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Le procès des attentats du #13Novembre 2015 va reprendre pour sa 7e semaine et 27e journée d'audience.

Le compte-rendu de la dernière journée par @sophparm est à retrouver ici >
franceinter.fr/justice/proces…
@sophparm Au programme aujourd'hui : la suite des témoignages des survivants du Bataclan, notamment les spectateurs qui se trouvaient au balcon.

LT à suivre ici.
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Et les dessins de @ValPSQR
L'audience reprend avec, comme souvent, les prestations de serment des nouveaux interprètes ainsi que de nouvelles constitution de parties civiles, en l'occurrence un spectateur du Bataclan qui ne s'était pas encore constitué partie civile jusqu'à présent.
Emilie et Nicolas sont les premières parties civiles à témoigner aujourd'hui. Ils s'avancent ensemble. Emilie, 41 ans, évoque "cette belle soirée jusqu'à ce moment terrible qui a changé notre vie à jamais."
Elle voit d'abord le batteur se réfugier "derrière sa batterie"
Emilie se réfugie, avec Nicolas, au bout du balcon où ils s'étaient installés. "Tout ce qui m'importe c'est de revoir mes deux enfants et de sortir de là. Nous nous réfugions dans la loge au bout du balcon. Nous sommes des dizaines. Quelqu'un bloque la porte avec un canapé."
Emilie : "juste à côté de moi, je vois un petit garçon, sa maman. Son fils est si petit que j'ai peur qu'il manque d'air. Je le prends dans mes bras et le rassure comme je peux avec sa maman qui a réussi à le rejoindre."
Au bout d'un certain temps, quelqu'un dans la loge arrive à casser le faux plafond. Emilie peine à grimper dans les combles "je leur dis que je vais rester là, je ne veux pas être responsable de leur mort mais tout le monde m'encourage, Nicolas me fait la courte échelle".
Emilie : "je pense à mes enfants, ma fille avec qui je me suis un peu disputée le matin même. J'espère les revoir. J'essaie de réconforter une jeune fille à côté et qui n'a pas de nouvelles de son fiancé avec qui elle était venue au concert."
Puis c'est l'assaut. Emilie : "au bout de plusieurs minutes, des voix d'hommes. Je comprends que c'est la police. Ils ne nous trouvent pas. Après plusieurs minutes, la trappe s'ouvre enfin. On voit apparaître une cagoule noire. Ils demandent à chacun de soulever les T-shirt".
Emilie : "quelqu'un demande aux policiers ce qu'il s'est passé en bas. On nous répond que Charlie n'est rien à côté. Nous sommes évacués par un couloir qui, nous l'apprendrons plus tard, est celui où il y a eu la prise d'otages. On nous dit de ne pas regarder par terre."
Emilie : "il est plus d'une heure du matin. On parvient à sortir de la salle et à respirer de l'air frais. Après un bref entretien avec un inspecteur de police, nous pouvons enfin rentrer chez nous. Nous sommes complètement hagards. Nous sommes recouverts de poussière."
Emilie : "nous somme enfin chez nous dans notre campagne normande, il est aux alentours de 3h30 du matin. Je me souviens avoir tout déballé à mes beaux-parents, sans censure."
Emilie : "on s'occupe de Nico et moi comme si nous étions des enfants. Je suis incapable de prendre une décision. Amis, famille, voisins, tous viennent nous rendre visite. Je me souviens d'une voisine de confession musulmane qui vient s'excuser, qui me dit qu'elle a honte".
Emilie : "les jours suivants, du réveil à l'endormissement, jusque dans nos rêves, le Bataclan est omniprésent. Je suis morte là-bas, au Bataclan. Je n'arrive toujours pas à faire le deuil de celle que j'étais avant le #13Novembre 2015."
Emilie : "je suis toujours dans l'incapacité de travailler, toujours en dépression sévère. Je me sens incapable de tout. Je n'arrive plus à aimer mes enfants et mon mari comme je le faisais auparavant. Je suis hermétique, ne ressens plus rien de profond et refuse leur affection"
Emilie : "ma maison est négligée. Mes enfants ont des sommes astronomiques de sous-vêtements parce que je n'arrive pas à être à jour dans les lessives. Je ne cuisine plus, sauf des choses rapides et pas équilibrées, j'ai pris énormément de poids."
Nicolas, conjoint d'Emilie, prend la parole à son tour : "je suis rentré dans le Bataclan le #13Novembre 2015 vers 18h30 avec ma femme et 1500 autres personnes, j'en suis ressorti le 14 novembre vers 1h30 du matin, perdu, au milieu de 90 corps d'êtres humains."
Nicolas : "Emilie m'a sauvé ce soir là. Moi je voulais aller dans la fosse. Elle, je la cite "voulait faire sa mémé". Donc on s'est installés au balcon. Le Bataclan pour moi c'est d'abord un son : le son de la kalach'".
Nicolas : "les premières rafales arrivent avec une odeur, l'odeur de la poudre. Ca se transforme en odeur acre, irrespirable, ça vous prend le nez. Ensuite, mon cerveau entre en mode survie : on se baisse, on rampe, on se tire de là. Je ne sais qu'une chose : il faut partir."
Nicolas : "quand on se retrouve dans la loge, mes sens reviennent. J'essaie de rassurer Emilie, mais c'est un échec. Ce qui va l'aider c'est le petit garçon. Elle le prend dans ses bras. Elle pense l'aider, mais moi je pense que c'est lui qui l'a aidée en lui donnant une mission"
Nicolas : "il y a de l'humanité dans cette loge, de l'entraide. La personne qui vient de monter tend la main à la personne qui va monter. Dans la loge, les gens poussent. Quand Emilie n'y arrive pas, une fois, puis deux, il n'y a aucune impatience, que des encouragements."
Nicolas : "ensuite ce sont deux heures dans l'obscurité et dans la laine de verre qui vous donne envie de tousser, envie que vous ne pouvez sous aucun prétexte assouvir. De peur de se faire entendre."
