Pourquoi n'y a-t-il pas besoin d'être "cultivé" pour entrer dans la police ?

Un thread qui vous résume une enquête sur la place du capital culturel dans les concours de gardien-nes de la paix. ⬇️
Avant de rentrer dans le coeur de l'enquête réalisé par Frédéric Gautier (que vous trouverez en lien à la fin du thread), deux petites remarques.
D'abord, il faut dire qu'il sera ici question que des concours de "Gardien de la paix". Un statut (de catégorie C) qui est au plus bas dans la hiérarchie des fonctionnaires de police. Et on le verra la chose à son importance.
Et deuxième chose, dans ce concours comme dans tous les concours de la fonction publique, les savoirs scolaires sont déterminants pour avoir des chances d'être admis.
Plusieurs réformes ont tenté de diminuer ce poids des compétences scolaires (pour valoriser des compétences propres aux métiers concernés), mais dans les faits les plus diplômés restent très avantagés par rapport aux autres.
Pourtant, on le sait, dans le métier de policier-e les marqueurs scolaires sont souvent mis à distance quant il s'agit de mesurer la valeur d'un-e professionnel-le.
Du coup toute la question va être de savoir comment le capital culturel est valorisé dans les concours, par cette institution policière. Institution qui par ailleurs semble avoir un rapport relativement distant aux classements culturels et scolaires.
Et le premier truc qu’on constate sans surprise c’est que le niveau de diplôme joue pas mal sur les chances d’être admis au concours.
Par exemple en 2012 on avait 1 chance sur 5 d’être admis au concours avec un bac+3 ou plus, et seulement 1 chance sur 35 avec seulement le niveau bac.
En revanche ce qu’on constate c’est que les candidat-es les plus diplômé-es pour ce concours sont loin de prendre toutes les places d’admissibles et sont challengé-es dans leurs résultats par des candidat-es avec « petites certifications scolaires ».
Ce sont souvent des candidat-es qui n’ont pas un haut niveau de diplôme mais qui vont compenser ça en travaillant davantage et en mettant à profit leur petit capital scolaire.
Du coup premier constat : les plus diplômé-es sont avantagé-es dans les premières épreuves mais ne prennent pas toutes les places d’admissibilité car ils et elles sont challengé-es par des candidat-es qui ont un petit niveau de diplôme.
En revanche, deuxième constat de l’enquête, ce qu’on observe c’est qu’une fois que les candidat-es les moins diplômé-es sont admissibles, ils et elles réussissent aussi bien (voir mieux dans certaines épreuves) que les plus diplômé-es dans les épreuves finales d’admission.
Par exemple, pour l’entretien avec le jury qui est une épreuve qui compte pas mal dans la note finale, les moins diplômé-es ont comme note médiane 12.8 là où les plus diplômé-es en ont une à seulement 10,25.
Et la chose s’explique assez bien quand on étudie ce qui ressort régulièrement de ces entretiens. Car ce qu’on observe c’est que souvent les membres du jury les plus gradé-es se méfient des personnes trop « cultivées ».
Ils considèrent qu’elles peuvent être dysfonctionnelles et ça pour plusieurs raisons. D’abord parce que ça peut entraîner un éloignement vis-à-vis des populations avec lesquelles elles doivent traiter dans leur métier, donc nuire à leur travail.
Mais aussi un éloignement vis-à-vis de leurs collègues et donc nuire à la cohésion d’équipe. Et enfin ils considèrent que leur proximité avec les hauts gradés en terme de diplôme peut aussi poser problème au niveau hiérarchique.
Du coup, on comprend que s’il y a un rejet d’une trop grande culture chez les candidat-es ce n’est pas un rejet de la culture en soi. C’est vraiment quelque chose de lié à la position des gardien-nes de la paix dans la hiérarchie policière (une position de subalterne).
Du coup on comprend bien aussi que dans les jurys ce soit toujours les membres les plus gradé-es qui pointent ce risque de dysfonctionnement des plus « cultivés » , parce qu’en faisant ça ils protègent aussi leur privilèges et leur position.
Donc deuxième constat, les candidat-es avec le plus haut niveau de diplôme ne sont pas meilleur-es dans les épreuves d’admissibilités et peuvent même être pénalisé-es par leur trop gros capital culturel.
Du coup troisième et dernier point. Face à ça deux questions sociologiques se posent.
