Qffwffq Profile picture
16 Nov, 39 tweets, 6 min read
Tiens encore un thread sur la personnalité et la pathologie. Et encore une fois une histoire racontée par une patiente dans les groupes de pairs de sclérose en plaques.
Mme X (la famille X est très très grande et il leur arrive toujours plein de trucs), est née, a grandi, et s'est développée dans ce qu'on peut appeler une famille très très très conservatrice. Très. Mais vraiment.
À tel point que vers 16 elle a commencé à militer pour un candidat de droite particulièrement à droite (pas le RN parce qu'ils étaient pas assez catholiques et pas assez royalistes). Bref je pense que vous avez perçu l'ambiance : on n'est pas chez des zadistes en sarouel.
"..Malheureusement.." pour elle, vers 17-18 ans, son niveau scolaire baisse, malgré les efforts de ses enseignants, qui s'en étonnent.

Elle est souvent fatiguée, elle a du mal à marcher longtemps, elle a du mal à se concentrer.
Elle est vue par son médecin de famille, qui lui aurait expliqué que ".. c'est fréquent, chez les filles qui deviennent des femmes, de pas réussir à faire des études car elles sont pas très endurantes..😬".

Bref il ne fait absolument aucun examen complémentaire. Rien. Nada.
Et pour le première fois de sa vie, elle va voir père et mère, et leur dit : "s'il vous plaît, pardonnez-moi d'exister, mais pourrais-je être autorisée à faire des études supérieures plutôt que de faire de la broderie en attendant le prince charmant".
Ce à quoi père et mère lui auraient répondu que c'était inutile, et inaccessible pour quelqu'un de toujours fatigué.

Ou alors un truc pas trop difficile, genre une fac. Avec les pauvres et les hipsters qui se douchent pas.
Bon bref, elle obtient son bac au rattrapage (alors que jusqu'en seconde elle avait quelque chose comme 23/20 de moyenne, sauf en maths où elle était à 26) et s'inscrit en fac de psycho.
La première année est une catastrophe. Elle n'arrive à rien, la simple gestion de l'emploi du temps est cauchemardesque. Elle n'arrive pas à prendre de notes. Elle oublie de se rendre à certains partiels et sa vautre lamentablement en fin d'année après plusieurs mois d'échec.
Elle retourne voir le même médecin de famille, qui lui aurait dit que cela ne faisait que confirmer son diagnostic : "les filles sont faites pour faire des gosses entre deux confessions, pas pour apprendre des choses".

Rappelons que jusqu'en seconde elle était en avance.
Elle retourne voir père et mère pour s'excuser à nouveau d'exister, pour reconnaître qu'ils avaient raison au sujet des études, et pour leur demander s'ils accepteraient une année de plus parce que tout compte fait, Paris c'est mieux que la Vendée.
Magnanimes, ils acceptent, mais quel cursus ? Elle leur propose une école privée d'arts plastiques parce qu'elle dessine bien. Ses parents refusent parce que c'est des endroits plein d'artistes qui se droguent. Elle fera donc socio.
Cette année est radicalement différente. Elle est en échec dès le début. Elle n'arrive même pas à trouver les salles de cours sur le plan de la fac.

Mais...

Elle rencontre des artistes pauvres qui se douchent pas et se droguent et qui lui font découvrir un autre monde.
Elle découvre donc vers 20 ans, les milieux associatifs que l'on pourrait facilement décrire comme de gauche extrêmement à gauche. Genre autant de gauche que ses parents sont de droite, c'est dire.
Et ça se passe pas si mal.

D'une part, comme elle le dit maintenant, elle adhère sans difficulté à toutes les théories, tous les combats, toutes les luttes.

Elle milite, elle manifeste, elle tracte, elle se réunit, elle est très active...

Ou presque.
Oui parce que ses problémes sont toujours là. Elle se fatigue très vite, elle s'embrouille dès qu'elle veut prendre des notes ou lire un livre, elle n'arrive pas à suivre les débats dans les réunions.

Elle n'arrive même plus à gérer son compte en banque. Elle oublie son code CB.
Du coup pendant cette période militante, elle suit le mouvement, elle est au premier rang dans les manifs, elle fait la petite main, mais comme elle le dit maintenant, elle ne comprend rien.