Nicolas : "le manque de lumière et l'impossibilité de bouger fait que nous n'avons qu'un seul sens en alerte. Et on va entendre tout ce qu'il se passe. Les combles c'est le purgatoire. En dessous, c'est l'enfer. Ce qu'on entend est horrible : des hurlements, des râles d'agonie"
Nicolas fait projeter la photo des combles où il s'est réfugié avec sa femme et une dizaine d'autres personnes. Une photo qu'il a prise lors d'une visite organisée en octobre 2016 pour les victimes du Bataclan. "Je ne suis pas sûr qu'on avait le droit d'aller là, mais on y a été"
Nicolas : "et puis, c'est l'assaut. Il a duré une minute, mais j'ai l'impression qu'il a duré une heure. Le couloir où sont les terroristes et les otages est à quelques mètres au-dessus de nous. J'entends les balles fuser et leur claquement sur les barres métalliques."
En redescendant, Nicolas se souvient de "certaines visions qui vont rester dans ma tête. D'abord, ces morceaux de chair sur les murs, la vision de la fosse et les tas de corps enchevêtrés. Je fais la comparaison avec les images des documentaires dans les camps de concentration."
Nicolas se souvient aussi du corps de "cette femme, jeune, allongée le long du bar. Je fixe son regard et son regard ma hanté pendant longtemps."
"Et puis, il y a l'après. On rentre. Une heure 30 de voiture, je ne sais pas comment j'ai fait pour conduire."
Nicolas : "le #13Novembre c'est une onde de choc qui part du Bataclan, des terrasses, du Stade de France, et qui va toucher bien au-delà. Mes enfants tout d'abord qui depuis 6 ans ont du supporter notre état."
Nicolas : "ma belle-fille avait 9 ans. Ce soir-là, elle était chez son père. En allant se coucher, sans rien dire à personne elle va jeter un oeil à la télé et elle voit un bandeau mentionnant le Bataclan. Donc elle va se coucher en sachant qu'il se passe quelque chose de grave".
Nicolas : "aujourd'hui, elle est devenue une belle jeune fille de 15 ans. Et, allez savoir pourquoi, elle veut être psychologue."
Nicolas évoque aussi leur fils de 3 ans à l'époque qui garde des séquelles de l'attentat.
Nicolas évoque aussi "l'humanité du #13Novembre 2015" et l'association @lifeforparis : "la famille du 13 c'est une espèce de grande famille très dysfonctionnelle où tout le monde est un cabossé de la vie mais où on sait qu'on peut compter les uns sur les autres."
@lifeforparis Nicolas : "je ne souhaite aucune vengeance. Vouloir la vengeance serait commencer à leur ressembler un peu. Je ne souhaite pas non plus réparation. C'est impossible de réparer ce qu'ils ont fait. Je ne vous demande que justice : jugez-les équitablement. Et qu'on oublie leur noms"
Nicolas : "j'ai vu un psychiatre le 14 novembre, puis j'ai cru tenir pendant deux ans. Et je me suis écroulé. Depuis, on est toujours suivis tous les deux. Et je suis de nouveau en arrêt depuis la fin du mois d'août."
Danièle et Nicolas s'avance, eux aussi ensemble à la barre : "nous sommes arrivés en retard. Habituellement, quand on va à un concert, on essaie d'être dans les premiers pour être devant la scène. Mais ce soir là, j'étais fatiguée, j'ai proposé à Nicolas d'aller en haut"
Danièle profite du balcon "pour prendre quelques photos". L'une d'elle est diffusée sur le grand écran de la salle. On y voit le groupe sur la scène et les spectateurs du premier rang.
Lorsque l'attentat débute, Danièle et Nicolas se réfugient en rampant dans un cagibi.
Danièle : "curieusement, les gens étaient calmes. Une femme est entrée, elle nous a dit qu'elle était enceinte, on l'a laissée passée [vers le toit ndlr]. Puis son mari, on l'a laissé passé aussi. Cette humanité contrastait avec ce qu'on entendait en bas".
Une fois sur le toit, "on a couru vers les fenêtres restées ouvertes d'un appartement, chez un jeune homme. On était une trentaine réfugiés là. Tout le monde chuchotait, on avait éteint les lumières. Une femme gémissait un peu, elle avait été blessée, elle devait souffrir."
Danièle : "j'aurais voulu connaître l'identité du jeune homme qui nous a reçu dans son appartement. C'est l'occasion pour moi aujourd'hui de lui témoigner toute notre sympathie et mes remerciements."
Danièle : "la semaine qu'on aurait du passer à Paris en vacances, on l'a passée chez nous, cloîtrés, fenêtres fermés, dans notre salon, sur le canapé. On ne bougeait pas de là. Et au bout d'une semaine, on a fini par reprendre le travail, on a continué à aller au concert."
Danièle : "Ce soir-là, j'ai perdu mon insouciance. J'ai aussi perdu toute ma tolérance. Désormais quand je vois des mères en jilbeb sombre qui attendent leur enfants à la sortie de l'école, quand je vois les salafistes, ça me met hors de moi. Je trouve ça intolérable."
Danièle : "j'attends que justice soit fait, que le verdict soit à la hauteur des horreurs commises".
Nicolas, le conjoint de Danièle raconte à son tour : "le 14 novembre, c'était le 1er anniversaire de notre Pacs", même s'ils étaient ensemble depuis 20 ans.
Nicolas : "j'ai reconnu le bruit de la kalachnikov, mais sans pour autant comprendre que c'était ça. Puis j'ai vu la fosse, le mouvement de foule mais je ne savais pas si c'était réel ou si c'était le fruit de mon imagination. Il y avait un décalage, mon cerveau s'est déconnecté"
Nicolas explique qu'il était "focalisé sur le sac à dos" que portait Danièle. "Parce qu'il y avait tout dedans : les clés de la maison, les papiers ...".
