Il n’y a pas si longtemps, j’expliquais ici qu’il y a deux grandes conceptions du capital : un patrimoine (à la Piketty) ou un rapport social de production (à la Marx). Je propose dans ce fil une explication de cette dernière conception à partir de Bihr.
Dans son livre (en 3 tomes, 3 000 pages…), Alain Bihr cherche à nous démontrer comment le capital en tant que rapport social de production s’est imposé entre 1415 et 1763 – période qu’il appelle, « Le premier âge du capitalisme ».
Dans un ouvrage antérieur, "La préhistoire du capital", il nous avait expliqué l’importance de la distinction entre capital et capitalisme, pour mieux comprendre les différences avec les autres modes de productions, par exemple en Europe médiévale le féodalisme.
D’après lui, on ne peut parler de capitalisme que pour les formations socio-spatiales dans lesquelles le capital est pas le rapport social de production dominant – même s’il rencontre la résistance de structures héritées de modes de production antérieurs.
Le capitalisme, c’est la réduction tendancielle de la praxis sociale entière à la logique du capital. Or, il y a une histoire avant le capitalisme.
[NB: on parle souvent de marchandisation, c'est en fait la dynamique normale dans le capitalisme, la réduction de tout au capital]
On ne peut parler de capitalisme qu’à partir de l’Europe occidentale moderne, c’est-à-dire la période allant entre le XVè et le XVIIIè siècle. C’est sur le fond de l’expansion commerciale et coloniale que se parachèvent les rapports capitalistes de production.
Autrement dit, le capital a préexisté de longue date au capitalisme et ce n’est que récemment que la dynamique de subordination de l’ensemble de la praxis sociale aux exigences de reproduction du capital s’est lancée.
Le livre sur « La préhistoire du capital » cherche en conséquence à démontrer comment le capital comme rapport social de production a dissout le mode de production féodal – fondée en grande partie sur le servage et le lien vassalique.
Mais, on n’est toujours pas avancé, qu’est-ce que le capital ?
C’est dans le tome 2 du premier âge du capitalisme que Bhir, en paraphrasant Marx, en donne la définition la plus limpide :
A – M (Mp + T) … P… M’ – A’
Le capital comme rapport social de production c’est un cycle articulant production et reproduction. Que signifient toutes ces lettres ?
A = capital-argent initial : l’argent faisant fonction de capital; l’argent avancé afin de conservation et d’accroissement de sa valeur.
[NB : le fait d’avoir de l’argent ne fait pas de vous un capitaliste, c’est le fait de vouloir en retirer plus d’argent que la somme initiale.]
Mp et T = moyens de production et forces de travail, que ce même capital (A) s’approprie sous forme de marchandise M, afin de les combiner en un procès de production.
P= procès de production dans sa dualité de procès de travail et de procès de valorisation. Pas seulement production de valeur d’usage mais aussi conservation d’une valeur ancienne et formation d’une valeur nouvelle supérieur à la force de travail, la différence est la plus-value.
M’ = produit-marchandise résultant de ce procès de production dont, par hypothèse, la valeur est supérieure à la valeur initiale avancée, soit M’ = M +dM, dM représentant la plus-value sous sa forme de marchandise.
A’ = A + dA est le capital argent final, le capital A faisant retour dans les mains du capitaliste qui l’a initialement avancé en étant engrossé de la plus-value dA, donc sous une forme appropriée à la répétition du procès de précédent, permettant ainsi l’accumulation du capital.
Tout cela n'est pas naturel !
Pour qu’un pareil cycle soit rendu possible, autrement dit pour que le capital comme rapport de production puisse pleinement exister, il faut que soit assurées les quatre conditions immédiate suivantes :
1) Il faut une accumulation préalable de valeur sous forme d’argent (une thésaurisation) suffisante pour permettre sa conversion en capital-argent: une quantité de valeur capable d’être avancée comme capital s’échangeant contre des moyens de production et des forces de travail.
Cela n’est généralement possible que sur la base d’un certain développement autonome préalable du capital marchand, sous sa double forme de capital commercial et de capital financier.
2) Pour que cet argent thésaurisé sur la base du développement du capital marchand puisse se transformer en capital industriel, il faut encore qu’il trouve à s’échanger contre des moyens de production Mp et surtout des forces de travail T.
Il faut donc que ces moyens de production et ces forces de travail se trouvent transformées en marchandises, que les conditions objectives de la production aussi bien que son facteur subjectif se trouvent à l’état de marchandises.
Cela suppose à son tour l’expropriation des producteurs immédiats, leur séparation des conditions objectives de la production (moyens de production et moyens de consommation) et leur transformation en « travailleurs libres »,
n’ayant d’autre issue pour se procurer leurs moyens de subsistance que la mise en vente du seul bien dont ils soient encore propriétaire, leur force de travail. C'est l'épisode de la formation du prolétariat.
