Bonjour à tous,

Le procès des attentats du #13Novembre va reprendre pour la 21e journée d'audience.

Le compte-rendu de l'audience d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/gaelle…
Au programme aujourd'hui : la suite des auditions des victimes du Bataclan, dont par exemple Laura qui nous avait livré son récit >
franceinter.fr/grievement-ble…
L'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter dès 13 heures avec @sophparm

En LT ici.

Avec toujours les dessins de @ValPSQR
L'audience reprend avec la première audition, celle de la soeur de Fabrice Dubois, décédé au Bataclan.
"Je viens de Los Angeles pour témoigner. Je vis là bas depuis 34 ans alors je m'excuse si je ne trouve pas les mots. D'autant que c'est impressionnant ici. Vraiment."
Alors que la prise d'otages du Bataclan est encore en cours, Nathalie essaie de joindre son frère, puis tous ceux qui se trouvaient avec lui.
"Et il se trouve que notre ami d'enfance, le meilleur ami de Fabrice, faisait partie des forces de police sur le point d'attaquer"
Plus tard c'est l'annonce du décès : "c'est le monde qui s'effondre. On s'est demandé comment on allait prévenir nos parents. La mise en bière a été horrible avec mes deux parents sur le cercueil qui pleuraient leur fils. Je n'ai pas assez de mots pour dire ma douleur."
Nathalie : "mon frère travaillait dans une des plus grande agences mondiales de publicité. C'était un concepteur rédacteur de génie. Sa dernière publicité c'était Renault".
A la barre, Nathalie lit quelques témoignages des collègues de Fabrice : "2 mètres de gentillesse".
Nathalie : "avec mon frère, on plaisantait souvent parce qu'on est grands et on se disait quand on prenait le métro : "au moins, on peut respirer". Là, sa taille lui a joué des tours en fait. Parce qu'il a été l'un des premiers tués".
Nathalie : "j'ai un manque que je ne pourrai jamais combler. Tous les vendredis j'allais pleurer chez une amie. J'ai développé des grosses crises de tension, de panique. J'ai mis 6 ans à m'en débarrasser."
Nathalie : "mon père s'en est moins bien sorti que moi. Il a vécu ouvertement une douleur insurmontable. Le jour où mon fils est tombé, on lui avait annoncé qu'il n'avait plus de cancer. Il est mort il y a deux ans d'un cancer terrible."
Nathalie : "je voudrais dire un dernier petit mot. Mon mari est musulman. Le terme mécréant n'existe pas dans la religion musulmane. Le prophète Mohamed dit qu'aucune violence n'est justifiée. Donc tout ce que ces gens-là disent sur la religion sont des mensonges."
Nathalie : "Ce ne sont pas des musulmans, ce sont des criminels. Et moi j'ai vécu dans les pays arabes. Là-bas les gens qui font ça, ils ont une vraie punition. Mais ils savent qu'ici on ne va pas leur enlever la vie. Et je trouve qu'il faudrait changer les lois."
Lydia est à la barre : "au moment des faits j'habitais à Londres, j'avais 26 ans, j'étais venue pour le concert. On est arrivées vers 18h, la sécurité nous a demandé de préparer nos sacs pour la fouille, mais ça n'a jamais été fait. On a été assez surprises avec mes amies."
Lydia : "juste avant que le groupe monte sur scène, on sent vraiment la foule. On est écrasées, on ne peut plus bouger. Puis j'entends les bruits que tout le monde a décrits : pop, pop, pop. Et là mon cerveau a listé à une vitesse incroyable tous les sons que je connaissais"
Lydia : "je me retourne, il fait encore noir et je vois les flashes des balles. J'essaie de me dégager, je vois que femme derrière moi. J'essaie de lui demander de bouger mais je crois qu'elle est morte.
Je demande : "quelqu'un a un couteau? Il faut arrêter ce massacre"
Lydia : "je crois qu'ils avaient déjà chargé 4 fois. Je me penche sur le côté et mon amie Laure passe ses bras autour de ma tête. Cette chaleur m'a réconfortée. Elle a vu que ma jambe était coincée, elle m'a dégagée."
Lydia parvient a sortir, se cache "dans un renfoncement". "Et là, un monsieur passe en criant : "ils tirent dehors, restez pas là".