"J'étais vraiment focalisé". Il se tourne vers Danièle, à ses côtés à la barre : "c'était même pas toi, c'était le sac à dos."
Nicolas explique le moment où son "cerveau s'est reconnecté et où j'ai pris conscience que si on était vivants c'est parce que d'autres étaient morts."
"Pendant des années, j'ai coulé un chape de béton sur tout cela : ne pas en parler. Je ne me sens toujours pas légitime."
Nicolas : "à un moment donné on a du passer par un psychologue. Notamment quand Danièle a déclenché son deuxième cancer. C'était trop dur à vivre. Mais là, on se serre les coudes. On a failli se faire tuer tous les deux et on continuera toujours tous les deux."
Nicolas : "je voudrais que ce procès serve à dégager des responsabilités. Pas pour mettre en cause mais pour voir où le système a pu faillir, où les erreurs ont été faites pour pouvoir rebondir. Pas pour trouver des têtes de turc mais pour avancer et éviter ce genre de drame."
Président : "est-ce que vous avez un suivi psychologique?"
Danièle : "non, on a arrêté. On n'avançait plus."
Nicolas : "on avait l'impression de dire toujours la même chose."
Président : "et donc ça va mieux?"
Danièle : "je ne dirais pas ça."
Place au témoignage de Jérôme. A ses côtés, un ami qui était aussi présent au Bataclan, le soutient à la barre. Il arrive avec son ami "très en avance", pense s'installer dans la fosse, mais choisit finalement le balcon, à droite.
Là, "je vois une maman avec son petit garçon".
Jérôme évoque, comme beaucoup "l'ambiance énorme, une véritable osmose entre le groupe et les spectateurs". Puis, "tout bascule" : "je comprends vite que nous étions dans la merde. Je deviens une bête, un animal qui ne pense à rien d'autre que de se sauver, sauver sa vie."
Jérôme : "j'attendais ma piqûre, celle de cette balle que je connais. Je fais partie des gens qui ont encore faire leur service militaire, en 1986. Plus tard, j'ai fait du tir sportif. Donc oui, je connais bien les balles."
Jérôme se retrouve dans une loge "sans fenêtre. Je vois très vite que ce piège peut nous être fatal. Je décide de me laisser écraser par la foule car je ne veux pas mourir sous les balles. Une jeune femme me voyant partir en syncope finit par demander de l'air. Merci à elle."
Jérôme se retrouve dans les combles : "j'entends des cris, j'entends un homme hurler de douleur, une femme qui prend sa défense : "laissez le tranquille, il est blessé". Puis des coups de feu. J'imagine qu'ils leur étaient destinés. En tous cas, je ne les entends plus."
Lorsque les secours arrivent, "ils nous demandent de nous mettre à genou, en T-shirt, les mains sur la tête. Ils évacuent en premier le petit garçon et sa maman. Ils nous ont demandé de former des binômes : un valide et un blessé", raconte Jérôme.
Jérôme : "puis vient notre tour d'être évacués [via une échelle, depuis les combles ndlr]. A ce moment-là, nous ne savions pas si les restes de chair humaine sur les barreaux de l'échelle appartenaient à un de nos agresseurs ou une victime."
Jérôme raconte l'arrivée au rez-de-chaussée et la vue du corps "de cette jeune femme, chemisier blanc, elle me regardait". Depuis, "il n'y a pas une nuit où je ne pense pas à cette femme. Je ne fais pas de cauchemar, mais j'y pense tout le temps".
Jérôme : "je ne sais évaluer le préjudice, mon état, le ressenti. Je vais bien, je ne vais pas bien. Je suis un peu comme une bouteille d'Orangina : la pulpe est restée au fond pendant 6 ans et là, avec le procès, tout est remonté. Je pensais aller bien avant le procès."
Comme de nombreuses victimes, Jérôme explique avoir "été confronté à la fameuse petite phrase : "bon maintenant, il faut passer à autre chose."."
C'est au tour de Franck de s'avancer à la barre. "le #13Novembre 2015 j'étais un peu crevé. J'hésitais à y aller. Bon, j'y vais. Je connaissais bien la salle, mais j'avais toujours été dans la fosse. J'avais jamais eu l'occasion d'aller au balcon. Donc je m'installe là-haut."
Franck : "les choses vont très vite, une fraction de seconde : j'entends des détonations, je reconnais l'odeur de poudre. Je comprends que ce sont des armes automatiques. Je dis à mon voisin : "c'est du sérieux, il faut se baisser". Je vois deux types en train de tirer"
Franck : "j'essaie de sortir de l'effet tunnel. Je me dis : "ouvre les yeux, regarde ce qu'il se passe". On se met à ramper. Devant moi, je vois une jeune fille qui n'arrive pas à avancer, donc je lui ai mis une claque derrière la nuque, je me suis excusé après".
Franck : "j'ai compté 23 personnes, mais dans ces moments-là, on n'est jamais sûr. On porte le plus grand qui parvient à ouvrir le vasistas. On fait monter les gens, les femmes d'abord. Puis on se retrouve sur le toit. Pendant tout ce temps là, les tirs ne s'arrêtent pas".
Franck : "on était trois, on attend au dessus du vasistas. Dans notre esprit, l'idée c'était de neutraliser le terroriste s'il montait, de lui prendre son arme. Voilà. Donc on attend [sur le toit du Bataclan ndlr]. mais j'étais convaincu qu'ils allaient venir nous chercher."
Franck : "l'idée aussi c'était de ne pas transmettre cette peur. Et donc on discute avec les personnes sur le toit, pour essayer de les rassurer, leur dire que ça va bien se passer. Mais sur ce toit, on est un peu pris au piège. A l'abri, certes, mais bloqués sur ce toit."
Finalement, Franck et les autres victimes réfugiées sur le toit trouve refuge dans une sorte de bureau. "A un moment, je comprends que l'assaut est donné. On nous dit qu'il faut enlever nos T-shirt. On se retrouve torse nu, on est pointé avec les lasers rouges."
