Bon, j’avais attendu en douce de voir si le phénomène « iel » allait provoquer des remous avant de me fendre d’un fil à ce sujet. Pour le coup, nous sommes en plein dans ma spécialité : la langue française, et l’expression de manière générale. Allons-y ! ⤵️⤵️⤵️
Le sujet est vaste, et je ne me vois pas tout traiter d’un seul tenant. D’abord (soyons précis), il ne s’agit pour le moment que de la version en ligne gratuite d’un dictionnaire des éditions Le Robert. Et non pas du #PetitRobert Robert (PR) lui-même.
On peut émettre quantité d’hypothèses sur ce choix. Le Robert segmente son lectorat, et donne dans l’inclusif pour celui qui utilise le plus Internet. L’écriture inclusive relevant pour l’essentiel d’un sociolecte réticulaire (au sens de « appartenant aux réseaux d’internet »).
Le Robert lance un ballon d’essai en vue d’incorporer ce pronom à une édition du PR à venir. C’est l’hypothèse la plus crédible à en croire cet article : lefigaro.fr/langue-francai…
(Petite méprise, d’ailleurs. Il parle de « l'édition papier de 2022 », mais elle est déjà sortie.)
Le Robert veut faire le buzz, Le Robert a subi un harcèlement de la part des militants inclusifs : hypothèses peu probables.
Bien. Désormais, il nous faut examiner l’objet du scandale. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un pronom.
C’est-à-dire d’une catégorie grammaticale *finie*, comme le rappelle le lexicographe du Larousse. Les noms, verbes, adverbes, adjectifs, onomatopées sont des catégories non limitées. Mais les pronoms, les conjonctions, les déterminants, les prépositions, par définition…
… sont en nombre fini. La langue ne connaît pas de « prépositions quantiques » par exemple, qui désignerait en un seul mot un rapport contradictoire. Comme dedans et dehors à la fois. Idem pour les autres, dont les pronoms.
Il est donc naturel que les gens s’offusquent et même s’alarment de voir introduite, un peu par la bande, une nouvelle catégorie dans le socle de celles qu’ils maîtrisent depuis la petite enfance. L’inverse serait préoccupant.
D’ailleurs, à quoi sert-il ce pronom ? Quelle est sa nature exacte ? C’est une hybridation du féminin et du masculin, et aussi une indifférenciation et en même temps une superposition de genres. Tout cela à la fois. Autrement dit, une catégorie *impraticable*.
Le principe d’une catégorie est en effet de posséder un périmètre bien défini et des attributs non contradictoires. Mais “iel” cumule des désignations différentes. Il désigne aussi bien la personne qui se sent femme autant qu’homme, que celle qui ne sait pas comment se désigner…
… et enfin le cumul des deux, voire dans certains emploi, une sorte de neutre (donc un 3e genre). Bref, ce pronom est complètement foutraque. J’ajoute qu’il sert non pas à désigner la personne *à qui* l’on parle, mais bien la personne *de qui* l’on parle.
Autrement dit, des personnes « indifférenciées » cherchent à imposer aux autres la façon dont elles doivent être désignées dans leur discours. Le délire égotiste est poussé loin, un peu à la manière des titres de civilité réservés aux têtes couronnées.
Il faudrait donner du “iel” aux non-binaires comme on donne de « sa majesté », de « sa sainteté » lorsque l’on parle d’un roi ou du pape… Cela colore un peu mieux le fond trouble sur lequel prospèrent les innovations de ce genre.
D’ailleurs, le pronom “iel” ne connaît pas de forme objet (comme « lui » pour « il »). Ce qui le rapproche fonctionnellement du pronom « elle », dont il épouse déjà la phonologie. L’indifférenciation ne paraît pas si indifférente, tout bien pesé.
Ajoutons que, en fait de pronom neutre « non genré », le français en connaît un, dont l’emploi est extrêmement courant et extensif. Il s’agit du pronom indéfini « on ». On aurait pu s’attendre qu’il trouvât à cette occasion le bénéfice d’un nouvel usage.
Avis donc aux tenants de l’écriture inclusive : affectez le « on » à cet usage que vous réclamez, il remplira parfaitement cet office. Et cela nous poussera tous en même temps à réapprendre à utiliser « nous » pour dire « nous ».