Elle est totalement adhérente au discours et d'une empathie totale.
Et elle s'en étonne elle-même parce que malgré son esprit embrouillé, elle perçoit très bien les conflits d'ego, partisans, syndicaux, militants, politiques qui occupent la plupart des réunions auxquelles elle participe.
Mais dès que quelqu'un dit quelque chose, elle ne peut pas s'empêcher d'être d'accord et de leur dire en criant très fort.
Et puis un jour...arrive le jour où les choses vont changer. Elle a 23 ans.
Depuis une semaine elle est incroyablement fatiguée. Tout son côté droit est engourdi l'empêche de dormir malgré son épuisement (c'est pénible hein ces trucs de filles hemicorporels...)
C'est jour de manif et elle va manifester. Dans le feu de l'action elle prend un fumigène et tente de frapper un CRS qui la repousse avec son bouclier. Elle veut le taper quand même mais elle n'arrive pas à soulever le fumigène.
Et puis elle voit flou de l'œil droit. Avec son oeil gauche elle voit ses potes courir en se masquant le nez et les yeux. Elle les suit, mais n'arrive pas à courrir.

Quelqu'un l'aide et ils arrivent dans un coin plus calme.
Ses potes lui demandent comment elle fait pour pas se sentir plus mal (!) Parce qu'ils viennent de recevoir du gaz lacrymogène auquel elle semble insensible.

En fait elle ne l'est pas du tout (insensible) c'est juste qu'elle ne s'en rend absolument pas compte.
Résumons-nous : nous sommes le soir après manif, elle est fatiguée comme jamais, elle a des paresthésies hemicorporelles gauche, une parésie du membre supérieur droit, une cécité monoculaire, une anesthésie cornéenne et...
Elle est à la fois apathique, exaltée, fatiguée, heureuse et indifférente.

Un de ses potes veut l'emmener aux urgences. Elle voit pas pourquoi mais ce dernier semble penser, contrairement à son MG que le fait d'être une femme n'est pas une explication suffisante à ses troubles.
Je vous passe l'hospitalisation, les examens complémentaires, l'annonce du diagnostic de SEP, la réaction des parents qui se demandent comme elle a pu "attraper ça mais c'est normal quand on fréquente des drogués de gauche parce que chez nous on sait se tenir"
Je vous passe aussi l'échec des traitements de première ligne, son médecin de famille qui n'y croit pas, le retour à la maison en raison de son handicap, et le quotidien dans une famille qui aide "cette fille qui nous a fait la SEP, que va-t-on pouvoir faire d'elle".
Sans oublier ses meilleurs potes associatifs militants qui ne la contactent plus jamais maintenant qu'elle est inutile.

Bref c'est pas joyeux.
Mais sous son dernier traitement, elle va mieux. Pas tout de suite toit de suite, mais mieux. Elle garde des séquelles sensitives mais au niveau cognitif elle a "quasiment" tout récupéré.
Les guillemets autour de quasiment viennent du fait que ses bilans neuropsys sont normaux mais que d'après son niveau scolaire avant le début de sa pathologie, elle avait sans doute un très haut niveau. Être normale c'est en fait être bas par rapport à son niveau théorique.
Et malgré les progrès thérapeutiques, elle ne retrouvera pas ses capacités complètes.

Mais ce qui est intéressant c'est son discours actuel. Parce que maintenant elle est capable d'introspection et d'analyse de son parcours.
Elle est capable de percevoir le niveau de soumission à ses parents.

Elle est aussi capable d'expliquer ce que l'anosognosie de ses troubles quand elle échouait en fac.
Et enfin elle est capable de décrire aux autres comment un syndrome frontal peut faire de vous la militante idéale.
Pour finir cette histoire, elle a repris ses études. Histoire et histoire de l'art (double cursus). C'est la plus vieille de ses promos. Elle a valide ses deux premières années sans aucune difficulté.
Et accessoirement, elle milite toujours, dans des associations de patients atteints de sclérose en plaque, pour leur permettre de nommer ce qu'ils ressentent et ont souvent du mal à exprimer.

Quand au médecin de famille, on n'a plus de nouvelles.
UPDATE : alors non, même si cette histoire n'est pas banale, elle n'a rien d'exceptionnel. Ce qui est rare c'est les patients qui s'améliorent suffisamment après un aussi longue errance diagnostique pour pouvoir raconter leur expérience.
Mais sinon, des histoires proches on pourrait en raconter tous les mois, ou en tout cas au même rythme que Barbara Cartland.
UPDATE 2 : non tous les militants ne sont pas frontaux, ni tous les frontaux ne sont militants, mais c'est un état neurologique qui favorise l'adhérence au discours, le passage à l'acte et l'engagement. Que ce soit en politique ou dans la culture du panais.