Franck : "un par un, on descend par les fenêtres sur des échelles des pompiers de Paris. Au sol, il y a des cadavres devant l'entrée du Bataclan, certains recouverts d'autres non, il y a du son dans le caniveau. Il y a de jeunes gardiens de la paix qui ont l'air dépassés."
Franck : "on prend nos identités. Et j'arrive devant une personne, je vous jure que c'est vrai, en robe de chambre et en pyjama Mickey. Je demande : "vous êtes de la police?". Elle me dit: "non, j'habite là, on m'a demandé d'aider. Donc je donne mon identité à Mme Mickey".
Franck poursuit encore, raconte qu'il appelle sa meilleure amie pour qu'elle vienne le chercher : "elle vient en voiture avec son mari, ils étaient tous les deux en pyjama. Décidément."
Ce soir là, Franck "descend une bouteille de vodka. Moi, je ne bois jamais d'alcool, mais ça ne m'a fait aucun effet." Il se rend compte qu'il a reçu des éclats de balle. "Mais le lundi, j'étais au bureau". Il travaille alors à la direction de l'administration pénitentiaire.
Le président : "vous avez repris le travail immédiatement, vous avez eu un suivi?"
Franck : "non, ça va bien. Je fais du sport. Et puis la vie continue."
Franck, qui travaille à l'administration pénitentiaire explique que "dans mon cadre professionnel, je suis parfois amené à rencontrer des personnes qui ont commis des attentats. Mais j'arrive à faire la part des choses, je suis un professionnel."
L'audience est suspendue pour une vingtaine de minutes. Avant la suite des auditions des survivants du balcon du Bataclan.
L'audience reprend avec le témoignage d'Emmanuel qui s'avance à la barre avec l'aide de deux béquilles mais qui tient à débuter son témoignage debout. Emmanuel, 48 ans, "travaille comme animateur dans un Epahd"
Emmanuel qui avant le #13Novembre 2015 avait déjà "quelques difficultés à [s]e déplacer", choisit de s'installer sur le balcon du Bataclan avec ses amis.
Lorsque l'attentat démarre, "j'ai quitté un peu le monde des humains pour devenir une machine, parce qu'il fallait se sauver"
Emmanuel : "j'avais laissé mes béquilles un peu plus loin. Elles étaient à deux mètres, mais je me suis rapidement rendu compte qu'il fallait que je me débrouille sans".
En quittant le balcon, il doit franchir "un escalier assez raide". "J'entends encore les voix : allez, avance"
Emmanuel parvient cependant à descendre l'escalier sans ses béquilles, puis à sortir du Bataclan.
"L'idée c'était de s'enfuir du quartier. On voit un bus qui passe, on ne regarde même pas où il va, on monte".
Emmanuel : "je n'ai pas compris ce qu'il m'arrive. C'était un brouillard. Encore aujourd'hui, c'est une sorte de brouillard ..."
Emmanuel reprend le travail très vite "mais je me rends compte que dans ma tête c'est une gigantesque tambouille d'émotion : pas de haine, mais beaucoup de colère. Grâce à mes amis, je ne suis pas tombé dans le piège des amalgames qui à un moment donné me tendait les bras".
"Moi les blessures, ce ne sont pas les balles, c'est le psoriasis. Donc ce sont des plaques sur tout le corps. D'habitude je les cache, explique Emmanuel, les manches de chemise relevés, aujourd'hui j'ai décidé de les montrer."
Emmanuel : "tout le monde me dit depuis des années : consulte, va voir un psychologue. J'ai essayé l'hypnose, mais au bout de la 6e séance, on est entrés dans le vif du sujet et mon corps a réagi très violemment. J'ai compris que je n'étais pas encore près à ouvrir ce chantier."
"Je n'ai pas de haine pour ces messieurs", explique Emmanuel au sujet des accusés. "J'attends juste qu'ils soient jugés avec justice et humanité. Il ne faut pas leur dénier leur statut d'être humain. A Salah Abdeslam, je voudrais répondre : liberté, égalité, fraternité".
Emmanuel rend un hommage vibrant à son avocate, Me Le Roy : "Me vous avez été comme un phare. Vous avez su me rattrapez quand j'étais en train se sombrer. Votre humanité est comme un feu auquel se réchauffer. Je vous en serai éternellement reconnaissant."
Emmanuel : "je termine avec un dernier mot : debout. Je claudique, je boîte, parfois je tombe. Mais je me relève toujours. Me voilà devant vous combattant et debout. Toujours debout."
C'est au tour d'Olivier de s'avancer à la barre. "J'ai 39 ans, je vais également témoigner au nom de mon épouse Virginie, qui se trouve en ce moment dans la salle."
"La semaine avait été très rude, ma femme avait été arrêtée, elle était très fatiguée et j'ai du la convaincre"
Olivier insiste auprès de sa femme : "allez viens". "Riche idée, vraiment".
Il offre aussi des places à son oncle et sa tante. "Riche idée, là encore. On se sentirait coupable pour moi que ça". Il décide de s'installer au balcon. "Riche idée, vraiment, quand on connait la suite"
Olivier regarde la foule : "je repars un gars avec une belle barbe et moustache bien taillées et sa copine avec de beaux tatouages. Je me dis qu'ils ont l'air cool. Ce couple s'appelait Gilles [Leclerc, 32 ans ndlr] et Marianne."
Olivier et son épouse se réfugient dans une loge. Il se caressent les mains, de plus en plus intensément.
Il pense que "finalement, ce n'est pas plus mal qu'on n'ait pas un petit bout qui nous attend à la maison et qui risquerait d'être orphelin".
Olivier raconte à son tour comme dans la loge, le plafond a commencer à se désagréger à cause d'une inondation au-dessus. "Je me retrouve à recueillir l'eau à l'aide d'un bac de frigo". Cela l'aide en lui occupant l'esprit.
Ils sont libérés par la BRI.