On a tous à y gagner… 😉
On parle plutôt de forme disjointe du pronom personnel. Particularité intéressante : la forme objet de ELLE peut être LUI, comme dans « Cette femme, je LUI parle ».
Comme quoi, la « non-genrisation » de la langue existe déjà en partie.
Idem pour ELLES et LEUR.
*interjections (au lieu d’onomatopées)

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15 Nov
Nouvel ADDENDUM
Un gros oubli dans cette affirmation.
La technologie fait baisser les prix, tendanciellement.
Mais elle augmente simultanément le niveau d’exigence minimal requis pour « participer à la vie économique » et même à la vie tout court. Image
Ce qui entraîne un renchérissement constant du “droit d’entrée dans le jeu social”, façon table de poker ou chaises musicales. Il faut d’emblée dépenser plus pour accéder à la possibilité de tenir son rang (ou même un rang) dans la société.
Ce phénomène inflationniste est frappant en ce qui regarde le développement technique, et informatique en particulier.
Le progrès technique accroît aussi la rapidité de péremption des bien acquis. Ma voiture ne vaut plus que la moitié de son prix initial au bout de 3 ans.
Read 11 tweets
15 Nov
ADDENDA
Le prix des voitures a baissé aussi parce que les usines ont été délocalisées, pas seulement en vertu de la technologie. Et c’est vrai pour bien d’autres produits.
Ce qui signifie que la voiture que vous payez moins cher, vous la payez intégralement à l’étranger…
… sans que rien ou presque de cet achat ne ruisselle dans votre pays.
À l’inverse, la 2CV achetée en 1964 était fabriqué en France. Votre dépense finançait les ouvriers qui l’avaient construite, leurs cotisations sociales, leurs impôts (en partie), etc.
Votre dépense enrichissait le pays, nourrissait la solidarité nationale, soit allégeait d’autant votre contribution à celle-ci tout en améliorant votre propre couverture sociale. Acheter mois cher une voiture à l’étranger revient au contraire à appauvrir le pays.
Read 10 tweets
15 Nov
Allez, un petit thread pour apporter quelques nuances et objections à ce thread. L’économie n’est pas ma spécialité, je me contenterai donc de formuler des doutes sur les éléments qui me paraissent insuffisants au point de vue de la méthode, sans forcément sourcer. ⤵️⤵️⤵️
La baisse des prix est une réalité objective, admettons. Mais le prix exprime-t-il la totalité de la réalité économique du fait analysé ? Autrement dit : le pouvoir d’achat se limite-t-il à la question du prix ? Pas certain…
Nuance préliminaire intéressante. Mais si les prix ont baissé et que la colère et la galère sont toujours présentes (fait objectif aussi), comment expliquer ce paradoxe ? Seulement par une mauvaise distribution de l’argent ? Ce facteur suffit-il ?
Read 27 tweets
22 Jun
#Adrexogate Il semble qu’il y ait eu des dysfonctionnements dans le transport et la distribution du matériel électoral la semaine dernière. Le prestataire chargé de l’acheminement est #Adrexo. La privatisation des missions de services publics mène à ce genre de paralysie. ⬇️⬇️⬇️
1. Il est évident que confier une mission aussi importante à un prestataire privé est s’exposer à une déconvenue cruelle. Cela en dit long sur le mépris complet du processus électoral de la part de nos sabreurs européistes. Je concluait récemment ceci
Ce qu’il s’est produit va dans ce sens. L’objectif est de DÉGOÛTER le peuple du suffrage populaire. Non pas faire disparaître formellement les élections, mais faire en sorte que plus personne ne vote, sinon les populations urbaines favorisées “éduquées”,
Read 34 tweets
1 May
#1erMai en tendance, c’est l’occasion d’expliquer pourquoi précisément « l’Europe sociale n’aura pas lieu » (selon le titre d’un livre très bien fait : raisonsdagir-editions.org/catalogue/leur…) Pourquoi ? À cause de l’article 151 du TFUE. Petite explication de texte (mais long fil). ⤵️⤵️⤵️
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Il fait aussi référence aux 2 chartes sociales de l’UE. Nous y reviendrons. Le 1er point suspect arrive à la fin du § 2. C’est en effet la 1re fois qu’apparaît dans les traités cette mention curieuse de « diversité des pratiques nationales ». C’est d’ailleurs la seule fois…
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