Bonjour à tous,

25e jour d'audience au procès des attentats du #13Novembre 2015.

Le compte-rendu de l'audience par @sophparm du jour est à retrouver ici>
franceinter.fr/justice/proces…
@sophparm Au programme aujourd'hui : la suite des témoignages des victimes du Bataclan. Avec notamment @EDomenach ou encore la famille de Nicolas Classeau, décédé ce soir-là.

LT à suivre ici.
A retrouver aussi sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

Et les dessins de @ValPSQR
L'audience reprend. Avec, tout d'abord, comme quasiment tous les jours, de nouvelles constitutions de parties civiles à l'audience.

Une femme, véritablement très éprouvée, s'est avancée à la barre pour se constituer partie civile. Sa soeur est décédée à La Belle Equipe.
La soeur de Véronique Geoffroy demande à s'exprimer "deux minutes" à la barre : "ma soeur aurait eu 60 ans le 5 octobre. Perdre sa grande soeur, c'est perdre celle qui vous a appris à vous maquiller ..."
La soeur de Véronique Geoffroy évoque en larmes les témoignages des autres victimes de La Belle Equipe dont ceux de la fille et du compagnon de Véronique Geoffroy. "Ce deuil ne peut rester une histoire personnelle parce que toute la société a été touchée".
La soeur de Véronique Geoffroy conclut : "l'écoute dont ont bénéficié toutes les victimes, cette écoute que vous m'accordez aujourd'hui même me fait du bien".
Véronique s'avance à la barre. Elle est la mère de Claire Maitrot-Trappest, assassinée au Bataclan à l'âge de 23 ans.
Une immense photo de Claire apparaît sur le grand écran de la salle d'assises. "Claire est mon enfant unique, je l'ai élevée seule depuis ses 6 ans".
Véronique est en larmes, elle évoque l'amour de sa musique de sa fille. "Il m'est arrivé, à la grande honte de Claire, d'aller l'extirper d'une salle de concert à une heure trop tardive."
En 2015, "elle va s'installer avec son petit ami, le dossier de location est sur son bureau"
D'autres photos de Claire sont diffusées sur le grand écran.
Véronique : "J'éprouve l'impérieuse nécessité de prononcer son nom dans cette enceinte. Ce #13Novembre les derniers mots lancés à mon intention par ma fille sont : "ne nous attends pas ce soir, nous sortons".
Le #13Novembre Véronique est couchée. Elle prévenue du drame par les parents du petit ami de Claire. Un message sur son répondeur : "Il s'est passé quelque chose au Bataclan. Claire a été touchée."
Véronique apprend que Cyril, le petit amie de Claire "l'a transportée inconsciente jusqu'à la porte d'entrée. Il l'a portée avec deux autres personnes, jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus aller plus loin."
Mais elle n'apprendra la mort de Claire que le mardi 17 novembre au soir.
Véronique s'effondre quand évoque ses regrets lors de la reconnaissance du corps à l'institut médico-légal "de n'avoir pas eu la force ou le courage de me ressaissir dans les cinq minutes impartie et de m'approcher de ma fille comme j'aurais du le faire."
Aujourd'hui, explique Véronique, elle ne sait pas "si Claire est décédée rapidement."
"Je vais continuer, chaque jour, à penser aux derniers instants de ma fille, à être dans la quête permanente d'éléments de compréhension."
Véronique : "ce qui a dévoré mon coeur c'est qu'il m'a fallu admettre, en 2020, que je n'aurais jamais les réponses, c'est d'avoir l'immense espoir de retrouver les données de son bracelet connecté pour connaître l'heure à laquelle son coeur s'est arrêté".
Véronique : "ce que je n'attendais pas c'est d'entendre le directeur de l'institut médico-légal lire un rapport concluant à l'agonie rapide de ma fille. Et quand en sortant de la salle, je lui demande une copie de ce rapport, il me répond que c'est une projection intellectuelle."
Véronique : "la voix de Claire vit en moi chaque jour. Son mémoire en philosophie a été publié aux presses universitaires de France à titre posthume. Ils n'ont pas tué cette liberté, ils n'ont pas tué notre vivre ensemble."
Caroline, compagne de Nicolas Classeau, décédé à l'âge de 43 ans, s'est avancée à la barre. Elle avait beaucoup de travail pour sa thèse à cette époque-là, à tel point que son compagnon Nicolas lui avait proposé d'annuler leur sortie au concert.
Caroline : "la partie la plus proche de la scène était noire de monde et inaccessible, on a donc décidé de s'installer non loin des escaliers."
Puis ce sont les premiers tirs.
"J'aperçois des éclairs comme des flashes lumineux. Je distingue une silhouette avec une kalachnikov".
Caroline : "j'aperçois Nicolas qui blêmit et suffoque. Il est encore debout mes ses jambes commencent à fléchir. Alors que les rafales continuent, je crie, je lui donne des claques. A ce moment-là, je n'ai toujours pas compris qu'il s'agit d'un attentat."
Caroline est emportée au sol avec Nicolas : "les rafales continuent. Je suis très très exposée. Je me colle contre le corps d'un inconnu, je me souviens de son blouson de cuir contre mon visage. J'ai perdu tout contact visuel avec Nicolas."
Caroline : "dans un moment d'accalmie, j'entends Nicolas gémir. Je lui parle. Je lui dis de s'accrocher, qu'on va s'en sortir."
A ces mots, un jeune homme s'effondre en sanglots dans la salle. Il sort accompagné.
Caroline : "j'arrive à me retourner à me mettre sur le dos pour voir où son placés les terroristes. J'essaie de me cacher le visage avec mes cheveux pour ne pas qu'ils voient que je suis en vie. J'arrive à en observer deux au balcons : ils visent, ils tirent."