Arrivé sur la scène, il essaie de ne pas regarder, comme lui a dit la BRI. "Mais je glisse et je tombe. Je vois sur qui j'ai trébuché : un homme. Je vois qu'il est mort mais je suis désolé de lui avoir fait mal. Il s'appelait Matthieu [Giroud, 38 ndlr] et je suis désolé".
Olivier : "il faut savoir qu'avec Virginie, nous sommes ensemble depuis le lycée. C'est l'amour de ma vie. Et j'aurais préféré être brûlé vif que de continuer ma vie sans elle."
Ils ont survécu tous les deux. Ainsi que son oncle et sa tante, qui témoigneront juste après lui.
Olivier : "nous passons au milieu des journalistes. Certains font preuve de douceur et nous souhaitent bon courage. D'autres nous collent le micro sous le nez et nous sommes obligés de les repousser."
Olivier raconte les jours qui suivent devant les infos "comme une drogue : nous avions passé près de trois heures dans cette salle et j'avais vraiment besoin de comprendre ce qu'il s'était passé".
Olivier : "en parallèle notre vie de couple commence à devenir compliquée." Lui qui voulait un enfant, voit désormais "trop de violence dans ce monde".
Et puis, "je ne me reconnaissais plus dans le miroir."
Olivier : "ma femme a finalement réussi à me convaincre que notre enfant contribuerait à rendre le monde meilleur". Il leur faudra deux PMA avant d'apprendre "que Virginie est enceinte". "Notre petit garçon a aujourd'hui 3 ans et demi et il vient de faire son entrée à l'école".
Olivier : "quand j'entends que certains accusés de plaignent de leurs conditions de détention, je vomis en pensant aux nombre de vies brisées. Quand j'entends que les attentats de novembre 2015 seraient une réponse aux frappes en Syrie, je vomis."
Olivier : "40 ans après l'abolition de la peine de mort, nous vous offrons un procès juste. Evidemment les peines ne seront jamais assez lourdes pour nous, victimes. Mais nous aurons au moins la satisfaction d'avoir su nous élever face à la pire bêtise du genre humain".
Olivier :"j'ai un rapport bizarre avec la mort depuis le #13Novembre et il n'est pas rare aujourd'hui que j'imagine la mort de mes proches : mon fils qui se fait renverser ma un scooter, ma femme ou ma mère qui ne répond pas et que je vois déjà incarcérée dans sa voiture"
Olivier : "avant l'été, j'ai emmené mon fils devant le Bataclan et j'ai commencé à lui expliquer. Il m'a dit du haut de ses 3 ans et demi : "on vous a fait du mal? C'est pas bien, ça." Voyez messieurs les accusés, même un enfant fait la différence entre le bien et le mal."
Thomas et Sylvie, oncle et tante d'Olivier qui vient de témoigner et à qui il avait offert les places du concert, s'avancent à leur tour à la barre. Thomas raconte avoir été au Bataclan, mais habiter aussi "juste au milieu du trajet entre le Carillon et le Comptoir Voltaire".
Thomas raconte son #13Novembre comme un e mosaïque de moults témoignages déjà entendus à la barre : "Olivier, Clarisse, Morgane etc."
"La liste des témoignages que je viens de citer, ce sont des histoires de fuite, pour fuir l'enfer de la fosse."
Thomas explique avoir regardé depuis le balcon par-dessus le parapet : "dans la partie sous le balcon, il n'y avait plus personne debout. Et j'ai vu un homme qui marchait sereinement, parallèle au bar, et tout le monde s'écartait sur son passage. Puis un second individu."
Thomas explique avoir forcé un peu le passage pour arriver sur un palier bondé, là où se trouvait un vasistas par lequel certains fuyaient sur le toit. "Il y avait clairement une file d'attente, c'était les femmes et les enfants d'abord, chacun prenait son tour."
Finalement, Thomas et Sylvie se réfugient dans une loge. C'est au tour de Sylvie de poursuivre leur récit. "Si Thomas s'est mis en mode survie, moi je me suis mise en mode suivi" explique-t-elle d'emblée. "J'ai minimisé les faits."
Thomas reprend. Raconte la fuite par le faux-plafond de la loge, faux-plafond cassé par Clarisse, qui a déjà témoigné à cette audience.
Thomas "va alors relayer ceux qui aidaient les autres à monter dans le faux-plafond. A deux, on a fait passer les dernières personnes."
Thomas : "j'ai pensé que c'était pas une bonne idée que Sylvie reste si près de moi en permanence, il fallait qu'on se sépare pour ne pas laisser trois orphelins à la maison."
Finalement, ils vont rester ensemble.
Thomas et Sylvie finissent pas se retrouver sur le toit du Bataclan. "On a discuté avec une dame sur son palier, elle nous a donné un peu d'eau". De là, ils parviennent à appeler leurs enfants (de 15, 17 et 19 ans). Mais ceux-ci vivant dans le quartier, "on leur a rien appris".
Thomas et Sylvie finissent à leur tour par trouver refuge dans des bureaux, accessibles depuis le toit. De là, "on a été évacués par les échelles des pompiers", raconte Sylvie. "Des habitants sont venus nous aider, nous offrir ce qu'ils pouvaient".
Sylvie explique son "deuxième #13Novembre" lorsqu'elle a appris la mort d'une camarade de collège de ses enfants : "Lola, 17 ans".
"Pour moi, elle cristallise ma culpabilité du survivant. Elle avait 17 ans, j'en avais 52 à l'époque et en plus j'étais maman."
C'est au tour de Charles de s'avancer à la barre. Il commence son témoignage par "monsieur le président, mesdames et messieurs les juges, mesdames et messieurs les avocats généraux". Et "messieurs derrière", à l'adresse des accusés.
Charles prévient : "je vais faire des redites. Ce sera mon Bataclan, ma vision des choses. Mes faits peuvent être approximatifs."