Elle parvient finalement à se réfugier dans un restaurant. "Je préviens qu'il y a une attaque au Bataclan. On me traite de menteuse et je m'énerve"
Dans le restaurant Lydia s'assied "par terre parce que je me dis "comme ça s'ils tirent sur les vitres, ils me toucheront pas". Les clients continuent à manger et se moquent de moi. Jusqu'à ce qu'une autre femme arrive couverte de sang. Et là, on commence à me croire."
Quand elle les a retrouvée, Lydia explique "avoir demandé pardon" aux deux amies qui étaient avec elle au concert. "Je leur demande pardon parce que j'ai pas réussi à les sortir et que je me suis enfuie."
Lydia : "quand j'étais dans le Bataclan, je me suis dis que si je m'en sortais vivante, je changerais tout. Donc c'est grâce à eux aujourd'hui si je vis ma vie pleinement. Ca m'a ouvert les yeux sur plein de choses."
Lydia : "mes parents sont algériens. Trois de mes frères sont musulmans, des vrais. Je ne suis pas croyante comme eux mais je sais qu'il y a une justice au-delà de celle-ci, qui ne leur pardonnera jamais. C'est eux qui finiront en enfer. Et moi je n'en veux pas de l'enfer."
Lydia s'occupait de la sécurité de concerts : "l'hypervigilance faisait que j'étais un bon agent, mais j'en sortais ... "
Aujourd'hui, elle est en 2e année de droit.
"Vous allez voir, ça devient intéressant", sourit le président. "Du moins si les programmes n'ont pas changé."
Jessica s'avance à la barre : "j'avais 18 ans au moment des faits. Lorsque j'ai entendu les coups de feu, j'ai tout de suite reconnu ce que c'était parce que j'étais réserviste à l'époque. Et, en formation, on était amenés à tirer avec des armes, notamment des kalachnikovs"
Jessica : "je me suis concentrée sur ce que j'avais pu apprendre à l'armée en matière de soins par balles. J'étais au Bataclan café avec un homme dont je compressais la plaie. Un autre couple blessé. Les tirs continuaient. Je me suis dit que je pouvais potentiellement mourir".
Jessica : "j'ai croisé le regard d'un homme qui sortait, qui est tombé et qui me demandait de l'aide. Sauf que j'avais appris à ne pas lâcher la compression que j'étais en train de faire. Et aujourd'hui je me dis que j'aurais pu faire plus pour cette personne qui est morte"
Jessica : "je ne supportais pas l'idée de ne pas pouvoir aider ou me rendre utile."
Elle aide alors Elodie : "je suis compressais sa plaie au niveau du cou et j'essayais de lui parler pour la maintenir éveillée. Elle m'a dit qu'elle avait 40 ans, qu'elle était psychologue"
Jessica : "Elodie m'a dit qu'elle avait passé un temps infini sous le cadavre de ses amis au Bataclan, pour se protéger. J'étais totalement désarmée, je ne savais pas quoi lui dire. C'est un peu compliqué, à 18 ans, de trouver les mots."
Jessica finit par rentrer chez elle "mais ça n'allait pas du tout."
"On m'a diagnostiqué une dissociation, je n'étais plus en accord ave mes émotions. J'étais en décrochage scolaire, je ne supportais plus personne."
Jessica a fini par être prise en charge psychologiquement, mais ne s'est longtemps pas considérée comme victime : "cette reconstruction est longue et très compliquée. Cela fait relativiser sur la fragilité de la vie. De voir des gens morts alors qu'ils ont voulu vivre."
Fehmi Cem, qui s'exprime en turc par l'intermédiaire d'un interprète, 29 ans, s'apprête à livrer son témoignage. En 2015, il était étudiant en biologie moléculaire et génétique. Il vient à Paris pour la première fois pour assister à trois concerts, dont les Eagles of Death Metal.
Fehmi Cem : "je ne suis pas quelqu'un de très sociable, je reste relativement seul." Il se positionne dans la fosse, vers la droite de la scène, entend ce qu'il croit lui aussi être des pétards. "Mais je me suis retourné et j'ai vu que la personne derrière moi a été touchée."
Fehmi Cem explique qu'il s'est d'abord cru mort, puis qu'il a prié pour que la terre s'ouvre ou qu'il se transforme en vapeur.
