À DÉROULER
Alors il faut sortir de l’euro, mais le préalable indispensable est de bien comprendre ce qu’est l’euro et pourquoi il faut en sortir. Ce qui revient à se demander : que se passera-t-il si nous restons dans l’euro ?
Cette vidéo est plutôt bien faite, elle aborde même le sujet des Target, mais elle pèche sur plusieurs points, et à mon sens assez gravement, bien que, soulignons-le, il ne semble pas que ces écueils soient majoritairement dus à un biais idéologique.
A. Pour comprendre la nature de la méprise, il faut se reporter à la conclusion de la vidéo. L’euro serait une « monnaie unique » et là résiderait la pierre d’achoppement. Il suffirait donc de la changer en « monnaie commune », en la transmutant en une sorte de bancor européen.
@FunalotPierre parle d’« eurobancor ». Celui-ci servirait pour les règlements internationaux (règlements entre banques centrales), tandis que les monnaies nationales serviraient pour les transactions nationales.
Bien. Ce genre de subterfuges revient régulièrement à la surface.
On peut même dire que c’est une sorte de serpent de mer (monétaire 🙃). Mais cela abolirait-il le vice originel de l’euro ? Non. Pourquoi ? Parce que l’euro *n’est pas une monnaie unique*. On ne saurait donc la convertir de cet état (fictif) à un autre.
Une monnaie est une créance sur une banque centrale (BC). Mais les euros français ne sont pas des créances sur la BCE. Ils sont des créances sur la Banque de France et la BCE. Et ça change tout.
Le vice originel de l’euro est précisément que le pouvoir d’émission monétaire…
… n’est pas détenu par une seule banque centrale, mais par 19 BC nationales + la BCE, soit 20 entités légales, *de compétences strictement égales*. Les euros possèdent tous cours légal et forcé dans chacun des 19 pays de la zone et ils ont même pouvoir libératoire.
Toutes les difficultés viennent de là. Et un hypothétique eurobancor ne ferait que les escamoter. L’euro repose sur le principe suivant : les créances d’une banque centrale sont endossables par n’importe quelle autre BC du système au taux fixe et irrévocable de un pour un…
… *sans limitations d’aucune sorte* (ni en durée, ni en quantité). Introduire le moindre changement, la moindre modulation dans ce principe, et c’est la fin de l’euro. Avec un eurobancor, ou un équivalent, ces conditions ne seraient pas remplies. D’abord, il deviendrait…
… impossible de payer en francs ailleurs qu’en France, alors que l’euro suppose que vous puissiez faire valoir votre créance (votre euro français) de la Banque de France sur la Banque d’Espagne, ou la Bundesbank. Les monnaies nationales ne seraient plus fongibles entre elles.
Partant, elles s’échangeraient à des taux différents de un pour un.
B. Cette méprise permet de comprendre pourquoi le sujet des Target est aussi rapidement survolé, alors que c’est là que se noue le problème. Non, le système Target n’est pas un « simple livre de compte »…
… des échanges entre les pays de la zone euro. Il est la matérialisation du PEG et il est l’euro lui-même en un sens. Le système Target est l’ensemble des soldes positifs et négatifs des BC de l’eurozone vis-à-vis de celui-ci et de chacune d’entre elles respectivement.
C’est donc un système de créances et de dettes entre banques centrales du système. Et l’introduction d’un hypothétique eurobancor ne modifierait en rien cette donne inédite. Les créances et dettes Target perdureront tant que perdurera le système Target…
… quel que soit le subterfuge sous lequel on tenterait de le maquiller. L’écueil de l’euro se résume à cela : les pays du Sud sont endettés vis-à-vis des pays du Nord, par l’entremise du système Target, à des hauteurs pharaoniques…
… et ces dettes sont impossibles à recouvrir, puisqu’elles sont libellées dans des monnaies différentes de celles des créanciers mais néanmoins parfaitement fongibles avec elles et que ceux-ci sont contraints d’accepter sans restriction aucune.
