Au programme aujourd'hui : les derniers témoignages de survivants du Bataclan (avant les auditions des proches des personnes assassinées à partir de demain).

LT à suivre ici.
Et compte-rendu d'audience sur @franceinter avec @sophparm

Et toujours les dessins de @ValPSQR
L'avocate d'Osama Krayem demande la parole sur le fait que "des avocats de parties civiles se permettent d'interroger les interprètes sur la raison pour laquelle monsieur Krayem ne les sollicite pas pendant les auditions de parties civiles".
L'avocate d'Osama Krayem poursuit : "ces avocats ont demandé si monsieur Krayem était gêné par le fait d'avoir une interprète féminine ou d'entre les propos des parties civiles. Je tiens juste à préciser que monsieur Krayem a appris le français pendant ces 6 dernières années"
L'interprète explique "avoir été à de multiples reprise sujette à des questions sur les mis en cause et plus particulièrement Osama Krayem par des avocats de parties civiles et plus secondairement des journalistes. Ce sont des questions gênantes."
L'interprète : "ce sont des questions comme "est-ce que ça les dérange que l'interprète est une femme?", "est-ce qu'il vous paraît réceptif?" Je tiens à rappeler la neutralité absolue de notre métier."
Le président confirme : "vous n'avez pas à répondre à ce type de questions"
Après de nouvelles constitutions de parties civiles, Béatrice est la première à s'avancer à la barre aujourd'hui : "le vendredi #13Novembre j'étais heureuse parce qu'on économisait de l'argent pour notre mariage et on n'allait plus trop au concert avec mon fiancé".
Béatrice : "on est arrivé à 19h au Bataclan et on est allé directement sur la coursive gauche. On se met là parce qu'on a l'ambiance de la fosse sans être bousculés."
Quand l'attentat débute, elle se tourne vers la scène "et j'ai compris que c'était du sérieux".
Béatrice : "j'ai tiré mon mari pour qu'ils s'accroupissent et j'ai vu une balle lui traverser le bras. J'ai senti son sang couler sur ma jambe et j'ai complètement paniqué. J'ai fermé les yeux, j'ai pas vu grand chose, j'ai surtout entendu, ce qui ne m'aide pas au quotidien."
Béatrice : "je me rappelle de l'explosion. J'ai cru que c'était une grenade parce que pour moi c'est inimaginable de se faire sauter. On a reçu des morceaux [de chair humaine, ndlr] sur nous mais j'ai cru que c'était le plafond."
Béatrice : "on est restés là jusqu'à l'arrivée de la BRI. Mon mari avait une artère touchée, il perdait tout son sang. Les policiers nous ont sortis." Son mari est emmené à l'hôpital Bégin. "Je me suis retrouvée à errer. J'ai vu un taxi mais qui n'a pas voulu me prendre."
Béatrice : "ce que j'attends de ce procès c'est que la justice soit rendue. Je ne sais pas si ça me conviendra, mais peu importe.
Pour pouvoir témoigner aujourd'hui, j'ai fait des séances d'EMDR parce que je n'arrivais pas à contrôler mes émotions."
Béatrice : "grâce à l'EMDR aussi, ma colère a disparu. Ma colère est arrivée en 2017 quand j'ai appris qu'un proche avait voté Front national. Et là, tout est remonté. Je n'ai pas pu supporter les gens haineux. "
Béatrice : "avec les séances d'EMDR, j'ai compris que celui [des terroristes ndlr] à qui j'en voulais le plus c'est celui qui s'était fait exploser. Parce que des morceaux de lui qui se sont coincés dans mes lacets. Je l'ai emporté auprès de mon mari à l'hôpital, chez moi"
Président : comment va votre compagnon actuellement ?

Béatrice : il va bien, il a juste perdu une partie de l'usage de sa main. Mais il a beaucoup travaillé pour retrouver son pouce.
Me Chemla, son avocat : "combien de temps avez-vous mis pour parler à votre psychiatre des morceaux de chair?"
Béatrice : deux ans. Au départ, même en voyant la chair dans mes chaussures j'avais pas compris. J'ai mis trois jours pour comprendre."
Hans s'avance à la barre : "le #13Novembre 2015, j'ai 43 ans, deux enfants de 10 et 15 ans. Lou arrive, on se poste dans la fosse, vraiment au milieu. Lorsque les pétarades ont commencé, j'ai vu une silhouette en ombre chinoise d'un homme qui tenait une arme."
Hans : "j'ai senti une brûlure qui me traversait le corps. En tombant, j'ai croisé un regard, le dernier de la soirée, celui d'un homme jeune, barbu. En tombant, j'ai remarqué la quantité de sang. Je ne comprenait pas comment il pouvait y avoir autant de sang aussi rapidement"
Hans : "en tombant, je me suis écroulé sur une femme. J'ai compris après qu'elle était morte, je l'ai compris à son immobilité. Il ne fallait pas que je bouge, mais je commençait a avoir des douleurs qui m'irradiaient. Je sentais que le sang coulait quelque part."
Hans : "j'essayais de retenir ma respiration. Au-dessus de moi, il y avait un homme assez jeune qui agonisait, qui faisait des espèces de moulinets avec ses jambes. Régulièrement, il me tapait sur la tête avec son pied. J'avais très peur que par ce mouvement, on soit repérés".
Hans a eu le crâne blessé par "l'onde de choc d'une autre balle. Mais je ne sais pas quand elle a été tirée. Après, il y a eu l'explosion [du 1er kamikaze ndlr], pour moi ma peur était qu'ils versent de l'essence et fassent tout brûler. J'avais très peur de mourir brûlé vif".
Hans : "après l'explosion [du premier kamikaze ndlr], il y a eu une myriade de confettis. Ca m'a fait penser au nouvel an chinois, c'était assez joli. Puis, j'ai senti des choses un peu liquides, entendu des bruits humides, c'était répugnant en fait."
