Thread by @Leya_MK

Quand il y a deux interlocuteurs c'est déjà très complexe. Mais quand ils sont 8, 15 ? Medgé, autre medgé, rhumato, orthopédiste, chirurgien 1, chirurgien 2, Rhumato 2, kiné 1, kiné 2, ostéo, podologue...

Il est illusoire d'espérer que tous s'accordent. En revanche et c'est le gros biais et soignants, chacun va proposer la solution qu'il estime la meilleure en regard de ses connaissances sur le sujet. Mais le patient au milieu de tout ça ?

Des patients qui souvent souffrent déjà énormément. Des personnes qui peinent terriblement à ne serait-ce qu'accomplir les tâches du quotidien. Qui n'ont plus de temps pour respirer, vivre ou s'octroyer de la douceur ? Ce sont des personnes qui mobilisent une énergie terrible

Pour se soigner. Sans que jamais ou presque de soutien professionnel (la preuve je n'ai pas cité les pros de la santé mentale ci-dessus) ne soit proposé d'ailleurs ont-ils encore le temps? Emboîter les pièces du puzzle c'est coûteux aussi

Avec le temps (parfois vite, trop vite) la psychophobie interne/externe fait son apparition "Y a rien c'est que j'invente alors ? C'est possible ou c'est le signe que je suis fou/folle ?" VS "C'est dans votre tête, bougez-vous"

En parallèle, la douleur ne pourrit pas que la fonction. Elle pourrit les relations sociales. Rares sont les amis qui restent quand leurs conseils avisés (non) n'ont pas suffit. Rares sont ceux qui continuent à appeler quand la réponse est toujours la même "non ça va pas"

Alors certains pour ne pas perdre leurs amis, pour ne pas perturber leur partenaire, leurs enfants, leurs proches, prennent sur eux. Encore. Encore plus. Jusqu'à s'emmurer dans un silence d'une lourdeur effroyable

Au bout d'un moment, chez certains TOUT fait mal. Bouger, ne pas bouger. Respirer. Entendre parfois. Manger. Parler. Avaler. Digérer. Avec une enclume de fatigue sur la tête. Une lassitude immense. Un poids terrible.

L'errance est souvent longue car la fibromyalgie a été décrite comme un diagnostic d'élimination donc il faut s'assurer d'abord que ça n'est rien d'autre. Et ça ça demande encore plus d'examens. De tentatives de traitements. De temps. De délai entre deux rendez-vous.

Et puis un jour, quelqu'un va évoquer une prise en charge par un médecin spécialisé en traitement de la douleur comme l'auteur de ce livre. La démographie de ces médecins est telle que certains centres ont plus d'un an de délai et demandent une lettre de motivation du patient.

Je vous laisse imaginer les attentes de ces personnes en attendant ce fameux rendez-vous qui est, je le rappelle, au fond du cul de sac de leur malheur. Ils ont souvent déjà tout fait. Tout essayé. C'est leur seule et dernière chance, leur dernier espoir

C'est un peu malsain car souvent en amont chacun s'est attaché à leur trouver LA Solution MAGIQUE, entretenant l'idée chez ces patients qu'il pourrait exister une seule et unique solution à un problème aussi envahissant

Et a contrario, la plupart de ceux que j'ai croisé ont tellement été traumatisés par la psychophobie croisée en amont qu'ils sont terrorisés à l'idée d'entendre que c'est dans leur tête et qu'il faut *juste* faire de l'activité physique. Ce qui s'entend ++

Du coup, le genre de discours tenu dans ce livre permet d'éviter cet écueil (puisque ça n'est pratiquement jamais mentionné) tout en répondant à la question de LA solution en ciblant levures et bactéries (je n'ai pas eu le courage de lire l'explication du mécanisme incriminé)

Cette solution purement physiologique peut être aussi très réconfortante parce que "là c'est évident que c'est pas dans ma tête tous ceux qui m'ont traité.e de fou/folle avaient tort et je savais que j'avais raison".

Donc là, on a vraiment un cocktail détonnant pour obtenir l'adhésion du patient et préparer un effet placebo du feu de dieu en implantant la conviction qu'on a enfin trouvé le problème et que ça va aller mieux.

Le problème dans les parcours denses c'est que quand les discours contradictoires se multiplient, il n'y a plus de choix éclairé. C'est à qui sera le plus convaincant et ça va se jouer sur des détails, pas toujours les bons. Le titre. La blouse. Le sexe. L'assurance

Le discours qu'on comprend. Celui qui donne de l'espoir. Le soin qui fait du bien tout de suite (massage) et pas celui qui demande encore des efforts (l'exercice quand y a plus de jus bah...)