Pour donner un aperçu de l’énormité du problème, exposons le cas de l’Italie et de l’Allemagne. L’Italie doit quelque 500 Md € au titre des soldes Target, majoritairement à l’Allemagne (mettons 350 Md). Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que l’Allemagne est en droit de réclamer 350 Md à l’Italie, mais que celle-ci est en droit de les lui payer en euros italiens, et non pas en euros allemands. Autrement dit en équivalent lires et non pas en équivalents Deutsche Mark.
Ce qui ne satisfait pas du tout l’Allemagne, bien entendu. Dans les faits, l’Allemagne ne réclame rien, et l’Italie ne s’acquitte de rien. Tant que les 2 restent dans l’euro, la dette court et se renouvelle de jour en jour en ne faisant que croître. Mais si l’Italie se retirait ?
Si l’Italie, effrayé par le gigantisme de sa dette Target, décidait de se retirer de l’euro, que se passerait-il ? Eh bien, elle devrait s’acquitter au moment même de l’ensemble de ses dettes Targets (+ les billets). Pas dans 10 ans, pas dans 1 ans. Non, le jour même.
La chose est bien sûr proprement impossible. La Banque centrale d’Italie ferait immanquablement défaut, et l’eurosystème accuserait une perte de 500 Md € (sans tenir compte des 150 Md au titre des billets italiens en euros). Mais qui essuierait cette perte ?
Les actionnaires de la BCE, à savoir l’Allemagne et la France au premier rang, à hauteur de 30 % pour la 1re et de 25 % pour la 2de. Une sortie de l’Italie coûterait donc à la Banque de France 125 Md € ! Elle serait alors forcée de se retourner vers l’État français, qui lui-même
… endosserait la perte qui finirait par se répercuter, d’une façon ou d’une autre, sur les Français (hausse des impôts, ponction des comptes, hausse des taux d’intérêts, etc.). Il est possible que l’Italie paie en partie, qu’un arrangement bancal soit formé, etc., qui fait que…
… le montant final soit moindre que 125 Md €. Mais même divisé par 2 ou 3, il restera considérable.
Voilà donc exposée la 2de autre grave méprise de cette vidéo.
Donner corps à l’idée que « sortir de l’euro pourrait s’avérer risqué, voire très dangereux » est absurde.
C’est exactement l’inverse qui est vrai ! Rester dans l’euro nous fait courir un risque extrêmement grave, puisque ce sont les pays restants qui finiront mécaniquement par payer l’addition finale, et elle sera très salée, à l’image de celle qui se prépare en cas d’Italexit.
C’est ne rien avoir compris au mécanisme vicieux intrinsèque à l’euro que de soutenir une telle chose et entretenir une telle peur.
Affirmer ensuite que « l’Allemagne est la gagnante de l’euro » trahit la même incompréhension de ce qu’est fondamentalement l’euro.
Comme expliqué ci-dessus, l’Allemagne ne gagne rien à l’euro. Certes, elle exporte comme jamais un pays de cette taille ne l’a fait dans l’histoire. Mais ses excédents sont majoritairement faits avec les pays de l’eurozone. Autrement dit, au bout du compte, elle est rétribuée…
… en créances Target, et non pas en Deutsche Mark ! Plus l’Allemagne exporte vers les pays du sud de la zone euro, plus sa banque centrale engrange des créances irrécouvrables ! Son excédent commercial astronomique se traduit par la dégradation continue du bilan de celle-ci !
Ce paradoxe est littéralement sans issue, à part décider de cesser les frais en liquidant la « monnaie unique ». Ce à quoi une partie de la classe financière et politique allemande semble bien résolue.
Autre affirmation absurde : « Si on sort de l’euro, on ne sait pas ce qu’il se passera. » Au contraire, on peut assez bien l’anticiper. Il ne s’agit pas du tout d’un saut dans l’inconnu *comme l’était l’entrée dans l’euro*. Nous reviendrons à une situation antérieure bien connue.
Situation qui ne se résume pas à des « des dévaluations et dépréciations permanentes ». Il fut un temps où la France mangeait l’Allemagne au commerce international et où notre compétitivité était meilleure. Notre monnaie était moins forte, mais notre économie était meilleure.