Hans : "j'ai entendu des cris, surtout un cri de femme effroyable et j'ai pensé à des supplices. J'attendais. J'ai senti des gens qui se levaient puis retombaient. Quelqu'un est tombé sur mes pieds, une tête, j'essayais tout doucement de faire rouler cette tête hors de mes pieds"
Hans: "j'ai senti une fatigue terrassante et j'ai eu très très froid. J'ai compris que j'étais en train de partir. Tout le monde se pose la question de ce que ça fait de mourir. Pour moi, c'était un peu médiocre : j'ai pas vu de tunnel, j'ai pensé à personne, j'avais juste froid"
Hans : "puis j'ai vu une Rangers. Des personnes m'ont pris par les bras. Ils m'ont tiré vers la scène. On m'a mis sur un brancard, emmené dehors. Quelqu'un a crié : "putain, il fait un emphysème". Il a pris une seringue de type moyenâgeuse. Et je me suis réveillé à l'hôpital."
Hans : "pour moi c'était comme me réveiller d'une soirée où je me serais très très mal comporté et où j'avais des souvenirs, mais pas envie de savoir ce que c'était. Donc je me suis un peu coupé de tous les médias. Donc l'hôpital c'était un peu un cocon".
Hans : "mais au bout d'un moment, on m'a fait comprendre que ce serait quand même bien que je parte. Donc je suis rentré chez moi. J'avais perdu plus de 10 kg, j'avais encore de l'eau dans les poumons, je faisais l'effet d'un vieillard."
Hans : "il fallait que je remarche. Donc on a réapprivoisé la rue. Lou emmenait son petit vieux marcher. Petit à petit. Jusqu'au parc Montsouris.
Je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais reprendre mon travail."
Hans : "d'ailleurs je voudrais remercier le @FONDSDEGARANTIE dont les premières provisions m'ont quand même permis de tenir.
J'avais besoin de m'occuper l'esprit donc je me suis lancé dans des projets, j'ai travaillé de manière un peu hystérique en fait."
Hans : "au Bataclan, j'ai perdu pas mal de choses : mon sang, dans le sang des autres; la légèreté, l'optimisme. Et ça c'est irrécupérable. Mais j'ai gagné des rencontres avec des gens formidables : les soignants qui s'acharnaient à réparer ce que d'autres ont détruit".
Hans : "j'ai gagné une amitié avec deux durs à cuire du Quai des Orfevres. J'ai gagné un post-it sur une feuille très officielle de la CPAM : "tous mes voeux de prompts rétablissement, de tout coeur avec vous". Ca m'a beaucoup touché."
Hans : "je témoigne aussi parce que je pense que la somme de toutes les souffrances qui sont racontées de semaine en semaine, cette somme raconte l'ampleur de ce crime, sa folie."
Président: "vous avez à peine évoqué l'ampleur de vos blessures, des blessures très graves..."
Hans : "il y a une balle qui est rentrée par la cote, qui a démoli quelques trucs au passage, la rate, a provoqué le pneumothorax. Et l'onde de choc d'une autre qui a démolit l'occiput"
Hans : "mais quand on a survécu à ça, à part ma rate qui ne va pas repousser, on s'en remet finalement."
Hans : "j'ai pas de mot pour exprimer le sentiment que je pouvais ressentir sur le sol du Bataclan. J'étais comme dans un gouffre. C'était la mort en fait. Elle était là. Cette mort dégueulasse."
Hans : "la perspective du procès a ravivé pas mal d'angoisses. Mais entendre tous ces témoignages m'a fait du bien. Je ne vais pas guérir de ça. Mais j'ai l'impression que mon sentiment de peur est en train de se changer en une immense tristesse."
Lou, compagne de Hans, est à la barre à son tour : "pendant longtemps, mon témoignage n'était pas une évidence. J'avais l'impression que ce procès était surtout pour les personnes qui avaient perdu un proche dans cet attentat.".
Lou : "puis voir les enquêteurs, leur professionnalisme, cela m'a vraiment touchée. Puis est venu le temps des parties civiles. Et je me suis dit que comme toutes les personnes qui ont témoigné avant moi, j'avais certainement ma place ici."
Lou : "le #13Novembre 2015, la vie pour moi était belle. J'avais 26 ans, j'étais amoureuse.
A la sortie du travail, j'ai retrouvé Hans devant le Bataclan. En entrant, j'ai regardé la configuration des lieux car j'avais les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher en tête".
Lou : "moi j'étais surtout contente d'être là pour être avec Hans, je crois que je le regardais autant lui que le groupe. Quand j'ai entendu les pétards, j'étais un peu agacée, je n'ai même pas cherché à me retourner. Il y a eu un mouvement de foule. Avec Hans, on a été séparés"
Lou : "j'ai senti comme une force, je pense que c'était le souffle d'une balle, qui m'a fait tombée par terre. Je me suis retrouvée à plat ventre. Et puis, il y avait ces bruits. Pour moi, c'est comme un viol. Je n'ai pas de mots pour décrire la puissance du son. Ca prend tout."
Lou : "je demandais tout bas : qu'est-ce qu'il se passe?" Et là, une voix m'a dit : "ils nous tirent dessus, protège ta tête. Et si tu te tais tu resteras en vie.". Ca a été comme un sursaut pour moi. et le désespoir m'a envahie. Je devais avoir 27 ans le vendredi d'après."
Lou : "je me suis dit: je suis là sur ce sol dégueulasse, pour ce concert de merde ... je suis désolée ... mais c'est ce que j'ai pensé à ce moment-là.
Je me souviens d'une fille qui s'est pris des balles. Et ce dont je me souviens, c'est son regard : la terreur."
Lou : "dans ma tête, une voix hurlait un énorme NON. Je pense que c'était l'instinct de survie qui a pris le dessus.
Je me suis rendue compte que ma jupe s'était relevée, j'étais les fesses à l'air en fait, j'essayais de remettre ma jupe, en fait."
Lou : "j'ai commencé à me concentrer sur mon souffle. Je me répétais : "si tu as peur, c'est que tu n'es pas morte". Je me répétais ça en boucle.
