La sécu, au bord du gouffre depuis sa création. 🙃
Un fil à partir des archives du Figaro (@Le_Figaro) entre 1945 et 1949.
L’ordonnance du 4 octobre 1945 institue la sécurité sociale en remplacement des Assurance sociales (crées en 1928-1930). Et c'est le début des contestations...
Dès le premier jour, le 4 octobre 1945, un article du figaro souligne le déficit des Assurance sociale à la libération (1 milliard par an) et, constant un bénéfice prévu de 1,5 milliards pour 1945, pose la question :
« Le gouffre est comblé. Le restera-t-il longtemps ? »
Si le Figaro s’inquiète déjà du déficit de la sécu, il s’inquiète également pour sa clientèle : les médecins. Le 12 octobre 1945, le Figaro s’insurge : les internes d’hôpitaux gagnent moins qu’une fille de salle !
Dans article du 3 novembre 1945, sans avoir mentionné l’ordonnance du 19 octobre qui précise le fonctionnement de la sécu, le Figaro constate que la sécurité sociale commencera à s’appliquer le 1er juillet 1946.
Il faut attendre le 14 décembre 1945 pour avoir l’avis du Figaro sur le fonctionnement de la sécu. La crainte, c’est le « joug administratif » qui inciterait les médecins à satisfaire les clients (plus de soins et d’arrêts maladie) plutôt qu’à satisfaire le contribuable.
[…] devenu salarié, le plus souvent insatisfait de son salaire, le médecin aura tendance à glisser vers des pratiques dont la profession tout entière risquerait d’être atteinte. La profession baissera en moralité. Elle ne baissera pas moins en qualité. »
Mais ce n’est pas tout, l’article se termine sur la thématique des effets pervers de l’administration :
« on discerne à travers l’ordonnance du 19 octobre une arrière-pensée qui gâte les intentions humanitaires »
L’objectif serait de « remédier au déficit permanent de l’administration des assurances sociales. Notez bien la raison de ce déficit : 40 pour cent du budget annuel sont consacrés aux frais de gestion. […] L’employé de bureau coute à l’assuré deux fois plus cher que le médecin».
Le numéro du 10 février 1948 est l’occasion pour le Figaro de réaliser son bilan d’"Un an de sécurité sociale".
Comme on pouvait s’y attendre, la sécu est une « ronde des milliards » peu glorieuse : les malades imaginaires mangent le pain des vieillards !
La sécu serait un organisme « hier énorme, aujourd’hui démesuré, demain fabuleux. A ce sommet de la pyramide, la misère humaine devient un monde de chiffres ». En l’absence de déficit de l’institution, la critique porte sur l’usager des fonds.
Le figaro joue l’assurance maladie contre la vieillesse : « […] on va enlever a des vieillards qui ont tout juste de quoi vivre très chichement des sommes qui vont payer des grippes et de rhumes de cerveaux des gens ordinairement valides et qui travaillent. »
Par ailleurs, « ce budget, tel qu’il est, représente pour l’économie à peine renaissante de la guerre un effroyable boulet ».
On a déjà la critique du poids de la sécu pour les entreprises et l’économie… à deux doigts d’écrire un rapport pour libérer la croissance !
Le numéro du mercredi 11 février est peut-être le plus éloquent : pour le Figaro, la sécurité sociale est "Un montre à cinq pattes qui allaite et dévore ses enfants"!
"Le monstre allaite et dévore en même temps ses enfants, sans qu'il paraisse apporter toujours du discernement dans cette double opération."
Pour le Figaro la sécu ne fonctionne pas, ou au mieux très mal. Mais alors que faudrait-il faire ? Supprimer le remboursement des petits risques qui serait une incitation à l’abus et à la fraude. Comme c’est nouveau !
« […] dans certaines caisses 30% des dépenses pharmaceutiques représentent des vins toniques… Cet exemple le prouve, l’abus, comme d’ailleurs la fraude, porte surtout sur la petite et moyenne maladie. […] »
« C’est dans ce domaine qu’existe une réforme possible. Elle pourrait soulager l’économie d’un fardeau qui, finalement, retombe sur le consommateur, c’est-à-dire très souvent, sur le bénéficiaire apparent de la sécurité sociale. »
François Fillon avant l’heure :
"M. Duris part du principe que les abus et la fraude portent surtout sur les petits accidents et sur les courtes et moyennes maladies, qui entrainent en même temps les plus gros frais de contrôle et d’administration."
"M. Duris envisage d’obtenir [une décongestion considérable] en décidant, purement et simplement que la Sécurité sociale ne paye pas de prestations au-dessous d’une certaine somme : 7.500 fr. par exemple."
Les critiques sont récurrentes, si bien qu’à l’été 1949 un débat est organisé à l’assemblée sur le principe même de la sécu. Le Figaro traite la question à travers le député Reynaud (droite) :
« Il faut alléger les dépenses de cette organisation géante et mettre fin aux abus » !
Au milieu d’autres problèmes, le député explique que "Pour rétablir l’économie, il faut exporter". Or, nos prix sont trop élevés… à cause de la sécurité sociale. Il faut revoir l’organisation administrative trop lourde, les prestations trop généreuses et le contrôle inexistant !
Si le ministre SFIO du travail défend sur la plupart des points la sécurité sociale (notamment sur les frais de gestion particulièrement bas ; à 6%), il concède des retards de traitement administratifs et légitime l’intervention… de la mutualité !