Caroline : "leur visage est calme, satisfait. C'est le spectacle de la banalité du mal. Je n'oublierai jamais leur posture, le bras le long du corps. Ces hommes ressemblent à des chasseurs et nous sommes leur gibier. Je me dis qu'il faut que j'arrive à fuir."
Caroline profite d'un moment de dialogue entre les deux terroristes pour fuir. Dehors, "mon bras me fait mal, je découvre que j'ai un trou dans le bras."
Mais Caroline "ressent un profond sentiment de culpabilité", veut retourner au Bataclan. Un homme, blessé lui aussi l'en empêcher : "maintenant c'est chacun pour sa peu. N'y retourne pas, tu vas te faire buter".
Caroline : "je ne savais pas encore que la prochaine fois que je verrai Nicolas ce serait derrière une vitre de l'institut médico-légal."
Aujourd'hui, elle ressent encore "la culpabilité de n'avoir rien pu faire pour l'accompagner dans ses derniers instants."
Caroline évoque encore le traumatisme du retour dans leur appartement "et retrouver les restes d'une soirée qu'on avait partagée tous les deux, le 12 novembre et les assiettes qu'on n'avait pas eues le courage de débarrasser avant d'aller nous coucher."
Caroline : "pendant un an, je n'ai pas pu retravailler, j'ai du être hospitalisée de nombreuses fois en service de psychiatrie, j'ai du prendre des antidépresseurs pendant près de 5 ans. J'ai connu les cauchemars, les réminiscences ..."
Caroline : "un attentat c'est une onde de choc dont les vagues viennent régulièrement vous heurter alors que l'événement s'est éloignés dans le temps. Si je n'avais pas eu le soutien de ma famille à chacune de ces vagues, je ne serais pas là."
Caroline : "de la haine, j'en ai eu à revendre. La colère et la haine ont été ma boussole. Elles ont été des étapes nécessaires dans ma reconstruction. Aujourd'hui, je suis apaisée et c'est parce que je vais mieux que j'ai pu laisser ma colère et ma haine derrière moi."
Caroline : "chaque jour où je ne sombre pas, je peux alors affirmer : "je suis la mécréante, celle qu'ils n'ont pas réussi à abattre. Je suis là pour ceux qui ne peuvent plus marcher. Je porte leurs verbes haut et fort."
Caroline tient à remercier "cette jeune femme dont je connais pas le nom, blessée au thorax et qui souffrait en silence mais qui a quand même trouvé la force de me serrer la main lorsque je me suis effondrée en sanglots en évoquant Nicolas."
Caroline évoque encore les deux soeurs qui l'ont acceuillie dans leur appartement le soir du #13Novembre 2015, Irmine autre victime qui a déjà témoigné à la barre qui l'a aidée à la sortie. Mais aussi les pompiers et leurs mots : "ne vous inquiétez pas, on s'occupe de vous."
Caroline explique avoir été très longtemps suivie et sous antidépresseur : "actuellement, j'ai changé de travail, je suis professeur des écoles. Et ça va mieux, j'arrive à profiter un peu plus de la vie."
Jocelyne, la mère de Nicolas Classeau témoignage à son tour. "Je n'ai pas d'autres enfants. Il avait 43 ans et trois enfants", explique-t-elle en préambule.
A la barre, elle est entourée de deux des fils de Nicolas Classeau.
Les trois frères avaient à l'époque 6, 11 et 15 ans.
Jocelyne : "je me suis dit "si je n'ai pas de nouvelles de la police, c'est qu'il doit être vivant, sinon ils m'auraient appelée." Je pensais un peu trop aux films policiers".
Alors commence la longue tournée des hôpitaux, décrite par tant de familles de victimes.
Jocelyne : "j'ai appris le décès de Nicolas dans le tramway, entre la porte de Charenton et la porte de Vincennes. J'aurais voulu crier, me rouler par terre. Mais j'étais dans un tramway, il y avait plein de monde." Jocelyne vacille. Ses deux petits-fils lui caressent le dos.
Jocelyne : "la semaine suivante, l'institut médico-légal a permis aux familles de voir le corps de Nicolas. j'ai pas pu y aller, j'étais tellement dans le déni. Et même à son enterrement, j'ai pas pu voir son corps. Il était tellement vivant, Nicolas."
Jocelyne évoque "la bulle familiale de la grande famille recomposée de Nicolas" qui a eux ses trois fils de deux mères différentes et vivait désormais avec Caroline qui a témoigné précédemment.
"J'ai le regret de ne pas lui avoir dit suffisamment que je l'aimais", confie sa maman Jocelyne. "On n'avait pas pris l'habitude de dire ces mots là. Je lui montrais différemment."
Jocelyne :"il me manque beaucoup quand je vais à la campagne. Il venait là avec ses trois enfants. La chambre se transformait en dortoir, en batailles d'oreillers. Il amenait aussi des jeux vidéos. J'ai du mal à être dans cette maison sans lui désormais."
Jocelyne : "je suis aussi une grand-mère et je ressens une peine immense de voir souffrir mes petits-enfants."
Elle s'effondre en larmes, réconfortée par les deux petits-fils qui l'entourent.
La maman de Marius et Nino, les deux fils aînés de Nicolas Classeau s'est à son tour avancée pour témoignage à la barre. Elle était avec ses fils le soir du #13Novembre
"J'avais eu Nicolas en fin de matinée le même jour, on avait parlé de nos enfants."
Delphine, l'ex-femme de Nicolas, raconte la recherche du corps de Nicolas. "Je suis partie de chez moi dans la précipitation, sans rien dire à Marius et Nino".
Sur le chemin du retour, Delphine qui ne sait pas encore que Nicolas est décédé, "cherche [s]es mots dans la voiture. Je répète, comme une pièce de théâtre".
C'est plus tard qu'elle reçoit un coup de téléphone : "il y est passé, Delphine".
Delphine : "puis, ça a été le début d'un long parcours dans la psychiatrie. Nino est Marius ont été pris en charge et nous aussi."
