements et des créations de poste à l'instruction.
Durcir la gravité des peines,
allonger les délais de prescription, tout ça ne sert pas à grand chose si une victime, comme un suspect, doivent attendre 5 ou 6 ans entre le dépôt de leur plainte et le jugement définitif de leur affaire.
Hélas, je n'ai pas vu passer de recrutement "historique" de magistrat.
Des esprits mal intentionnés pensent d'ailleurs que ça a toujours été une volonté des différents gouvernements de laisser les JI, ces maudits juges indépendants qui s'en prennent aux pauvres hommes politiques, crouler sous les stocks de dossier, histoire de ne pas leur laisser
trop de temps pour mettre leur nez là où il ne faudrait pas...
Je me garderai d'émettre une opinion personnelle à ce sujet mais je constate qu'en tout état de cause, ce sont les justiciables anonymes qui payent les conséquences de cette absurde gestion des ressources humaines.
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Avant de repartir dans les threads + sérieux et + durs, une autre petite anecdote issue de l'instruction.
De l'art d'apprendre à se taire pour un juge d'instruction...
C'était une affaire de braquage à main armée dans une banque.
Vrais flingues, gros préjudice, ça partait aux Assises.
J'avais convoqué l'un des braqueurs pour un interrogatoire de CV.
Ça consiste à poser plein de questions au mis en examen sur sa vie, son enfance, sa famille, son parcours scolaire/professionnelle, ses relations intimes etc.
L'intérêt est d'en savoir + sur sa personnalité, d'avoir les bases pour enquêter de ce côté là.
Le JI pose donc plein de questions très personnelles.
Dans les affaires d'agressions sexuelles sur mineures, l'immense majorité des prévenus sont des hommes. Mais aujourd'hui je vais vous parler des femmes. De certaines femmes. De certaines mères. Quoi que je doute qu'elles méritent encore ce qualificatif.
Ces femmes qui prennent fait et cause pour leur mari, leur compagnon, le soutenant pour traiter leur propre fille de menteuse.
Celles qui, quand l'homme a reconnu l'existence des relations sexuelles avec sa fille/belle-fille, accusent leur enfant d'allumeuse, de provocatrice.
Celles qui considèrent leur fille comme une rivale dont elles deviennent jalouse parce que leur conjoint semble + attirée sexuellement par elle.
Celles qui obligent la justice à faire placer l'enfant dans un foyer car elles refusent que leur conjoint quitte le domicile.
Jeune JI à l'époque, je l'avais rencontré quand il était venu dans mon bureau, j'avais chargé sa brigade d'une commission rogatoire dans une affaire de cambriolages en série. La trentaine, le regard pétillant, un humour dévastateur. Je le revois me donnant du "Mme le juge" à
chaque phrase, un ton empreint de respect mais aussi d'un soupçon d'irréverence.
On est vite devenu amis, rien de plus mais rien de moins non plus.
A travers lui, j'ai découvert l'envers du décors, la vie d'un gendarme OPJ. Ce qu'il se passait une fois que j'avais envoyé ma CR.
Je programmais une interpellation, pour moi une date d'interrogatoire dans mon agenda, pour lui une opération pouvant mal tourner.
Je demandais une surveillance dans un dossier de stup, pour moi l'espoir d'obtenir des preuves, pour lui le stress de se faire repérer.
Petit thread sur la comparution immédiate.
C'est une procédure qui devait à la base rester plutôt exceptionnelle = réservée aux affaires simples, dont l'enquête est terminée et dont les faits (notamment leur gravité) justifient une réponse immédiate.
Car la CI est une justice d'urgence = le suspect est immédiatement conduit au tribunal après sa garde-à-vue pour y être jugé le jour même (je simplifie et squeeze le JLD). Et s'il est condamné, il peut partir immédiatement en prison, quelque soit le quantum de la peine.
Pour comparer, la procédure classique de jugement devant un tribunal correctionnel, c'est : après avoir été entendu par les enquêteurs, le suspect reçoit une convocation à l'audience prévue quelques mois plus tard. Et le jour de l'audience, si peine de prison il y a, le principe
"donc vous vous êtes constitué partie civile pour la dégradation de votre rétroviseur, avez-vous chiffré votre préjudice ?"
"Oui je demande 30 000€ pour le préjudice moral et 150€ pour la franchise"
(véridique)
"Combien demandez vous pour votre préjudice Madame, suite aux coups reçus ?"
"Je ne sais pas, je vous laisse décider"
"C'est impossible"
"...."
[et de voir les avocats souffler gentiment un montant à ma pauvre partie civile]
Sinon nous cette semaine, c'était les AG du tribunal.
L'occasion de faire un point sur la situation en terme d'effectifs notamment.
Petit exposé explicatif, sachant que ce qui se passe dans mon TJ se passe dans la majorité des autres TJ.
L'état des lieux = 4 postes vacants de magistrat, 6 postes de greffier.
C'est pas nouveau, c'était déjà le cas l'année dernière, mais ça s'est juste encore aggravé avec des départs en retraite non remplacés.
Depuis plusieurs années, pour pallier ces vacances de poste, on déshabille Pierre pour habiller Paul = on retire tel greffier /magistrat de tel service qui allait pas trop mal pour les affecter à un service qui était en train de couler.