Le 13 juillet 1949, alors que le débat à l’assemblée n’est pas terminé, le figaro donne le mot d’ordre pour les 100 années à venir :
« En réalité, il n’y a pas d’adversaire de la sécurité sociale. Il y a simplement des hommes qui voudraient qu’une telle institution fût mieux gérée, mieux organisée et surtout profondément réformée, ne serait qu’en ce qui concerne les petits risques ».
« Ni M. Pierre André, ni M. Paul Reynaud qui ont tour à tour réclamé des modifications de structure, à nos yeux indispensables, ne se sont posés, à aucun moment, en ennemis de la Sécurité sociale.
Mais la discussion avait pris un tour tel que toute critique, même la plus raisonnable, devenait aux yeux des partisans de l’« immobilisme » une attaque insupportable.
Nationaliser le rhume de cerveau, c’est avilir la carrière médicale, c’est aussi créer un climat de paresse, d’absentéisme, de laisser-aller contraire à tout effort de redressement.
On regrette que, sur ce point, la Chambre n’ait pas eu le courage de prendre les mesures que le bon sens imposait ».
Que retenir?
Que dès sa création la sécurité sociale est attaquée par les forces réactionnaires et conservatrices.
Que leur rhétorique est la même qu’aujourd’hui: le déficit, le gaspillage, les abus, l’immobilisme, le courage, le petit risque, la concurrence internationale, etc.
Mais qu’est ce qui a changé ? Serions-nous plus pauvres en 2021 qu’en 1945-1949 ? Non, et il suffit de lire les mêmes journaux pour s’apercevoir que l’époque est plus dure qu’aujourd’hui : coupures de courant, pénurie de charbon et d’essence, rationnement du pain, etc.
Alors, qu’est ce qui a changé ? Le rapport de force évidemment ! Et tout ce que cela implique dans la capacité à imposer un agenda social, médiatique et de politique publique.
Pour ses adversaires, la sécurité sociale est une institution au bord du gouffre et irréformable… depuis sa création ! 🤡🙃
Qui y croit ?
(Fin)
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« La sécu c’est bien, mais les gens en abusent, alors il faut la réformer ! »
Vous pensez que c’est une idée neuve ? Non, c’est une critique aussi vielle que l’institution.
Un fil à partir du débat à l’assemblée nationale de… 1949.
Lors du débat de 49 la question de la fraude et des abus des assurés est probablement celle qui occupe le plus les députés.
Voici quelques extraits des débats (illustrés par des copies du journal officiel).
Un antidote à ceux qui disent que la sécu serait victime de son succès.
Le député Jean Masson, radical-socialiste membre du gouvernement, énumère la liste des abus "biens connus » que le « gigantisme » de la Sécurité sociale laisse proliférer dans l’anonymat et l’irresponsabilité".
Bientôt le projet de loi de financement de la sécurité sociale et l’élection présidentielle. On connait la musique : il va falloir faire des efforts et lutter contre le "trou de la sécu" !
J’ouvre un fil d’histoire éco pour montrer que cela n’a aucun sens.
Dans ce fil, je propose de montrer le non-sens du débat sur le trou de la sécu en rappelant que tous les arguments que l’on donne aujourd’hui sont en réalité aussi vieux que l’institution – l’enjeu étant moins le débat économique que le rapport de force politique.
La sécu telle qu’on la connait aujourd’hui nait des ordonnances du 4 et 19 octobre 1945. Or, très tôt les oppositions sont nombreuses et il faut se défaire de l’idée d’un grand consensus sur la construction de cette institution jusqu’aux terribles années 1980.
Sur le volet sanitaire, il est possible d'obtenir le passe avec un test de moins de 72h (et plus 48h). Déjà que 48h n'est pas suffisant pour assurer la non contagiosité, 72h n'en parlons pas...
Le masque n'est plus obligatoire dans les lieux imposant le passe sanitaire... alors que même vacciné le virus se transmet et qu'il y aura dans ces lieux des gens avec des tests peu fiables.
Je me demande quand même si on ne peut pas inverser la proposition : le gouvernement renforce le chantage à l’emploi au nom de la santé. La santé est un prétexte de formes de contrôle renouvelées dans le monde du travail.
On assiste probablement à une nouvelle étape de récupération de la critique par le capitalisme :
👉 Le capitalisme est mauvais pour la santé...
👉 Au nom de la santé on renforce les fondamentaux du capitalisme : le capital et l’Etat sont dotés de plus de pouvoirs.
👉393 000 lits d’hospitalisation complète, soit une diminution de 76 000 depuis 2003.
👉 79 000 lits d'hospitalisation partielle, soit une hausse de 29 000 depuis 2003.
Par ailleurs, le nombre d'établissements (public et privé) continue sa baisse.
La double stratégie continue sa progression : 1) regroupement/fermetures 2) remplacement de la prise en charge classique par de la prise en charge courte.
Du côté des effectifs, après une hausse entre 2003 et 2016, on constate une baisse en 2017 et 2018.
Oubliez un instant le Gaël Giraud vrai/faux candidat à 2022, écoutez le Gaël Giraud économiste. Il était récemment chez @Tiphainederock : c’est punchline sur punchline contre la théorie néoclassique.
"L’économie néoclassique essaie d’imiter l’appareil extérieur des mathématiques, de la physique, de la mécanique et en réalité il lui manque complètement les bases épistémologiques pour y prétendre puisque son lien au réel est extrêmement ténu.
Par exemple, la plupart des modèles qu’utilisent les économistes mainstream n’ont pas de matière, pas d’énergie. Lorsque les physiciens, en particulier du GIEC, regardent ça ils tombent de leur chaise.