Finalement, il prend la fuite, perd ses chaussures, se réfugie dans les escaliers. "Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés dans ce coin."
Fehmi Cem est finalement sorti sur un brancard "car je n'avais plus mes chaussures et que le sol était jonché de débris de verre".
Mais, ne parlant pas français, il ne comprends pas les instructions des forces de l'ordre. "Une femme qui s'appelait Alice m'a pris par la main"
Fehmi Cem parvient à retourner dans le logement qu'il avait loué, seul, dans cette ville qu'il ne connaissait pas. "J'étais toujours habité par la peur."
Il est hébergé deux jours chez des amis de sa famille avant de rentrer en Turquie. "Mais le stress c'est comme un boomerang".
Fehmi Cem explique les difficultés du stress post-traumatique : "vous avez l'impression que vous avez la lèpre, que vous devenez un étranger, y compris à vous-même. A l'université, il ne parvient pas à suivre les cours de biologie moléculaire "dans des laboratoires sans fenêtre".
Fehmi Cem explique qu'il souffre depuis "de la fièvre méditerranéenne, déclenchée par le stress, qui cause des douleurs insupportables dans tout le corps. Même le fait de respirer est douloureux."
Il n'a donc pas pu poursuivre ses études en biologie moléculaire.
Fehmi Cem explique encore que le stress le fait beaucoup transpirer. Il soulève un bras pour montrer ses aisselles mouillées à la cour.
"Je ne pouvais pas rester dans une classe, du fait du stress. Et aujourd'hui, ce que je ressens le plus dans la vie, c'est le stress".
Fehmi Cem conclut : "le dernier moment de bonheur pour moi remonte à la deuxième ou troisième chanson des Eagles of Death Metal, le 13 novembre 2015".
Faustine s'est avancée à son tour. Ce soir-là, elle était au Bataclan avec son conjoint Jean-Jacques et des amis. "Nous nous sommes retrouvés là-bas tous les quatre, mais nous n'en sommes revenus qu'à trois".
Jean-Jacques Kirchheim avait 44 ans.
Faustine : "il y a eu des bruits secs, des cris. Je me suis retournée, j'ai distingué un individu. Puis deux autres personnes. Ils tiraient. Ils ont déclaré : "pour nos frères de Syrie". Ils ont continué à tirer, de gauche à droite, dans la fosse. Je me suis couchée, sur le dos."
Faustine : "j'ai essayé d'appeler Jean-Jacques qui ne me répondait pas. J'étais au sol dans le sang, le mien et celui des autres.
J'ai été blessée de plusieurs éclats de balles à l'épaule gauche, à la tempe gauche et j'ai un scalp derrière la tête"
Faustine : "je saignais beaucoup. J'ai été évacuée vers l'hôpital Saint-Antoine, j'ai du recevoir des soins tous les deux jours pendant plusieurs semaines. Mais rien n'était plus difficile que la perte de Jean-Jacques. Le manque est grand."
Faustine : "Jean-Jacques avait été particulièrement touché par les attentats de janvier 2015. De tous nos amis c'était le plus concerné et le plus informé par la situation en Syrie. Et pourtant c'est lui qu'ils ont eu."
Faustine : "Jean-Jacques est tombé sous les balles de kalachs de 3 hommes radicalisés, fanatiques, endoctrinés par d'autres hommes. Les fous trouvent toujours de la chair à canon, siècle après siècle. C'est triste de constater le nombre de gens capables de se faire endoctriner."
Faustine : "après les attentats de janvier 2015, Jean-Jacques a dit qu'il ne voulait pas devenir ce que les terroristes veulent faire de nous : des gens aveuglés par la haine et la peur de l'autre. Je voudrais lui dire : je ne deviendrai pas ce que nous n'avons jamais voulu être"
Faustine a repris le travail à l'été 2016, en mi-temps thérapeutique. "Mais c'était un peu compliqué" car il s'agissait d'une entreprise de sécurité privée et les sujets abordés étaient "l'équipement des agents de gilets pare-balle après les attentats".
Elle a été licenciée.
Fabienne, soeur de Jean-Jacques explique : "je suis ici car tout le monde connaît les visages des 20 accusés, je trouve important qu'on connaisse ceux des victimes.
Jean-Jacques c'est mon petit frère. Dans une vie normale, un petit frère c'est un gars increvable."
