Comment en est-on arrivé là ? Retour sur la séquence sanitaire des derniers mois, pour essayer de comprendre comment la France qui entrait dans 2021 avec un taux d'incidence inférieur à la moyenne européenne se retrouve aujourd'hui dans une situation critique. 🔽🔽🔽
La France sort des fêtes avec une situation meilleure que ses voisins européens, l'explosion à Noël tant redoutée n'ayant pas eu lieu. Mais depuis début décembre, l'incidence remonte doucement mais sûrement et le couvre-feu à 20h ne suffit pas pour éteindre cette poussée.
A partir de la mi-janvier on commence à observer un découplage. Les cas sont en forte baisse dans presque tous les pays d'Europe - pour beaucoup plongés en confinement avec écoles fermées - mais pas en France, où la hausse, lente et pénible, continue. Ici, la carte au 24 janvier.
C'est à ce moment que l'idée d'un confinement commence à s'imposer en France, considérant que le couvre-feu à 18h ne sera pas suffisant pour infléchir la courbe et que la menace des variants rend possible une catastrophe sanitaire dès février.
Le 21 janvier, le gouvernement fait fuiter ses projets sur BFM: "Peut-on échapper au reconfinement? Ce sera difficile". Le 24 janvier, c'est la fameuse Une du JDD. Le même jour, Delfraissy fait sensation sur BFM : "Il faudra probablement aller vers un confinement".
Puis commence une semaine décisive, dont l'influence néfaste se fait encore ressentir aujourd'hui. Jusqu'à jeudi, l'exécutif semble décidé à reconfiner. Mais vendredi 29, coup de théâtre, à l'issue d'un Conseil de défense, Castex annonce qu'il n'en sera rien.
Que s'est-il passé entre temps ? Premièrement, et c'est sans doute l'explication majeure : la fin de la hausse des cas et des hospitalisations. A ce moment-là, la France commence à s'aligner avec le reste de l'Europe (et même du monde) : l'épidémie reflue légèrement.
Ds le même temps Macron reçoit les modélisations de l'INSERM et de Pasteur qui annoncent un mois de février très difficile. Constatant que la hausse immédiate des cas ne se produit pas, Macron en conclut que les modèles sont faux et qu'il tiendra tête seul face aux scientifiques.
Il faut dire que les modèles sont alors calibrés sur la forte hausse des hospitalisations depuis le début du mois: entre 1er et 24 janvier, entrées à l'hôpital en hausse de 54%. Cette poussée va étonnamment s'arrêter à partir du 25 janvier, les entrées vont même refluer.
Macron avait déjà été échaudé par les modèles qui lui avaient fait déclarer devant les Français le 28 octobre: "Quoi que nous fassions près de 9000 patients seront en réanimation à la mi-novembre". Au final, 4900 patients seront en soins critiques au pic.

leparisien.fr/societe/covid-…
Deuxième explication au revirement macronien : au cours de cette semaine du 25 janvier, le sujet de l'acceptabilité des mesures commence à monter médiatiquement. D'autant que des émeutes contre les restrictions sanitaires éclatent aux Pays-Bas et dans d'autres pays d'Europe.
Comme le taux d'incidence atteint un plateau, le confinement devient soudain plus difficile à faire accepter par la population. Il faut pouvoir vendre le concept de "confinement préventif", changement de paradigme dans un pays qui a toujours confiné en catastrophe.
Au cours de cette semaine décisive, le discours médiatique va progressivement changer, les problèmes psychologiques des Français s'imposent sur le devant de la scène et l'urgence d'un confinement s'estompe. Macron va surfer sur cet air du temps changeant pour imposer son choix.
Constatant une légère amélioration sur le front sanitaire les deux premières semaines de février, la presse va commencer à parler d'un "pari" réussi de l'épidémiologiste en chef Macron. A l'Elysée, on observe que les modèles se sont trompés depuis 10 jours (Politico, 8/02).
L'erreur que va faire alors Macron est de penser que comme les modèles étaient trop pessimistes fin janvier, ils vont nécessairement se tromper de la même manière sur les prochains mois. Les sondages de popularité qui montent ne l'aident pas à redescendre.
Macron s'entête et s'enferme dans ses certitudes : le variant anglais n'aura pas d'effet, et s'il en a de toute façon, on sera vaccinés et ce sera le printemps. Le 1er mars, le président lance alors une tirade (improvisée ?) devant des étudiants: il faut tenir "4 à 6 semaines".
De manière absurde, ces "4 à 6 semaines" deviennent le nouveau mantra de la politique sanitaire française. D'autres pays fixent des limites avant de reconfiner, l'Italie étant en ce sens un modèle, avec un seuil à 250. Au contraire, la France ne cesse de les repousser.
"On croise les doigts" devient le slogan gouvernemental. Que se passe-t-il si la chance nous échappe et que par mégarde, les épidémiologistes ont raison ? Nul ne le sait. Il n'y a aucun plan sur la table. Tout est improvisé d'une semaine à l'autre.

