Dans ce texte j’analyse longuement l’échec du couple État-capital (capitalisme sanitaire) face à la pandémie de covid-19. Au delà, l’enjeu est de penser les stratégies de défense de la sécu.
Dans la première partie du texte (publiée en mai), l’analyse historique du système de santé en France a permis de mettre en évidence trois principaux résultats :
1. La sécu est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés. En ce sens, les débats techniques (comme celui sur le «trou de la sécu») sont importants mais sans commune mesure avec la question politique du «qui décide» - le pouvoir.
Dire que la sécu est issue de conflits non institutionnalisés signifie que son avènement n’a pas été le fruit de conflits apaisés dans le respect des règles légales mais celui d’actions illégales en rupture avec l’ordre établi - donc violentes.
2. L’histoire du système de santé en France depuis 1945/6 peut se lire comme celle de la réappropriation de la sécurité sociale, gérée par les intéressés, par l’État. Or, l’État social s’oppose à la sécurité sociale et organise les soins en s’appuyant sur le capital.
Cela se traduit par la bureaucratisation, la marchandisation et la persistance de fortes inégalités. L’opposition pertinente n’est pas marché versus État mais sécurité sociale versus capitalisme sanitaire, entendu comme le couple État/marché.
3. On peut s’attendre à ce que toute amélioration substantielle du système de santé provienne d’une lutte non institutionnalisée contre l’État et le capital (résistance) ou d’un évènement majeur imposant à l’État d’activer sa main gauche pour rester hégémonique (ex : une guerre).
Dans cette seconde partie, l’objectif est d’analyser la crise sanitaire que l’on vit actuellement à partir de ce cadre théorique et historique – en commençant par le mouvement social à l’hôpital débuté en 2019.
Le texte cherche à souligner trois points importants :
1. Malgré son caractère historique, la lutte entamée 2019 n’a pas imposé à l’État de prendre des mesures significatives d’amélioration du système de santé alors que la pandémie, associée à un état de guerre, l’a contraint à le faire…
…– même si les mesures prises demeurent faibles au regard des besoins exprimés.
Il est alors probable que l’échec du mouvement social soit lié à son répertoire d’action, complètement institutionnalisé (grève, manifestation, pétitions, actions symboliques, etc.).
2. La gestion de la pandémie par l’État a été particulièrement mauvaise, que l’on parle des mesures d’anticipation de la pandémie ou de la réaction une fois que celle-ci s’est développée sur le territoire.
La médiocrité de la réponse s’explique probablement par la fusion du couple État-capital : d’un côté, les bureaucraties sanitaires ont été incapables de prendre des décisions claires et efficaces, de l’autre côté, le capital n’a jamais été mis à contribution.
Alors que l’État aurait pu se servir des outils de l’économie de guerre (planifications, socialisations, réquisitions, etc.), il a préféré la guerre sociale. Cela est d’autant plus dommageable qu’après l’accalmie de la pandémie au cœur de l’été, la deuxième vague arrive.
3. La pandémie a eu des effets différenciés en frappant, en plus des professionnels de santé eux-mêmes les plus pauvres qui sont en réalité les plus exploités dans le mode de production capitaliste.
La réponse à la pandémie a donc bien été une réponse de classe puisqu’elle a protégé le capital jamais mis à contribution, et elle a envoyé en première ligne les personnes les moins en mesure de
s’opposer aux injonctions du capital et de l’État.
Je présente désormais les 5 parties du texte (A, B, C, D, E), avant de conclure sur les stratégie de défense de l’hôpital public et de la sécurité sociale.
A/ Un an d’une lutte historique, pas un euro de plus pour l’hôpital
La première section du texte, rappelle qu’un an avant le début de la pandémie débutait l’un des plus grands mouvements sociaux dans l’hôpital public.
Si Macron disait aux soignants qu’il n’y a pas d’argent magique dès avril 2018, face à la crise, les soignants s’organisent en partie en dehors des syndicats (@interurg, @collectinterhop, @cblocs, @cih_st, etc.) et entament un mouvement historique début 2019.
La pénurie se fait sentir bien avant la covid-19, par exemple, fin 2019, des enfants d’Ile de France doivent être transférés faute de place en réanimation pédiatrique. liberation.fr/debats/2020/01…
Malgré un mouvement d’une ampleur rare, les réponses du gouvernement sont très modeste. J’en parle un peu ici.