Après, ce sont surtout des sensations, celui d'un roulé-boulé sur des corps. Je me suis retrouvée devant cette porte de secours".
Lou : "je suis sortie à gauche et j'ai commencé à courir. Et c'est à ce moment-là que j'ai pensé à Hans. Avant, je n'y avais même pas pensé. Du coup, je voulais y retourner. Mais mes jambes continuaient à courir. C'était comme une dissociation. "
Lou est accueillie dans un appartement : "cet homme nous a fait entrer, mais il nous a demandé de ne pas faire trop de bruit parce que son fils dormait et son fils avait été scolarisé dans une école près de Charlie Hebdo et il était suivi à l'époque".
Lou : "dans l'appartement, je regardais la télévision et je scrutais les gens que je voyais sur les civières pour voir si je voyais Hans."
Elle finit par rentrer chez elle, toujours sans nouvelles de Hans, "et je savais que ça allait être long".
Lou a retrouvé Hans le dimanche : "ça a duré deux jours. Et deux jours c'est vraiment très très très long. On essaie de se raccrocher à tout. On se dit "peut-être qu'il est blessé et qu'il ne peut pas parler". Je me suis créé un compte Twitter pour diffuser sa photo."
Lou : "puis le samedi soir, on m'a dit : "il n'y a plus de blessé non identifié du Bataclan". Donc là c'était le désespoir. Le dimanche ça commençait à devenir très très compliqué. Sur Twitter, je voyais que toutes les personnes recherchées étaient retrouvées mortes".
Lou : "j'ai fait un pari. Pas le pari de Pascal qui postule l'existence de Dieu. Moi, j'ai postulé l'existence de Hans. Je me suis dit : autant postulé qu'il est vivant, on verra après s'il est mort."
Elle apprend finalement qu'il est vivant, "c'était inespéré".
Lou : "en allant à l'hôpital, je me dis que j'allais pouvoir lui dire que je l'aime pour la première fois.
Mais il était complètement blanc, je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi blanc. Et je ne comprenais rien de ce qu'il disait."
Lou tente de reprendre le boulot. Mais se retrouve "dans un état de stress aigu, jusqu'à ce que Hans sorte de l'hôpital". Mon objectif "seconde par seconde, c'était de tenir". "Si quelqu'un posait un verre d'eau un peu fort, je me mettais à hurler."
Lou : "six ans après, si je dois faire le bilan, ça m'a quand même enlevé beaucoup de choses : je ne vais pas dans les ciné, les concerts. La perte de l'insouciance, le fonds de tristesse. Un soir doux d'automne, je ne supporte pas. Cela me fait penser au #13Novembre "
Lou : "il a fallu que je réapprenne à arrêter de vivre chaque jour comme si c'était le dernier. Et en fait c'est très stressant.
Je me suis mis aux mots fléchés aussi, je me suis rendue compte que ça me calmait. C'est un changement d'identité aussi."
Lou : "avant le Bataclan, je faisais de l'ultratrail et après, je ne pouvais plus courir. J'ai essayé une fois ou deux, mais j'avais l'impression que toutes ces personnes mortes dans cette salle, je les trainais derrière moi. Donc je n'ai plus pu courir."
Lou : "au Bataclan, j'avais pensé que les terroristes allaient peut-être me demander de tuer pour sauver ma propre vie. Et il m'arrive souvent de me demander si je l'aurais fait. Et, cela créée une brèche dans sa propre humanité."
Lou : "il y a quelques jours, des accusés qui discutaient entre eux ont dit que cela faisait six ans qu'ils avaient pas vus leur pote. Mais il y a des gens qui n'ont pas vu leur fils, leur fille, leur soeur depuis six ans. Alors cela m'a beaucoup choquée."
L'audience est suspendue jusqu'à 15 heures.
"Il nous reste pas mal d'auditions", précise le président.
L'audience reprend avec l'audition de Dominique, 47 ans.
"Ce procès m'a toujours semblé une évidence. Je ne suis pas là pour réclamer une quelconque vengeance. J'attends de la justice qu'elle soit raisonnable. Moi, je ne serai jamais raisonnable par rapport aux accusés."
Dominique : "à votre place, je ne serais pas très objective, je vous remercie donc de le faire pour moi.
Mais je tiens à signaler que je n'ai aucun pardon pour les gens qui sont responsables, complices et dont j'ai l'impression qu'ils pensent que ce n'est pas si grave"
Dominique : "quelque chose en moi s'est brisé, je suis très triste. Je ne connaissais aucune des personnes assassinées ce soir là mais je me sens extrêmement proche d'elles. Je ne comprends pas comment une gosse de 17 ans a pu être mortellement touchée à quelques mètres de moi."
Dominique: "pour citer mon psychiatre, je souffre d'une amnésie presque totale de l'événement traumatique. J'entends un pop derrière moi. J'ai compris de quoi il s'agissait. Et ça tire, ça tire, ça tire. Je sens de la fumée, dans ma bouche et mon nez. Je n'arrive plus à respirer"
Dominique : "pendant des mois, j'ai essayé de me reconstituer cette mémoire. Maintenant, j'arrête d'essayer de reconstituer ce qu'il s'est passé. Je vis donc avec ces petits moments."
Parmi ces moments, un homme "qui me dit : ils sont trois. Je pense que je n'ai aucune chance".
Dominique : "je suis désespérée, terrorisée. Ce n'est pas de la peur, c'est au-delà de la peur. Quand vous êtes convaincue que vous allez mourir et que vous ne pouvez rien faire. Je comprenais que des gens mourrais autour de moi. Je me dis que je vais agoniser"
Dominique : "puis je cours et je me vois courir. Quand je dis que je me vois, je vois cette personne qui est moi et qui court. Les médecins m'ont expliqué que c'est la désincarnation, la dissociation. Mais quand ça vous arrive, c'est terrifiant."
Dominique : "j'appelle les pompiers, je leur hurle de venir, qu'ils sont en train de tous les tuer. Et je cours. Une voisine m'emmène à l'hôpital et je vois une télévision avec "prise d'otage au Bataclan". C'était l'horreur non seulement autour de moi mais aussi dans ma tête.