Macron, à l'issue du sommet européen de jeudi, a justifié sa politique: "Je n'ai pas de mea culpa à faire (...) Dans les prochaines semaines, nous aurons des nouvelles mesures à prendre, on les prendra tous ensemble, à la lumière des faits, en étant transparents"
"On les prendra tous ensemble" -> Macron décidera seul en Conseil de défense.

"A la lumière des faits" -> Selon quels critères doit-on renforcer les mesures ? On ne sait toujours pas.

"En étant transparents" -> Transparence ? En Conseil de défense ?
Voilà comment deux mois plus tard, la France que Delfraissy considérait alors comme le "bon élève" de l'Europe, est devenu le vilain cancre de la promo. L'Allemagne et l'Espagne viennent d'imposer des tests obligatoires à l'entrée pour les Français.
Le gouvernement se défend en utilisant l'exemple allemand, où le déconfinement de début mars en pleine poussée du variant a provoqué une forte remontée des cas. C'est exact, et c'est un argument qui questionne le timing d'un confinement en février avec réouverture en mars.
L'Allemagne est également plongée dans le chaos politique, avec des modélisations qui annoncent le pire pour début avril, tandis que plusieurs Länder refusent d'appliquer les règles et de fermer les lieux qui avaient été rouverts début mars.
Reste que la différence entre les deux pays est notable: les hôpitaux allemands ne sont pas surchargés et la menace est encore virtuelle. En Ile-de-France, on doit déjà déprogrammer 80% des opérations et aucune éclaircie n'est en vue.
Le simple fait que les deux pays en soient au même point (blocage politique autour de la question d'un reconfinement) alors que la situation sanitaire est infiniment pire en France en dit long sur la lente dégringolade qu'a subi notre pays depuis deux mois.

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28 Mar
Une étude anglaise très importante vient d'être publiée en pré-print : une estimation de l'impact des mesures sanitaires lors de la 2e vague en Europe.

Les mesures les plus efficaces : fermeture des restaurants, des discothèques et des commerces ImageImage
mais aussi interdiction des rassemblements de plus de 2 personnes (à l'image du confinement en Allemagne par exemple).

Viennent ensuite le couvre-feu, une politique stricte de port du masque et enfin la fermeture des écoles.
Les chercheurs notent que l'efficacité de la fermeture des écoles est moins forte que dans les études de la première vague, ce qui suggère "qu'un fonctionnement plus sûr des écoles est possible avec un ensemble de mesures de sécurité rigoureuses".
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27 Mar
Cette pandémie aura permis un partage des connaissances sur Twitter sans égal. De nombreux scientifiques ont "percé" de manière remarquable sur le réseau.