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Qffwffq

Qffwffq Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @qffwffq

14 Nov
Bon pendant que j'attends une thrombolyse qui visiblement ne viendra jamais (mais je suis sympa, j'attends jusqu'à la 4e heure 30), je lis plein de trucs sur COMMENT RÉFORMER NOTRE SUPER SYSTÈME HOSPITALIERS (que bien entendu tout le monde aime tant qu'il s'agit pas de payer).
Et de façon fort peut surprenante, toutes les solutions proposées consistent à déplacer un curseur imaginaire, sur une ligne qui l'est tout autant, allant de "plus de pognon" à "une meilleure gouvernance".
La partie "plus de pognon" tout le monde la connait.

La partie "meilleure gouvernance" un peu moins, mais en gros c'est toujours le même combo : plus de pouvoir de décision aux équipes de terrain et moins de paperasse inutile.
Read 40 tweets
8 Nov
Comme @olivierveran je suis neurologue

ET je prescris des séances de kiné pour les patients parkinsoniens, pour ceux victimes d'AVC ou encore de SEP

ET je serais totalement incapable de dire aux kinés comment bien travailler car ils sont plus compétents que moi en la matière
MAIS...

Mais il existe en France des médecins généralistes dans certains syndicats qui son encore meilleurs que lui, meilleur que moi, et bien évidemment que tous les kinés réunis.
Ces médecins qui ne connaissent ni la neuro, ni la rééducation, ni la kinésithérapie savent mieux que tout le monde de quel type de kiné les patients neurologiques ont besoin en rééducation.

Si.

Ils sont groupés dans des syndicats comme @MGFGrandest.
Read 4 tweets
8 Nov
Comment passer du risotto aux stratégies des femmes au foyer italiennes des Pouilles dans les années 50 pour avoir un peu de temps.

Ou la recette de risotto de Mme X.
Aujourd'hui j'ai vu en consultation Mme X, qui a vécu presque toute sa vie dans les Pouilles avant de venir finir ses jours en France auprès de sa fille.

Mme X est en super forme malgré un AVC dont elle garde une séquelle motrice.
On discute, et de fil en aiguille elle me dit que le plus pénible est de ne plus pouvoir cuisiner. Et en particulier de ne plus pouvoir préparer SON risotto.
Read 11 tweets
29 Oct
- voir un patient maire
- lui annoncer que je ne pourrais pas le revoir sauf urgence
- l'entendre dire qu'il n'a plus de MG traitant
- lui montrer la démographie des MG avec retraite de 50% d'entre eux en 5 ans
- le voir comprendre qu'il est pas au fond mais au bord du précipice.
C'est pour ça que les débats sur le généraliste comme filtre, comme gestionnaire de dossier ou comme coordinateur de soins, sont dépassés. La question va être de comment organiser le sauve-qui-peut pendant le 10-15 prochaines années.
Je ne sais pas comment cela va se passer, mais je suis sûr d'une chose : face à l'ampleur du phénomène, ni l'état, ni les syndicats, ne pourront éviter une dérégulation massive où ceux qui n'ont pas les moyens de payer (cher) et de se déplacer (loin) pour leurs soins, vont perdre
Read 7 tweets
28 Oct
Comme chaque année ce WE commence le mois d'Halloween dans les hôpitaux

Le mois où tous les internes changent de stage, et où on accueille les nouveaux internes de première année (bienvenue)

Si vous le pouvez, évitez de vous faire hospitaliser pendant cette période de chaos
Ça vaudrait presque à hashtag.

Genre :

#HalloweenHavoc
#HalloweenBloodbath
#HalloweenHecatombe
#KeepCalmAndPanic
#NoBusinessAsAsual
#PainNoGain

Un truc positif quoi.
mardi matin par ex, un interne de chir qui sait pas reconnaître un AVC, va tenter de contacter un interne de neuro qui connait pas le logiciel de prescription, pour lui demander comment obtenir un scanner par l'Interne de radio qui n'a pas de badge pour entrer dans son service.
Read 4 tweets
27 Oct
Des témoignages comme celui-ci il y'en a beaucoup. Pas dans dans tous les départements d'enseignement de médecine générale, mais suffisamment pour qu'on ne puisse pas parler de cas isolé.

C'est quelque chose de systémique.

Et les explications sont nombreuses.

1/...
Voici une des explications concernant deux DMG de deux facs de province différentes, ne souffrant pas des guerres entre fac parisiennes, ni contaminées par les délires pédagogiques de Créteil.
Les deux se sont retrouvées un jour, comme toutes les autres, avec la nécessité de créer ex-nihilo toute la structure universitaire pédagogique pour encadrer des centaines d'étudiants

Ici les termes sont importants. Ex-nihilo n'est pas une image et centaines d'étudiants non plus
Read 12 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(