Fabienne : "le procès pour nous est une lourde épreuve. Toute cette séquence de parole donnée aux victimes fait que nous allons peut-être commencer à mieux respirer. Pour le reste, nous faisons confiance en la justice."
La mère de Jean-Jacques a également écrit une lettre à la cour, lue par son avocate, Me Josserand-Schmitt. Elle y décrit "le cri que Faustine [compagne de Jean-Jacques ndlr] a poussé" lors de l'annonce de sa mort. "Ce cri résonne encore dans ma mémoire."
Dans sa lettre, la mère de Jean-Jacques raconte les "900 personnes à son enterrement, des amis des collègues, des gens venus en car et jusqu'alors inconnus de nous. Nous avons découvert un fils charismatique."
Ludovic, 49 ans, ami de Jean-Jacques avec qui il était au Bataclan s'est avancé à son tour à la barre. Il connaissait Jean-Jacques depuis la fac, "on ne s'est jamais quittés".
"On partageait les mêmes valeurs, un rejet de l'extrêmisme sous toutes ses formes ... "
Ludovic : "j'ai pas compris tout de suite au moment des premiers tirs et même une fois à terre, je ne comprenais pas bien ce qu'il se passait. Il a fallu que je relève la tête, que je vois un tireur avec une arme longue et son chargeur caractéristique, et là j'ai compris"
Ludovic explique que lorsqu'il apprend la mort de Jean-Jacques, au 36 où il vient de faire sa déposition, "je n'ai pas été très courageux. Je n'ai pas réussi à appeler Faustine [sa compagne ndlr].
"On sort de ça profondément meurtri, changé."
Ludovic : "assez vite j'ai senti qu'irrémédiablement quelque chose avait changé en moi. Perte du goût de la vie, un sentiment de culpabilité énorme. Et je m'en veux beaucoup parce que j'ai du mal à vivre alors que d'autres ont même pas eu la chance de continuer à essayer".
Ludovic : "et puis je m'en veux beaucoup parce que je ne suis pas retourné chercher Jean-Jacques. Il a fini tout seul. Il n'est pas mort tout de suite parce qu'on sait que son corps a été retrouvé à l'autre bout de la salle. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais."
Ludovic : "c'est difficile parce que les gens ne comprennent pas ce qu'on a vécu. Et c'est aussi la difficulté de faire reconnaître nos préjudice auprès du @FONDSDEGARANTIE : ce n'est pas parce qu'on a repris le travail et qu'on ne prend plus de médicaments qu'on va bien."
Ludovic : "dans le box, la plupart des accusés n'étaient pas là directement, ce ne sont pas eu qui ont préparé ces attaques. Mais malgré tout, ils ont aidé, au nom d'une idéologie. Ils ont la chance : on est dans une démocratie. Chez nous, on ne risque pas d'être torturé ou tué."
Ludovic : "je sais que certains commencent à trouver long d'entendre autant de témoignages de victimes, mais ça m'est complètement égal. Au contraire, je souhaite qu'ils les entendent. Ils disent qu'il n'y a rien de personnel : pour moi c'est très personnel."
Ludovic : "ils se plaignent de leurs conditions de détention, mais je crois que ça n'a rien à voir avec les geôles de l'EI.
Au fonds, je crois que l'EI leur donne la possibilité d'être ce qu'ils sont au plus profond d'eux-mêmes : des criminels."
Le président annonce "une première suspension ... non pas une première car je crois qu'il n'y en aura qu'une cette après-midi".
Reprise dans 30 minutes.
L'audience a repris avec l'audition de Gregory qui, comme beaucoup d'autres avant lui, raconte comme l'arrivée de ce procès a causé "des réminiscences" de son mal-être. "je suis obligé de dormir dans une autre chambre parce que je refais des cauchemars."
Gregory, qui est sorti assez rapidement de la salle, n'a pas été blessé physiquement. "Par contre psychologiquement, ça reste encore là, je suis toujours suivi par un psychiatre. J'en ai toujours besoin."
Gregory est sorti parmi les premiers, via une issue de secours. Il n'a pas compris dans les premiers temps que son ami Cédric Mauduit, 41 ans, avait été mortellement touché.