Elle évoque "le choc pour eux de découvrir leur père dans son cercueil, si loin de l'image qu'ils avait de lui."
Delphine : "Nino et Marius sont pupilles de la nation. C'est difficile pour moi ce statut, mais je vais finir par m'y faire, c'est une bonne chose. Depuis 2015, j'accompagne mes fils dans un fragile et difficile parcours de reconstruction."
Delphine : "rien de pire pour une mère de voir ses fils ne plus avoir envie de se lever. Tous les deux ont des troubles de la concentration. En 2018, Marius me dit qu'il ne va plus y arriver, il préfère mourir. Il va être hospitalisé en psychiatrie. Il était maigre, prostré".
Delphine : "depuis le début quand un des frères tombe, s'effondre, l'autre s'accroche à la branche.
Nino craquera à son tour, il arrêtera tout du jour au lendemain. Ils sont tous les deux un peu décalés par rapport aux autres jeunes de leurs âge, mais ce sont des être forts".
Delphine explique avoir changé de travail, déménagé, raconte avoir, elle aussi, craqué : "mon corps a lâché, je ne m'y attendais pas. Je suis encore en arrêt maladie.".
"Je rêvais mieux pour mes fils, moi-même et tout mon entourage. Mais nous arrivons à passer de bons moments".
Delphine évoque "toutes les belles personnes silencieuses, mais là auprès de nous, depuis ce soir-là où nous avons perdu le sens de la vie, où la vie s'est arrêtée net."
Elle espère du procès qu'il "apporte plus de lumière et un nouveau souffle dans nos vies."
Nino, fils aîné de Nicolas Classeau, prend la parole. Il a aujourd'hui 21 ans. "Le #13Novembre je dînais avec ma mère, mon beau-père, mon frère, des cousins, pour fêter mon anniversaire".
Nino apprend par texto l'attentat du Bataclan, il lui semble avoir vu des places de concert chez son père, il se souvient du texto qu'il lui envoie alors "coucou papa, tu vois ce qu'il se passe?".
"Il ne m'a pas répondu, mais je n'étais pas encore inquiet".
Nino apprend le lendemain la mort de son père : "je suis sorti dans la rue et j'ai crié "ils l'ont tué!". Je me souviens avoir voulu rejoindre l'armée pour me venger tout seul."
Nino retourne au lycée "mais dès que je ferme les yeux, je voir mon père se faire tuer."
Nino a "tenu 5 ans", explique-t-ul à la barre. Il s'est accroché au lycée, a continué ses études. "Mais en janvier dernier, tout a lâché."
Marius, fils cadet de Nicolas Classeau succède à son frère à la barre. "J'ai 17 ans, je suis en terminale. Je vous avoue que j'aurais préféré travailler ma dissertation de philosophie le week-end dernier que mon témoignage. J'aurais préféré ne jamais avoir à l'écrire."
Lorsque Marius apprend la mort de sont père, "il me reste la haine, la colère, la tristesse. Et l'espoir est parti. Le #13Novembre j'étais un enfant, le 14 novembre j'en suis un autre. Un enfant qui a perdu son père sauvagement assassiné par deux balles de kalachnikov".
Marius : "j'aurais aimé avoir les mêmes problèmes que mes copains".
"Un jour, j'ai pensé à la mort comme solution pour rejoindre mon père, pour le revoir."
Il est hospitalisé deux mois en psychiatrie. Depuis trois ans, "je suis toujours sous antidépresseurs".
Marius : "j'ai toujours les images en tête du Bataclan, que j'ai vues le lendemain sur une chaîne de télévision. Ces images tournent en boucle dans ma tête, elles me hantent."
Marius explique être venu à l'audience la semaine dernière :"j'ai entendu les témoignages de trois femmes rescapées du Bataclan, c'était horrible. Et à la suspension d'audience, j'ai pu constater que des accusés rigolaient entre eux. Monsieur le président, est-ce normal?"
L'accusé Farid Kharkhach se lève à l'issue des témoignages des fils de Nicolas Classeau : "monsieur le président, je voudrais dire un mot, m'adresser à toutes les victimes."
Farid Kharkhach : "tous les témoignages me font saigner le coeur. Mais voir des enfants aujourd'hui ...
J'ai un peu l'âge de leur père, donc ça me touche beaucoup. Je voudrais vraiment dire que je suis contre cette idéologie. Je suis musulman, mais l'islam ce n'est pas ça."
Le père de Nicolas Classeau témoingne à son tour, se souvient d'un séjour dans son fils "à la frontière du Surinam et du Brésil : je le pensais en danger, j'ai eu beaucoup d'émotions. Je ne pensais pas qu'il le serait dans une salle de spectacle à Paris".
Daniel évoque les retrouvailles en famille, quand "Nicolas venait à la maison avec ses enfants. L'esprit potage prenait très vite le dessus. Et ses fils lui disaient : "mais enfin papa, quand est-ce que tu seras enfin adulte?"
En apprenant la mort de son fils, Daniel "pense à Kundera parce que désormais pour moi la vie est ailleurs".
Il raconte aussi les séquelles de la mort de son fils sur ses autres enfants. Une des soeurs de Nicolas "est toujours en dépression", par exemple.
Daniel : "je vais lire sur la tombe de Nicolas. Et s'y trouve un pot blanc en céramique, sur lequel Marius, mon petit-fils, avait écrit : "pourquoi tant de haine?".
"Je souhaite de tout coeur que les idées de Daech n'aient pas pénétré trop profondément notre société".
Corinne, mère du plus jeune fils de Nicolas Classeau : "Lazare avait 6 ans lorsque son père a perdu la vie au Bataclan. Le soir du #13Novembre j'étais seule à la maison avec lui. Je suis journaliste au service télé de l'AFP et je voulais savoir s'il pouvait garder Lazare."
Sans réponse de Nicolas, Corinne "finit pas [s]e coucher, mais j'ai un très très mauvais pressentiment."
