Thread by @BenjaminBriceFR

En 🇫🇷, le commerce avec la 🇨🇳 depuis les années 2000 aurait détruit 104 000 emplois (estimation haute).

Mais, dans le même temps, ce commerce aurait permis un gain annuel de 30mds€ de pouvoir d’achat pour les ménages !

Est-ce donc au final un bon deal ?
Ouvrons le débat !
👇

Ces chiffres sont issu de la dernière étude du @CAEinfo (par @XJaravel et @IsabelleMejean) sur la stratégie de résilience de la 🇫🇷

Comme toujours avec le CAE (Conseil d’analyse économique), on a une étude bien présentée, solidement documentée et très intéressante.

@XJaravel et @IsabelleMejean rappellent à la fin que chaque emploi détruit à cause des importations chinoises a permis un gain de pouvoir d’achat de 280 000€ !

Cela devrait donc nous mettre en garde contre les réponses protectionnistes, même si elles sont de + en + populaires.

Eh bien ! je n’ai pas vraiment la même évaluation des choses !

Il me semble donc important d’en discuter publiquement, car il ne s’agit plus ici de science économique ou d’expertise, mais de CHOIX politiques qui impliquent toute la cité.

Je ne questionne pas ici la stratégie de résilience prônée par l’étude.

(Même si, à mon avis, l’ampleur des bouleversements auxquels la 🇫🇷 va avoir à faire face dans les décennies à venir est sous-estimée.)

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1380173450149564421

En revanche, il me paraît manquer un certain nombre d’éléments si l’on veut arbitrer correctement entre « gains pour le consommateur » et « destruction d’emplois » (p. 11). Non seulement dans le cas précis du commerce avec la 🇨🇳, mais aussi de manière plus générale.

1) Territoires

Beaucoup de territoires ne se remettent pas de la perte de leurs emplois industriels : fermeture des commerces, chute des prix de l’immobilier, baisse des recettes fiscales, etc.

Quelques exemples ⤵️

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1384556279067299843

Les programmes de reconversion et de revitalisation atténuent sans doute certains maux, mais ils ne peuvent enrayer le déclin.

Avec les destructions d’emplois, des pans entiers du territoire se retrouvent irrémédiablement marginalisés dans la création de valeur.

En parallèle, la « métropolisation de la valeur ajoutée » fait que le coût du logement, en 🇫🇷, est devenu un problème social majeur, surtout pour les membres des classes populaires obligés d’aller trouver du travail dans les métropoles, là où l’on crée des emplois !

Évolution démographique entre 2013 et 2018 :
➡️ de +0,4 % à +0,9 % pour les aires > 700 000 habitants,
➡️ -0,1 % pour les aires < 50 000.

Taux d’effort net pour le logement (en 2015) :
19 % pour le 4ème quartile (+3pts entre 2001 et 2013),
49 % pour le 1er quartile (+8pts !).

Et le déclin des emplois de production au profit d’emplois de « back office » (@maillardenis), souvent mal reconnus et mal rémunérés, déséquilibre les relations entre classes populaires et classes supérieures.

La « notion de “destruction créatrice” […] s’est mondialisée […], si bien que, pour une région ou un pays particuliers, la destruction est en réalité destructrice : disparition des entreprises, saccage du tissus social et effondrement des perspectives de rebond » (@axelkahn).

2) Chômage

Pour les ouvriers 🇫🇷, il n'y a pas eu beaucoup de destruction créatrice. Des emplois détruits, ce sont … des emplois détruits !

Entre 2000 et 2019, le taux de chômage moyen des ouvriers a été de + de 12 %.

Et encore, cela ne représente qu’une partie de la réalité, car le chômage des classes populaires s’accompagne d’une montée de la précarité (contrats courts, temps partiels, inactivité subie, etc.).

En 1996, pour 100 chômeurs de catégorie A, il y avait 20 personnes inscrites dans les catégories B et C (activité réduite).
-Presque 50 au début des années 2010.
-Plus de 60 en 2019…

En 2005/2006, 35 % des personnes ayant au plus un brevet des collèges connaissaient une contrainte dans l’année sur le marché du travail (chômage, sous-emploi ou halo du chômage).

Cette proportion est montée à 46 % en 2018/2019 (19% à partir de bac+2).

3) Déficit extérieur

Le gain de pouvoir d’achat est important, de l’ordre de 1 000 euros par ménage et par an d’après l’étude.

Mais, du point de vue de la 🇫🇷, ce n’est pas du tout un gain ! Car ce pouvoir d’achat est financé à crédit !

Depuis 20 ans, la position extérieure nette de la 🇫🇷 ne cesse de se dégrader.
2000 (T4) : +2,2 % du PIB
2020 (T4) : -26,7 % !