Joanna s'avance à la barre, confie qu'elle n'a quasiment pas parlé de cette soirée du #13Novembre : "les amis ne posent pas de questions, ou pas les bonnes, la famille proche demande si ça va, la famille lointaine ne demande rien."
Comme beaucoup d'autres, Joanna s'est demandée si elle comptait "comme une victime". Car elle n'a pas été blessée physiquement. Elle était au Bataclan avec son compagnon et un ami. Ils s'installent d'abord au balcon mais "un concert de rock, ça doit se vivre dans la fosse".
Joanna se souvient "des bruits impressionnants", de son ami Matthieu "qui s'écroule sur moi et me dit : je me suis pris une balle".
"Nous sommes tous les trois allongés dans une étreinte, Matthieu me demande, comme dans les films, de dire à son fils qu'il l'aime".
Joanna : "Matthieu souffre, gémit. Et nous sommes obligés de lui dire de se taire. Nous avons compris que nous n'avons d'autres choix que de faire les morts. Impossible de tenter de fuir avec un blessé. Pourtant je suis persuadée qu'aucun de nous trois ne va mourir ce soir".
Joanna : "les yeux fermés, les bruits de pas me semblent tellement proches, j'ai l'impression que quelqu'un fait des allers-retours à quelques centimètres de nous. Désormais je sais qu'ils exécutent au coup par coup : "si tu bouges, je te butes".
Joanna : "je vois une douille et de la chair à quelques centimètres de mon visage. Des téléphones commencent à sonner avec cette sonnerie d'Iphone si reconnaissable et qui me glace toujours le sang, six ans après, dans la rue ou les transports."
Joanna : "je sais que le pardon est un cadeau. Je suis prête à l'offrir à ceux qui le demande, je ne ferai pas d'amalgame."
Joanna : "Vous pourrez ne vous en prendre qu'à votre président Hollande" : ce seront les derniers mots que certains auront retenus ce soir là. Mais ce n'est pas ce que le monde aura retenu. Ce n'est pas comme ça qu'on fait pas un message."
Joanna : "je suis plein de choses : une mécréante, une rescapée, une bobo de gauche et sans doute pour certains des islamo-gauchistes. Mais si ce procès et ce témoignage peut servir à quelque chose, c'est de me nommer moi-même : je suis et resterai une pacifiste."
Ce week-end là, Gaétan Honoré, 40 ans, "avait aussi un concert le samedi soir, une exposition de Scorsese le dimanche et parallèlement, je préparais le concours de l'ENA donc j'avais un concours blanc au milieu. C'était assez ambitieux, je vous l'accorde"
Comme tous ou presque, Gaétan se retrouve très vite au sol. Il tombe sous le corps d'un homme "massif", touché par une balle. "Je l'ai senti se vider de son sang, il n'y a pas une seconde sans que je sente son souffle dans mon cou".
Gaétan ne sortira du Bataclan qu'une fois la BRI intervenue. Il ne peut s'empêcher, lui aussi, de regarder dans la fosse : "je vous laisse imaginer ce qu'on a vu ce soir-là". Il trouve refuge dans un appartement avant d'être emmené au 36, quai des Orfèvres dans un bus RATP.
Gaétan raconte : "je suis sorti du 36 avec la couverture de survie. Le policier me dit : "vous pouvez rentrer chez vous", sauf que j'habite dans la Nièvre, quoi. Je me souviens de cette scène surréaliste."
Gaétan : "ça va faire un peu plus de 2000 nuits que ça s'est passé. Je me réveille encore 3 à 4 fois par nuit pour vérifier que mes filles sont encore vivantes.
J'ai renoncé à l'ENA. Mais j'ai pu rééenclencher mon envie d'apprendre. Je viens de finir ma 180e séance de psy."
Gaétan : "mais je pense sincèrement que toute cette histoire m'a peut-être rendu un peu meilleur dans certaines situations et c'est ce que je voudrais garder de tout cela. De me dire qu'au bout du tunnel, il y a peut-être un peu de lumière".
Gaétan : "ma grande fille est autiste donc elle vit dans un monde un peu parallèle. Mais mon autre fille, qui a 9 ans aujourd'hui est très fuyante sur la question. On a beau lire des livres sur le sujet : c'est pas facile de parler du terrorisme à ses enfants."
Laura s'avance à la barre, avec sa canne. C'est à son tour de témoigner dans ce procès.
Elle l'avait fait auprès de nous.
Un extrait est à retrouver ici :