Le lendemain, elle apprend que Nicolas était au Bataclan et qu'il n'y a pas de nouvelle.
"Lazare s'était réveillé, je lui dis rien, je le laisse regarder des dessins animés".
Corinne : "j'ai déjà conscience que dans le meilleur des cas, Nicolas est gravement blessé. Je me dis déjà que je ne veux pas que mon fils soit orphelin à 6 ans. Lazare, lui, est un peu excité parce qu'il a un anniversaire. Je décide de le laisser y aller."
Corinne est à table avec son fils quand la maman de Nicolas lui laisse un message sur répondeur : "c'est comme cela que je l'apprends, par message". Elle retourne manger avec son fils : "je décide de lui accorder encore quelques instants de répit et je l'emmène à l'anniversaire"
Corinne : "au retour de l'anniversaire, je décide de tout lui annoncer, en employant des mots précis pour qu'il n'y ait pas de doute. J'emploie même le mot attentait, puis je me rends compte que ce mot-là n'a pas de sens. Lazare fond en larmes et conclut : "je n'ai plus de papa".
Corinne : "évidemment, je n'ai pas emmené Lazare à l'institut médico-légal. Je l'ai fait pour lui, pour pouvoir lui raconter si un jour il le veut. Il a préparé un portrait de son papa qu'on a glissé dans son cercueil. Lui, il reprend vite sa vie de petit garçon."
Corinne : "Il déborde de vie. Mais il ne peut plus dormir tout seul. Il s'accroche à moi comme à une sangsue. Il parle aussi de son papa au présent. A l'école, pendant longtemps, sur la fiche de renseignement, il va écrire le prénom de son papa."
Corinne raconte la tombe de Nicolas : "on la décore avec des petits objets, des choses jolies. Mais chaque fois, elles disparaissent, volées par on ne sait pas qui. C'est assez violent de découvrir ça à chaque fois."
Corinne : "Aujourd'hui, Lazare est un garçon de 12 ans. Ce n'est plus vraiment un enfant. Il a des problèmes de concentration. Parfois, je vois son petit visage qui se ferme, il s'isole dans sa chambre. Et moi je me sens démunie face à cette souffrance."
Corinne : "depuis le #13Novembre Lazare n'a plus jamais habité avec ses frères parce que c'était chez leur père qu'ils se retrouvaient. Alors, on a beaucoup bataillé avec leur mère, et aujourd'hui on habite à 300 mètres les unes des autres. On voit beaucoup Caroline, aussi."
Corinne : "Nicolas était un papa très très aimant, un peu fantasque. Les moments que mon fils passait chez son père étaient très joyeux. Nicolas avait une grande culture musicale, mais aussi une prédilection pour les tubes un peu pourris dont Lazare a hérité."
Corinne : "je voulais témoigner pour mon fils qui était si jeune. On lui a volé son père de manière si injuste. Et ce procès sert aussi à rappeler ces enfants orphelins qui doivent grandir sans un repère."
Fin du témoignage de Corinne et des l'ensemble de la famille de Nicolas Classeau.
L'audience est suspendue une petite demi-heure avant la suite des témoignages des victimes du Bataclan prévues aujourd'hui.
L'audience reprend avec le témoignage de Guillaume : "cela va bientôt faire 6 ans. Je pensais qu'après six ans, la peine, la tristesse s'estompent mais c'est le contraire qui se passe. On comprend qu'on vivra tout le temps avec ce boulet."
Guillaume : "moi, mon boulet c'est la culpabilité : la culpabilité de m'être enfui, d'avoir piétiné des corps, m'être enfui sans avoir pris soin de ceux avec qui j'étais, à commencer par la mère de mes enfants ...."
Guillaume : "la culpabilité de ne pas être mort à la place de mon pote Fabrice que j'ai vu mourir sous mes yeux, de ne pas avoir pu le dire à notre pote commun Pascal et cette nuit où on a cherché de ses nouvelles et où moi j'étais comme un lâche a pas savoir le dire".
Guillaume : "je voudrais témoigner aussi de la pénibilité de cette étiquette comme me colle de victime. Dans le regard des autres, être victime c'est terrible pour moi. C'est comme si on n'avait jamais été quelqu'un d'autre : un mari, un père, un ami, un pote".
Guillaume : "moi je veux bien être victime du @FONDSDEGARANTIE qui ne remplit pas ses fonctions, victime de mon employeur qui a eu l'imbécilité d'organiser un exercice de prévention où il a fait parader un faux terroriste avec une kalachnikov dans les couloirs du bureau ...."
Guillaume : "mais je ne veux pas être une victime dans les yeux de mes proches, c'est trop lourd pour moi. Donc ce que j'attends de ce procès c'est la possibilité d'amoindrir cette qualité."
Président : "monsieur, vous êtes partie civile, victime et vous n'êtes coupable de rien"
Emmanuel (@EDomenach ) s'avance à son tour à la barre : "j'ai 34 ans, je suis responsable juridique dans un établissement public, je suis marié et père d'une petite fille de deux ans".
Emmanuel : "j'aime beaucoup le Bataclan. Dans la salle, je suis dans les 5 ou 6 premiers rangs. La où ça bouge beaucoup, où ça "pogote".
Il a fait projeter sur le grand écran, une photo du concert. On y voit, de haut, le groupe et le premier tiers de la fosse environ.
Emmanuel : "je me couche sur des gens, c'est pas une sensation agréable de se coucher sur des gens, je cache ma tête entre les jambe de la personne devant moi, et met mon bras sur mon torse. Il y a beaucoup de sang. Je me plonge dans ce sang pour faire le mort".
Emmanuel : "quelqu'un à crier : "ils sont en train de monter, ils vont nous tirer comme des lapins". Et là, je me mets à courir, je marche sur des gens, je lâche la main d'une personne qui me tenait la main pour essayer de la tirer. Et là je suis passage Saint-Pierre Amelot."