(Nous avons d’ailleurs une trajectoire tout à fait singulière en 🇪🇺 ⤵️)

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1367868620345401347

Ce déficit ne correspond pas à de l’investissement productif qui permettrait de gagner des parts de marché. Il ne nous sert pas à investir massivement dans la recherche, l’éducation ou les services publics. Il nous sert à consommer plus de produits importés, de 🇨🇳 ou d’ailleurs !

4) Empreinte environnementale

De ce point de vue, le gain de pouvoir d’achat pose aussi problème.

Non seulement il se traduit par une augmentation du volume de consommation, alors que les scientifiques recommandent davantage de sobriété ⤵️

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1380171407724843009

Mais en plus les produits 🇨🇳 ont une empreinte carbone beaucoup plus grande que les produits 🇫🇷 qu’ils remplacent…

En 2018, la génération d’électricité était bas carbone à 87 % en 🇫🇷 (2018), contre 25 % en 🇨🇳 (avec même 69 % venant de la pire source : le charbon !).

Tout cela ne suffit pas à trancher la question, mais apporte quand même un contre-point indispensable.

D’un côté, effectivement, l’ouverture commerciale stimule l’innovation des entreprises nationales (sinon elles disparaissent) et augmente la quantité de produits consommés.

De l’autre, on ne peut pas négliger le fait que, au moins en 🇫🇷, cette ouverture commerciale a également eu pour corollaire des choses très négatives : déséquilibres territoriaux, inégalités sociales, déficit commercial durable et alourdissement de l’impact environnemental.

Fallait-il faire autrement ? Le débat reste ouvert. Mais pour bien poser le problème, il est essentiel de prendre en compte les différentes perspectives.

Est-ce que cette combinaison d’ouverture et de redistribution a posteriori est la meilleur chose pour la 🇫🇷 ? J'en doute.

Deux conclusions :

1) Nous avons tendance, dans le débat public, à mesurer l’intérêt national à l’aune des indicateurs de la performance économique (croissance du PIB, productivité, valeur ajoutée, etc.). Cela peut être très utile, mais cela reste toujours très partiel.

D’ailleurs, je crois que nous entrons dans une ère où la divergence entre ces indicateurs et les intérêts de la 🇫🇷 risque de s’accentuer, car ces indicateurs prennent assez mal en compte la colère sociale, les tensions internationales et les limites de la planète.

« Il faut toujours avoir une vision transversale des choses. On ne peut pas seulement avoir une vision économique aujourd’hui, on doit aussi avoir une vision géopolitique […], de développement territorial… » (@a_voygillis).

2) Le commerce international permet en général d’↗️ le pouvoir d’achat des ménages (notamment du fait des écarts dans le prix de la main-d’œuvre).
Les responsables politiques qui parlent de relocalisation sans prendre en compte cette réalité font de la com’ ou de la démagogie.

Mais cela ne signifie pas que le but de nos sociétés est d’accroître à n’importe quel prix le pouvoir d’achat des ménages !

Un récent sondage montre que 85 % des 🇫🇷 souhaitent que les produits soient fabriqués sur notre territoire même s’ils sont plus chers (Ipsos Sopra-Steria).

Comment est-ce possible ?

Peut-être tout simplement parce que les gens voient bien que les prix bas nous coûtent collectivement très cher : désindustrialisation, demande accrue de flexibilité, nécessité de réduire les dépenses publiques, etc.

Voilà pourquoi le débat sur les avantages et les inconvénients de notre ouverture commerciale me paraît beaucoup moins tranché que ne le suggère l’étude du CAE.

Mais, quoi qu’il en soit, l’essentiel est bien sûr de pouvoir en discuter !

Sources :
- Étude du CAE : @XJaravel, @IsabelleMejean, avril 2021, cae-eco.fr/quelle-strateg….
- Croissance démographique selon les zones : @InseeFr, insee.fr/fr/statistique….
- Taux d’effort net : @InseeFr, Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2018, fiche 2.12, p. 181.

- Citation de @axelkahn : Pensées en chemin : Ma France, des Ardennes au Pays basque, Paris, Stock/NiL, 2014, p. 174.
- Calcul du chômage des ouvriers : @InseeFr, tableau T303.

- Calcul du rapport entre les catégories A, B et C : données de Pôle-emploi (France entière, corrigées des variations saisonnières).
- Contrainte sur le marché du travail : @InseeFr, figure 2a, insee.fr/fr/statistique….

- Position extérieure nette : @EU_Eurostat, ec.europa.eu/eurostat/datab….
- Données sur la production d’électricité : @IEA, iea.org/countries.
- Sondage Ipsos Sopra-Steria : @finchelstein, avril 2021, jean-jaures.org/nos-production… (p.57 des résultats complets).

- Citation de @a_voygillis : @jattali,

https://twitter.com/jattali/status/1384908462501601290

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