Laura, 37 ans, raconte venir "d'une famille modeste" : "Paris représentait un pass pour évoluer socialement. La musique aussi. En 2015, je suis chanteuse dans un groupe de rock. A côté, je suis assistante de direction, mon boulot alimentaire, mais dans lequel je suis impliquée"
Laura se rend seule au concert, son amie qui a acheté les places "est souffrante".
"C'est au milieu du concert que j'entends des cris de panique. Je suis happée par la vague de gens qui me bouscule. Comprimée par la foule, je reçois une première balle à l'arrière de la cuisse."
Laura : "parmi les cris, j'entends les revendications. Au sol, je reçois encore des balles. Ca me traverse le corps, je suis incapable de savoir d'où ça vient. Je suis complètement immobile mais parfaitement consciente et je vais le rester jusqu'à la sortie"
Laura : "attendre, je ne peux faire que ça, en espérant qu'on ne me mette pas une balle dans la tête. C'est la pensée que je vais garder tout le long et qui me poursuit encore. Attendre, tous mes sens en alerte. Tout m'est passé par la tête, même la pensée de me laisser mourir."
Laura : "c'est un agent de la BAC qui finira de me sortir de la salle en me traînant. Ce fut les pires douleurs physiques que je n'ai jamais ressenties de ma vie. Comme déchirée de toute part.
Je reprends conscience, plusieurs semaines plus tard, à l'hôpital."
Laura : "mon combat de reconstruction commence. Je pleure beaucoup, j'ai peur, je ne dors pas et pourtant je suis en vie. Pendant les 60 jours que je passe en réanimation, je fais l'état des lieux de mon corps. Il n'est plus question d'intimité, je l'ai totalement perdue."
Laura : "l'état des lieux de mes blessures est colossal. On m'a indiqué que j'ai reçu au moins six balles.
J'ai eu de très nombreuses infections liées aux blessures. Je repasse de multiples fois au bloc, je suis incapable de les compter."
Laura : "je dois tout réapprendre. Comment pouvais-je imaginer que mon corps pourrait perdre toute capacité à se mouvoir? Je repars de zéro, les fonctions primaires : réapprendre à respirer, boire, uriner."
Laura : "il y a surtout l'acceptation. J'ai vécu de très longs moments de solitude durant cette année à l'hôpital et j'en vis encore aujourd'hui. Je lutte contre mes peurs, mes pensées sombres, notamment celles de ne plus avoir confiance en l'être humain."
Laura : "ma dernière opération remonte à 2019, j'espère pouvoir tourner cette page. Car d'autres combats m'attendent. Ca passe par la réparation par le @FONDSDEGARANTIE : ces moments d'inquisition douloureuse. La procédure est toujours en cours."
Laura : "mon mari m'accompagne depuis le premier jour. Mon caractère n'est pas simple à gérer. Et il encaisse mes angoisse, mes colères, mes impatiences. Je suis usée de vivre ainsi. Mes proches me qualifient souvent de courageuse, battante ou résiliente. J'ai avancé pas à pas."
Laura : "j'ai manqué tellement de moments de vie qu'il me faut rattraper. Les horreurs de ce #13Novembre me hanteront toujours. Mes douleurs et mes traumatismes m'accompagneront jusqu'à la fin de ma vie. Mais j'ai fait beaucoup de progrès."
Laura : "la parole que j'ai prise aujourd'hui devant vous, c'est la parole de la rescapée. Pour qu'on n'oublie jamais."
Frédéric s'est avancé à la barre. Il était au concert des Eagles of Death Metal avec son fils, avec lequel il allait "régulièrement à des concerts. D'ailleurs deux jours avant, on était déjà au Bataclan. Nous savions que nous allions passer une très bonne soirée."
Lorsque l'attentat débute, Frédéric cherche à fuir : "j'ai rampé sur des corps. Des corps morts, sans doute. Des blessés, peut-être aussi. C'est une sensation que je garderai toute ma vie. Une sensation désagréable."
Frédéric se réfugie derrière la scène, est blessé par des éclats de balle "mais l'adrénaline aidant, ça allait".
En revanche, "je me suis aperçu que mon fils n'était plus avec nous." Il culpabilise encore "de n'avoir pas fait mon devoir de père, de ne pas l'avoir protégé."
Frédéric parvient finalement à se réfugier sur le toit. Là, il apprend, via sa femme, que son fils est parvenu à sortir du Bataclan.
"J'étais très soulagé, mais nous on était vraiment coincés".
Depuis le toit, il accède finalement à la fenêtre d'un appartement. "Un monsieur nous a tous fait rentrer chez lui. On était 20, 30 ..."
