Nous allons fêter en 2021 les 40 ans de l’abolition de la #peinedemort. Le sujet de sa réintroduction est un serpent de mer. @ZemmourEric a profité de l’occasion pour s’y dire, bien entendu, favorable. On peut toutefois se demander si le problème est vraiment bien posé. ⤵️⤵️⤵️
Grosso modo, on peut dire que l’abolition de la #peinedemort a suivi la pente de « l’humanisation » de nos sociétés. Nous serions d’autant plus civilisés que notre justice serait moins sévère. On oppose donc aux partisans de sa réintroduction un danger de retour à la «barbarie».
Cette dichotomie est puérile. Je ne crois nullement, contrairement à #Badinter, qu’une civilisation s’apprécie à cette aune. En quoi nos sociétés sont-elles plus humaines aujourd’hui qu’il y a 50 ans ? Notre justice fonctionne-t-elle mieux avec ou sans la peine de mort ?
Ces questions sont sans objet. Il s’agit seulement dans les deux cas d’une attitude vis-à-vis de la vie qu’adopte une société à un moment de son histoire. La prospérité permet des tolérances que la pénurie défend. En ce sens, l’abolitionnisme n’est jamais qu’un effet de mode.
C’est aussi un trompe-l’œil. Combien d’abolitionnistes horrifiés par les propos de Zemmour ne lèvent pas même le sourcil devant le prix Nobel de la paix remis à Barack Obama, directement responsable de MILLIERS d’exécutions extrajudicaires ?
books.fr/obama-le-presi…
(Lire aussi ici : les-crises.fr/les-revelation…, ainsi que l’excellent livre de Grégoire Chamayou : « La Théorie du drone » bastamag.net/Drones-comment….) Image
La question de la peine de mort *judiciaire* est donc un combat d’arrière-garde, que l’on parle de son abolition ou de sa réintroduction. Nous faisons face à un problème BEAUCOUP plus grave : l’abolition… de la justice tout court. Que pense de cela Robert #Badinter ?
Car ce qui distingue réellement la civilisation de la barbarie, si une tel critère existe, ce doit être celui-ci : la nature de sa justice, bien plus que la nature de telle ou telle peine en soi. Question : si un jour les É.-U. abolissaient la #peinedemort
… en serions-nous quittes pour autant de leurs exécutions extrajudiciaires ? Il est vraisemblable que non. Mais nos « humanistes » jobards célébreront certainement une grande avancée de la civilisation américaine. Une justice qui exécute leur semblera toujours plus barbare…
… qu’une exécution sans justice, et donc toujours injuste. Ce préambule étant fait, que faut-il penser de la #peinedemort, *comme instrument punitif d’un système judiciaire légitime* ?
En ce qui concerne la France, j’ai toujours été soufflé par une faiblesse argumentative…
… du discours abolitionniste. On connaît la blague : « La peine de mort n’est pas exemplaire. » Évidemment, cet argument est couplé à un autre, beaucoup plus sérieux : « La justice ne saurait être infaillible, on ne peut pas prendre le risque de condamner à mort un innocent. »
Je crois bon de préciser que l’objection abolitionniste ne fait que répondre à un mauvais argument des défenseurs de la peine de mort. Ce sont ces derniers qui arguaient de son exemplarité (théorique). Tout cela se fonde sur une erreur partagée quant à l’essence de la justice.
En effet : il est évident que l’auteur d’un meurtre commis par passion ne se représente pas la peine qu’il encourt, et qu’aucun châtiment à venir ne pourra faire obstacle à son geste. Il faudrait au préalable qu’il eût déjà le sentiment de commettre un meurtre.
Mais il n’est pas moins évident que, cette illusion étant dissipée et dénoncée comme telle, réclamer l’abolition de la #peinedemort sur ce chef repose sur un sophisme pernicieux. Car si la peine suprême ne sait être exemplaire et ne peut servir à prévenir le crime suprême…
… alors à plus forte raison une peine moins sévère ne saurait en être capable ! Et c’est le principe même de la peine qui est balayé purement et simplement. La peine de mort n’est pas exemplaire, abolissons-la. La prison à vie ne l’est pas non plus, abolissons-la…
… l’emprisonnement ne l’est pas non plus, abolissons-le, etc. Et on aura vite fait de prouver qu’il faut abolir toute institution carcérale, toute punition, et les remplacer par autre chose. Admettons. Mais alors à quoi servaient-elles donc ? Nietzsche nous donne une indication.
