Comment les grandes fortunes recrutent leur domestiques à partir de jugements sur leurs corps et leur apparence ?
Un thread qui vous résume un article d’@AlizeeDelpierre sur le sujet.
Comme d’habitude vous retrouverez un lien en fin de thread pour accéder à l’article dans son entièreté.
Pour commencer ce qu'on peut dire, c'est qu'historiquement plusieurs études ont montré que l’examen des corps des domestiques (par exemple des seins des nourrices) et l'apparence physique en général était au coeur des recrutements. et ça dès le 16e siècle.
Et si ça peut sembler d’un autre âge, ce que nous montre A. Delpierre avec son enquête c’est que les pratiques de jugement des corps chez les grandes fortunes restent centrales dans le recrutement de leurs employé-es domestiques.
Au passage d’ailleurs, il faut signaler que ces recrutements sont majoritairement le fait de femmes (elles représentent 60% des employeur-ses) et se fait aussi en grande majorité sur des femmes (elles représentent 73 % des employé-es).
La chose est évidemment lié au caractère genré du travail domestique, qui incombe généralement aux femmes.
Du coup, la première chose qui ressort de son enquête c’est que le corps, plus que le CV, est ce qui chez les employeuses et employeurs est sensé exprimer les qualités professionnelles des employé-es.
Cet état de fait s’explique notamment par la structuration très faible et très récente du marché de l’emploi domestique. Il s’agit d’une profession qui ne repose pas encore sur des diplômes d’État et qui du coup globalement repose très peu sur des éléments objectivés.
C’est pour ça que le CV n’a quasiment aucune importance et que ce sont les jugements informels et arbitraires sur le corps des candidat-es qui vont être déterminants.
Pour vous donner une idée des entretiens de recrutement, voici un premier exemple vécu par A. Delpierre (qui a bossé en tant que nounou auprès de certaines de ces familles) et qui montre bien l’importance crucial du physique dans les recrutements.
Et ces jugements physiques sans surprise font la part belle à la racialisation de certaines personnes à qui on va attribuer telle ou telle compétence en fonction de cliché raciste.
C’est le cas de cette candidate noire qui sera jugée « infatigable » et « robuste » à qui on va demander de soulever une caisse en entretien.
D’ailleurs ce type de logique n’a rien d’exceptionnelle et se retrouve très bien dans la division racial du travail domestique. Car ce qu'on observe c'est qu'on assigne au femmes noires plus qu’aux autres les tâches les plus éprouvantes physiquement et la garde des enfants.
Une racialisation qui a son pendant masculin dans le bâtiment où ce sont aussi les employés noirs qui sont assignés aux tâches les plus éprouvantes.
La deuxième chose qui ressort c’est que ces jugements sur le corps en plus d’être sensés révéler des qualités professionnelles, sont aussi sensé révélés si les futur-es employé-es sont « dignes de confiance ».
Cette confiance peut passer par un réseau de connaissances qui va recommander le ou la candidate. Mais le moment de l’entretien et le jugement corporel - même lorsqu’il y a recommandation - reste crucial.
C’est le cas par exemple de cette employeuse qui refusera une candidate qui lui avait été recommandée la jugeant trop « séductrice ».
Encore une fois ce qui se révèle ici est quelque chose de plus général.
D’abord il y a le fait que ces recrutements sont déterminés par des normes de genre très fortes, qui font que les candidates vont subir un jugement corporel beaucoup plus détaillé et sévère que les candidats.
Mais ce qui se révèle aussi c’est le caractère genré de l’exercice du recrutement lui-même. Comme on l’a vu ces recrutements concernent en majorité des employeuses et des employées, du coup c’est tout une hiérarchie et une compétition de la féminité qui va se rejouer.
Dans l’aspect compétition, on a donc le fait que les candidates vont être soupçonnées d’être trop séductrice, donc de venir challenger les employeuses par rapport à leur mari.
Et dans l’aspect hiérarchie, il y a le fait que les féminités plus populaires vont faire l’objet d’un mépris de classe qui va les dévaloriser, en les considérant comme trop vulgaires.