Dominique : "je suis restée dans un état de sidération pendant des mois. J'étais comme morte dans un corps encore en vie. Je suis retournée travailler mais j'étais dans un autre monde. Et ça m'épuisait parce que je ne dormais pas, je n'avais pas de sommeil réparateur."
Dominique : "j'ai l'impression de m'être épuisée à essayer de forcer les choses. J'ai conscience que j'ai sans doute un peu abîmé mon capital génétique de vie. On m'a dit que j'avais un syndrome de stress post-traumatique chronique, j'en ai vraiment pris conscience 2 ans après."
Dominique : "je ne sais pas comment mes proches, mes collègues, même mes voisins ont réussi à me supporter. Je pense qu'ils m'aiment bien en fait.
Mais je me sens aussi plus forte qu'avant. Les mots m'ont aidée à verbaliser."
Dominique : "je suis là et j'avance. Et j'ai écrit ces quelques mots que je me dois à moi-même : "je crois qu'au fond, je suis toujours cette petite fille qui disait là-bas, c'est loin mais j'y vais. Désormais j'ai l'impression qu'il y a des murs qui bouchent l'horizon."
Dominique : "je ne vais pas me plaindre, j'espère que je ne vous suis pas apparue comme quelqu'un qui se plaignait. J'espérais mieux pour moi. Mais ils ne m'ont pas abattue."
Place au témoignage d'@aurelia_gilbert : j'ai 49 ans, je suis mariée, nous avons deux filles. Mon témoignage arrive à la fin des témoignages des rescapés, j'ai conscience de certaines redites. J'essaierai d'être factuelle et concise parce que c'est dans mon caractère."
Aurélia : "nous avions acheté deux places de concert mais quelques jours auparavant, mon mari s'est désisté et m'a proposé d'offrir sa place à l'une de mes meilleures amies pour lui changer les idées, ce qui n'a pas manqué"
Aurélia : "dans le contexte à l'époque, il y avait eu les attentats de janvier 2015 et comme je suis un peu plus âgée que la plupart des spectateurs, j'ai également le souvenir des attentats de 1986 et de 1995. Donc j'ai immédiatement compris qu'il s'agissait d'un attentat."
Aurélia : "j'ai vu trois hommes dont un visage plus pâle, crâne rasé qui était le plus près de moi. Puis les tirs ont repris. J'ai le souvenir d'avoir vu des balles qui tombaient à côté de moi. Et je me suis un peu résignée, comme beaucoup d'entre nous, à mourir ce soir-là."
Aurélia : "j'ai pensé à mes enfants et à mon mari. Je me suis dit que dans ma famille on mourrait à 90 ans et que 43 ans c'était un peu juste. Donc je me suis levée, je me suis retrouvée dans un escalier et sur la coursive, je ne voyais que des blessés très graves ou des morts"
Aurélia : "on a refermé la porte et on a essayé de la bloquer avec une planche à repasser, que j'ai trouvée vaine. Je me souviens m'être dit : on va se protéger avec une planche à repasser contre trois terroristes en kalachnikov."
Aurélia : "j'ai envoyé un premier SMS à mon mari "fusillade au Bataclan, réfugiée, prends soin des enfants. Je t'aime". Puis je me suis reprise et je lui ai dit : "t'inquiète pas, on est en plein coeur de Paris, dans un quart d'heure la police est là, c'est fini."
Aurélia: "je me souviens d'un monsieur irlandais qui s'occupait d'un jeune homme avec beaucoup de bienveillance, il y avait au moins quatre blessés graves dans cet escalier et tous s'en sont sortis".
Ils finissent par être sortis de l'immeuble à 00h13, "5 minutes avant l'assaut"
Aurélia : "la sortie de Bataclan, la vision de la fosse et de l'ensemble des morts est quelque chose qui me hantera toute ma vie."
Elle se réfugie dans une cour. "Les gens de la sécurité civile sont venus, ils m'ont semblé très jeunes et très choqués".
Aurélia : "en rentrant, mon mari a eu un mouvement de recul en me voyant pleine de sang. Je lui ai dit : "t'inquiète pas, ce n'est pas mon sang". Et comme beaucoup de gens ce soir là, j'ai terminé ma journée en faisant une machine, ce qui paraît très dérisoire."
Aurélia : "je suis retournée travailler le lundi. Comme beaucoup, je me suis rendue compte que ce n'était pas forcément une bonne idée. Mais j'ai eu un managment nordique et très très bienveillant."
Aurélia: "j'ai participé à la création d'une des associations de victimes @13onze15 J'ai beaucoup travaillé dans l'association. On a organisé des colloques pour essayer de comprendre les racines du terrorisme. J'ai finalement arrêté parce que ça prenait trop de place dans ma vie"
Aurélia : "quand j'entends ce qu'on vécu d'autres victimes qui étaient dans le même escalier dans le Bataclan, je me suis sentie à nouveau coupable : pourquoi moi je vais bien et pas eux? Mais je pense qu'il n'y a absolument pas de victime forte et de victime faible."
Aurélia : "surtout, je me suis plongée dans le dossier. J'ai fait du réquisitoire définitif et de l'ordonnance de mise en accusation mes livres de chevet. Il y a plus sympa comme lecture, mais soit.
Je pense qu'il est important de remettre l'état de Droit au milieu de tout ça."
Aurélia : "le terrorisme nous transforme en objet. J'avais besoin de redevenir sujet. Et témoigner aujourd'hui est pour moi une manière de redevenir sujet. "
Ann-Flore s'est avancée à la barre. "Je ne suis qu'un simple ricochet" dit-elle pour se définir. Elle passe la soirée dans un bar, apprend pour les attentats. "J'avais une formation de journaliste donc mon premier réflexe est de chercher des informations sur Twitter".
Ann-Flore : "il ne me faut que quelques secondes pour percuter que mes parents sont au Bataclan. Le téléphone de mon père sonne, il ne répond pas. Le téléphone de ma mère sonne. Elle ne répond pas. Je panique. J'appelle ma soeur, elle ne comprend pas de quoi je lui parle."
