@jamel_dean se demande en substance comment expliquer ce que l'on pourrait appeler le gouvernement par la dissonance cognitive de Macron. Je vais prendre cette question très (trop) au sérieux.
Le postulat de base de cette discussion est le suivant : depuis février 2020, les décisions d'Emmanuel Macron n'ont même pas été mauvaises - pour atteindre ce niveau il eut fallu que des objectifs explicites les accompagnent - elles ont été absolument irrationnelles.
Pourquoi ?
Macron n'est pas intellectuellement diminué, le réel devrait finir par s'imposer à son esprit.
Et puis non. Pas en février 2020. Pas en août 2020. Pas en janvier 2021. Pas en mai 2021. Et à chaque fois, les conséquences dramatiques inévitables, prévisibles et prévues.
C'est le sens de la citation de Philip K. Dick.
“Reality is that which, when you stop believing in it, doesn't go away.”
SArs-CoV-2 is not going away, reality should prevail.
Donc, catastrophes après catastrophes, on peut être tentés de se dire qu'il comprend mais qu'il a des objectifs secrets. Que la crise sanitaire l'arrange, par exemple. Ou alors qu'il "sait quelque chose que nous ne savons pas".
Mais je ne crois pas.
Quand une conclusion obtenue logiquement produit des résultats incorrects, il faut envisager que ses prémisses soient fausses. Si le réel s'imposait à Macron, il finirait par le prendre en compte. Nous constatons tous que ce n'est pas le cas. Lui-même le revendique
C'est le fameux "Je ne conditionne pas la réouverture des écoles à des indicateurs sanitaires".
C'est donc que le réel ne s'impose pas à Macron. La citation de Dick est trop optimiste. Rien n'est jamais donné, rien ne s'impose jamais de lui-même. Tout est transmis socialement.
Pour accéder à la réalité, il faut accepter la perspective de l'autre. Sinon, ce n'est pas la réalité dont on traite, mais le reflet déformé qu'en donne notre propre subjectivité. C'est un énoncé de portée générale, mais d'interprétation très concrète.
Pour comprendre la catastrophe des Ehpad en mars 2020, il faut accepter la perspective d'une aide-soignante ou d'un aïeul d'une famille modeste. Pour comprendre les hôpitaux début avril, il faut accepter celle d'une infirmière.
Pour comprendre l'absurdité de la rentrée 2020, celle d'un professeur des écoles, du secondaire ou du supérieur. Etc.
Pour qui se permet de refuser ces perspectives multiples, de les ignorer (dans les deux sens du terme), elles ne s'imposent pas. Et le réel non plus
À la limite, le rappel au réel est vécu comme un défi. Il faut donc que le détenteur de l'autorité détienne toutes les autorités (politique, médiatique, scientifique, morale etc.), il faut aussi que les détenteurs légitimes de ces compétences alternatives soient dévalorisés.
Il faut non seulement que Macron ne tienne pas compte du réel, mais qu'il le contredise. Qu'il le challenge pour reprendre le terme en vogue. J'avais essayé de l'expliquer dans le fil ci-dessous.
Et le "réel" ne s'imposera pas de lui-même, il faudra que nous imposions nos perspectives. C'est un rapport de force, dans lequel Macron juge qu'il est le plus fort.
Reality does go away. We should not.
Revenons à des considérations plus terre à terre. Ce bras de fer avec les perspectives des autres n'est-il pas voué à être un désastre électoral ? Si bien sûr, et les résultats aux élections municipales et bientôt aux régionales le démontrent.
Toutefois, les modalités précises de l'élection présidentielle et la configuration actuelle de l'électorat français permettent (ce qui est inédit) d'envisager une victoire en se basant strictement sur 10/12% de l'électorat, à condition que l'abstention soit suffisante.
Il y a en France 10/12% d'électeurs qui considèrent que si le maintien et la reproduction de leur position dominante dans la société doit passer par l'écrasement total des perspectives des autres (et accessoirement la destruction de la biosphère et 120000 morts), then so be it.
C'est une petite minorité, mais elle est très influente, presque par définition (pour avoir une domination à maintenir, il faut être en position dominante). Et Macron est un Président raisonnablement à l'écoute de leurs préoccupations. Ils ont des raisons d'en être satisfaits.
Pour moi l'exemple paradigmatique de cette politique est le désormais célèbre "quoiqu'il en coûte". Qu'est-ce que ce "quoiqu'il en coûte" ?
L'affirmation par Macron qu'il dépensera autant d'argent public que nécessaire pour maintenir les inégalités instituées par l'économie privée lorsque celle ci est mise à l'arrêt. Je crois qu'il faudrait s'arrêter sur ce choix.
Ses défenseurs comme ses détracteurs s'accordent pour dire que l'économie de marché est la synthèse de la maximisation du profit (donc d'une certaine forme d'efficience économique) et d'inégalités.