Bref. Je vous parlerais d'administratif à la fin mais d'abord, c'est quoi le problème de cette méthode en apparence bienveillante ? D'abord (et ce n'est pas mon métier) ça m'inquiète terriblement de faire reposer un traitement vital (ça l'est à ce stade)

sur un régime archi-draconien et restrictif. Pas de blé, pas de sucre, pas de laitages ouverts depuis 24h, pas certains fromages, pas de fruits bien murs. Qu'en est il du risque de (ré)activer un trouble du comportement alimentaire ?

Qu'en est-il de la culpabilité ? "Si t'as mal c'est que t'as pas fait ce qu'il fallait !". On parle de patho qui touchent plus les femmes que les autres. Des femmes plutôt autour de 40-60 qui ont peut-être mis 20-30 ans à se débarrasser d'injonctions sur la bouffe ou la minceur

On parle de gens qui n'ont plus le moindre plaisir depuis des années. Qui ne peuvent plus jouer avec leurs enfants, regarder un film, parfois avoir des relations sexuelles ou juste sortir de chez eux. Alors toucher à la bouffe ? Vraiment ?

Et avec ce niveau de contraintes ? Parce que ça implique un travail de dingue. Qui me semble difficilement compatible avec une vie de famille ou qui oblige à systématiquement à prévoir ses propres repas et différents des autres.

Ce qui m'amène à un deuxième point. La précarité. Il me semble que la prévalence de ces pathologies est aussi plus forte dans les populations précaires (je n'ai pas de source en tête, si je me trompe, faites moi signe) ainsi que l'on trouve dans les personnes souffrant

de ces pathologies beaucoup de personnes ayant été victimes de violences. N'y voyez pas de lien de causalité juste le fait que plus la vie est une chienne avec les gens et plus physiologiquement ça va créer un équilibre chimique propice au déclenchement de douleurs

La quadruple peine. Quand je lis ces extraits je pense à l'injustice de priver ces personnes du plaisir de manger, à la charge mentale énorme que ça engendre mais aussi aux coûts. Combien ça coûte tout ça ?

Une énergie qu'ils n'ont déjà plus. Mais financièrement ? Remplacer le blé ? Acheter des extraits de pépins de pamplemousse ? Des probiotiques (ET UNE YAOURTIERE). Pour en consommer plus en cas d'écart ?

Je vais terminer ce fil qui n'a que trop duré, je crois que vous avez saisi mon avis, par des questions plus administratives. Je suis en tant que kinésithérapeute, tenue par mon code de déontologie à ne proposer que des soins basés sur les données les plus récentes de la science

Et quand on s'y attache, il est impressionnant de voir comme il est difficile d'avoir des certitudes en médecine ou dans le soin en général. Je n'ai pas l'impression qu'il existe de papiers suffisamment solides pour justifier ce protocole

Mais il me faudrait 18 vies pour avoir tout lu. Peut-être ai-je manqué tout un corpus qui justifierait de proposer à des gens un protocole d'une telle lourdeur dans une telle souffrance. Même si je ne le pense pas.

Je suis conventionnée. Je ne pratique actuellement pas de dépassement d'honoraires. Je défends notre système de santé solidaire (perfectible j'en conviens) qui me semble être une garantie a minima d'accès aux soins pour tous

Est ce que je suis confortable avec l'idée que des personnes qui tiennent ce genre de discours puissent intervenir au sein d'hôpitaux publics ? Donner des cours à de futurs soignants ? Non.

Est-ce que je suis confortable avec l'idée que la sécurité sociale finance ce type de consultations ? Non plus. Que se soit selon le secteur, le dernier recours des patients les plus atteints ? Non plus.

Il n'y a peut-être que de bonnes intentions chez ceux qui diffusent ce type de méthodes. Et je ne juge pas les personnes. Mais il y a un énorme effet pervers à ça

C'est que les patients qui vont y passer, les plus vulnérabilisés par ce parcours, ceux qui n'auront pas l'esprit critique pour questionner ces pratiques, vont non seulement en sortir

avec une clé empoisonnée (si tu ne veux pas avoir mal, fais ce truc complètement impossible) et ne seront plus du tout perméables aux discours de ceux qui pourraient vouloir les aider ensuite.

Et ça c'est injuste. Et ça, ça me révolte.
(Merci pour vos mots, merci de m'avoir lue 💙)
Et soutien à tous ceux qui ont mal

Bon j'ai râlé toute la journée (unroll si vous avez le courage) mais si vous voulez des trucs chouettes, y a un petit nouveau sur @LeTempsd1Lapin où on vous ce que ça fait quand c'est le kiné qui a mal au dos. Et promis on rigole
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