Ann-Flore : "je suis comme une gamine de deux ans et demi. Mon amie me prend en charge. On monte pour ce qui sera la dernière fois de ma vie dans cet appartement. Je prends une culotte, une brosse à dent. Et on file dans l'appartement de mon amie."
Ann-flore : "on allume la télé et je regarde à la télé ma vie. Je n'ai pas d'infos. Je me mets à faire des calculs sordides : je me dis que sur 1500 personnes, ce serait fou que ça tombe sur eux deux."
Ann-Flore : "je crois que ce qui me fait le plus mal c'est de comprendre qu'il faut arrêter de les appeler. Parce que les appeler ça fait d'eux des cibles.
Vers minuit et demie, ma soeur m'appelle. Elle me dit : "maman est vivante". Et je comprends que mon père est mort."
Ann-Flore : "pour la dernière fois, je hurle le mot "Papa". Et là mon obsession c'est de rejoindre ma famille. Un des membres du club de moto de mon père vient me récupérer. Je crois que j'arrive vers 4 heures du matin. On essaie de savoir où est transférée ma mère."
Ann-Flore : "j'ai mal partout, j'ai la sensation que mon corps est devenu une prison métallique."
Le lendemain, elle se rend à l'hôpital. "Et dans la voiture, je suis terrifiée à l'idée que ma mère me dise que mon père ait agonisé, qu'il ait mis longtemps à mourir."
Ann-Flore : "et je comprends que moi je suis un ricochet, je n'ai pas pris de balle, je n'ai pas vu ce qu'il s'est passé. Donc je vais être forte, je vais épauler ma mère. Et je me dis aussi qu'il ne faut pas que je bascule dans la haine, je ne veux pas devenir haineuse."
Ann-Flore : "ma mère m'apprend que mon père est mort d'une balle dans la tête, parmi les premiers. Et peut-être qu'une balle dans le coeur ça m'aurait moins bouleversée parce que la tête c'est l'essence de l'être humain, le siège de l'âme."
Ann-Flore : "les jours qui suivent, je retrouve quotidiennement ma mère à l'hôpital Saint-Antoine qui est grièvement blessée, qui subit plusieurs opérations. J'ai peur à plusieurs reprises qu'elle meure elle aussi. Je cauchemardais de devenir orpheline."
Ann-Flore raconte ce coup de fil à une cellule psy. "J'ai entendu la dame qui avait cru couper son micro dire à sa collègue : "putain, j'en ai une qui va péter un plomb, là".
Ann-Flore abandonne ses études, retourne vivre chez ses parents : "j'avais pas de mec, pas de bagnole, pas une thune. Bref que dalle".
"La seule chose un peu sensée que j'ai faite, c'est adopter un chien. J'ai appris après qu'il était né le #13Novembre novembre 2015 "
Ann-Flore : "je n'ai pas réussi à garder des liens avec les amis que j'avais avant. Je me sentais hors sujet, aller boire des coups, les anniversaires à fêter".
A ses nouveaux amis, "j'ai mis vachement de temps pour raconter mon histoire."
Ann-Flore : "je sais ce que c'est d'être invisible, de ne pas être vue. J'ai grandi avec cette tristesse en moi. Et cette tristesse est devenue une violence. Et c'est étrange pour moi de me sentir proche d'eux. De grandir avec de la violence et de la haine en soi."
Ann-Flore évoque "l'injonction d'un avocat" lorsqu'elle est venue visiter la salle avant le procès. "Ils nous ont demandé d'être dignes. Et je me suis dit que c'était gonflé de nous demander d'être digne au seul endroit on aurait le droit de ne pas l'être".
Ann-Flore revient également sur les propos d'un des accusés qui se disait aussi touché par les témoignages des parties civiles. "Il a dit : nous aussi, on est des humains. Ca m'a travaillée. Je me suis rendue compte que ce n'étaient pas des monstres. C'est tout l'ambiguïté."
C'est au tour de Guillaume de témoigner : "je viens avec mon équipe, si vous le permettez. Je suis assez impressionnés." Il présente son épouse qui était dans la fosse et Charles, avec moi au Bataclan.
Il explique qu'il va lire un texte écrit un mois après les événements"
Guillaume : "tout le monde se couche. Il n'y a rien de plus étrange que le son d'une foule qui s'effondre. Nous sommes les uns sur les autres. Les rafales chaotiques ne s'arrêtent que quelques instants. La totalité de mon être est envahi par la peur."
Guillaume : "l'instinct de survie prend le contrôle. Mon cerveau me dit : barre-toi. Rester c'est mourir. J'ai marché sur des gens pour rejoindre la scène. Rester c'est mourir. Je répète à bout de forces : "ils vont manquer de munitions". Mais ils ne manquent pas de munitions".
Guillaume : "un cri, une détonation, silence. Un cri, une détonation, silence. Un cri, une détonation, silence".
Guillaume se réfugie à l'étage. "Les tirs se rapprochent. Un cri, une détonation, silence. Un homme a réussi à casser le faux-plafond avec ses poings".
Guillaume : "comme pour m'excuser d'avoir marché sur des gens en bas, je fais d'abord passer [par le trou du plafond] un enfant de dix ans et sa mère. Comme si j'avais compris qu'il fallait le sauver lui pour pouvoir me sauver moi. Viens mon tour de passer par le trou."
Réfugié dans les combles, Guillaume est "à peu près convaincu que tout le monde est mort en bas. Je pense à ma compagne. Je n'ai pas envie de me préparer à apprendre sa mort. Et mes amis. Et moi, je ne suis pas encore tiré d'affaire."