Ce qui nous amène à un troisième point. Ce qui se révèle dans ces jugements négatifs c’est une particularité de la domesticité : le fait qu’elle mêle proximité corporelle et distance sociale.
On pourrait dire que la société est faite de telle manière qu’en général les personnes issues de la bourgeoisie côtoient pas ou très peu les classes populaires.
Parce qu’ils n’habitent pas aux mêmes endroits (ségrégation spatiale), parce qu’ils n’ont pas les mêmes pratiques culturelles (distinction de classe), parce que leurs cercles amicaux sont composés de gens des mêmes milieux (entre-soi), etc.
Sauf bien sûr dans la domesticité, où des personnes issues des classes populaires vont même faire partie de la vie quotidienne, intime et familiale des plus riches.
Et cette situation très spéciale fait que la domesticité est le lieu de jugements particulièrement forts, où s’expriment le dégoût culturel des riches envers les classes populaires.
C’est comme ça qu’on peut comprendre l’importance que prend le critère de « propreté » dans le jugement des domestiques - critère dont on sait qu’il est avant tout social avant d’être sanitaire - et l’attention particulière portée aux odeurs.
On a par exemple dans l’enquête le cas de cette employeuse qui bloque sur l’odeur d’un de ses employés et en vient à parler de l’odeur d’un chauffeur indien qu’elle associe au curry (racialisation encore une fois).
Un exemple qui vous rappellera peut-être une scène fameuse du film Parasite (qui sur cet aspect comme sur beaucoup d’autres vise très juste).
Il faut d’ailleurs noter qu’en plus du critère de la « propreté », un critère important est celui de la « sobriété » ou de la « discrétion ». L’idée étant que les domestiques doivent être capable de s’intégrer à l’esthétique de la vie bourgeoise sans se faire remarquer.
Mais il faut quand même dire que cette attention particulière portée au physique, et même parfois cette volonté d’intervenir sur l’apparence de leur employé-es, ne se retrouvent pas de manière équivalente selon les situations des grandes fortunes.
D’où un quatrième et dernier point : ce qu’on constate quand même c’est que les jugements varient selon la situation de ces riches et selon leur familiarité avec la domesticité.
Concrètement, on observe une différence entre, d’un côté, les grandes fortunes issues de l’aristocratie ou les familles qui font partie historiquement de la grande bourgeoisie française, et de l’autre, ce qu’on peut appeler les nouveaux riches.
On retrouve beaucoup moins ce souci de normalisation des corps de leurs employé-es chez les nouveaux riches. Par exemple ils ont tendance à voir la pratique de l’uniforme domestique comme désuet et ostentatoire et à revendiquer une certaine « simplicité ».
Pour les recrutements, ils vont aussi avoir tendance à moins considérer les aspects physiques des candidat-es et plus leur travail. Même si à côté de ça, ça ne les empêche pas de critiquer l’apparence de leur employé-es.
Et ce qui joue surtout dans ces différences entre employeur-ses c’est le fait d’avoir grandi ou pas dans une famille avec des employé-es domestiques. Car tout jeune les enfants (en particulier les filles) sont socialisé-es à ce rôle d’employeur-se.
Et ceux pour qui la pratique de la domesticité est nouvelle vont souvent s’inspirer des pratiques de leurs ami-es expérimenté-es (comme dans l’exemple 🔽) ou mettre en œuvre des compétences qu’ils ont acquis dans le cadre de leur profession.
Fin de ce quatrième point, on passe à la conclusion.
Ce qu’on peut donc retenir de cet article c’est que nous devons de toute urgence manger les riches. #mangeonslesriches
Non plus sérieusement, ce qu’on peut retenir c’est que le jugement des corps et de toute la domination qu’il suppose, fait partie de l’apprentissage du rôle d’employeur-se domestique.
Un rôle qui se caractérise par cet arbitraire très fort qui permet aux employeur-ses, à rebours du droit du travail, de discriminer leurs employé-es à l’aune de critères tout à fait personnels (comme l’odeur, le caractère « séducteur, etc.).