"On entendait les coups de feu, les hurlements, les explosions, l'intervention de la BRI ...."
Frédéric retrouve finalement son fils "qui a failli se prendre une balle dans la tête, c'est passé tout prêt".
C'est le soulagement.
Ce n'est qu'après que la reconstruction commence "et il s'est avéré que j'étais un peu plus traumatisé que je ne le pensais."
Frédéric : "j'ai commencé à faire des crises de panique. Moi, je pensais que ça n'arrivait qu'aux militaires revenus de zone de guerre, mais mon psy m'a dit que je n'étais pas militaire mais que j'avais vécu une scène de guerre."
Frédéric raconte son traumatisme et sa longue descente professionnelle : "j'ai été mis au placard. Je me suis retrouvé à faire le boulot des gens que je commandais avant."
Aurélie, 44 ans, était au Bataclan avec deux amies, Laure et Lydia, déjà entendues au cour de ce procès. "Quand l'attaque a commencé, on a été complètement écrasées contre les barrières. Et donc le premier danger pour moi c'était le risque d'écrasement, d'étouffement".
Aurélie est touchée très vite par une balle "au niveau de l'épaule : ça a traversé le poumons et finit au niveau du diaphragme. Très vite la douleur a été très intense. Mais l'idée c'était surtout d'éviter de m'en prendre une deuxième dans la tête."
Aurélie ne parvient pas à fuir en même temps que d'autres spectateurs, en plusieurs vagues. "Et à un moment, je me rends compte que j'ai laissé passer ma dernière chance parce que désormais la fosse est beaucoup plus vide. Je comprends que je dois faire le mort".
Mais elle ne parvient pas à s'allonger, "j'étais très visible. Et je comprends qu'ils avaient commencé à viser les gens, à tirer méthodiquement, à viser les gens qui faisaient les morts. Donc je me disais : tu vas forcément t'en prendre une."
Mais "une autre petite voix" souffle à Aurélie qu'elle ne peut pas mourir "parce que ma famille ne s'en serait pas remise, parce que j'avais encore trop de belles photos à faire. Donc ça voulait dire : résister à la douleur. Sans bouger."
Aurélie : "j'ai entendu des personnes appeler à l'aide, des personnes qui agonisaient, des râles qui n'avaient plus trop l'air conscient. Et je n'osais toujours pas regarder. Parce que je me suis dit : "peut-être qu'ils n'attendent que ça pour nous tirer comme des lapins."
Aurélie : "finalement, on a entendu une voix dire : "les valides, levez-vous". Moi j'étais totalement incapable de me lever toute seule. C'est un jeune homme qui m'a aidée."
Aurélie : "en me levant, un corps près de moi a roulé sur le dos. C'était un jeune homme. J'ai pensé que c'était trop tard pour lui. Je l'ai retrouvé dans la liste des victimes. Mais j'ai appris qu'il était mort dans un poste médical avancé, donc ça m'a perturbée."
Aurélie : "je pense qu'il y a de très beaux témoignages de résilience parmi les victimes d'attentats. Mais ce n'est pas automatique. Et quand on y arrive pas, on se sent nul. Vis-à-vis de ses proches, des victimes décédées. Et ce n'est pas un manque de volonté."
Alors qu'Aurélie achève son témoignage, le président insiste "merci pour ce témoignage. Chacun fait comme il peut, c'est tout. Chacun fait comme il peut."
Morgane s'avance à la barre. "Je ne m'étais jamais vraiment posée de questions sur ce procès. Et je ne sais pas non plus pourquoi je suis là. J'avais besoin de parler."
Ce soir-là, elle est au Bataclan avec son conjoint de l'époque et son amie d'enfance.
Morgane se trouve près de la console de l'ingénieur du son, elle se retrouve rapidement au sol, cachée derrière un des rideaux noirs.
A un moment, "je sens un souffle de balle, mais c'est la personne à côté de moi qui se la prend. C'est la première personne que je vois mourir"
Morgane poursuit son récit, raconte les graves blessures à la jambe de son ex-compagnon, ses arrêts cardiaques, l'accident que l'ambulance des pompiers a sur le chemin avec un camion de la BRI.
Son compagnon, Kévin, s'était confié à @franceinter >
franceinter.fr/attentats-du-1…
Fin des auditions de parties civiles du jour. L'audience est donc suspendue. Elle reprendra lundi à 12h30, toujours (et encore pendant deux semaines) avec les auditions des victimes du Bataclan et leurs proches.
D'ici là, le compte-rendu de l'audience du jour, illustré par @ValPSQR est à retrouver ici >