Aperçu de l'évolution de leurs followers depuis janvier 2020 (classement non exhaustif par nbre décroissant de followers)🧵
- Le microbiologiste @raoult_didier : 0 ➡️799.000 followers

- Le virologue @c_drosten : 700 ➡️712.000 followers

- L'épidémiologiste @Karl_Lauterbach : 93.000 ➡️493.000 followers

- L’épidémiologiste @DrEricDing : 2.000➡️462.000 followers
- Le médecin Scott Gotlieb : 62.000➡️462.000 followers

- Le généticien @EricTopol : 184.000➡️404.000 followers

- L’épidémiologiste @trvrb : 3.600➡️308.000 followers

- L’épidémiologiste @devisridhar : 12.000 ➡️281.000 followers
Read 6 tweets
26 Mar
Il y a beaucoup de confusion autour du débat relancé par les déclarations de Macron : les modélisations annonçaient-elles le pire en février ou en mars ?

La réponse est nuancée : les modélisations évoquaient plutôt février, mais Delfraissy a annoncé avec justesse la mi-mars.
Le 24 janvier, Delfraissy sur BFM TV: "Nous sommes le pays d'Europe actuellement avec l'Italie dans la meilleure situation sanitaire. Mais c'est une fausse sécurité, ça ne peut pas perdurer. Si nous ne faisons rien, nous serons dans une situation très compliquée à la mi-mars"
Le 27 janvier, Delfraissy, auditionné par une commission parlementaire : "L’arrivée du variant montre que l’on va se retrouver à la mi-mars dans une situation sanitaire avec des conséquences importantes pour les entrées en réanimation"
Read 15 tweets
21 Mar
Gabriel Attal sur BFM TV : "Il n'y a plus de règle des 6. La logique aujourd'hui est de ne pas recevoir chez vous des personnes qui ne sont pas de votre domicile. Si vous voulez voir des amis, voyez-les dehors, si c'est possible". C'est une recommandation, pas une obligation.
Gabriel Attal : "Vous aurez remarqué que contrairement à certains pays dans le monde, des policiers ne débarquent chez vous pour voir combien vous êtes. Macron s'est toujours engagé pour les libertés des Français".
Il y a un certain flou sur cette règle des 6 :la porte-parole du ministère de l'Intérieur avait jugé sur BFM qu'elle était encore en vigueur, en intérieur comme en extérieur. Gabriel Attal assure qu'elle est désormais caduque en intérieur.
Read 9 tweets
21 Mar
A la veille d'un nouveau sommet entre Merkel et les Länder, l'incidence repasse au-dessus de 100 en Allemagne.

Cette barre correspond à celle du "frein d'urgence" et qui consiste normalement à refermer les lieux qui ont été rouverts (commerces, musée...).
Je dis normalement, parce qu'il reste une grande latitude au niveau local pour appliquer ces mesures. Vendredi, Merkel a rappelé l'existence de ce seuil: "Nous constatons que la situation évolue de manière difficile. Malheureusement, nous devrons utiliser ce frein de secours."
Si de nouvelles restrictions ont été mises en place à Hambourg ou en Hesse, ce n'est pas le cas en Saxe-Anhalt, où l'incidence dépasse aussi 100.

Tout l'enjeu du sommet de demain sera d'harmoniser ce "frein d'urgence", en gérant notamment la question délicate de Pâques.
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20 Mar
"0,5% ? C'est 500 pour 100.000, c'est au-dessus du taux d'incidence !"

Jean-Jacques Bourdin fait ici une erreur très commune, consistant à considérer qu'un test mené au hasard dans une population est comparable au taux d'incidence.
Ce chiffre de 0,5% n'est pas un taux d'incidence, mais un taux de prévalence.

La différence est subtile mais importante. L'incidence, ce sont le nombre de *nouveaux* cas reportés sur une semaine. La prévalence, c'est le taux de personnes positives à un moment donné.
Or, sur un test PCR (comme le test salivaire), la durée de positivité est d'environ 3 semaines. Le taux de prévalence Covid est donc toujours supérieur au taux d'incidence, qui dénombre les nouveaux cas sur une semaine.
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