Emmanuel : "je cours, je ne fais même pas trois mètres. Et je me rétame et je perds mes lunettes. Et moi, sans mes lunettes, je ne suis rien. Je suis complètement aveugle. Je cherche mes lunettes et je tombe sur un cadavre."
Emmanuel : "je ne comprends pas que c'est un cadavre. Je lui dis : "pardon, j'espère que je ne vous ai pas fait mal". Puis je comprends que cette personne est morte et que je suis en danger. Et j'entends une voix qui dit : "qu'est-ce que tu fais? Tu vas de te faire tirer dessus".
Emmanuel : "je suis cette voix et c'est Didi [l'un des vigiles ndlr]. Je me réfugie dans un immeuble. Didi, il prend le dessus, il organise les choses, appelle les secours. Et les policiers lui disent qu'ils ne peuvent pas accéder à notre immeuble car ils se font tirer dessus".
Emmanuel raconte aussi le regard de ce policier qui lui dit : "j'avais besoin de voir des vivants".
"Et là, je comprends que c'est l'horreur à l'intérieur".
Emmanuel est ensuite emmené au 36, quai des Orfevres pour prendre sa déposition.
Emmanuel appelle plusieurs numéros "on me dit que ce n'est pas pour moi ...", un autre numéro, puis finalement "la cellule de la ville de Paris où quelqu'un m'écoute longuement puis me dit : "oh, ça a l'air d'aller. Si dans 3 mois, vous avez un coup de mou, allez voir un psy".
Emmanuel finit par être aidé par l'institut de victimologie. "Ca m'a permis de reprendre le travail rapidement". Mais il sombre à Noël, finit par comprendre que pour gérer son sentiment de culpabilité, il a besoin d'aider les autres. "C'est comme ça qu'est née @13onze15 "
Emmanuel : "avec les autres associations de victimes, @afvt_org , @lifeforparis , on s'est battu pour être parties civiles ici, participer à la commission parlementaire, lutter contre les théories du complot, que j'ai encore malheureusement entendues ici."
Emmanuel : "j'ai voulu arrêter les antidépresseurs rapidement. Ils m'avaient fait grossir, m'empêchaient de réfléchir. J'ai voulu faire de l'EMDR mais la dame m'a dit que ma froideur lui faisait peur. Alors je fais beaucoup de sport, même si ça se voit pas beaucoup".
Emmanuel : "être victime du #13Novembre c'est un peu Docteur Jenkyll et Myster Hyde. J'ai un boulot passionnant, ça se passe bien, j'ai une famille merveilleuse, une petite fille qui me fait rire tous les jours. Et puis, Myster Hyde revient. Et il est très fort en ce moment."
Emmanuel : "ce procès est très important car, comme vous l'avez dit monsieur le président, juger avec les normes est fondamental. Les normes c'est ce qu'on peut opposer à la barbarie. Et c'est comme ça qu'on la vaincra."
Emmanuel : "Le #13 Novembre c'est aussi beaucoup d'humanité. Je l'entends quand je viens ici, quand j'écoute la webradio et je lis les live-tweet."
Il remercie la cour "car je sais que c'est difficile, croyez-moi je le sais", les greffiers, les avocats de parties civiles.
Emmanuel :"et surtout, je tiens à remercier les avocats de la défense. J'ai prêté ce serment il y a longtemps, pour faire du droit public, c'est n'est pas tout à fait la même chose, mais aujourd'hui, vous représentez la valeur de ce serment."
Matthieu qui s'est avancé à la barre débute son témoignage par déclamer quelques versets du Coran qui condamnent le meurtre. Matthieu est au Bataclan avec sa femme "dans la fosse, en bas des escaliers à droite". "Tout le monde se couche, il n'y avait plus personne autour de nous"
Matthieu : "je me rapproche des gens couchés, j'y dépose ma femme. Je me réfugie derrière la console. Je vois les terroristes déchainés. Je vois qu'un a une arme qui s'enraille, je bondis dessus mais mon pied est accroché par un corps, je me retourne mais mon pied est arraché".
Matthieu raconte son "voisin blessé", "il perdait beaucoup de sang". "Il mordait mon T-shirt de douleur, gigotait beaucoup, me faisait à moi un mal de chien". "J'ai hurlé beaucoup, réclamé un garrot".
Matthieu est en colère contre les forces de police : "ils sont restés des heures, alignés contre le mur, sous la mezzanine. Donc quand la BRI vient témoigner ici avec des Powerpoint, moi je ne suis pas d'accord".
Dehors, Matthieu explique que "les gars de la sécurité civile tournent de l'oeil sur mon cas." "Heureusement un pompier arrive à se charger de moi. Je lui réclame de la morphine, il me dit qu'il n'a rien, pas même une poche d'eau, qu'il va falloir être patient."
Arrivé à l'hôpital Matthieu raconte : "ils paniquent en découvrant un trou dans le dos de mon T-shirt, ils croient à une balle, je leur dis que c'est mon voisin qui l'a mordu de douleur."
Matthieu a eu des tiges dans le pied, dans le tibia. "J'avais un trou de 20 cm sur le pied".
Matthieu : "je dormais plus. Il a fallu affronter les infirmières qui ne savaient pas faire des penser, hurler de douleur mais on vous explique la morphine ce n'est que toutes les quatre heures, un aspirateur pour le pus sur la plaie." Il soupire : "voilà, j'ai eu 7 opérations"
Matthieu : "je suis resté deux mois à l'hôpital. J'ai eu une greffe d'os."
Il poursuit : "les antidépresseurs, l'hôpital de jour pendant des mois pour réapprendre à marcher, la reprise du travail : c'est épuisant, les kinés de ville, je n'écoute plus de musique ..."
Matthieu : "je n'arrive plus à faire la vaisselle, à cuisiner. J'ai du mal à m'asseoir, j'ai peur de perdre mon pied. Une fois un consultant a demandé si ces attentats avaient bien existé ou si c'est Hollande qui les avait inventés, j'étais pas très bien ..."
Le président : "physiquement, vous en êtes où?"