« Le châtiment est fait pour améliorer celui qui châtie », écrit-il dans « le Gai Savoir ». Que faut-il comprendre ? Que le châtiment n’est pas du tout dirigé contre celui qui le reçoit, et n’a pas pour objectif de le « redresser », mais au contraire a pour objectif…
… de redresser la société qui l’inflige. Le châtiment est un marqueur de puissance, d’autorité. Et il se fait au bénéfice de l’État, de la justice, nullement aux bénéfices des particuliers qui le réclament ou qui l’endurent.
Considéré sous cet angle, la #peinedemort doit être perçue comme une marque de vitalité, de puissance, et son abolition comme une marque d’avilissement, de décadence. Mais peut-on parler vraiment d’affirmation de puissance quant un État imprime son empire à un simple individu ?
Autrement dit : en quoi condamner à mort un pauvre bougre grandit-il l’État ? La différence entre les deux n’est-elle pas considérable ? Et il vient s’ajouter un nouveau paramètre : la faillibilité de la justice. Une objection solide des abolitionnistes est que la #peinedemort
… est un châtiment irréversible, et que, en l’absence de toute garantie sur la certitude absolue du verdict, il est criminel de condamner une personne à mort, puisque le risque d’avoir exécuté un innocent existera toujours. Auquel cas l’État serait criminel.
Cette objection est forte, très forte, mais elle n’est pas sans risque, puisqu’elle ne condamne pas la #peinedemort en soi (comme le fait l’argument déontique : tuer est mal en soi). Les progrès techniques pourraient un jour faire que la justice tendraient à la perfection.
(Je pense qu’un tel « progrès » serait le marqueur non moins sûr d’un avenir totalitaire.) La #peinedemort pourrait alors redevenir parfaitement légitime.
Alors que faire ? On le voit, le discours abolitionniste repose sur des arguments qui empruntent à des éthiques différentes.
Néanmoins, ce discours n’infuse guère l’opinion collective. On entend toujours des gens exiger que tel ou tel meurtrier épouvantable soit exécuté. Le cri du ressentiment et l’appel instinctif et désespéré à la vengeance résonnent toujours de loin en loin.
C’est cet instinct lugubre (mais « humain, trop humain ») que flatte indéniablement le candidat #Zemmour. Je ne crois pas pouvoir le suivre sur ce chemin, ni inviter personne à le suivre. Pourtant, la réflexion sur la #peinedemort ne doit pas se cantonner à ce périmètre piégeux.
Il serait d’ailleurs paradoxal et illogique d’accepter la prémisse de remise en cause des coutumes reçues sur laquelle les abolitionnistes se fondaient sans l’appliquer aussi aux usages qu’ils désirent nous faire adopter. Formulé plus directement :
l’abolition de la #peinedemort peut-elle rester un absolu, un intouchable dans un monde où le relativisme moral règne sans partage ? Si les circonstances font les mœurs et les lois, alors ne faut-il pas réfléchir à ce que devra être notre attitude sur la peine de mort dans…
… de nouvelles circonstances ? Soit une guerre, soit un bouleversement social, économique, national majeur où la patrie est en danger, où la société est en péril, où la sûreté des gens est menacée gravement au quotidien (je ne parle pas d’aujourd’hui) :…
… qu’adviendra-t-il des « bons sentiments », de la « civilisation » qui avaient commandé l’abolition ? Dans des heures de troubles intenses, il est inévitable que la #peinedemort refasse surface. Mais alors, avoir fait de son abolition le critère premier de la civilisation…
… se révèle être un sacré handicap. On accepte mal de retomber en « barbarie ». Voyons ce que l’on peut tirer de ce paradoxe.
1. S’interdire de façon absolue d’appliquer de nouveau la #peinedemort est irréaliste et absurde.
2. Nous ne pouvons pas revenir non plus à une…
#peinedemort à la papa, qui condamnerait des individus pour des meurtres et des crimes privés, animés de l’illusion naïve que cela contribuerait à prévenir le crime ou assainir, améliorer la société. Comme semble le souhaiter Zemmour.
