D'abord, c'est une question de fonctionnement mental.
On peut présenter clairement les faits tels qu'on les comprend, énoncer ses priorités politiques, les objectifs qui en découlent, les moyens que l'on se donne pour les atteindre et spécifier les conditions de succès.
Faire ceci, c'est accepter de se soumettre à une discipline puissante : c'est accepter que le moment de l'évaluation venu, son propre point de vue ne sera en rien privilégié sur celui des autres parties prenantes, que tous au contraire seront en principe également valides.
C'est une façon d'articuler sa pensée, mais ce n'est pas la seule, et elle est radicalement incompatible avec une autre manière de structurer sa pensée : celle qui fait procéder la validité d'un énoncé de la position hiérarchique de celui qui l'énonce.
La question n'est donc pas tant "qu'est-ce qui explique l'incapacité des politiques à admettre des erreurs ?" mais "pourquoi la seconde manière de structurer sa pensée plutôt que la première ?".
Je crois qu'il faut chercher dans le cadre social où se déploie la pensée.
Personne ne vient au monde avec la capacité d'accorder au point de vue de l'autre la même validité que le sien propre. Il faut l'apprendre, et y être contraint. Il faut rencontrer une opposition, une force qui vient nous rappeler que notre jugement n'est pas le seul qui vaille.
@ColmezPierre note que "masquer son incompétence par de l'arrogance fait partie des techniques de management enseignées dans tous les lieux de fabrication de l'élite". Je pense qu'il a fondamentalement raison, mais que l'accent est trop mis sur l'enseignement.
Et pas assez corrélativement sur l'expérience sociale qui enveloppe cet enseignement. Ce n'est pas tant ce qu'on lui a appris lors de ses cours à l'École alsacienne, à Henri IV puis à HEC qui a fait de Stanislas Guérini la vacuité intellectuelle et irresponsable qu'il est.
C'est l'expérience permanente depuis son enfance jusqu'à aujourd'hui d'avoir "raison institutionnellement", pour reprendre la jolie expression de @DecafeOmar : se trouver de manière répétée en position de domination, qui vient justifier tautologiquement la domination suivante.
J'ai grandi dans une famille très aisée et éduquée. Il est donc normal que je bénéficie d'une éducation meilleure que celle de mes camarades, que je sois sélectionné dans une classe préparatoire meilleure, que j'obtienne un diplôme qui vaut reproduction de ma position dominante.
Ensuite, ma carrière professionnelle et politique sera structurée autour de mon réseau personnel, et encore une fois tout cela se justifiera par la grande tautologie qui veut que mon réseau me valide, et qu'il est lui-même valide parce que c'est mon réseau.
Cette tautologie même qui amène bon nombre de diplômés de ces écoles à déclarer with a straight face "la valeur de l'éducation à HEC" (ou autres) "c'est le réseau des anciens élèves".
En politique, il est au moins d'usage que l'on se confronte au suffrage, donc que l'on doive passer au moins occasionnellement sous les fourches caudines de la défaite électorale, et l'on est en principe exposé à la critique de la presse d'opposition.
Mais la spécificité du pouvoir actuel est d'avoir accédé à un pouvoir absolu en remportant exactement une élection (je me dispense de la fiction des élections législatives 5 semaines après la présidentielle) et d'avoir réussi la synthèse des puissances économiques et médiatiques
Reprenons notre Stanislas Guérini, comme archétype. Une circonscription électorale taillée pour sa candidature. Une presse de révérence, de Libération et France Inter à CNEWS et Valeurs Actuelles. Un parti coquille vide aux initiales de son créateur.
L'intégralité de sa vie sans aucune exception lui a démontré que la domination découle de la domination, que le pouvoir se justifie tautologiquement par le pouvoir, et cela l'a mené à être le bras droit d'un Président qui partage la même expérience de vie et la même conviction.
Il n'y a aucun mystère aux "bonnes décisions au bon moment" de Castex, "s'il doit y avoir des décisions supplémentaires, elles seront évidemment prises" de Bregeon, "la décision était de laisser au maximum ouvert en fermant ce qui doit l'être" de de Montchalin
Ce sont des tautologies, mais opérantes : celui qui décide, décide, et la décision qu'il prend est la bonne décision, par la vertu de l'autorité qui lui permet de décider. Qui sommes-nous pour juger, nous qui ne sommes pas des décideurs ? Nous qui sommes ceux qui ne sont rien.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'une fois ce processus cognitif installé, il n'y a guère de le sens à le discuter selon les normes de l'autre. Les mots eux-mêmes n'ont pas le même sens. On le voit chaque fois qu'un ministre "assume".
"Assumer une décision", dans la logique hiérarchique, signifie "cette décision procède de mon autorité" (lorsque c'est Macron qui assume) ou bien "cette décision procède de l'autorité hiérarchique dont dérive mon jugement" (lorsque c'est un LREM). Dans une logique où l'on accepte
l'évaluation sur des critères fixés publiquement au préalable, cela signifie "cette décision sera évaluée par des critères fixés ensemble et qui m'échappent désormais ; j'accepterai le résultat selon ses critères quel qu'il soit finalement". Soit exactement le contraire.