Matthieu : "j'ai mal au pied à chaque fois que je marche".
Ihsane s'est avancée à la barre. Elle raconte sa confession musulmane, son enfance en Algérie.
"Ils tuent sans distinction, sont profondément opposés à la vie et à l'altérité" dit-elle au sujet des terroristes.
Ihsane "on s'est pris la main avec mon compagnon et on s'est un peu décalés car on était vraiment très exposés. Je pense qu'on a été parmi les derniers à se coucher."
Couchée dans la fosse, "je ne voyais pas comment on pourrait s'en sortir à ce moment-là".
Ihsane : "je ne me souviens que des bruits de la kalachnikov et d'une dame qui gémissait très fort et je lui hurlais dans ma tête qu'il fallait qu'elle tienne bon et qu'elle arrête ses gémissements car elle allait se faire repérer".
Elle finit par s'enfuir de la salle, après avoir entendu "le videur crier qu'il fallait sortir". "Ca m'a sauvé la vie et probablement celle de beaucoup de gens".
Mais son compagnon Matthieu (entendu juste avant) est, lui, resté dans le Bataclan.
La suite est une longue attente, sans nouvelles de son compagnon, Matthieu, alors hospitalisé avec un pied dans un état grave. Elle finit par apprendre "qu'il était vivant, il avait peut-être perdu son pied, c'était pas très clair, mais plus rien d'autre n'avait d'importance"
Ihsane : "on a eu de la chance parce qu'on était à quatre et qu'on est ressorti à quatre, qu'on est toujours ensemble avec mon compagnon. Mais c'est parfois difficile de se dire qu'on a eu de la chance quand on a été au Bataclan."
Ihsane : "vivre avec mon compagnon qui a mal tout le temps, vivre avec son handicap, c'est difficile, notamment car face à la douleur on se trouve souvent démuni."
Ihsane : "j'essaie de leur faire le moins de place possible dans mon âme. Je n'éprouve pas de haine ni de colère. Je pense qu'ils seront oubliés en tant que personne. Leur attentat ne le sera pas, mais eux oui. Ce sont des barbares contre tout ce qui fait que la vie est belle".
Guillaume et sa compagne Armance s'avance ensemble à la barre. C'est Armance qui s'exprime pour eux deux. Ils étaient ensemble dans la fosse du Bataclan. "On s'est tenus la main. J'ai regardé un terroriste dans les yeux, je l'ai vu regarder la fosse avec beaucoup de froideur".
Armance et Guillaume se séparent dans leur fuite. "Je ne pouvais pas vivre avec sur la conscience le fait d'avoir marché sur quelqu'un. A un moment, j'ai bousculé quelqu'un, je l'ai retenu."
Elle se réfugie dans l'appartement "d'une étudiante en arts, on était une dizaine".
Dans l'appartement, Armande lit "dix fois la première page de "Cent ans de solitude" qui traînait chez l'étudiante chez qui on était. J'ai fait beaucoup de blagues d'humour noir aussi et je m'en veux un peu aujourd'hui."
Pendant ce temps là, elle est sans nouvelle de Guillaume.
Armance, qui est enseignante "avec des grands adolescents" a "essayé de retourner lundi devant les classes, ce qui était une erreur". Elle parvient quand même à discuter avec ses élèves, "ils avaient beaucoup de questions et c'était un temps important aussi pour eux".
Armance : "on se rend compte que le trauma c'est quelque chose de totalement insidieux car cela peut revenir. Et là, avec le procès, ça revient. J'ai eu le besoin de revoir un psychologue. Le trauma restera présent de toute façon. Et donc je viens aussi témoigner pour l'affirmer"
Guillaume, compagnon d'Armance, s'exprime également à la barre. Il confie lui aussi sa culpabilité de ne pas avoir su où était Armance.
"Mais j'ai passé moins de 10 minutes dans cet endroit et j'ai eu beaucoup beaucoup de chance par rapport aux gens."
Guillaume : "je n'ai pas été blessé physiquement, ça n'a pas brisé mon couple, ça n'a pas brisé ma carrière, en moins de 15 minutes, j'étais chez mes parents qui est un endroit où on se sent aimé. Et malgré ça, il m'a fallu deux ans et demi pour aller mieux."
Geoffroy est le suivant à témoigner. "Je suis journaliste. Le #13novembre j'étais au Bataclan avec Christopher Neuet-Shalter, un ami d'enfance" [décédé ce soir là, à l'âge de 39 ans, ndlr]
"On était heureux, on avait un peu bu, c'était une bonne soirée."
Ils sortent fumer une cigarette. "En rerentrant, il y avait un poteau qui nous gênait, Christopher est parti vers la gauche, moi la droite, cela a un peu scellé notre destin", raconte Geoffroy à la barre.
"J'ai été projeté au sol, j'ai compris après que j'avais pris une balle".
Geoffroy : "j'ai réussi à ramper vers une porte, qui s'avérait être la seule porte qui ne menait à rien.
Je fais partie de ces gens qui ont réussi à partir par le toit en prenant l'escalier sur la droite de la scène."
Trois personnes ont réussi à le tirer "par un seul bras".
Geoffroy : "dans tous les gens qui étaient avec moi, il y en plein qui se sont relayés pour me faire un point de compression."
Il se souvient aussi "d'un médecin de la BRI, qui n'a pas pu m'aider, il avait le regard vide. Mais je ne lui en veut pas, il avait vu la salle."
Geoffroy apprend "deux jours après parce qu'on essayait de m'épargner" que son ami Christopher Neuet-Shalter était décédé. "Il était comme un frère pour moi, il était père d'une petite fille".
Lui, a "fait deux ans d'arrêt maladie".
Geoffroy : "ma vie aujourd'hui c'est une place de concert sur deux qui finit à la poubelle car je n'arrive pas à y aller au dernier moment. C'est une perte d'envie.
Et ce qui est le plus terrible, ce n'est pas ça, ce n'est pas mon épaule, c'est d'avoir perdu mon ami d'enfance."
Geoffroy : "ce que je voudrais c'est que ça ne puisse plus se passer. Parce que je ne comprends pas comment une trentaine de personnes ont pu s'organiser pour commettre ce massacre, comment elles ont pu passer entre les mailles du filet."
Muriel : "j'étais au Bataclan le #13novembre 2015. Je devais y aller avec mon compagnon. Au dernier moment, nous avons eu deux places pour le match au Stade de France. Mon compagnon a décidé d'y emmener notre fils. J'ai alors proposé à notre fille de 15 ans de m'accompagner."
Muriel : "notre fille m'a heureusement rappelé qu'exceptionnellement, elle avait cours le lendemain."
Elle y va finalement avec un ami, qui a survécu.
Muriel est blessée d'une balle dans la cuisse : "j'ai mis mon doigt, c'était tout mou."
Les terroristes montent à l'étage. "Un jeune homme s'est levé, le visage en sang, m'a dit qu'il fallait fuir. Je lui ai dit que je ne pouvais plus bouger, il a proposé de m'aider. J'ai refusé"
Muriel voit "cette toute jeune fille près du bar. Ils l'ont tuée à bout portant. Je pense souvent à elle." "J'entendais une jeune femme crier que son mari était en train de mourir." Elle entend la BRI arriver. "On m'a traînée jusqu'aux marches, déposée sur une barrière Vauban".
Muriel : "j'ai demandé au pompier pourquoi c'était si long pour aller à l'hôpital. Il m'a répondu qu'il y avait eu plusieurs attentats, dont un au Stade de France. J'ai paniqué, crié que mon mari et mon fils y étaient". Elle parvient à les joindre, à être rassurée.
Muriel :"un pompier a dit que j'étais en UA [urgence absolue ndlr], qu'il fallait y aller. Je lui ai demandé ce que ça signifiait. Personne ne m'a répondu."
Muriel a appris qu'elle avait été touchée "à la cuisse, dans le dos, à l'épaule."