"En 2015, j'étais prof d'histoire-géographie dans le secondaire. Avec ma compagne, nous avons deux enfants, Simon 2 ans et Bérénice 6 mois à l'époque"
Charles : "je cherche à montrer une forme d'exemple humble, surtout pour mes enfants qui ont 8 et 6 ans et à qui j'apprends comment faire face à une personne dont on aura été victime. Mes enfants sont jeunes, ils connaissent déjà l'histoire."
Charles : "mes enfants grandiront et sauront que j'aurais eu le courage de venir ici, regarder certaines personnes dans les yeux et déposer devant elles. Le #13Novembre j'ai été forcé de ramper, me comporter comme une bête traquée. Aujourd'hui, je suis debout. Vous avez échoué".
Comme tous ceux qui ont témoigné aujourd'hui, Charles s'installe avec son ami au balcon du Bataclan "pour changer". Lui aussi aperçoit "un petit garçon avec un casque [antibruit ndlr] vert fluo."
Charles se souvient du sentiment "de la mort qui pèse : si on ne sort part, on va y rester".
Il se réfugie "sur un micro-palier". "On est entassés, on laisse des gens dehors. On échappe aux tirs mais la pièce est trop petite, il n'y a pas de sortie, même pas de fenêtre".
Charles accède aux combles, s'allonge "sur une passerelle en métal, pour éviter les balles".
"Ca tire toujours. On ne voit rien, mais on entend tout : des rafales, ça s'arrête, des cris, ça reprend."
"J'envoie un message à ma compagne, je lui dis de regarder BFM, elle a peur".
Charles : "j'ai l'habitude de travailler sur les guerres asymétriques et donc le terrorisme. Donc je comprends qu'il s'agit d'un attaque coordonnée, je sais aussi qu'ils pratiquent l'attentat suicide. Je crains que le but soit de tous nous tuer en faisant sauter la salle."
Charles : "on entend agoniser, encore et toujours. Cette femme qui crie : "ma jambe". L'assaut est impressionnant, le plafond semble s'effondrer."
Charles : "dans l'escalier, on nous fait un debrief, on nous dit qu'il ne faut pas regarder. On arrive derrière le bar. Evidemment, nous devrons enjamber des corps. Je risque un coup d'oeil de façon à mettre des images sur ce que j'ai fantasmé : je vois des tas de corps".
Charles : "on sort enfin à côté de quelqu'un qui est recouvert d'un drap tâché de sang. Enfin la liberté ... ou en tous cas, on est sortis."
"Dans la suite immédiate, j'étais dans le déni, dans l'euphorie. J'ai repris le travail assez rapidement."
Charles : "j'ai repris le travail quelques jours et puis je suis tombé en arrêt pendant six mois.
Et un an après, je perds pied, j'ai pas pris suffisamment soin de ma santé physique et mentale. J'ai été un papa défaillant, j'ai perdu un an de ma vie dont je ne me souviens pas."
Finalement, Charles se sent mieux "sans mon travail". Il a fait une formation "en hypnothérapie et en sophrologie" qui l'ont beaucoup aidé. Il a ouvert son cabinet depuis "juste avant le confinement".
Charles : "j'ai un stress post-traumatique chronique même si aujourd'hui, j'ai entendu des gens qui vont moins bien que moi et je me dis que j'ai pas mal bossé. Vous y arriverez, vous aussi."
Charles, ancien prof, "quand j'entends dire que la France tue des enfants en Syrie, je me dis que des personnes auraient dû être plus assidues en cours ou avoir de meilleurs profs".
Thierry s'est avancé à la barre. "Je suis le chat noir. En 1986, j'étais dans la rame du RER B. Ensuite il y a eu le Bataclan. Le 18 mars 2017, j'étais à Orly lorsqu'un cinglé a voulu tuer une policière. En 2017 j'étais à Londres à 500 m d'un terroriste qui a poignardé des gens".
Le #13Novembre Thierry s'installe au balcon, "côté gauche".
"Mon regard va vers une belle femme, habillée en blanc, et un petit garçon de 5 ans. Il avait un casque bleu. Ils s'installent derrière moi. Je trouvais ça tendre".
Thierry parvient à se réfugier dans la loge déjà évoquée précédemment. "Je ferme la porte, et on met un canapé et un frigo."
"Je me mets sous une table. On entendait des tirs, la négociation. On entendait tout. Ensuite c'était : "on va tout faire sauter"."
Thierry : "ils étaient juste au-dessus de nous. Il faisait très chaud. Il y avait un peu de Coca qu'on se faisait passer. Il restait un peu de café."
Puis c'est l'assaut, "ça tire, ça tire, plus l'explosion, puis plus rien. Et d'un seul coup : toc, toc, toc, police."
Thierry : "mais tout le monde était unanime : "on n'ouvre pas". On demande des garanties. Finalement, on ouvre. Devant, il y avait un corps, c'était [Ismael] Mostefai. C'est le premier corps qu'on enjambe. Le rideau de la scène est ouvert et je vois un autre corps coupé".
Thierry : "on passe sur la scène et là : vision d'horreur. Je me retourne pour regarder la fosse. Et j'ai souvenir de trois ou quatre corps les uns sur les autres. Et j'ai le souvenir d'un jeune homme, blond, le regard clair, même pas encore de barbe. Je vois qu'il est mort."
Thierry : "je vois des gens qui vont dans des bus, mais je me dis "non, j'ai du boulot à 7 heures du matin", je rentre. Rue Oberkampf, je vois un bordel sans nom : des pompiers, des massages cardiaques etc."
Le lendemain, à 7 heures, "je suis allé donner mes carnets de voyage aux clients à Orly" raconte Thierry.
"C'était bizarre parce que les clients me disaient : vous avez vu ce qu'il s'est passé? Et moi je leur disais rien ...."
Thierry : "moi, mon suivi psy, je l'ai fait avec les médias. J'ai fait BFM, puis RTL, la télévision espagnole ... et puis ça s'est enchaîné.
Et un ami m'a dit : "ta thérapie, tu l'as fait sur les plateaux". Du coup, quand les médias ont besoin, je prends toujours le temps."