franceinter.fr/justice/proces…
@ValPSQR Et enfin un dernier tweet pour vous remercier pour vos nombreux messages d'encouragement / remerciement / soutien.

C'est très touchant et précieux. Merci

Bon week-end à tous.

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6 Oct
Bonjour à tous,

Au procès des attentats du #13Novembre 2015, l'audience va reprendre pour sa 19e journée.

Le compte-rendu de la journée d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
Au programme aujourd'hui : le début des auditions des victimes du Bataclan.

A suivre en LT ici.

A la radio avec @sophparm

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L'audience reprend.
Président : "nous abordons aujourd'hui même les personnes qui ont demandé de s'exprimer sur les faits survenus au Bataclan. Nous avons 16 personnes prévues aujourd'hui".
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4 Oct
Bonjour à tous,

Début aujourd'hui de la 5e semaine de procès des attentats du #13Novembre 2015.

Le compte-rendu de la journée de vendredi par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/13-nov…
Au programme aujourd'hui : pause dans les auditions de victimes (elles reprendront demain) pour étudier les constitutions de parties civiles contestées, dont les personnes morales (Bataclan, La Belle Equipe, Le Petit Cambodge etc. mais aussi les villes de Paris et Saint-Denis)
Cette 17e journée d'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec toujours les dessins de @ValPSQR
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30 Sep
Bonjour à tous,

15e journée d'audience au procès des attentats du #13Novembre 2015.

Le compte-rendu de la journée d'hier est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/rencon…
Au programme aujourd'hui : les témoignages des survivants et familles endeuillées des terrasses.

A suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec les dessins de @ValPSQR
L'audience reprend. La première à déposer aujourd'hui est Alice Barraud, blessée dans l'attentat du Petit Cambodge avec son frère Aristide, qui doit témoigner après elle.
"A cette époque-là, j'ai 23 ans. Je rejoins mon frère Aristide et ses amis. Il faisait bon, c'était la joie"
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28 Sep
Au procès des attentats du #13Novembre l'audience va reprendre pour son 13e jour et le début des cinq semaines d'auditions de parties civiles.

Le compte-rendu de la journée de vendredi dernier est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
Aujourd'hui, ce sont les parties civiles du Stade de France qui sont entendues.
Parmi elles, Walid Youssef, égyptien de 33 ans, grièvement blessé dans l'explosion du 2e kamikaze.

Son témoignage est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/13-nov…
Cette 13e journée d'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec les dessins de @ValPSQR
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24 Sep
Cette 12e journée d'audience est à suivre à la radio avec @sophparm et en LT ici.

Avec, toujours, les dessins de @ValPSQR
Une avocate de parties civiles souhaite prendre la parole. Me Dorothée Bisaccia-Bernstein demande à ce que les parties civiles ne soient pas obligées de décliner leur nom dans le micro au moment où elles viendront témoigner à la barre.
Me Dorothée Bisaccia-Bernstein : "cette semaine une personne partie civile s'est vue dispenser de décliner son identité à la barre. Je crois qu'il n'apparaît pas complètement disproportionné de le permettre."
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22 Sep
Cette 10e journée d'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En live-tweet ici.

Et compte-rendu sur le site de @franceinter illustré par les dessins de @ValPSQR
Aujourd'hui, de nombreux anciens otages du Bataclan sont venus à l'audience, notamment pour écouter l'audition de Christophe Molmy de la BRI.

Les potages du #13Novembre très amis dans la vie, c'est aussi un reportage que vous pouvez réécouter ici > franceinter.fr/emissions/le-z…
L'audience reprend.

Le président fait prêter serment à une nouvelle interprète. Ils sont nombreux à ce procès, tant pour les accusés non francophones que pour les parties civiles étrangères.
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