Voici un tableau de synthèse sur les mesures prises par le gouvernement : on peut dire qu’en un an de mobilisation, si des grands plans de financement ont été annoncés par le gouvernement, il n’y avait début 2020 toujours pas un euro de plus pour l’hôpital.
B/ Une pandémie loin d’être imprévisible
La deuxième section du texte explique en quoi il est faux de dire que la pandémie nous est tombée dessus de manière inattendue. Tant au plan national qu’au plan international (ex : OMS), tout le monde connaissait les risques.
Comment expliquer alors l’impréparation ? Par le contexte général d’austérité sur les dépenses de santé qui a rendu raisonnable la destruction systématique de la prévention des pandémies. La multiplication des agences de santé n’a pas aidé à produire une organisation efficace.
C/ L’échec massif de l’État et de ses alliés marchands
La 3ème section est la plus longue du texte et revient en détail sur les échecs de L’État, d’abord aveuglé par les élections municipales et la réforme des retraites, puis décidé à ne pas mettre à contribution le capital.
L’État a refusé les outils qui paraissaient pourtant évidents : socialisation, réquisition, etc. Et, plutôt que de partager le pouvoir dans un contexte d’incertitude, il a marginalisé l’opposition politique et syndicale – en se servant des scientifiques comme caution.
En créant le conseil scientifique, le gouvernement a renié les bureaucraties sanitaires pourtant censées être expertes sur la conduite de la politique de santé (HAS, HCSP, etc.). L’État a par la suite échoué sur tous les sujets : masques, tests, lits, médecins, stopcovid, etc.
Il faut le dire et le redire : les décisions prises en 2020 et avant ont couté des vies. Elles ont aussi imposé aux professionnels de de santé de travailler dans des conditions indignes et de devoir tirer des patients – choisir qui doit vivre ou mourir. lemonde.fr/politique/arti…
Cet échec est aussi celui de la défense inconditionnelle du capital. Aucune mesure de taxation des plus grandes entreprises n’a été décidé, au contraire, la charité s’est abattue sur la politique publique, comme au 19ème siècle.
Pour ne prendre que deux exemples, rappelons-nous des gels gracieusement offerts par LVMH (au lieu de réquisitionner les lieux de production) ou encore l’appel au don de Darmanin pour financer un fond d’indemnisation pour les indépendants (au lieu de l’imposition).
Contre l’État et le capital, nombre des réponses à la crise ont été le fruit de l’auto-organisation. C’est ce que montre notamment ce texte sur la réaction des coopératives face à la pandémie. contretemps.eu/lutte-classes-…
D/ Inégalité et covid
La quatrième section étudie l’inégalité face au covid-19. Comme pour les autres maladies, la covid-19 ne frappe pas au hasard et choisi ses victimes : les plus pauvres. legrandcontinent.eu/fr/2020/09/05/…
A la suite d'autres, je propose par contre de dire que le lien essentiel n’est pas pauvreté-maladie mais exploitation-maladie. C’est la place dans le mode de production (capitaliste) qui explique pourquoi certains sont plus touchés que d’autres.
E/ L’introuvable plan massif pour l’hôpital
Alors que Macron avait promis un plan massif pour l’hôpital au plus fort de la crise, la cinquième section montre qu’en réalité, encore une fois, les mots sont au-dessus des actes.
Bien sûr, contrairement à la mobilisation de 2019, la pandémie a imposé au gouvernement de mettre en place un plan supérieur à ce qu’il avait coutume d’accepter jusque-là. Mais le Ségur de la santé reste très en dessous des investissements nécessaires.
Entre les 7,5 milliards d’euros de primes, les 13 milliards de reprise de la dette et les 500 millions d’euros par an d’investissement pour l’hôpital (sur 5 ans), le compte n’y est pas. Avec ce plan, on peut parler de logique de la médaille.
Une grande grève (2019) et une pandémie plus tard (2020), l’État n’a toujours pas pris des décisions permettant de répondre aux problématiques du système de santé.
Quelle conclusion à cette séquence de deux ans ?