Me Reinhart, avocat de Muriel: "je tenais à vous remercier du courage que vous avez eu de témoigner, ainsi que toutes les parties civiles qui témoignent, parce que je sais que vous avez pris énormément sur vous."
Place au témoignage de Clarisse : "que dire devant vous? Vous qui n'avez certainement pas envie d'être là, vous qui vous retrouver à avoir envie d'écouter le moindre détail sur la nuit d'horreur car vos proches ne sont plus ou parce que votre profession vous l'ordonne"
Clarisse : "être présente dans celle salle de concert et aujourd'hui dans votre salle d'audience m'a bien suffit à appréhender les failles de notre état de droit, cette idée que j'ai étudiée pendant 6 ans et qui s'est effritée."
Marie s'avance maintenant à la barre. Elle est alors au Bataclan avec un ami dont elle ne souhaite pas que soit donné l'identité.
Très vite après les premiers tirs "il a porté sa main à son aine et me l'a montrée ensanglantée. Malgré tout, je n'ai jamais envisagé qu'il meure".
Marie : "à mes pieds, un homme avait le crâne explosé avec un énorme trou, il se vidait de son sang. J'ai pu me cacher avec mes longs cheveux, j'avais de très longs cheveux à l'époque, j'ai pu cacher mon visage et envoyer de nombreux messages sur Facebook"
Marie : "même si à découvert, j'ai pu parler avec [mon ami] pour le rassurer, je lui ai fait des blagues, lui ai demandé s'il voulait que je lui chante des comptines. Il m'a certainement répondu :"ta gueule"."
Marie : "il roulait sur lui-même de douleur et je m'en voulais de ne pouvoir rien faire pour l'aider.
[Mon ami] commençait à partir. Je me suis redressée, assise, pour le prendre dans mes bras, au milieu de la fosse, sans vraiment réaliser le danger".
Marie : "[Mon ami] m'a dit qu'il allait mourir. Il est mort dans mes bras."
Lorsqu'une sortie est possible, "j'ai demandé qu'on m'aide à sortir [mon ami] en prétextant qu'il respirait encore."
Marie : "les conséquences de ma vie sont nombreuses et variées." Elle explique que les proches de son ami, dont "ma conjointe de l'époque" me mettent à distance. "Elle m'a reprochée de ne pas l'avoir prévenue de sa mort."
Marie : "tous les soirs, je me couche dans la même position que celle où j'étais dans la fosse. Et quand je dis "tous les soirs", ce n'est pas une figure de style."
Marie : "j'ai aussi des troubles de la mémoire et de la concentration. Je n'ai pas pu finir un livre depuis six ans. J'ai perdu deux CDI. Et je suis sans emploi depuis un an et demi.
Je suis incapable de me projeter."
Yann est venu "raconter [s]on #13Novembre , tel que je l'ai vécu moi."
"J'avais 37 ans à l'époque, ma soeur m'attendait à l'intérieur. Ma compagne va nous rejoindre plus tard. La semaine se termine de façon agréable et légère par un concert."
Au moment de l'attentat, Yann est "un peu surélevé" : "je comprends très vite la gravité de la situation.
"J'entends les revendications de ces personnes. Je ressens vite que ma soeur est blessée, elle ne répond pas quand je l'appelle."
Yann : "ma compagne s'enfuit. Ma soeur ne peut pas marcher. Elle me dit de m'enfuir, mais c'est impossible pour moi à ce moment-là. Je la soulève par le bras. Je vois la mort, du sang. Mais je continue mon chemin. Arrivés dans la rue, un policier nous braque.""
Yann : "ma soeur a reçu une balle dans la jambe, au niveau de l'aine. Une vision d'horreur cette blessure. Je décide de faire un point de compression mais je ne suis absolument pas médecin."
"Elle a pris deux balles en fait : une dans l'aine, l'autre sous son sein gauche".
Vers 2 heures du matin, un médecin rassure Yann sur l'état de santé de sa soeur. "Mais il va s'empirer dans les heures qui suivent. Son pronostic vital est engagé."
"Ma soeur va rester 4 mois à l'hôpital. C'est long, mais elle vit aujourd'hui."
Yann :"ma soeur est incroyable, pleine de vie. Cet événement l'a totalement changée, j'ai une nouvelle soeur depuis 6 ans. Je suis admiratif de la façon dont elle a surmonté ça et dont elle voit la vie aujourd'hui. J'étais très proche de ma soeur avant, je le suis encore plus".
Yann raconte son mariage qui a suivi ces attentats. Mais aussi, "il y a trois mois, la naissance d'un petit garçon" : "je suis debout, j'avance personnellement, professionnellement, je regarde devant moi. La vie s'apprécie en fait maintenant, au moment présent."
Theresa s'avance. "Le soir du #13Novembre j'étais au Bataclan avec mon ami Stéphane pour célébrer son anniversaire. Mon compagnon était resté à la maison pour garder nos garçons de 4 et 2 ans."
Elle raconte le mouvement de foule: "un peu comme un métro qui s'arrête brusquement"
Theresa raconte comment elle se retrouve sous le corps d'un homme, "tué sur le coup. Et au bout d'un moment, j'ai compris que le sang qui coulait sur mon visage, dans mes oreilles, dans ma bouche, était le sien."
Theresa va rester plus de deux heures sous le corps de cet homme.
Theresa évoque les revendications des assaillants et la guerre en Syrie "étendue sur le sol du Bataclan, je faisais donc partie de cette guerre".
"Des blessés agonisaient, on chuchotait pour essayer de les apaiser sans attirer l'attention des assaillants".
Theresa voit arriver le commissaire de la Bac et son collègue, puis "l'explosion du terroriste, si violente que j'ai vu un morceau de cage thoracique atterrir devant moi". Puis l'arrivée de la BRI "comme l'armée romaine dans Asterix" et entend l'un d'eux : "oh putain, mon dieu!"
Theresa : "j'ai pu emprunter le téléphone d'une victime, Sophie-Charlotte, qui protégeait un petit garçon qui n'était visiblement pas le sien".
Ce petit garçon est Mael, dont l'histoire est évoquée ici >
franceinter.fr/justice/pierre…
Theresa : "je vous ai parlé de la peur que j'avais ressentie chez les policiers entrés dans la salle. J'ai ressenti cette peur, ce désespoir, ce chaos à chaque étape, chaque démarche dans la semaine qui a suivi." Elle évoque les larmes et l'effroi des professionnels.
Theresa : "choisissez la religion que vous voulez, mais mon ami et moi avons eu plusieurs anges gardiens ce soir-là".
Theresa évoque sa famille, ses enfants à qui elle a parlé du #13Novembre "avec des mots choisis. Je leur raconterai complètement un jour. Et ils comprendront que si maman n'aiment pas les pistolets en plastique ce n'est pas seulement parce que c'est mauvais pour l'environnement"
"J'ai changé de côté de lit, j'ai besoin de savoir que je peux partir à tout moment. Je ne supporte plus la proximité, ni la sensation d'une couette trop lourde", raconte encore Theresa.
"Comme beaucoup d'autres, je porte en moi un sentiment de culpabilité du survivant".
Theresa : "je n'ai pas de famille en France, mais des amis qui représentent un vrai réseau de soutien, qui nous aident à avancer au rythme que nous impose notre reconstruction".
Theresa évoque d'autres victimes qui ont déjà témoigné à la barre : "Helen que j'ai giflé dans l'ambulance pour ne pas qu'elle s'évanouisse, Gaëlle qui a été blessée au visage et que j'ai essayé de tirer à l'extérieur de la salle."
Fin des auditions de parties civiles pour aujourd'hui. L'audience est suspendue jusqu'à demain 12h30 avec les témoignages d'autres victimes du Bataclan.
Le compte-rendu de l'audience du jour, illustré par @ValPSQR est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Charlotte Piret