Thierry : "j'ai jamais arrêté le travail. Peut-être que j'ai un moral un peu plus costaud que d'autres, mais ça a toujours été comme ça.
Alors, c'est vrai que je dors mal. Surtout en ce moment."
Thierry : "ce qui me choque un peu c'est que vos accusés, il n'y a pas un français. Que des étrangers. Alors, il paraît que je suis un mécréant. Mais si être un mécréant c'est manger une planche de charcuterie, aimer les belles femmes, alors j'en suis fier. Vive la France."
Daniele qui "travaille dans le spectacle vivant" avait "trois concerts à voir" le #13Novembre 2015. Elle décide de "passer une petite heure" au Bataclan, s'installe sur le balcon. De là, elle entend "des pétards" et "un mouvement de foule".
Danièle : "puis je vois un jeune prendre une balle dans le dos, me regarder et mourir devant moi. Je me jette par terre, je rampe. Les tirs s'arrêtent, je lève la tête et je vois un jeune grand, qui était en train d'armer et s'est mis à tirer vers la fosse."
Danièle se réfugie dans un couloir, ouvre une fenêtre "mais c'était beaucoup trop haut pour sauter", avise un escalier, finit pas se réfugier dans un tout petit local "de 3 mètres carrés. On devait être une dizaine".
La photo du local électrique est projetée à l'audience.
Danièle : "j'ai entendu une femme hurler qu'on la laisse partir, elle disait qu'elle avait des enfants. Et une voix répondait : "tais-toi, ils ont tué mon frère en Syrie, tais-toi sinon je te tue."
Dans le local, Danièle s'assied, "je tremblais. On était dans un silence total."
Danièle raconte qu'elle entendait "des allers et venues devant la porte" du local où elle est cachée. "Puis on a vu la poignée descendre, le jeune homme qui était derrière a tenu la porte. Et on a entendu : "ouais, c'est bon, c'est un local technique, c'est fermé".
Danièle raconte la vision de la fosse: "un charnier, j'avais l'impression que 1000 personnes étaient mortes.
En rentrant de tout ça, j'allais très mal. J'ai suivi un thérapie EMDR et on essaie de s'en sortir tous les jours. Depuis, j'ai arrêté de travailler dans le spectacle."
Danièle : "je suis abasourdie par cette nouvelle génération qui se laisse enrôler dans l'extrémisme, qui est trompée sur l'avenir certain qu'on peut avoir ensemble."
Danièle achève son témoignage en montrant la goupille de l'extincteur du Bataclan qu'elle garde avec elle.
Bertrand succède à Danièle à la barre : "ce soir-là, j'avais plus trop envie d'y aller." Il retrouve des amis, mais comme il est claustrophobe, il monte au balcon "à côté de la console lumière".
Puis, "je vois un jeune homme grand, maigre, en train de tirer à l'arme automatique"
Bertrand, qui arbore un T-shirt "We shall never surrender" raconte : "en m'accroupissant, j'envoie un SMS à ma femme :"fusillade au Bataclan, je t'aime". Mais dans ma tête, je me disais : "il est hors de question que je meure ce soir".
Il se réfugie dans le local électrique.
Bertrand : "très vite on comprend que les terroristes sont montés à l'étage. Et là, d'un seul coup, c'est silence. On était dix et il ne fallait pas qu'il y en ait un qui tousse.
J'ai pensé aux gens qui étaient réfugiés dans les chambres froides de l'Hyper Cacher."
Bertrand : "puis, on comprend que c'est l'assaut. On a l'impression que le plafond va nous tomber dessus. Et puis des rafales de partout. Et une immense explosion. Avec un faisceau de fumée blanche, de la lumière. On sort tous en criant : "otages, otages". "
Bertrand : "puis on descend. Et quand on descend, on est obligés de regarder à gauche. Et à gauche, et bien, c'est l'enfer de Dante quoi. Pas besoin de vous faire une description."
Le président précise que durant deux heures où Bertrand et une dizaine de personnes sont cachées dans le local technique "les deux terroristes étaient juste derrière la porte".

Bertrand : "oui, c'est ça".
Ben qui est arrivé à la barre remercie le président d'avoir permis à des personnes qui n'étaient pas prévues d'être passées avant lui "comme ça je ne suis plus le 13e sur la liste".
Le #13Novembre Ben "trouve deux places côte à côte" au balcon pour son frère et lui.
Ben, à quatre pattes entre les sièges en essayant de fuir, atteint la porte au bout du balcon. Mais son frère ne suit pas, alors il se retourne "et là je vois un assaillant qui arrive au-dessus de mon frère Je sais maintenant que c'est Mostefai. Je le supplie de ne pas tirer".
De manière totalement inespérée, son frère parvient à le rejoindre sans être visé par le terroriste.
Réfugiés dans l'escalier, "on attend". Puis Ben, parvient à se réfugier sur le toit du Bataclan par le vasistas qui avait été ouvert, puis dans un appartement, par la fenêtre.
Ben explique à son tour de l'association @lifeforparis a été "un pilier de ma résilience".
"Sinon, on découvre les joies du stress post-traumatique. Pour moi, c'était la perte de sommeil, l'hypervigilance, le manque de concentration , perdre l'envie."
Ben : "ça reste une casserole d'eau bouillante dans la tête, prête à déborder tout le temps. Je vous passe la perte d'envie dans la vie de couple, se séparer, prendre du poids, se sentir seul tout le temps, malgré le soutien de vos proches."
Au tour de Joseph d'approcher de la barre. Il est accompagné de son fils, Milan.
Joseph est avec sa femme "pour fêter une super nouvelle, on venait de remporter un appel d'offre". Ils s'installent juste à côté de Nick" [Alexander, qui tient le stand de T-shirt, ndlr]
Joseph : "je vois Nick se faire tirer dessus. Puis, je vois tout à travers les balustres." Pendant quelques secondes, "plus de tirs". "On se sauve : on a marché sur tous les cadavres." Mais sa femme tombe. Il se retrouve dans la rue sans elle.