D’abord, est-ce que ça veut dire que l’entretien pour le concours est ce qu’on appelle en sociologie de la culture une « région franche » ? (c’est-à-dire un espace où les différences de ressources culturelles n’ont pas de conséquence)
Et deuxième question, si ce n’est pas le capital culturel qui joue quelle autre forme de ressource est valorisée par ces jurys ?
On pourrait penser au premier abord que le moment de l’entretien est une région franche, puisqu’au delà des réticences des jurys sur certain-es candidat-es trop diplômé-es, on observe quand même que tous les candidat-es avec un haut niveau de diplôme ne sont pas stigmatisé-es.
Et à côté de ça les mauvaises réponses à des questions de cultures générales (qu’on retrouve plus chez les moins diplômés) ne sont pas sanctionnées dans les notes finales.
Par exemple sur 4 candidats peu diplômés ayant mal répondus à ce genre de question on a des notes qui vont de 13 à 16 sur 20.
Le seul candidat qui avec ses mauvaises réponses se retrouvent en-dessous de la moyenne est celui qui répondait mal mais en manquant d’assurance et en étant mal à l’aise.
Finalement ce qui ressort de ces entretiens c’est que ce qui est évalué, plus que de la culture, c’est une attitude générale faite de spontanéité et d’aisance. Mais attention pas n’importe quelle aisance.
On a l’exemple de ce candidat avec un bon niveau de capital culturel qui pendant l’entretien répondra correctement aux questions, se montrera plutôt à l’aise, et qui malgré ça va se manger un 4 sur 20, soit une note éliminatoire.
Car le jury va percevoir son aisance fait d’une « langue soutenue » et d’une « gestuelle maitrisée » comme quelque chose de condescendant.
Là où ce qui est attendu en réalité est une aisance qui s’affranchit de la timidité et de l’embarras mais qui le fait « sans chichi », sans manière, et qui ne laisse pas transparaître la culture légitime.
Si bien que les candidat-es avec un haut niveau de diplôme ne sont pas stigmatisé à condition que leur attitude ne trahisse pas leur origine sociale et atteste de cette aisance, qui colle bien d'ailleurs avec les codes de la sociabilité virile.
Donc réponse à la première question : plus qu’une région franche ou le capital culturel ne jouerait pas, il faudrait plutôt parlé d’un marché spécifique, ou le capital culturel peut passer au second plan si les candidat-es parviennent avoir cette attitude d’aisance sans manière.
Du coup, de quoi relève ce qui est valorisé si ce n’est pas du capital culturel ? Pour F. Gautier c’est un sens pratique de l’interaction, une manière spontanée d’échanger avec les gens, et ça peu importe leur milieu social.
Quelque chose qui s’apprend sur le temps long, grâce à une socialisation qui notamment se fait dans des milieux diversifiés où la valeur des gens est déconnectée des classements scolaires.
Typiquement ça va être le sport en club, du bénévolat (pompier volontaire par ex.) ou encore le fait d’avoir grandi avec des parents qui travaillent dans le secteur des services auprès de clients très différents socialement.
On pourrait penser que ce type de ressource correspond à ce qu’on a appelé du "capital culturel non certifié" sauf que ce genre de capital suppose quand même une bonne intégration des codes culturels des classes dominantes.
Ici on est plutôt sur ce qu’on pourrait appelé un « capital social à l’état incorporé », c’est-à-dire des ressources qu’on acquiert au fur et à mesure de nos expériences de sociabilité et qu’on peut réutiliser spontanément dans les interactions.
Et c’est ça qui va être la ressource clef pour réussir son entretien et intégrer les gardien-nes de la paix.
Du coup, ce qui ressort de tout ça c’est que dans les concours de gardien-ne de la paix si le capital culturel est statistiquement un avantage, il peut aussi être pénalisant du fait des attentes de l’institution policière.
Finalement ce qu’elle recherche ce n’est pas des candidat-es cultivé-es mais des candidat-es à l’aise dans l’interaction.
Bref, ce qu’elle privilégie pour les gardien-nes de la paix, ce n’est donc pas du capital culturel mais du capital social incorporé.
Et comme promis, si vous voulez le lire, voilà l'article complet : docdro.id/AB4ym1g
Erratum : ce n'est pas au plus bas de la hiérarchie policière, ce sont des postes de catégorie B, donc intermédiaires (même si certains dans l'article parle de travail d'exécution ou de job subalterne).

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11 Aug
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