Mon hypothèse est que cette situation est liée au refus d’opposer capitalisme sanitaire et sécurité sociale mais surtout à l’oubli des fondements de la sécurité sociale : le conflit non institutionnalisé – contre l’État, contre le capital.
La pandémie a montré que le gouvernement passe une grande partie de son temps à mentir. Il ment soit directement, soit indirectement par la manipulation des chiffres et des mots.
Le premier plan massif date de trois mois avant le début de la pandémie…
Il faut s’interroger sur les répertoires d’action des militants favorables à l’extension de la Sécurité sociale. Ce n’est pas facile de critiquer les professionnels qui se sont mobilisés et qui ont tenu l’hôpital à bout de bras pendant la pandémie.
Mais ce n’est pas leur rendre service que de ne pas constater que les mobilisations ont été inefficaces. On a vu cette année à quelle vitesse les applaudissements quotidiens ont laissé place aux coups de matraque pour les soignants pourtant héroïsés.
La volonté du monde de la santé de montrer sa légitimité a atteint ses limites. Les jetés de blouses ou les SOS des hôpitaux n’ont pas eu d’effets avant la crise.
Un plan de relance oui. Mais certainement pas sans un repartage du pouvoir. La crise a montré l’incapacité des capitalistes et de l’Etat à gérer la situation. Il faut impérativement socialiser les grands moyens de production. Aucune confiance dans les nationalisations.
Par exemple, qui veut d’un pôle public du médicament sous la férule du gouvernement ? Qui serait dirigé par Buzyn, Véran, Bachelot ou un autre ? Pour refaire des coups à la Alstom et cie ?
Socialiser les moyens de production c’est donner le pouvoir aux professionnels directement, à l’image des élections à la sécurité sociale à partir de 1945/6. C’est depuis qu’elle a été étatisée que la sécu se meurt et offre la santé aux capital. Expropriation des expropriateurs.
Merci @NadineLevratto d’avoir soulevé la question de la financiarisation dans des laboratoires d’analyses médicales que je ne connaissais pas. Sur la financiarisation de la santé, voici deux ou trois éléments :
Le cas le plus évident est celui de l’industrie pharmaceutique. On arrive à une situation où les systèmes publics de protection sociale solvabilisent leur spéculation financière. Mathieu Montalban est l’un des grands spécialistes de la question : cairn.info/revue-savoir-a…
Il y a bien sûr le cas des complémentaires santé privée à but lucratif, qui produisent des effets sur les mutuelles dont le comportement tend à se rapprocher des premières. Philippe Abecassis et Nathalie Coutinet évoque leur financiarisation ici : cairn.info/journal-recma-…
Dommage que la critique de la République ne soit présentée que comme d’origine réactionnaire. Comme si la République allait de soi et qu’il fallait seulement discuter de l’épithète : sociale ou libérale.
Après plus de deux siècles d’expérience, l’alliance constante entre réactionnaires et républicains libéraux lors des crises du capitalisme rend légitime l’interrogation sur la possibilité d’une République sociale. Ne faut-il pas un autre imaginaire pour guider l’action ?
Si la puissance de la contre-révolution aristocratique au 19ème siècle pouvait justifier l’attachement à la République qui était un progrès par rapport à l’ordre féodal, est ce que l’alliance des « libéraux » et des « sociaux » a encore du sens aujourd’hui ?
Le « trou de la sécu », ça n’existe pas !
(fil à dérouler)
A partir du graphique précédent, il faut poser deux questions :
1) Existe-t-il un besoin de financement de la sécurité sociale ?
👉Oui, tous les ans depuis 20 ans !
2) Existe-t-il un « trou de la sécu » ?
👉Non, c’est un construction politique.
Dire qu’il y a un besoin de financement de la sécurité sociale signifie, d’un point de vue comptable, qu’il y a pour une année donnée moins de recettes que de dépenses. L’éventuel besoin de financement est lié à l’évolution des dépenses ET des recettes.
Pour la première fois depuis 1945, le PLFSS 2021 prévoit qu'en 2020 la part des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale soit inférieur à 50% (48%). 1/4
C'est le résultat, depuis 1991, de la création de la CSG/CRDS et de la politique d'exonération des cotisations sociales, endossée par tous les gouvernements.
Tout cela au nom de l'emploi, alors que ces politiques n'ont jamais fait reculer le chômage (voir @buissonet)
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