3) Il faut que moyens de production et forces de travail ainsi acquis puissent se combiner de manière productive d’un point de vue capitaliste, autrement dit en un procès de travail qui soit également un procès de valorisation de la valeur primitivement avancée.
Il faut donc la formation de procès de production spécifiquement capitalistes: une agriculture capitaliste, la manufacture, la grande industrie, etc.
4) Enfin, il ne suffit pas que le procès de production P engendre une plus-value sous forme d’un produit-marchandise, il faut également que ce dernier puisse se vendre en réalisant sa valeur, y compris la plus-value qu’elle contient.
Cela suppose l’existence d’un marché suffisamment régulier, étendu et en expansion pour pouvoir absorber la totalité de du produit-marchandise.
[NB: pour que les marchands vendent leur produits, il faut un marché, des acheteurs]
Toutes ces conditions qui peuvent nous paraitre évidentes ne le sont en rien. Tout l’enjeu du tome 2 du "Premier âge du capitalisme" est de montrer comment se sont parachevés les rapports capitalistes de production, contre les anciens rapports de production (partie V).
Bihr nous invite à prendre en considération le fait que ce parachèvement n’a rien de naturel et a reposé sur la guerre (Partie VI), la formation d’un État capitaliste (Partie VII) et l’hégémonie d’une idéologie favorable au capitalisme (Partie VIII).
Tout cela pour dire que je vous invite à lire Bihr, même si ça serait bien qu'il nous produisent une synthèse pour ceux qui veulent pas se taper plus de 3500 pages.
Je recommande particulièrement le chapitre V.3 sur la formation du prolétariat où il explique, en creux, comment on est devenu des gens qui cherchent du travail...
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Le canard enchaîné et la crise sanitaire en 5 tweets.
(numéro du mercredi 28 juillet)
Page 3 - Véran annonce 536€ de plus en fin de carrière pour les infirmières mais... cela ne s’appliquera que dans 40 ans.
Page 4 - « Hosto: on ferme ! »; face à la reprise épidémique les effectifs hospitaliers sont au creux de la vague du fait de la politique ininterrompue de fermeture de lits et de services.
Sibeth Ndiaye nous disait que le masque était inutile. Olivier Véran, qui soutenait que le système de santé était prêt, devenait ministre de la santé grâce à Benjamin Griveau.
Le dernier texte de Lordon est très problématique. Et je ne parle pas seulement de l’appel à voter. Fil. blog.mondediplo.net/fury-room
1. Pour Lordon on est en voie de fascisation rapide et l’heure est grave. Il se demande si on pouvait imaginer il y a deux ans une tribune de militaires factieux et si demain il ne faut pas s’attendre à des manifestations aux cris « Mort aux arabes ».
D’accord sur le fait qu’on vit un processus très inquiétant mais rien que sous la Vè République, n’a-t-on pas connu le Putsch d’Alger (1961), l’attentat du petit Clamart (1962), le 17 octobre 1961 (40 à 200 mors), les ratonnades de 1973 (entre 10 et 50 morts), etc. ?
Entre 2009 et 2018, les frais de gestion de la sécu ont baissé de 0,4 milliards quand ceux des complémentaires santé ont augmenté de 2,4 milliards d'euros.
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Or, la sécu finance 75% de la Dépense courante de santé (206,9 milliards €), contre 20% pour les complémentaire et les ménages (55,1 milliards €) - donc bien moins de 20% (le rapport ne donne pas le détail).
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Une représentation graphique. La sécu finance beaucoup plus de soins et dépense moins en frais de gestion.
Les frais de gestion des complémentaires santé en 2019 : une gabegie !
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En 2019, les frais de gestion des complémentaires santé s'élevaient en moyenne à 20% !
- 22% pour les sociétés d'assurance
- 19% pour les mutuelles
- 16% pour les institutions de prévoyance
Qu'entend-t-on par "frais de gestion" ?
3 choses :
- Gestion de sinistres : feuilles de soins, contentieux...
- Frais d'acquisition : publicité, réseau...
- Administration et autre : gestion des contrats, veille juridique...
Dans ce texte j’analyse longuement l’échec du couple État-capital (capitalisme sanitaire) face à la pandémie de covid-19. Au delà, l’enjeu est de penser les stratégies de défense de la sécu.
Dans la première partie du texte (publiée en mai), l’analyse historique du système de santé en France a permis de mettre en évidence trois principaux résultats :
1. La sécu est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés. En ce sens, les débats techniques (comme celui sur le «trou de la sécu») sont importants mais sans commune mesure avec la question politique du «qui décide» - le pouvoir.