3. L’État doit néanmoins imprimer son autorité, rétablir le prestige de sa mission, et protéger les citoyens.

La situation actuelle est bien différente de ce que la France a connu par le passé. Couper le cou à un violeur d’enfants, ou à un tueur en série peut soulager…
… la vindicte publique, momentanément (jusqu’au prochain crime affreux qui la réveillera), et cela au prix, peut-être, d’une injustice intolérable et sans remède, qui abîme la justice et avilit l’État. L’enjeu en vaut-il la chandelle ? Je ne le crois pas.
Une autre chose est à peser. Les assassins privés, aussi maléfiques soient-ils, ne présentent guère qu’un danger très résiduel. Ils sont dangereux pour la société, mais à quel point le sont-ils ? Les pires tueurs en série n’ont jamais fait que quelques dizaines de victimes.
Cela horrifie l’imagination, mais laisse de marbre la statistique. Autrement plus meurtriers et nocifs sont les criminels de masse, mus par la cupidité et la soif de pouvoir. Ceux-ci sont pourtant toujours épargnés par la vindicte des « rétablisseurs », et souvent même, hélas,…
… par la justice ! Le groupe Servier, pour ne prendre que cet exemple, est responsable de la mort d’au moins 1500 à 2100 personnes en France. On dépasse de loin les standards du tueur en série. Je ne prétends pas que les personnes condamnés eussent mérité la peine de mort…
… (je ne suis pas assez au fait de l’affaire pour cela), mais j’expose ce cas pour illustrer le fait que le grand danger de nos sociétés de masse réside bien moins dans le sociopathe de quartier que dans le crime industriel, le crime mafieux, le crime terroriste, etc.
En somme le crime commis froidement par des gens sans scrupules, par avidité et par volonté de puissance, dont les agissements ont été soigneusement calculés et dont les effets sur la société et sur la réputation de l’État sont sans commune mesure avec les misérables que Zemmour
avec d’autres pointent du doigt. Nous avons ici satisfaits tous les critères qui justifieraient l’application de la #peinedemort.
1. Un crime massif, prémédité, qui menace la société dans son fondement.
2. Un crime dépassionné, « rationnel » en somme, dicté par des motifs…
… matériels (rentabilité, pour l’essentiel), donc un crime contre le renouvellement duquel la #peinedemort se révélerait certainement exemplaire.
3. Un crime sur lequel une enquête longue et fouillée peut-être faite, et à propos duquel le nombre et la qualité des pièces…
… et des témoignages portent le jugement final à un degré de certitude quasiment absolu, donc un crime pour lequel l’erreur judiciaire est à peu près exclue.
4. Un crime perpétré non par des individus isolés, mais bien par un système (économique, idéologique, politico-criminel)
qui le place à un niveau auquel l’État est digne d’intervenir de la manière la plus radicale (parce que la différence n’est pas de la même nature que celle, incommensurable, entre l’individu et l’État).
Soit, au bout du compte, un crime qui remplit toutes les conditions pour que la #peinedemort soit appliquée sans que l’humanité ni la justice, ni la majesté de l’État n’en pâtissent, bien au contraire.

#Fin

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with J.-B. Villemur

J.-B. Villemur Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @VillemurJB

Dec 15, 2021
À DÉROULER
Alors il faut sortir de l’euro, mais le préalable indispensable est de bien comprendre ce qu’est l’euro et pourquoi il faut en sortir. Ce qui revient à se demander : que se passera-t-il si nous restons dans l’euro ?
Cette vidéo est plutôt bien faite, elle aborde même le sujet des Target, mais elle pèche sur plusieurs points, et à mon sens assez gravement, bien que, soulignons-le, il ne semble pas que ces écueils soient majoritairement dus à un biais idéologique.
A. Pour comprendre la nature de la méprise, il faut se reporter à la conclusion de la vidéo. L’euro serait une « monnaie unique » et là résiderait la pierre d’achoppement. Il suffirait donc de la changer en « monnaie commune », en la transmutant en une sorte de bancor européen.
Read 42 tweets
Dec 14, 2021
Raphaël Enthoven, Luc Ferry et Bruno Le Maire sont d’accord pour affirmer, avec Carl Schmitt et Giovanni Gentile, juristes nazi et fasciste, que les principes généraux du droit priment de façon absolue la souveraineté populaire.