Guillaume : " je répétais en boucle : "putain, intervenez, maintenant. Intervenez". J'ai entendu des cris. Des cris de douleur, des cris d'homme, des cris de femme. Des cris toutes les cinq minutes environ. Et silence. Et puis, il y a eu l'assaut. Un déchaînement merveilleux. "
Guillaume : "presqu'une heure après l'assaut, on voit passer les lasers rouges et les lampes torches. Tout le monde hurle "otage, otage". Une dizaine de types de la BRI sont là dans les combles. Un mec dans son soulagement dit "je vais pouvoir revoir mes enfants."
Guillaume : "moi, je dis juste : "j'espère que vous les avez bien défoncés". Et un type de la BRI me répond : "ils se sont défoncés tout seul". Je me suis senti bête, on a les joies qu'on peut."
Guillaume : "dans la fosse, il y a des dizaines de corps, un tapis de cadavres. Je ne veux pas trop regarder de peur d'y voir un ami. En réalité, voir des corps mutilés ne m'a absolument rien fait ce soir là. Peut-être que nous étions chimiquement vidés. Incapable de ressentir."
"Je n'oublierai jamais cette nuit où j'ai embrassé le diable" conclut Guillaume. Qui précise qu'il est prêt "à affronter les questions, avant d'adresser un mot aux victimes et aux assassins".
"Les assassins ne sont plus là, ils sont morts", précise le président.
Guillaume : "j'entends venir du box que certains se prétendent combattant. Et je tiens à dire que je suis sûr qu'il n'existe nulle part une cause qui pourrait justifier ce qui nous est arrivé."
Guillaume : Nos assassins ne sont pas des combattants, ce sont des esclaves qui défendent leurs propres chaînes avec le sang des hommes libres.
Un mot à ceux qui se servent de la peine des vivants pour nous vendre encore et encore la peine de mort. Taisez-vous à jamais."
Guillaume : "on a demandé à un chef indien un jour : "pourquoi vous ne battez pas vos enfants?" Le chef indien a répondu : "l'enfant comprend sa bêtise par le silence qui l'entoure.". Puissent-ils vivre dans la souffrance de notre humanité. "
Philomène, qui a perdu son fils Baptiste Chevreau au Bataclan s'est avancée à la barre . Elle a fait projeter sur le grand écran une photo d'elle et son fils : "cette photo a été prise en octobre 2015."
Philomène : "Baptiste avait 24 ans, il était passionné de musique. Il venait de signer un CDI dans une maison d'édition de musique. Il était passionné de musique. Ce soir-là, il profitait du cadeau d'anniversaire de sa soeur : deux places au Bataclan."
Philomène : "il venait d'emménager avec son amoureuse dans un deux-pièces. Il y est resté un mois et demi. Il commençait à peine sa vie d'adulte, tout lui souriait. Il avait plein de projets.
Sa vie c'est aussi la mienne et sa mort c'est aussi la mienne."
Philomène: "le #13Novembre j'ai su très vite que Baptiste était au Bataclan. J'ai espéré qu'il avait perdu son portable. J'ai même espéré qu'il était blessé grièvement, quelque part. J'ai appris par l'amie de Baptiste au téléphone que mon fils était mort. C'était le samedi à 18h"
Philomène : "je n'ai jamais eu le moindre coup de fil officiel m'annonçant sa mort. Le résultat est le même. Mais ça n'aurait pas du être à ma belle-fille de m'annoncer cette nouvelle.
L'identification date de 5 heures du matin. Néanmoins, on a attendu toute la journée."
Philomène : "j'ai attendu des mois avant de savoir comment était mort Baptiste, quelles blessures il avait eues, s'il avait souffert, s'il avait eu le temps d'avoir peur. Pendant des mois, j'ai lu tous les articles, j'ai demandé a avoir accès aux photos de la police."
Philomène : "je n'ai pas pu écouter tous les témoignages des parties civiles, mais j'ai toujours l'espoir d'apprendre quelque chose. Peut-être qu'une fois que le procès sera terminé, j'arrêterai de chercher."
Philomène : "ils m'ont pris mon fils, et m'ont laissé à la place un poids extrêmement lourd que je devrais porter toute ma vie. Ils m'ont pris son sourire et le mien.
Le manque et l'absence de Baptiste se fait sentir au quotidien. Je ne serai plus jamais vraiment heureuse."
Philomène : "même si c'est très dur pour moi d'entendre les témoignages des rescapés alors que Baptiste n'est plus là, je voudrais leur dire qu'on ne doit pas comparer les douleurs. Que toute personne est légitime."
Philomène : "l'issue de ce procès ne changera rien à ma vie, mais il fallait qu'il ait lieu. Moi je continue à chercher parmi tous ces récits, des petits morceaux de la fin de vie de Baptiste. Alors merci d'avoir permis ces témoignages et nous avoir donné la parole."
La mère et la soeur de Juan Alberto Garrido, décédé au Bataclan, s'avancent à la barre. Elles sont espagnoles et avaient témoigné pour @franceinter des difficultés des victimes étrangères du #13Novembre 2015
> franceinter.fr/justice/pour-l…
Maria-Christina : "écouter les témoignages des survivants, c'était très difficile pour moi, mais cela m'a permis de comprendre l'impuissance et l'angoisse qu'a pu ressentir Juan Alberto ce soir-là. Aujourd'hui, je me demande combien de personne ont pu trébucher sur son corps. "
Maria-Cristina : "j'espère que vous aurez à subir la subir la souffrance que vous avez engendrés et provoqués chez les victimes directes et indirectes.
Vous vous fourvoyez si vous croyez que vous êtes courageux, vous êtes en réalité très lâches. Sans vos armes vous n'êtes rien."
Maria-Cristina : "en tant que maman, je peux vous dire que les naissances de mes enfants ont été les plus beaux cadeaux que la vie m'a offerte. Ils ont été des piliers dans ma vie."
Maria-Cristina : "la première fois que nous avons visité Paris, Juan Alberto avait seulement six ans, mais il a adoré et il disait qu'il voudrais s'y installer. Moi je n'ai jamais imaginé qu'il y rencontrerait la mort. Il avait seulement 29 ans et toute la vie devant lui."
Maria-Cristina : "Juan Alberto venait de se marier en juillet. Il était avec son épouse au concert. Mais heureusement, Angela est sortie indemne physiquement. Elle a en revanche été psychologiquement très éprouvée".