Puisqu'on est l'anniversaire de #KarlMarx, le Manifeste
"What earlier century had even a presentiment that such productive forces slumbered in the lap of social labour?"
Mais sous Macron pendant la pandémie, on a eu une forme historiquement inédite : toutes les bénéfices productifs de l'économie de marché seront suspendus, toutes les inégalités qu'elle institue seront soigneusement préservées en ayant recours à l'argent public.
Quoiqu'il en coûte donc, pour que les privilèges de quelques dominants soient préservés. Quoiqu'il en coûte. Des yeux crevés, des mains arrachées, des infirmières matraquées, l'éducation massacrée, 120000 morts.
Quoiqu'il en coûte, tant que la domination est maintenue.
Ces deux aspects de la présidence Macron sont indissociables, l'un ne peut pas s'envisager sans l'autre. On ne peut pas à la fois gouverner pour le maintien des privilèges de "ceux qui ont réussi" et prendre en compte les perspectives de "ceux qui ne sont rien".
On ne peut pas ignorer les perspectives des autres et accéder à la réalité. Macon gouverne donc par la dissonance cognitive, oui. Nécessairement.
C'était son projet politique dès le début et la raison pour laquelle son électorat le soutient.
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Pour décrire cette situation où quelqu'un vous ment, et non seulement vous ment mais énonce avec aplomb l'exact inverse de ce qu'il soutenait un instant avant. Vous le savez et il sait que vous le savez. Il est grotesque, il le sait, mais il se le permet.
Comme lorsque Anne-Christine Lang défend les choix de Jean-Michel Blanquer en pointant qu'avec le contrôle continu, le Bac de Saint-Jean de Passy risque de valoir plus que celui d'un lycée du 93.
Comme lorsqu'Olivier Véran appelle la gauche à regarder en face le bilan social de LREM, la même semaine où la presse laisse fuiter que Laurent Pietraszewski pourrait bien ne plus être tête de liste, et donc que LREM elle-même a honte de son bilan social.
"Il n'y a de recherche que si les chercheurs sont respectés et récompensés quand ils trouvent. Il peut y avoir levée des brevets mais naturellement il faudra indemniser les laboratoires"
-Il faut que nous parlions un peu de notre Radium, son industrie va prendre une grande extension, c'est certain.
-Alors ?
-Alors, nous avons le choix entre deux solutions. Décrire sans aucune restriction les résultat de nos recherches, y compris les procédés de purification.
-Oui, naturellement.
-Ou bien, nous pouvons nous considérer comme les propriétaires, les inventeurs du Radium.
Allez, Stanislas, Agnès et Maud, j'ai pitié de vous, je vous en souffle un : "l'opposition veut apparemment le système de santé américain. Moi, je suis fière de la santé de notre pays, et je ne crois pas que les Français qui ont applaudi les soignants, c'est ce qu'ils veulent".
(J'ai préparé aussi les fautes de français, pour que votre prise de parole soir crédible)
Fin février 2020, Emmanuel Macron est prévenu de la gravité de l'épidémie. Il a attendu jusqu'au 17 mars pour confiner, ce qui a multiplié par 4 le nombre de victimes de la première vague.
Ce n'est pas le choix le plus criminellement irresponsable de sa gestion épidémique.
Toujours fin février, et bien qu'informé par la cellule de crise dédiée à ce problème de la pénurie, il a choisi de nier la nécessité des masques, sans craindre le ridicule le plus grotesque.
Ce n'est pas le choix le plus criminellement irresponsable de sa gestion épidémique.
Fin juillet 2020 et après une quasi-suppression de la circulation du virus dans l'hexagone, celui-ci a entamé une dynamique de croissance exponentielle avec R=1,3. Emmanuel Macron a alors choisi de ne prendre aucune mesure pour casser cette dynamique.
D'abord, c'est une question de fonctionnement mental.
On peut présenter clairement les faits tels qu'on les comprend, énoncer ses priorités politiques, les objectifs qui en découlent, les moyens que l'on se donne pour les atteindre et spécifier les conditions de succès.
Faire ceci, c'est accepter de se soumettre à une discipline puissante : c'est accepter que le moment de l'évaluation venu, son propre point de vue ne sera en rien privilégié sur celui des autres parties prenantes, que tous au contraire seront en principe également valides.
On a justement commenté le "beaucoup de sang-froid, beaucoup d'humilité" mais avec Amélie de Montchalin, il faut citer exhaustivement : couper c'est amoindrir sa pensée.
Un mot sur la forme d'abord. Chaque fois qu'Amélie de Montchalin prend la parole, c'est comme quand un Ministère pond un document de propagande avec des fautes d'orthographes, ça me froisse : j'ai l'impression que je ne mérite même pas que l'on me mente en français correct.
"La décision, la stratégie, c'était de laisser le maximum ouvert tout en fermant ce qui devait l'être".
Je ne laisserai personne dire que ceci n'est pas une stratégie, surtout quand elle est mise en oeuvre en prenant les bonnes décisions au bon moment.