Joseph : "je vois plein de policiers, mais il n'y en a aucun qui veut me suivre" pour aller chercher sa femme. "Je me bats avec trois. Et ils hurlent : "on ne vous laissera pas y retourner". Donc j'ai attendu toute la nuit : la sortie de toutes les victimes, je les voyais tous".
Joseph : "j'attendais qu'Armelle passe, j'attendais et elle n'est jamais venue. Mon fils avait 13 ans, ma fille 11 ans. Aujourd'hui, mon fils me dit : "papa, au moins, il y en a un qui est vivant"."
Joseph : "il est très dur d'élever deux enfants quand on est veuf. On a quitté Paris.
Depuis le début, j'écoute ces gens qui ont vécu cette tristesse, mais j'aimerais leur donner un peu d'espoir. Il faut prendre son temps, mais j'en suis sorti".
Milan s'exprime à son tour : "j'avais 13 ans à l'époque. Mon Bataclan à moi, ce n'est pas au Bataclan, c'est un travail de physique-chimie à rendre, ma soeur qui va se coucher à 22h après avoir vu une émission de cuisine, je zappe. Et à 13 ans, c'est très compliqué."
Milan : "mes jambes ont cédé, je pleurais dans la cuisine, je ne voulais pas faire de bruit pour ne pas réveiller ma soeur. J'ai eu le temps d'avoir des réflexions sur lequel des deux parents sortira. Chez qui on ira si les deux y restent?"
Milan : "j'ai la chance d'avoir des personnes formidables qui m'entourent mais je me souviendrai toujours qu'un seul regard a suffit avec mon père pour savoir qu'il était rentré seul" du Bataclan.
Milan : "ce soir-là, on a eu ma mère mais on n'aura jamais ma liberté. C'est un combat pour la liberté que ma mère m'a toujours inculqué. Cette liberté et ce combat contre les obscurantismes, j'espère continuer à les mener".
Président: "vous faites quoi comme études?"
- Du droit
Président : "et votre soeur?"
Milan : "comme vous le voyez, elle n'est pas là aujourd'hui. Elle a l'intelligence de savoir qu'elle n'a pas fini sont processus de reconstruction et ne va pas assez bien pour être ici devant vous et mettre un pied dans cette cour d'assises".
Dernière partie civile prévue aujourd'hui, Cécile, s'apprête à témoigner :" dans l'après-midi du #13Novembre , j'ai réussi à avoir des invitations et à partir plus tôt du travail. Et après, j'allais partir à Londres rejoindre mon amoureux."
Au Bataclan, elle retrouve une amie.
Cécile dit à son amie "ça ne te dérange pas si on fait nos mamies? Et on monte au balcon".
"Ca a été beau pendant quelques morceaux et puis ça a basculé. J'ai passé par-dessus la rambarde et j'ai vu un homme au fond de la fosse, il n'y avait plus personne autour de lui."
Cécile : "on est restées accroupies. J'ai rampé sur les escaliers. J'ai continué à ramper derrière les fauteuils, jusqu'au couloir. On s'est retrouvés pris en étau dans la cage d'escalier."
Elle se réfugie dans une loge, dont la porte est barricadée.
Cécile : "on a attendu, ça tirait en rafales, ça ne s'arrêtait pas. Et quand ça s'arrêtait, c'était pour entendre le cliquetis d'un nouveau chargeur. Et ça recommençait. Chaque fois, je pensais que c'était la fin. Mais il y avait toujours un nouveau chargeur."
Cécile : "quelqu'un a essayé de rentrer dans la loge. Cela s'est entrebâillé. Moi, j'étais terrorisée. Puis ça s'est refermé.
Les rafales ce sont arrêtées, mais les exécutions ont commencé, au coup par coup. Puis quand les tirs s'arrêtent, on se dit que tout le monde est mort"
Cécile : "j'entendais les balles et à chaque fois, j'étais persuadée qu'elle serait pour moi dans le dos.
On entendait beaucoup parler les terroristes avec les otages. Dans la loge, il fallait vraiment faire aucun bruit, parce qu'ils étaient tout près."
Cécile : "puis ça tapé une nouvelle fois contre la porte. J'ai pris la la chaise et je l'ai bloquée sous la poignée".
Puis, "on a senti celui qui s'est fait explosé dans l'escalier. J'ai eu un gros sanglot. Et quelqu'un m'a caressé le dos, ça m'a fait du bien".
Lorsque la police a frappé à son tour à la porte, ils refusent d'ouvrir, pensant que c'est encore les terroristes. Finalement, ils échangent avec la police par la fenêtre et acceptent d'ouvrir la porte de la loge.
En descendant, Cécile se souvient "d'un corridor de policier. A chaque fois que je glissais sur du sang, l'un d'eux me mettait la main sur l'épaule et me disait : "ça va aller". Et je me souviens d'un grand gaillard qui avait des larmes plein les joues."
Cécile : "j'avais l'impression qu'on était les 30 derniers du Bataclan, que tout le monde était mort." Elle est emmenée dans un cour "et quand la porte de la cour s'est ouverte, j'avais un énorme sourire car j'étais trop heureuse de voir des vivants".
Cécile : "après, on croit devenir fou de douleur. De ressentir une telle douleur psychique alors qu'on n'a que des bleus et des égratignures, ça rend un peu cinglée. Mais au procès, je me suis rendue compte que ceux qui on pris une balle ont juste un gros problème supplémentaire"
Fin des auditions de parties civiles pour aujourd'hui. L'audience est suspendue. Elle reprendra demain à 12h30 avec les témoignages des spectateurs qui ont été pris en otage dans le couloir par deux terroristes.
Le compte-rendu de l'audience du jour, illustré par @ValPSQR est à retrouver ici > franceinter.fr/societe/proces…

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LT à suivre ici.
A retrouver aussi sur l'antenne de @franceinter avec @sophparm

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