Et ils s’imaginent défendre la démocratie…
C’est toujours la même chose. On commence par réduire le droit à la pratique du droit, donc à une simple technique juridique, et on occulte son fondement, à savoir la reconnaissance de sa légitimité par ceux sur lequel ce droit s’exerce.
Puis, on fait tenir toute la légitimité du droit dans le droit lui-même, qui devient ainsi artificiellement autonome. Et on réserve l’évaluation de ce droit aux seuls titulaires des compétences reconnues pour l’évaluer, à savoir les juristes. Et la boucle est bouclée.
Read 6 tweets
Nov 29, 2021
Très honoré d’avoir accompagné les prises de parole de mes amis de @GenFrexit lors de cette table ronde.
Voici comment se résume notre position sur les projets référendaires des protagonistes actuels de la #Presidentielle2022 (@montebourg, @ZemmourEric @lesRepublicains). ⤵️⤵️⤵️
1. Ces intentions de #referendum pêchent par maladresse tactique. @CH_Gallois explique très bien que de tels référendums (visant à placer la Constitution ou les lois 🇫🇷 au-dessus des traités 🇪🇺) ne peuvent qu’être interprétés par le système comme un #Frexit subreptice…
… et traités donc en conséquence. Le récent exemple polonais le prouve. Les médias ont immédiatement agité l’épouvantail du #Polexit, en dépit des assertions réitérées du gvt 🇵🇱 de rester dans l’#UE. Autrement dit, les partisans de tels référendums conduisent directement…
Read 16 tweets
Nov 16, 2021
Bon, j’avais attendu en douce de voir si le phénomène « iel » allait provoquer des remous avant de me fendre d’un fil à ce sujet. Pour le coup, nous sommes en plein dans ma spécialité : la langue française, et l’expression de manière générale. Allons-y ! ⤵️⤵️⤵️
Le sujet est vaste, et je ne me vois pas tout traiter d’un seul tenant. D’abord (soyons précis), il ne s’agit pour le moment que de la version en ligne gratuite d’un dictionnaire des éditions Le Robert. Et non pas du #PetitRobert Robert (PR) lui-même.
On peut émettre quantité d’hypothèses sur ce choix. Le Robert segmente son lectorat, et donne dans l’inclusif pour celui qui utilise le plus Internet. L’écriture inclusive relevant pour l’essentiel d’un sociolecte réticulaire (au sens de « appartenant aux réseaux d’internet »).
Read 18 tweets
Nov 15, 2021
Nouvel ADDENDUM
Un gros oubli dans cette affirmation.
La technologie fait baisser les prix, tendanciellement.
Mais elle augmente simultanément le niveau d’exigence minimal requis pour « participer à la vie économique » et même à la vie tout court. Image
Ce qui entraîne un renchérissement constant du “droit d’entrée dans le jeu social”, façon table de poker ou chaises musicales. Il faut d’emblée dépenser plus pour accéder à la possibilité de tenir son rang (ou même un rang) dans la société.
Ce phénomène inflationniste est frappant en ce qui regarde le développement technique, et informatique en particulier.
Le progrès technique accroît aussi la rapidité de péremption des bien acquis. Ma voiture ne vaut plus que la moitié de son prix initial au bout de 3 ans.
Read 11 tweets
Nov 15, 2021
ADDENDA
Le prix des voitures a baissé aussi parce que les usines ont été délocalisées, pas seulement en vertu de la technologie. Et c’est vrai pour bien d’autres produits.
Ce qui signifie que la voiture que vous payez moins cher, vous la payez intégralement à l’étranger…
… sans que rien ou presque de cet achat ne ruisselle dans votre pays.
À l’inverse, la 2CV achetée en 1964 était fabriqué en France. Votre dépense finançait les ouvriers qui l’avaient construite, leurs cotisations sociales, leurs impôts (en partie), etc.
Votre dépense enrichissait le pays, nourrissait la solidarité nationale, soit allégeait d’autant votre contribution à celle-ci tout en améliorant votre propre couverture sociale. Acheter mois cher une voiture à l’étranger revient au contraire à appauvrir le pays.
Read 10 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(