Et le fait d’assumer ce rapport aux autres très personnel, très peu objectivé, où l’on assume de faire les choses comme on l’entend, eh bien ça se retrouve dans d’autres domaines.
Par exemple en politique où Kevin Geay, notamment, a pu constater que leur légitimité socio-économique leur permettait d’assumer un rapport distant, relâché, et peu scolaire au politique.
Pourquoi n'y a-t-il pas besoin d'être "cultivé" pour entrer dans la police ?
Un thread qui vous résume une enquête sur la place du capital culturel dans les concours de gardien-nes de la paix. ⬇️
Avant de rentrer dans le coeur de l'enquête réalisé par Frédéric Gautier (que vous trouverez en lien à la fin du thread), deux petites remarques.
D'abord, il faut dire qu'il sera ici question que des concours de "Gardien de la paix". Un statut (de catégorie C) qui est au plus bas dans la hiérarchie des fonctionnaires de police. Et on le verra la chose à son importance.
Qu’est-ce que les sciences sociales nous disent du mouvement des gilets jaunes ?
Un gros thread qui vous propose un bilan sur la question, ce qui vous permettra peut-être de comparer en connaissance de cause les GJ avec les mouvements anti-pass actuels. 🔽🔽🔽
Du coup ce que je vais faire c’est vous résumer une synthèse faite par Z. Bendali et A. Rubert, pour la revue de sciences politique Politix. Je vous mets un lien en fin de thread pour choper l’article complet.
Donc pour parler des GJ on va faire comme nos chercheurs, on va d'abord parler de qui ils sont socialement, avant de se demander ce qui a fait émerger le mouvement, et d’aborder pour finir les effets du mouvement sur la politisation des gens qui y ont participé.
J'ai l'impression que Psyhodelik a bien inspiré certains facho qui reprennent exactement son format. Hier encore une de ses copies a provoqué une vague de harcèlement sur une camarade féministe.
Du coup l'idée qui consisterait à dire que Psyhodélik est un gars pas méchant et que donc mieux vaut lui que d'autres est un bien naïve.
Parce qu'il a créé un format clef en mains pour propager les paniques morales d'extrême droite et ça a tellement bien marché que ce format est repris par des fachos revendiqués.
Pour changer des threads lecture de socio, je vous propose aujourd’hui un (long) thread de critique politique. 🔽🔽🔽
Et ça sur une vidéo précise, ce qui j’espère permettra de remettre en question certaines dérives qu’on retrouve dans le YT/twitch de gauche.
Comme vous l'avez vu, il sera question ici d'une vidéo sur le youtubeur d'extrême droite Papacito, faite par le Canard Réfractaire, vidéaste plutôt catalogué comme de gauche, qui je crois s'est largement politisé au travers du mouvement des gilets jaune.
Du coup, qu'est-ce que nous dit le Canard Réfractaire dans cette vidéo et en quoi c'est lourdement critiquable ? C'est ce que je vais essayer de vous détailler dans ce qui suit.
J'oubliais, petit point résultats du quizz d'hier du coup.
Vous avez bien deviné en majorité qu'il s'agissait du travail d'agent-e immobilier ! 🥳
Pas mal sont tombés dans le piège de la réponse "buraliste" en revanche, qui est fausse puisque les buralistes tiennent clairement leur position sociale de classe moyenne de leur capital économique.
Comment peut-on accéder aux classes moyennes sans avoir beaucoup d'argent et avec un faible niveau de diplôme ? 🤔
Un thread qui vous résume un article de Lise Bernard consacré à l'importance d'un genre particulier de culture dans la profession d'agent-e immobilier. ⬇️
Avant de rentrer dans le détail de la profession d'agent-e immobilier, précisons ce qu'on va entendre ici par classe moyenne. Le terme étant très utilisé et souvent mal utilisé, ça vaut quand même le coup de le délimiter.
Donc les classes moyennes c'est évidemment un terme qui regroupe plein de situations différentes. Ça va de votre prof de collège au buraliste de votre rue, en passant par le conseiller de votre banque et j'en passe.