Maria-Cristina : "ce soir là, Juan Alberto, m'a appelée vers 17h30 en sortant du travail. Il m'a dit qu'il allait à un concert. On s'est dit aurevoir comme habituellement. Il m'a dit : "je t'aime, maman". Je lui ai répondu : "je t'aime, mon trésor. A demain."
Maria-Cristina explique qu'en apprenant que des attentats sont en cours à Paris, elle tente d'appeler son fils et sa belle-fille. "En entendant les témoignages des victimes survivantes, je me demande maintenant si je ne les ai pas mis en danger en faisant cela".
Maria-Cristina finit par avoir sa belle-fille au téléphone. Elle lui dit être sortie du Bataclan, mais en laissant Juan Alberto inconscient dans la salle.
Arrivée à Paris, Cristina explique avoir "visité tous les hôpitaux possibles". Puis c'est "l'attente à l'école militaire".
C'est finalement l'annonce du décès de Juan Alberto. "Mon coeur s'est brisée, je me suis sentie impuissante. J'ai ressenti énormément de colère aussi", raconte Maria-Cristina à la barre. "Il n'est pas logique qu'on puisse survivre à son enfant. C'est très douloureux."
Maria-Cristina : "je ne saurais probablement jamais comment il est mort. On m'a dit qu'il avait reçu une balle dans le dos. Mais je ne saurai jamais s'il est mort sur le coup ou s'il a souffert, agonisé. Et ces pensées virevoltent sans cesse dans ma tête."
A l'institut médico-légale, Maria Cristina sent son "âme se briser. J'ai frappé sur la vitre." Elle y retourne plusieurs fois, pour passer un moment auprès du corps de son fils.
Dix jours après, Maria-Cristina rentre en Espagne avec la dépouille de son fils.
Maria-Cristina explique que le drame "a intensifié les symptômes d'une maladie auto-immune dont je souffre et également des problèmes d'estomacs. Je souffre d'insomnie, de problèmes de concentration. Je suis irascible, je suis devenue claustrophobe".
Maria-Cristina aimerait "savoir pourquoi il n'y avait pas de mesures de protection particulière alors que l'on savait que des menaces pesaient sur cette salle et ce groupe. J'aimerais aussi savoir pourquoi les personnes fichées S ne sont pas surveillées de plus près".
Après une courte suspension pour "une pause technique", l'audience reprend avec l'audition de Tatiana, soeur de Priscilla Correia, "décédée au Bataclan avec son compagnon. Elle avait 35 ans, envisageait de fonder sa famille, d'avoir des enfants. Mais elle n'a pas eu le temps"
Tatiana : "ils sont décédés tous les deux et Manu laisse derrière lui deux petites filles. Priscilla a été tuée près du bar, elle a souffert, elle a eu peur et elle s'est vue mourir"
Tatiana : "perdre une soeur, une grande soeur, si jeune et dans des circonstances si dramatiques, c'est perdre un morceau de son histoire et de sa vie. Aujourd'hui, aucun mot n'est suffisant pour décrire le manque depuis son départ."
Tatiana : "aujourd'hui, ce qui me permet d'avancer ce sont mes enfants. Malheureusement, ils ne connaîtront jamais leur tante. Il faudra un jour que je trouve les mots pour leur expliquer dans quelle violence leur tante a disparu."
Tatiana : "si je témoigne aujourd'hui c'est pour ma soeur, mais aussi mon père, jusqu'ici partie civile mais qui est décédé à tout juste 65 ans. C'est une autre victime collatérale. Le départ de Priscilla lui aura été insurmontable. Il a passé plus de 5 ans assis dans son canapé"
Tatiana : "le corps médical parle de syndrome de glissement. Il a perdu goût à la vie. Sa vie s'est arrêtée le #13Novembre 2015. Il est décédé de chagrin. Je me suis sentie si seule et j'aurais aimée que ma soeur soit là".
Tatiana conclut sur une citation de Gandhi : "la meilleure éducation consiste à tirer le meilleur de soi-même. Quel meilleur livre que le livre de l'humanité?"
Lahssen, frère de Djalal Sebaa, décédé au Bataclan, est à la barre : "nous sommes arrivés en France en 2014 pour rejoindre nos parents, après avoir obtenu la nationalité française. Nous sommes d'origine algérienne."
Sur l'écran, il a fait projeter une photo avec son frère.
Lahssen : "le #13Novembre 2015, on était ensemble avec mon frère. C'était comme un pote pour moi.
Depuis sa mort, je suis un peu dégoûté. Pour mes parents aussi. Ma mère depuis ce jour-là, n'est pas bien. Elle ne sort plus beaucoup."
Lahssen : "moi je suis musulman, je ne suis pas pratiquant. Mais l'islam c'est l'amour.
Djalal est resté presque un an ici en France. On a fait toutes les démarches pour commencer notre vie, travailler dans la boulangerie-pâtisserie".
Lahssen aux accusés : "vous allez finir votre vie en prison et puis après en enfer, parce qu'il y a des gens qui souffrent."
Emu, il conclut sa déposition : "ce sera tout pour moi. Le reste, ça reste dans le coeur."
Le président précise que le frère de Lahssen, Djalal Sebaa, était un simple passant, qui marchait devant le Bataclan le #13Novembre 2015.
Sophie, 43 ans, s'est avancée à la barre : "jusqu'à juillet, je ne pensais pas suivre le procès ou de loin." Elle décide finalement de venir et imagine "que j'allais regarder un accusé dans les yeux jusqu'à ce qu'il baisse le regard".
Sophie : "Mais je me suis rendue compte que je voulais témoigner pour une mauvaise raison et que cet échange de regards, c'était un rapport de force, une forme de vengeance. Et la vengeance, j'en ai jamais voulu."
Sophie : "j'ai renoncé à mon envie instinctive de duel à la Segio Leone. Je m'en remets à vous la cour pour faire ce qui est juste parce que nous qui sommes parties civiles nous ne pouvons être juge et partie".