Charlotte Piret Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @ChPiret

12 Oct
Bonjour à tous,

Au procès des attentats du #13Novembre l'audience va reprendre pour son 23e jour.

Le compte-rendu de l'audience d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
@sophparm Aujourd'hui encore, place à la parole des victimes de l'attentat du Bataclan.

A suivre à l'antenne de @franceinter avec @sophparm et en LT ici.

Avec, toujours, les dessins de @ValPSQR
Jérôme, 48 ans, ancien trader, est le premier à s'avancer à la barre aujourd'hui : "je voudrais tout d'abord présenter mes sincères condoléances à toutes les personnes assassinées ce soir là".
Le #13Novembre , Jérôme était au Bataclan "avec 7 de mes amis".
Read 138 tweets
8 Oct
Bonjour à tous,

Le procès des attentats du #13Novembre va reprendre pour la 21e journée d'audience.

Le compte-rendu de l'audience d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/gaelle…
Au programme aujourd'hui : la suite des auditions des victimes du Bataclan, dont par exemple Laura qui nous avait livré son récit >
franceinter.fr/grievement-ble…
L'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter dès 13 heures avec @sophparm

En LT ici.

Avec toujours les dessins de @ValPSQR
Read 117 tweets
6 Oct
Bonjour à tous,

Au procès des attentats du #13Novembre 2015, l'audience va reprendre pour sa 19e journée.

Le compte-rendu de la journée d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
Au programme aujourd'hui : le début des auditions des victimes du Bataclan.

A suivre en LT ici.

A la radio avec @sophparm

Et en dessins avec @ValPSQR
L'audience reprend.
Président : "nous abordons aujourd'hui même les personnes qui ont demandé de s'exprimer sur les faits survenus au Bataclan. Nous avons 16 personnes prévues aujourd'hui".
Read 183 tweets
4 Oct
Bonjour à tous,

Début aujourd'hui de la 5e semaine de procès des attentats du #13Novembre 2015.

Le compte-rendu de la journée de vendredi par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/13-nov…
Au programme aujourd'hui : pause dans les auditions de victimes (elles reprendront demain) pour étudier les constitutions de parties civiles contestées, dont les personnes morales (Bataclan, La Belle Equipe, Le Petit Cambodge etc. mais aussi les villes de Paris et Saint-Denis)
Cette 17e journée d'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec toujours les dessins de @ValPSQR
Read 91 tweets
30 Sep
Bonjour à tous,

15e journée d'audience au procès des attentats du #13Novembre 2015.

Le compte-rendu de la journée d'hier est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/rencon…
Au programme aujourd'hui : les témoignages des survivants et familles endeuillées des terrasses.

A suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec les dessins de @ValPSQR
L'audience reprend. La première à déposer aujourd'hui est Alice Barraud, blessée dans l'attentat du Petit Cambodge avec son frère Aristide, qui doit témoigner après elle.
"A cette époque-là, j'ai 23 ans. Je rejoins mon frère Aristide et ses amis. Il faisait bon, c'était la joie"
Read 141 tweets
28 Sep
Au procès des attentats du #13Novembre l'audience va reprendre pour son 13e jour et le début des cinq semaines d'auditions de parties civiles.

Le compte-rendu de la journée de vendredi dernier est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
Aujourd'hui, ce sont les parties civiles du Stade de France qui sont entendues.
Parmi elles, Walid Youssef, égyptien de 33 ans, grièvement blessé dans l'explosion du 2e kamikaze.

Son témoignage est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/13-nov…
Cette 13e journée d'audience est à suivre sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

En LT ici.

Avec les dessins de @ValPSQR
Read 128 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(