Idem pour l'épistémologie implicite de la gestion empirique de la crise épidémique.
Macron se forge une opinion, qu'il exempte d'examen critique, et il envisage éventuellement de la réviser si on lui apporte la *preuve* que cette opinion est incorrecte. Preuve dont il se charge en sus de définir les standards et les modalités.
La courbe des cas n'augmente pas franchement ? "Les chiffres lui donnent raison". Elle augmente franchement ? "on voit bien que finalement que l'on aurait mis des contraintes trop importantes puisqu'on a réussi à tenir un certain nombre de temps". Et oui, ce sont des citations.
On peut se demander pourquoi ils pensent ainsi, mais à examiner la société dans laquelle ils ont évolué et la façon dont ils ont atteint leur position sociale, le vrai mystère serait qu'ils ne pensent pas de cette manière.
Qu'est-ce qui aurait bien pu leur apprendre ?
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Fin février 2020, Emmanuel Macron est prévenu de la gravité de l'épidémie. Il a attendu jusqu'au 17 mars pour confiner, ce qui a multiplié par 4 le nombre de victimes de la première vague.
Ce n'est pas le choix le plus criminellement irresponsable de sa gestion épidémique.
Toujours fin février, et bien qu'informé par la cellule de crise dédiée à ce problème de la pénurie, il a choisi de nier la nécessité des masques, sans craindre le ridicule le plus grotesque.
Ce n'est pas le choix le plus criminellement irresponsable de sa gestion épidémique.
Fin juillet 2020 et après une quasi-suppression de la circulation du virus dans l'hexagone, celui-ci a entamé une dynamique de croissance exponentielle avec R=1,3. Emmanuel Macron a alors choisi de ne prendre aucune mesure pour casser cette dynamique.
On a justement commenté le "beaucoup de sang-froid, beaucoup d'humilité" mais avec Amélie de Montchalin, il faut citer exhaustivement : couper c'est amoindrir sa pensée.
Un mot sur la forme d'abord. Chaque fois qu'Amélie de Montchalin prend la parole, c'est comme quand un Ministère pond un document de propagande avec des fautes d'orthographes, ça me froisse : j'ai l'impression que je ne mérite même pas que l'on me mente en français correct.
"La décision, la stratégie, c'était de laisser le maximum ouvert tout en fermant ce qui devait l'être".
Je ne laisserai personne dire que ceci n'est pas une stratégie, surtout quand elle est mise en oeuvre en prenant les bonnes décisions au bon moment.
Annonce positive dans un futur indéterminé, forme passive sans agent pour tout ce qui nécessite un travail effectif, attribution des décisions bénéfiques à Emmanuel Macron.
Je me demande l'effet rhétorique recherché par ce choix stylistique, c'est tellement subtil.
Et tellement novateur dans la forme et sur le fond, pas du tout la même forme que le 15/01
"Lundi débutera une campagne de dépistage massif de Covid-19 dans les collèges et lycées, comme l'a annoncé jeudi le ministre de la Santé, Olivier Véran"
Ceci est un message pour rappeler que cette semaine, des dizaines de milliers d'élèves de la maternelle à la Terminale seront privés de cours, et prendront donc du retard dans leurs apprentissages. Pour certains, ce retard se comptera en mois à la fin de leur scolarité.
Pas à cause des grèves, pas parce qu'un syndicat lycéen organise des rencontres en non-mixité, pas parce que des islamistes ont dénoncé un cours d'histoire ou de biologie, pas parce que des élèves ont perturbé un cours ou qu'un parent d'élève a agressé un membre du personnel.
Parce qu'avec la dégradation des conditions d'enseignement - due à l'augmentation des effectifs, aux réformes qui s'enfilent pour des raisons de publicité, au gel de la rémunération, à la charge de travail qui augmente - et la baisse des DHG, cela fait maintenant plusieurs années
C'est pour moi un anniversaire très spécial. Les trois semaines de fin février et début mars m'ont dévasté psychologiquement. Finalement, ce soir-là, j'ai écrit le fil ci-dessous, qui reste mon tweet épinglé.
Je m'étais épuisé au près de ma hiérarchie, de mes collègues et de mes connaissances à signaler la gravité de l'épidémie, la nécessité de confiner au plus tôt si nous ne voulions pas vivre la même chose que le Hubei, puis la même chose que l'Italie du nord, sans effet.
En me relisant un an après, je ne trouve malheureusement pas grand chose à modifier. Pendant quelques mois, je me suis trouvé pessimiste avec ma prédiction de 100000 morts au final. Nous avançons inexorablement vers ce seuil.
Le contexte : le 07/03, nous savons maintenant qu'Emmanuel Macron est au courant depuis déjà dix jours des éléments suivants, qui lui ont été transmis par son conseil scientifique et par la cellule de crise :
-L'épidémie est en croissance exponentielle en France.
-Si on la laisse circuler, elle causera entre 100000 et 500000 morts.
-Il n'y pas assez de masques, même pour les soignants.