Porter la disparition du « risque de change » au rang des avantages de l’euro traduit aussi une mauvaise intelligence de l’euro. Puisque, si ce risque a disparu, ce qui stimule le commerce, il a été remplacé par un risque nouveau, et bien plus nocif : le risque de redénomination.
C’est le risque qu’une dette contractée en euros par un État ne soit pas acquittée en euros (lesquels auraient cours légal en Allemagne, ce qui est intéressant), mais en… pesetas, escudos, lire, etc., au cas où l’euro ait disparu dans l’intervalle.
C’est ce risque qui est à l’origine — partiellement — de deux phénomènes étranges à 1re vue : la divergence des taux d’intérêt des dettes souveraines (et l’apparition de taux négatifs au sein de la zone €) ; la préférence de l’épargne des pays du Nord pour les pays hors zone €.
Autrement dit, l’euro est une zone d’incertitude permanente pour les marchés financiers, ce qui ne peut pas être sans répercussions négatives sur l’économie des pays de la zone. Les investisseurs ont conscience que l’euro peut disparaître, et agissent en conséquence.
Ce qui rend aussi absurde l’idée « tétanisante » suivante : que « les marchés financiers n’aiment pas le changement ». Certes, mais ils aiment encore moins l’incertitude ! Imaginer que les investisseurs appliqueraient des mesures de rétorsion à la France pour la « punir »…
… d’avoir quitté l’euro n’est crédible que si l’on fait l’hypothèse irréaliste que l’euro est une valeur plus sûre que le franc ! Mais on vient de voir que, précisément, les marchés considèrent l’euro comme une zone d’incertitude. Si la France quitte l’euro, c’est celui-ci…
… qui va perdre en attrait et en crédibilité, pas la France ! Puisque cela confirmera les craintes qui se font déjà jour. Il y aura sans doute quelques remous passagers, mais les choses rentreront rapidement dans l’ordre. Au reste, la vidéo expose bien que…
… la réputation et la solidité de la France la prémunissent des attaques ou des désordres boursiers intenses et durables.

Voilà, c’est tout sur le sujet. La vidéo vaut tout de même le coup d’être regardée, et il est faut féliciter l’initiative de mettre le sujet de la sortie…
… de l’euro sur la table. Mais elle démontre aussi que le chemin est encore long avant que cette sortie ne s’impose comme une évidence, et une urgence, au sein même des eurosceptiques, faute, je le crois, d’une exposition erronée des données du problème.
À @GenFrexit, nous travaillerons à exposer ce problème et à faire connaître cette urgence ! C’est la principale clé pour faire basculer toute une frange de la population du côté du #Frexit.
Toute la matière de ce long thread est tirée de l’œuvre du génial et regretté @Vinc_Brousseau, qui nous a hélas quitté il y a bientôt un an. 😢
Je recommande en particulier la toute dernière conférence qu’il a donnée, en 2019. Elle est remarquable.
* impossibles à recouvrer 🙃

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14 Dec
Raphaël Enthoven, Luc Ferry et Bruno Le Maire sont d’accord pour affirmer, avec Carl Schmitt et Giovanni Gentile, juristes nazi et fasciste, que les principes généraux du droit priment de façon absolue la souveraineté populaire.
Et ils s’imaginent défendre la démocratie…
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16 Nov
Bon, j’avais attendu en douce de voir si le phénomène « iel » allait provoquer des remous avant de me fendre d’un fil à ce sujet. Pour le coup, nous sommes en plein dans ma spécialité : la langue française, et l’expression de manière générale. Allons-y ! ⤵️⤵️⤵️
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15 Nov
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Un gros oubli dans cette affirmation.
La technologie fait baisser les prix, tendanciellement.
Mais elle augmente simultanément le niveau d’exigence minimal requis pour « participer à la vie économique » et même à la vie tout court. Image
Ce qui entraîne un renchérissement constant du “droit d’entrée dans le jeu social”, façon table de poker ou chaises musicales. Il faut d’emblée dépenser plus pour accéder à la possibilité de tenir son rang (ou même un rang) dans la société.
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Ce qui signifie que la voiture que vous payez moins cher, vous la payez intégralement à l’étranger…
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Read 27 tweets

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