Sophie : "quand les tirs ont commencé, il ne m'a pas fallu plus de quelques dizaines de secondes pour comprendre ce qui était en train de se passer. Et mon cerveau m'a transformé en une sorte de machine de guerre et a coupé tout ce qui n'était pas nécessaire".
Sophie : "je mets pour sac sur la tête pour me protéger et mon bras gauche sur le flanc parce que j'avais peur qu'une balle dans la cote me perfore le poumon."
"J'avais tellement confiance dans les unités d'intervention que j'ai vraiment réussi à me détendre".
Sophie : "puis le moment du coup par coup. Vous voyez de quelle phase de l'attaque je parle, celle du ball trap : les pigeons d'argile, c'est nous. J'écoute les tirs. J'entends un homme en train d'essayer de calmer une femme. Je dis : taisez-vous vous allez nous faire repérer"
Sophie : "à ce moment-là, j'ai eu des pensées étranges. J'étais un peu honteuse parce que mon appartement était pas très rangé. J'avais un copain depuis pas longtemps et je me suis dit : "le pauvre, il a une copine depuis un mois et demi".
Sophie : "et puis est venue la colère. J'ai décidé que j'avais le droit de décider comme j'allais mourir. Je me suis relevée. Je me suis relevée dans la fosse avec les piles de corps, ceux des morts, des blessés, des vivants".
Sophie : "je viens de m'asseoir au milieu d'un charnier."
Elle fait projeter une photo des fleurs et bougies déposées devant le Bataclan. "Quand j'ai vu cette image, elle m'a fait penser à la fosse. Même si elle n'est que symbolique, je trouvais important de vous la montrer"
Sophie : "je cours vers la seule sortie que je connaisse, l'entrée principale du Bataclan. Je me rappelle des monceaux de corps, de ma concentration pour ne pas tomber. De mettre dit : si tu trébuches, tu meurs. De mettre retrouvée dans le hall d'entrée avec des corps, encore"
Sophie : "je tombe sur des policiers. Et je ne pensais pas pouvoir se sentir aussi soulagée d'être en joue par autant de policiers à la fois. Et pourtant si."
A l'extérieur, elle envoie un sms à son ami Guillaume qui lui répond trois mots : "Vivant. Encore. Blessé"
Sophie fait également projeter une photo de son jean à la sortie du Bataclan : "ça vous donne une idée de la mare de sang. Ce sang ce n'est pas le mien, c'est celui des autres dans lequel j'avais baigné".
Sophie : "je ne vais pas vous parler de mes séquelles physiques qui sont infiniment légères, ni de mes séquelles psychologiques qui sont tristement banales dans cette salle, je veux vous parler d'autres séquelles. Je souffre de l'instrumentalisation dont nous sommes victimes."
Sophie : "certains ont porté plainte après l'utilisation de la mémoire de leurs proches pour porter une autre haine, symétrique à celle-ci.
Je suis horrifiée de voir des jeunes qui tournent des vidéos inspirées de Daech où ils miment l'exécution de leurs opposants politiques".
Sophie : "pour moi c'est ça la séquelle la plus douloureuse après l'attentat. C'est cette séquelle sociétale. J'ai encore mal au dos parfois, mais je peux travailler ma cicatrice avec un kiné. Je fais encore des cauchemars parfois, mais je peux avancer. "
Sophie : "j'espère que les témoignages nombreux de parties civiles qui clament qu'elles ont su résisté aux amalgames hâtifs porteront un message au-delà de ces murs : ne pas se contenter de raccourcis faciles, regarder la totalité des choses."
Sophie : "j'attends de vous que vous puissiez rendre la justice. La rendre tout court. Mais aussi nous la rendre à nous. Parce que j'ai l'impression qu'on nous la prise."
Sophie : "donc entendre l'émotion, mais pour autant ne pas juger en fonction de l'émotion. Savoir douter. Juger à la hauteur des responsabilités établies et seulement des responsabilités établies."
Fin de l'audition de Sophie. Trois personnes s'avancent à la barre. Redda, Samir et Zineddine, tous trois victimes de l'attentat du Stade de France et qui n'avaient pas été entendues jusqu'ici.
Tous trois, un oncle et ses deux neveux, se rendaient au match. Ils avaient reçu les billets en cadeau.
Ils sont près de la porte H quand survient l'explosion d'un des kamikazes. Redda est blessé par un des écrous de la ceinture explosive.
En rentrant chez lui, Redda comprend "que j'avais échappé au pire".
"Ma femme a vu que j'avais de la chair du kamikaze dans les cheveux, sur mes chaussures. C'était dur d'enlever tout ça".
Zineddine, qui jouait au football à haut niveau à l'époque, a reçu des boulons de la ceinture explosive dans la jambe. "Je me suis mis à courir. Et j'ai entendu mon père qui m'appelait : Zizou. Parce que Zizou c'est mon surnom".

Président : "normal pour un footballeur"
Zineddine trouve refuge dans le Stade de France : "il y avait des blessés, vraiment plus graves que nous. Des trucs pas beaux à voir. Et je me rends compte que tout le monde est couvert de trucs rouges, de la peau, enfin c'est ce que je croyais à l'époque".
Samir explique qu'il a aussi été blessé au niveau des jambes "on a été protégés par une pancarte publicitaire, heureusement".
Il évoque son père, franco-algérien aujourd'hui décédé, venu en France "pour mettre ses enfants en sécurité après avoir vécu les attentats en Algérie".
Redda reprend la parole pour évoquer les séquelles psychologiques de l'attentat sur lui : "je me réveillais la nuit en poussant un cri déchirant".
Il est aussi témoin de deux agressions dans la station service où il travaille. "C'était dur pour moi".
Fin des auditions de parties civiles pour aujourd'hui. L'audience est suspendue. Elle reprendra demain à 12h30.
Retrouvez le compte-rendu de l'audience du jour, avec les dessins de @ValPSQR ici >
franceinter.fr/justice/proces…

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